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30/05/2024

Et d'une vie toute animale

"Elle prend conscience  de ce qu'un animal domestique doit encaisser, endurer, ce qu'il reçoit du poids des âmes humaines, toutes ces émotions mal rangées qu’il  a pour charge de porter , transporter, tout ce qui se loge en lui  du dépôt sauvage de nos névroses."

Une femme ,dont la profession est de recueillir les paroles des personnes en fin de vie, a l'occasion d'occuper temporairement un atelier d'artisan sur le causse du Quercy. Elle ne va pas rester longtemps solitaire dans ce lieu désolé car elle recueille un chien errant, bien mal en point. sandrine bourguignon
Commence alors une vie simple, au plus près de la nature et des rares personnes avec qui elle entre en contact, avec délicatesse et intelligence. Mais c’est la nature qui  la part belle ici, car la narratrice se montre attentive au plus petit frémissement, au plus petit changement qui intervient dans son environnement et son écriture, lumineuse, est un pur régal.
Un texte apaisant, sous forme de fragments car "Elle pense, avec Cioran, qu'écrire par fragments empêche le texte de subir ou d'exercer un pouvoir", ce qui ne gêne en rien la lecture, bien au contraire.

Un grand coup de cœur ! Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 Éditions Cambourakis 2024. 206 pages à lire et relire.

14/05/2024

Je m'appelle Australie

" Le ton de sa voix provoque une secousse chez elle, quelque chose rompt, une corde usée, une digue, un château de sable, elle ne sait pas ce que c'est , ça se brise et autre chose prend la place, se répand dans son ventre. "

Dix nouvelles composent ce recueil. Dix nouvelles aux tonalités très différentes où des femmes, d'âges différents tentent de trouver leur place dans le monde. En ouverture, il y a cette adolescente qui s'est rebaptisée Australie à qui une sorte de sorcière bienveillante va confier un précieux conseil. Celle dont la fratrie se réunit autour d'un feu de camp pour évoquer, de manière impressionniste, des souvenirs d'enfance, évocation qui vire peu à peu au cauchemar. Celle qui aide sa tante à vider le chalet d'un oncle pour le moins particulier.
A chaque fois, on est saisi par l'écriture de l'autrice, par son acuité,sa capacité à susciter le malaise ou l'émotion de manière apparemment ténue mais diablement efficace. zoé derleyn
Zoé Derleyn prête  une attention extrême aux détails, détails que l'on retrouve en écho au fil des textes et son écriture , fluide, nous entraîne toujours plus profondément dans des zones inattendues. Un grand et beau coup de cœur. Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 

 Éditions du Rouergue 2024, 132 pages à lire et relire.

 PS: dans la foulée, j'ai commandé les deux autres livres de cette autrice.

30/04/2024

De vengeance

"L'ennui, avec la plupart des humains, c'est qu'ils parlent. Ils communiquent. Ils mettent le nez dans vos affaires. Ils ne peuvent pas s'empêcher de vous créer des problèmes. Ils sont difficiles à contrôler. Ils élaborent des scénarios. Ils suspectent. Ils errent. Ils sont difficiles à cerner. leurs actions sont souvent impossibles à prévoir. Ils mentent. Ils jouent la comédie. Ils sont méchants. "

La narratrice tue accidentellement un camarade de classe. Son crime demeure impuni. Coup de chance : elle vient de trouver sa vocation et s'en réjouit. Seul regret: elle ne peut s'en vanter. D'emblée le ton est donné : nous voici avec une tueuse en série qui va, peu à peu, monter en puissance et se débarrasser de ceux qu'elle estime nuisibles à des degrés divers: cela va de celui qui manque l'écraser à celui qui ne ramasse pas les crottes de son chien. Pour commencer.J.D. Kurtness
Socialement bien intégrée, patiente (très patiente), intelligente et organisée, elle passe inaperçue et en joue.
Pour elle, c'est un "passe-temps" que de se venger. Mais elle pratique cette activité avec beaucoup de distance et ne connaît pas toujours le résultat de ses actes, libre au lecteur de l’imaginer. Contrairement à d'autres tueurs en série, elle ne paraît pas outrageusement dérangée et tout l'art de l'autrice , pour peu qu'on apprécie l'humour noir (très noir), est de nous rendre acceptable son comportement...Une lecture intensément jubilatoire.

Et zou sur l'étagère des indispensables !

 Éditions Dépaysage 2022, 151 pages à lire et relire.

 

20/03/2024

Journal d'un vide

"Me voilà de retour, entre rêve et réalité. "

Mme Shibata, seule femme de son équipe, occupe un poemi yagiste à responsabilités mais doit se coltiner tout ce que ses homologues masculins considèrent comme lui revenant d'office: à savoir nettoyer, ranger derrière eux. Un jour, tout à trac, cette jeune trentenaire annonce qu’elle est enceinte. Cela va aussitôt changer la donne et la libérer de pas mal de charge mentale.
Par ce mensonge, elle entre dans un nouvel univers: celui des femmes enceintes, sorte de tribu qui se promène avec un porte-clés annonçant leur état, se livre à une débauche de sueur dans des cours d'aérobic survoltés...
Le récit bascule encore une fois brutalement quand un nouveau fait important est annoncé au détour d'une phrase (ne pas lire la quatrième de couv' qui en dit beaucoup trop) et change totalement la perception du lecteur. Nous naviguons ainsi,à vue, entre rêve et réalité, dans ce roman à charge contre la société patriarcale japonaise que l'héroïne va
dénoncer avec une fausse candeur à la toute fin du roman, juste avant une ultime pirouette... Un roman déstabilisant mais jubilatoire. Une réussite.

Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon

06/03/2024

Face à la pente

"Projets de seconde partie de vie
Petits projets de seconde partie de vie.
J'ai pris le coup dans l'estomac."

A cinquante-huit ans, après une carrière professionnelle quelque peu erratique , mais toujours liée aux mots, Léonore accepte de partir en pré-retraite, dotée d'un petit pécule dont elle ne sait que faire en vérité.
Une série de rencontres improbables-un médium qui lui transmet un message de l'au-delà lui enjoignant de bien regarder, un D.J dont l'heure de gloire est derrière lui - va l'amener dans une petit village de l’Isère. cécile reyboz
Totalement ignare en matière de végétation, Léonore prend ses marques en arpentant la campagne et en se liant prudemment aux autochtones, non sans maladresses.En devenant propriétaire d'un terrain qui suscite bien des polémiques dans le village, Léonore parviendra-t-elle à se tenir Face à la pente, au sens propre comme au  figuré ?
J'ai adoré ce roman qui fait la part belle à la nature, car oui, Léonore va prendre le temps de regarder , non seulement les paysages, mais aussi les êtres, ce qui nous vaudra une magnifique description du corps nu d'un sexagénaire, entre autres. De plus, la narratrice s'insurge contre la condescendance dont on fait preuve à son égard en tant que retraitée. Comme si l'exclusion du monde du travail entraînait une exclusion de la vie tout court et n'était que l'antichambre de la mort.
A coups de statistiques, elle remet ses idées en place (et les nôtres par la même occasion) afin de nuancer la place que devrait occuper l’emploi dans notre vie . Enfin, sans tomber dans un optimisme béat, elle envisage un avenir non solitaire pour son héroïne , ce qui nous vaut un passage mémorable sur la différence entre "construire" et "poursuivre" (quand je vous disais que Léonore était attachée aux mots et à leurs nuances !). Un livre constellé de marque-pages , qui file, zzz, sur l'étagère des indispensables.

Denoël 2024.

Livre envoyé par l'éditeur, sans aucune rémunération.

 

27/02/2024

#Flamboyantcrépusculedunevieilleconformiste #NetGalleyFrance !

"Dans les années 1960, 1970, alors que je m'emmerdais ferme à tenter de réussir la langue de bœuf sauce madère, d'autres, partout dans le monde, écoutaient Led Zeppelin et jouissaient dans des sous-sols improbables , emmêlaient leurs cheveux, découvraient leur corps et leurs désirs, rencontraient parfois leur moi profond. "

Parfaite petite bourgeoise belge avec toute la panoplie jupe plissée, serre-tête et rang de perles quand elle était jeune, Dominique Pirotte, quatre-vingt-deux ans se lâche enfin. On vient de lui découvrir un Alzheimer et elle a décidé de tirer sa révérence.
Sans fausse pudeur, sans hypocrisie, elle regarde avec lucidité ses proches mais aussi avec elle-même. Les seules qui trouvent grâce à ses yeux  sont sa fille Dorothée qui, trop tôt décédée , avait tenté de l'extraire de sa vie rabougrie et sa petite-fille, Victoire. Victoire, vingt ans qui est la vie même en cette période de coronavirus.61+qKb3exML._SL1500_.jpg
Monologue décapant, mais aussi émouvant,  ce roman nous fait vivre de l'intérieur la maladie qui dérègle les curseurs du temps. Il nous offre aussi une réflexion sur notre civilisation, notre rapport à la jeunesse,  à la vieillesse, à la nécessité de la fiction

Un grand coup de cœur qui file sur l'étagère des indispensables.

Le Cherche Midi 2024. 106 pages qui se dévorent cul sec.

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06/02/2024

à quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit ?

"Je devine les trois rectangles laissés par les cadres décrochés. Nos traces. Je veux m'assurer que nous avons vécu ici, heureux.M'assurer qu'il reste quelques marques, quelques empreintes de notre histoire. Alors, je viens rôder là quand le sommeil m'évite. Les heures profondes de la nuit sont aussi les premières du matin, un matin qui s'ignore et n'a rien à dire au jour, un matin enveloppé de ses ténèbres comme dans un manteau d'hiver. "

En lisant ces micro-fictions, reliées entre elles par des monostiches consacrés à la nuit, j'avais en tête ces vers de Paul Eluard

"Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses
Le jour est paresseux mais la nuit est active
Un bol d'air à midi la nuit le filtre et l'use
La nuit ne laisse pas de poussière sur nous".

Mais chez Gaëlle Josse, pas de répit pour ces insomniaques que la nuit travaille . Il est souvent question ici de solitude et nos moyens de communication modernes ne font semble-t-il que l'exacerber, qu'on attende une sonnerie ou qu'on ait oublié d'enlever le mode silencieux...gaëlle josse
Vieillard que l'usure du corps rattrape, enfants qui se croient responsables du départ d'un adulte, mais aussi père qui contemple , sans trop y croire , les reliefs d'un anniversaire témoignant de sa rédemption, tous ils nous émeuvent à leur façon.
Il est souvent question de fenêtres dans ces textes, transition vers l'ailleurs ou ouverture vers l'avenir, leur absence n'en devient que plus criante dans le dernier texte, qui, sans pathos, de manière poétique mais efficace,  dit la dureté d'un monde où l'on s'est habitué à la misère.

Notabilia 2024, 217 pages poétiques  et indispensables. 

 

 

05/02/2024

Fantastique histoire d'amour

"-attendre quelqu'un dans un McDo un dimanche soir  de pluie étant une démonstration redoutable de la nullité morale du capitalisme. "

Un homme, fasciné, observe une jeune femme qui, dans un parc de Lyon, nourrit, à la main, des mésanges.
Lui, c'est Bastien, inspecteur du travail . Il ne se remet pas d'avoir été quitté et supporte difficilement de ne pouvoir être efficace que pour une toute petite partie des salariés qui le contactent.
Elle, c'est Maïa, journaliste scientifique, elle assume pleinement ses envies charnelles et son célibat.
Pour que ces deux-là soient réunis-ou pas-, il faudra une tante physicienne au CERN qui vient de faire une expérience (ratée) sur un cristal scintillateur et une compacteuse "responsable" d'un accident de travail (ou serait-ce un homicide? ).
Explorant cette fois le territoire du thriller; Sophie Duvry, nous livre un roman hautement addictif qu'on se réjouit de retrouver le soir tant elle joue avec nos nerfs mais sait aussi nous émouvoir avec ces deux bras-cassés de l'amour.sophie divry
Une pointe de roman social,  une critique du financement privé de la recherche scientifique viennent relever le tout et des personnages secondaires bien campés finissent de parfaire ces 512 pages sans aucune longueur et parsemées d'oiseaux.....  Dès la scène inaugurale, j'ai su  que j'étais cueillie.Une réussite qui file  sur l'étagère des indispensables.

 

Le  Seuil 2024.

13/01/2024

Petite Sale...en poche

"Demest est semblable à ses champs: froid, dur à la tâche, gelé, animé par des projets plus grands, par des mouvements profonds."

Du 10 au 19 février 1969, la vie des habitants d'un petit village situé non loin du Chemin des dames va être bouleversée: la petite fille de 4 ans du potentat local a été enlevée. Une demande de rançon tombe. Des policiers parisiens sont envoyés en renfort . La dernière personne a avoir vu la petite Sylvie est Catherine. La Petite Sale c'est elle. louise mey
Ces qualificatifs expriment  bien tout le mépris de classe envers cette jeune femme qui s'active à la ferme et à laquelle personne ne prête attention. Elle a d'ailleurs tout  leur d'intérêt dans ce monde d'hommes à ne pas avoir un corps attractif...
Nous sommes donc en 1969 mais nous pourrions être un siècle plus tôt, comme le remarque un personnage, car la modernité ne semble pas être arrivée dans cette campagne où M. Demest fait la pluie et le beau temps , tenant  les habitants sous sa coupe, étant le seul à leur offrir du travail. C'est aussi un tyran domestique contre lequel rares sont les membres de sa famille sont ceux qui osent regimber.
 Ce nouveau roman de Louise Mey est un magnifique roman d'atmosphère, une plongée dans la boue et le froid, mais aussi un roman policier qui fleure bon les enquêtes à la Maigret, repas au café du village parmi les habitants taiseux.
C'est enfin une magistrale dénonciation du patriarcat, s'exerçant à différents niveaux, dans un monde où les femmes commencent à peine à se forer leur place.
Le style est également magnifique, la construction impeccable et une grande place est accordée à la description des corps marqués par le travail, de ses corps auxquels on ne prête pas attention mais qui pourront peut être un jour se déployer.  Du suspense et de l'espoir, un excellent cocktail.  Et zou , sur l'étagère des indispensables.

12/01/2024

#Premièresplumes #NetGalleyFrance !

"Désormais, Benzene est juste un oiseau comme les autres, et aucun oiseau ne sera plus jamais juste un oiseau. "

Quand le narrateur-auteur, Charlie Gilmour décide de prendre en charge le bébé-pie tombé (jeté ?) du nid dans une zone industrielle de Londres, il n'est pas conscient de ce qu'il va mettre en branle. Lui qui ne s'est jamais vraiment intéressé aux animaux , va être fasciné par cet oiseau accaparant, intelligent et sacrément tyrannique qui ira jusqu'à nicher des boulettes de viande dans ses cheveux !
Mais cet oiseau fait aussitôt écho à un fait marquant concernant son père biologique qui lui-même a élevé un choucas, autre membre de la famille des corvidés. Ce père, qui a fui quant Charlie était encore bébé, est un poète -magicien, expert dans l'art de s'esquiver et d'esquiver les responsabilités...
Le narrateur va donc , avec cet animal sauvage, expérimenter une forme de paternité (qui le préparera peut être à accepter lui-même de devenir père) , tout en cherchant à rétablir un lien avec son propre géniteur.
Dans ce roman autobiographique, l'auteur ne se donne pas le beau rôle , mais livre avec honnêteté ses questionnements, ses erreurs et  décrit avec poésie, humour et émotion son parcours et les relations qu'il tisse avec cette pie, prénommée Benzene, mais aussi avec ses proches et en particulier avec son père adoptif, leader du groupe Pink Floyd. charlie gilmour
Un magnifique roman autour de la paternité mais aussi des responsabilités de la prise en charge d'un animal sauvage qui lui a appris beaucoup et surtout que "Prendre soin des autres peut aller trop loin, devenir une captivité. "
Et zou, sur l'étagère des indispensables.


 

 Éditions Métailié 2024, traduit de l'anglais par Anatole Pons. charlie gilmour