30/05/2008
"Une coulée suspendue"
"Ce ne sera pas un travail de remémoration, tel qu'on l'entend généralement, visant à la mise en récit d'une vie, à une explication de soi. Elle ne regardera en elle même que pour y retrouver le monde , la mémoire et l'imaginaire de jours passés du monde , saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité, la transformation des personnes et du sujet."
Annie Ernaux revient à plusieurs reprises dans Les Années sur son projet d'écriture et la nécessité de l'utilisation du pronom "elle". Je n'ai pas été gênée par ce pronom et me suis laissée emporter d'une seule coulée dans le flot continu du texte, scandé par la description de photos de la narratrice, comme autant de balises pour se poser un peu et prendre la mesure du temps passé.
Toutes mes craintes (retrouver les événements déjà traités dans les premiers romans d'Annie Ernaux que j'avais lus à leur sortie, se perdre dans cette évocation d'un passé qui ne m'appartient que partiellement) se sont envolées et j'ai dévoré d'une traite cette évocation d'une vie qui est aussi un peu la nôtre.
L'avis de Cathe
Celui de Christian Sauvage
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28/05/2008
"Pourquoi faut-il que les choses importantes demandent du temps ? "
Avec Les yeux d'or, Marie Desplechin renoue avec la veine fantastique , déjà explorée dans Dragons.
"Attendre", "Partir", "Revenir", telles sont les trois étapes de ce roman centré sur le personnage de Pierre, petit garçon quasiment laissé à l'abandon par son père, directeur de l 'observatoire de Paris. Edmée, la silencieuse qui sait faire apparaître de la poussière d'or,Edmée qui ne se livre jamais et passe avec aisance d'un métier à un autre ,va aider cet enfant solitaire à évoluer. Edmée qu'on soupçonne quand Pierre disparaît...
Récit initiatique, Les yeux d'or ne nous donne pas de clé, à nous d'accepter -ou pas- les manifestations des pouvoirs d'Edmée, à nous d'accepter de trouver le Paradis dans les hortillonnages d'Amiens...
Pour ma part, je me suis laissée envoûter.
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27/05/2008
"Chacun s'appartient dans la solitude de sa peau."
"Comme si l'on remontait jamais aux sources des histoires; comme si de savoir comment elles se défont pouvait les empêcher de se défaire. De glisser vers le vide."
C'est pourtant ce que vont faire les différents protagonistes du roman Le jour du chien, pour essayer de comprendre pourquoi Marlène a ressenti le besoin impérieux de quitter Laurent pour"refaire sa vie"avec le vétérinaire qui a soigné son chien accidenté.
Une histoire qui pourrait être banale mais qui ,sous la plume de Marie-Hélène Lafon prend une densité et une intensité quasi mythiques. Les secrets enfouis se révèlent à demi ,laissant au lecteur le soin de compléter les blancs, aucun personnage n'est négligé, tous sont traités à égalité et demeurent longtemps en nous. Des mots charnus. Un vrai coup de coeur.
Merci à Anne d'avoir fait voyager ce livre
et à Val de me l'avoir transmis
L'avis de Bellesahi
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24/05/2008
"Comme je l'aimais ma mère bancale"
Ainsi parle Fleur, jeune femme enceinte . "La naissance de cet enfant, ce sera un pied de nez aux mortes de ma famille. A cette lignée de femmes folles et malheureuses dont je suis issue. Quand cette existence neuve sortira de moi, ce n'est pas de sa charge de plume mais de leur poids à elle que j'espère être délivrée. Avec les sourires du bébé, ses petits bruits doux, ses mots fleuris peu à peu à force de soins et d'attention, exactement comme pour un jardin, je pourrai broder de jolis motifs sur la trame empesée, béante par endroits , qui m'a servi d'enfance".
Pas de récit revanchard mais la tentative de s'affranchir d'un lourd héritage familial. Le roman de Carole Zalberg, La mère horizontale, alterne le récit de Fleur concernant sa propre enfance et ce qu'elle reconstruit du passé de sa mère et de sa grand-mère. Au sommet de cette pyramide quasi matrilinéaire, les pères étant vite dépassés par ces femmes intenses et libres,l'arrière grand-mère Adèle qui se réfugiera dans le Sud de la France pour voir de loin les errements de sa fille"volatile", Emma.
Emma ,dont les trois premiers enfants, vite devenus encombrants à ses yeux, se lanceront dans une quête éperdue d'amour maternel. L'aînée, sabine, sombrera dans divers excès avant de devenir mère à son tour et d'aimer d'une manière quasi animale mais très tendre,sa fille, Fleur. La mère horizontale est un magnifique roman d'amour servi par une langue drue et poétique. Une vraie découverte.
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16/05/2008
Les femmes et les enfants d'abord
Quel est le point commun entre Lettre à mon chien de François Nourissier, Bleu comme l'enfer de pHilippe Djian et Deux jours à tuer de François d'Epenoux ?
Réponse: j'ai failli tous les balancer par la fenêtre. Le seul mérite du dernier ayant été de me faire mettre le doigt sur ce qui me dérangeait dans chacun d'entre eux : la complaisance. Complaisance dans le chouchoutage de son nombril pour le premier, complaisance dans la violence pour les deux autres.
Mais revenons au roman de D'Epenoux.
Dans un premier temps, j'ai trouvé l'intrigue astucieuse: cet homme qui "pète les plombs" le week-end de son anniversaire a finalement un raison plutôt originale de le faire mais peu crédible à mon avis. Se faire haïr pour, salto arrière,se faire d'autant plus aimer, très peu pour moi. d'autant que,si au début j'ai apprécié l'humour caustique du narrateur, j'ai détesté la spirale de violence qui se met bientôt en place, violence dont les principales victimes sont les femmes et les enfants. Certes l'auteur prend la peine de souligner que ça lui fend le coeur au narrateur ,mais faut pas exagérer.Le coup de pied dans le berceau de la petite dernière qui fait rouler à terre le bébé et le fait hurler de terreur, non là ça suffit.
"Roman dérangeant"est-il écrit sur la 4 ème de couv'.Certes. Mais quel est l'objectif de l'auteur ? Nous faire admirer sa virtuosité narrative ou se complaire dans la violence physique infligée aux femmes et aux enfants ?
(Tiens cette nuit m'est revenu le titre d'un livre noir (très noir) paru il y a quelques années et qui est la réponsede la bergère aux bergers : une femme qui se rebelle contre la violence faite aux femmes : Dirty week-end...d'Helen Zahavi.)
Anne avait eu un énorme coup de coeur pour le livre et pour le film.
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13/05/2008
Lunatic Princess
Point n'est besoin d'avoir lu récemment Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos pour apprécier le roman épistolaire de Camille de Peretti ,Nous sommes cruels.
Deux jeunes gens,Julien et Camille (de Peretti, tiens, tiens), fervents admirateurs du classique précédemment cité, vont se donner le projet de séduire puis d'abandonner des "proies", le but du jeu étant d'obtenir des trophées écrits :courriels, lettres ,textos...qui seront bien évidemment produits comme preuves de leur réussite.
Entre-temps,nous aurons droit à d'autres correspondances qui révèleront au passage que Julien ne joue pas toujours franc-jeu, d'où de subtils rebondissements ,et qui dévoileront en outre d'autres aspects moins noirs de Camille.
Pour se dédouaner de cette cruauté, Camille écrit à une amie : "Il faut bien se faire les griffes quand on n'a pas eu la chance de naître avec ta bonté." La jeunesse est en effet la seule excuse qu'on peut leur trouver, mais le jeu deviendra vite dangereux...
Traversé de références classiques, "Le jeu de l'amour et du hasard", "Belle du seigneur", mais aussi Marguerite Yourcenar et Colette que sa grand-mère Nini conseille à Camille de lire"ça t'apprendrait les choses", Nous sommes cruels est aussi un livre sur la beauté et le pouvoir des lettres:"Rien ne remplacera une lettre avec du vrai papier qui a voyagé et qui peut se froisser et se plier et se mettre sous un oreiller et dans sa poche ou sur son coeur...".
Franchement, je ne m'attendais pas à être aussi séduite par ce livre mais j'y ai trouvé des personnages pas du tout caricaturaux, flirtant avec le désespoir parfois, mais avec panache, "Je sourirai quoiqu'il advienne , après tout on dit que c'est la plus belle manière de montrer ses dents à son adversaire."Un récit qui s'il emprunte la forme et le fond du roman de Choderlos de Laclos (qu'au passage je n'avais jamais apprécié) sait très vite s'en affranchir et montre une réelle maîtrise de l'intrigue et de la psychologie des personnages. L'humour et la tendresse y sont bien présents, en particulier dans la correspondance décousue, tendre sans être cucul entre Camille et sa grand-mère et cela fait du bien de pouvoir lire des phrases telles que celle-ci : "Je pense que la prochaine fois que je chercherai un boulot, je l'écrirai sur mon CV: "grande expérience des fous en tous genres". C'est un atout non négligeable." Bref une très agréable surprise, j'attends déjà avec impatience la sortie en poche du nouveau roman de Camille de Peretti qui s'est cette fois inspirée du roman de Perec,Les choses.
L'avis d'Antigone
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09/05/2008
De l'intérêt de ne pas avoir d'écrivain dans sa famille...
J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois pour terminer La haine de la famille de Catherine Cusset.Non que l'écriture en soit lourde ou l'histoire inintéressante mais parce que j'avais la désagréable impression de devenir voyeure tant le lecteur se doute que cette famille,haute en couleurs, a beaucoup de parenté avec celle de l'auteure.
Marie, la narratrice se met d'ailleurs peu en scène, préférant se concentrer sur le reste de sa parentèle. Sa mère, toujours vêtue de rouge, qui a mené une carrière brillante au barreau ,mais estime que sa vie est vide. Son père qui ne cesse de rouspéter, n'arrivant pas à endiguer le désordre causé par ses enfants, sa femme ou sa belle-mère.
Rien ne nous est épargné de la constipation des unes ou des autres (ou des crottes flottant dans la mer sous le nez de celle qui vient de se soulager...), de l'apparente irresponsabilité d'une soeur qui collectionne les amants et les enfants mais entreprend à 40 ans des études de médecine.
Quant à la grand-mère, petite bonne femme d'un mètre cinquante, elle a tenu tête aux policiers françias venus l'arrêter pendant la Seconde Guerre Mondiale, a sauvé ses filles par son aplomb mais termine sa vie d'une manière déchirante...
Pas de morale à ce récit, à nous de nous dépatouiller avec cette famille pas si haïe que cela-bien au contraire- et qui ressemble un peu à la nôtre...
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07/05/2008
"Laisse tomber! Des mecs, il y en a partout.Un job comme ça, on n'en trouve pas tous les jours."
Sans l'aide d'aucun réseau relationnel, Dahlia Arditi a réussi à entrer dans une grande et très chic agence parisienne de relations publiques. Là, elle va devoir affronter sa supérieure hiérarchique, Chloé de Lignan, alias Cruella, tant sur le plan professionnel que sur le plan amoureux, les deux demoiselles étant tombées amoureuses du même homme...Coup bas et talons hauts , tout est permis pour emporter les budgets des clients et le coeur du bel Adam...
N'étant guère sentimentale,je me suis souciée comme d' une guigne de l'histoire d'amour.Tonie Behar barbote en outre allègrement dans les clichés ( ce qui est un peu la loi du genre, mais point trop n'en faut) et j'ai même eu un mouvement de recul à la lecture de la rencontre-ratée (dans tous les sens du terme) des deux héros. Néanmoins, quand l'auteur s'affranchit du carcan de la chick litt, on ne peut qu'apprécier la description des coulisses de ce monde du luxe.J'ai aussi été très touchée par la description de cette tribu familiale et matriarcale de l'héroïne.Ces femmes chaleureuses et hautes en couleurs entraînent aussitôt notre sympathie, plus peut être d'ailleurs que Dahlia qui est une allumeuse sans scrupules...
La scène finale, par son point de vue original, rattrape largement le début et entre les deux on ne s'ennuie pas une minute !
Un roman qui tient ses promesses : nous faire passer un bon moment.
Le site de l'auteure
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01/05/2008
Marions-les ,marions-les
Ne pas se fier à la couverture sucrée du roman d'Audrey Diwan, la fabrication d'un mensonge n'est pas un roman sentimental , loin s'en faut.
De mariage il en sera certes question puisque l'héroïne qui navigue depuis sept ans de la philosophie à l'ethnologie en passant par l'histoire de l'art, trouve un job d'été dans une boutique un peu miteuse "Mariage 2000". C'est là que Raphaëlle va se jeter "avec une certaine allégresse" dans les griffes de Lola, menteuse patentée.
La dilettante qui travaille "pour qu'il lui arrive des choses" connaîtra une expérience marquante avec cette fille débrouillarde et rusée qui la fascine.
Un style vigoureux et une vraie aisance dans la narration. Une auteure à découvrir et à suivre.
L'avis plus nuancé de Laure
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22/04/2008
"Chansons pour bestioles"
Les bestioles , ce sont les autres,ceux avec qui Marthe tentent d'établir un semblant de communication. Mais rien n'y fait: dès que La jeune femme apparaît, la réalité dérape subtilement jusqu'à dérailler complètement comme le train dans lequel elle a pris place au lieu d'aller à son travail.
En effet, Marthe a décidé de changer de vie (thème à le mode) et ne fera désormais que ce qui lui plaît.
Cette difficile exigence n'est pas du tout envisagée de manière banale dans le premier roman de Cécile Reyboz. Pas d'histoire à l'américaine , triomphaliste, mais un personnage qui nous entraîne dans son univers, qui est presque le notre mais pas tout à fait. En effet, Marthe ne maîtrise pas son corps dans l'espace et envisage celui des autres d'une manière toute particulière...
Habillée comme un évêque ou comme une putain, répétant ses prises de parole, voire les mimant, Marthe se veut critique vis à vis de ce que l'on appelle la réalité et semble en perpétuel déséquilibre.
Chanson pour bestioles est un roman qui possède à la fois un vrai univers à la fois cocasse et poétique ,un style subtilement dérangeant et une narration habile. Une auteure à suivre.
ps: ce roman vient d'obtenir le Prix Lilas.
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