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22/08/2023

Le Vieil Incendie

" J'ai de la peine à me rappeler que nous avons été indissociables. Nous avions les mêmes timidités, les mêmes craintes de la vie sociale. On ne se chamaillait pas. Notre langue de silences et de cris nous a réunies. "

 A quinze ans, l'aînée, Agathe,  a fui sa sœur cadette,Véra, aphasique, et son père. Elle a fait sa vie aux États-Unis où elle écrit des scénarios  et des dialogues de films. Quinze ans plus tard, Agathe et Véra doivent vider la maison familiale qui sera abattue. Et pour cela , elles ont neuf jours.
Pas de disputes autour des objets ici, Agathe étant même prête à incendier le contenu de la maison dont elle ne veut rien garder. Elle apprend à redécouvrir sa cadette qui  n'a plus rien de celle qu'elle se sentait obligée de protéger.
Au fil des jours, des souvenirs reviennent et les secrets se révèlent.
Avec une infinie délicatesse, par petites touches, Elisa Shua Dusapin brosse le portrait de ces deux sœurs pour qui les silences sont peut être plus parlants que les mots. Car peut-on se fier aux mots ? Ils sont trompeurs, déformés, peuvent devenir le vecteur d’humiliations...Ils peuvent être difficiles à prononcer ou à écrire , même quand on en a fait son métier... elisa shua dusapin
La nature  joue également un rôle très important ici, ainsi que le corps des femmes, corps bridé, corps faillible ou corps retrouvé. Un texte magnifique dans sa concision parfaite et l'émotion intense qu'il dégage.  Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 

Éditions Zoé 2023.

15/12/2022

La paix des ruches

"Je suis aussi ignorante de ce qui peut lui déplaire en moi, qu'il me semble l'être de ce qui m'irrite tant de sa part. C'est là le drame du couple, ces feux croisés qui s'affrontent, se pulvérisent mutuellement, signaux incompréhensibles à celui à qui ils sont adressés et les reçoit en aveugle. feux ne distribuant aucune lumière, mais seulement un lourd et sourd malaise dont les intéressés ne distinguent pas l'origine. "

Paru en 1947 , ce roman d'Alice Rivaz est d'une folle modernité par les thèmes abordés, ce que souligne très justement dans sa préface Mona Chollet : "la relation complexe des femmes à la beauté et à la mode; la peur panique de vieillir [...]; leur rapport à l'espace domestique. "alice rivaz
Et que dire de l'incipit qui tombe comme un coup de hache: "Je crois que je n'aime plus mon mari. " Constat clinique, sans affect qui va donner le ton de ce roman où une femme, secrétaire dans un bureau, analyse avec lucidité les relations hommes/femmes dans une société où l'homme pérore et la femme se tait. Autre point  encore problématique de nos jours: la volonté de ne pas avoir d'enfant, mais ici au moins les deux époux étaient d'accord.
Seul le plaisir féminin n'est pas évoqué, même si on devine  que la narratrice a eu une aventure extra-conjugale.
Un roman  âpre et dense, où les collègues et/ou amies de l'héroïne parlent des hommes avec beaucoup de désinvolture, peut être pour oublier tous les rêves de liberté qu'elles avaient  étant plus jeunes...

A (re) découvrir sans plus attendre grâce aux Éditions Zoé.

 

Dans la foulée, je me suis procurée le recueil de nouvelles Sans alcool , recueil qu'un éditeur japonais a refusé de faire traduire, le jugeant trop triste...

06:00 Publié dans romans suisses | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alice rivaz

02/12/2021

Les orageuses...en poche

 "Comment ça, elles ripostent ? Comment ça, elle ne laissent pas couler ? Comment ça, elles s'approprient la violence ? "

A l'instar de l'héroïne de Dirty Week-end (roman anglais un peu tombé dans l'oubli, mais qui vient d'être réédité et que je recommande chaudement), Les Orageuses de Marcia Burnier, parce qu'elles ont été violées, décident de se venger ,mais de manière moins sanglante que l'héroïne de Helen Zahavi.
Autre différence, elles s'organisent  en bande, se soutiennent et mettent donc en pratique une sororité qui les aide à apaiser le monstre en elle , à trouver une forme de paix, une forme de réparation, chacune à leur façon.
Si le style de Marcia Burnier est vigoureux, ses analyses sont pertinentes et nuancées, n'hésitant pas à présenter la peur des femmes  en pleine action de vengeance, ce ne sont pas ni super women ni des va-t-en guerre, ou cette fameuse zone grise où la victime se demande si elle a bien été agressée sexuellement. marcia burnier
Leur corps est lui aussi présenté de manière puissante, tant dans la description de la déflagration subie que dans ses capacités physiques à se défendre, même si la société les avaient conditionnées à se croire faibles.
Quant aux hommes, mêmes les meilleurs amis ont une fâcheuse tendance à minimiser voire à oublier rapidement, même si dans un premier temps ils se montraient compatissants. Un premier roman nécessaire et percutant. t zou, sur l'étagère des indispensables.

Cambourakis poche 2021

12/01/2021

Inflorescence

"-Tu ne plantes pas seulement pour toi ou pour moi. Tu plantes pour les suivants et ceux d'après encore. Alors vas-y,il y a bien du travail."

Quatre générations de femmes et leurs relations au jardin, aux plantes, aux arbres sont au cœur de ce roman . Nature  en danger, moyen de se reconstruire ou volonté de tout cadrer (dans ces lotissements  Levitt que j'ai découverts ici), chacune des héroïnes, à sa façon, entretient des liens  avec la nature, liens qui les révèlent plus peut être qu'elles ne le souhaiteraient.raluca antonescu
De 1911 à nos jours, c'est aussi le corps des femmes qui  est en question , ainsi que la relation matrilinéaire, réelle ou symbolique.
Fil rouge de ce roman , l'histoire réelle du gouffre du Diable permet de mesurer l'ampleur des dégâts causés à l'environnement au fil du temps.
Raluca Antonescu , par son écriture fine et précise, parvient à créer des atmosphères différentes au fil des chapitres et des personnages qui sont évoqués, tout en maintenant une vraie tension  narrative.
On dévore ce livre, on le piquète de marque-pages et on en sort revigoré comme après une balade  à la campagne.

Et zou, sur l'étagère des indispensables.

Éditions la Baconnière 2021, 254 pages .

10/11/2020

La Payîsanna

"Quand la paysanne n'est pas à l'écurie, je trouve vraiment le bon rythme. L'ennui, c'est qu'après un moment, j'ai la bouche cousue. Ma voix descend en rampant le long de ma gorge et les mots me montent à la tête. Ils y bâtissent un monde second et toutes les choses que tu m'as dites se transforment en foin et ne paille. Je les trimballe avec moi jusqu'à ce qu'elles restent  collées à ma peau et que ça devienne vrai que j'ai fait un jour partie de toi."


Cinq saisons où une jeune femme travaille dans une ferme suisse, près de la villa en ruines de ses grands parents. Naissance d'un veau, taille des onglons , mais aussi prise de conscience de la nature : "Les grillons me mettent au diapason Ils tendent leurs filets sonores autour de ma tête et la vallée entière se met à valser avec le temps" lui permettent d'apprivoiser la séparation d'avec son amoureux. Les êtres décédés l'accompagnent  dans son quotidien avec un naturel confondant et on est bien loin ici du fantastique flamboyant sud-américain.noëmi lerch,yann stutzig
Tout semble feutré dans ce roman très très court (65 pages) qui infuse lentement en nous pendant et après la lecture. Amateurs de sensations fortes, de retournements de situations et de rebondissements passez votre chemin. Ce roman est de l'ordre du ténu, du tranquille et pourtant il produit une impression forte sur qui veut bien prendre le temps de se lier à lui.

Traduit de l'allemand par Yann Stutzig, Éditions d 'En Bas 2020

20/12/2019

Ici tout est encore possible

"Je doute que la sécurité dans laquelle je vis corresponde à la réalité. J'aspire à l'incertitude, à davantage d’authenticité peut être, au concret. j'aimerais être capable de distinguer l'important de l’accessoire. J'aimerais faire partie d'une histoire ou de plusieurs histoires en même temps."

Tout semble paradoxal dans ce roman. En effet, l'héroïne choisit de devenir veilleuse de nuit dans une usine vouée à la fermeture car "Ici, un nouvel environnement s'offre à l'exploration. Ici, tout est encore possible."
La narratrice, cantonnée à un espace réduit, s'intéresse aux frontières, celles de son propre corps, celles de l'espace qui l'entoure et dont elle a la charge. Elle doit notamment empêcher qu'un loup (réel ou imaginaire),  quittant l'espace de la forêt toute proche ,n'entre dans l'espace de l'usine.
Autre figure de l'étrange étranger, cet homme tombé du ciel des années plus tôt , un migrant sans doute, resté non identifié et dont la commune s'est employée à louvoyer pour ne pas avoir à s'acquitter de son enterrement.gianna molinari
C'est finalement la narratrice elle-même qui fera naître des soupçons concernant son identité auprès de la petite communauté  villageoise.
Amateurs de sensations fortes, d’explications claires, passez votre chemin. Nous sommes ici au royaume de l'implicite, du non-dit et du sous texte et si l'écriture semble sans attraits, elle n'en est pas moins efficace pour sire la monotonie de ces existences volontairement étriquées. ça passe ou ça casse, mais ce texte distille près coup un charme certain.

 

Traduit de l'allemand (Suisse) par Françoise Toraille

Éditions Delcourt 2019.

prix Robert Walser 2019

 

 

12/03/2019

Antonia Journal 1965-1966

"Face à les infimes changements, Franco ne sourcille pas. Il ne voit rien, noyé dans son absence."

En une petite centaine de pages, illustrées de photos en noir et blanc, suffisamment libres d'interprétation, Gabriella Zalapi imagine le journal intime d'une jeune femme, issue d'une grande famille juive cosmopolite, mariée pour de mauvaises raisons à un bourgeois de Palerme qui l'exaspère. Elle ne se rapproche que par éclipses de son fils, Arturo, que lui dispute âprement la nurse chargée de s'occuper de lui.
Plutôt immature, Antonia, par le biais de documents anciens, va reconstituer le puzzle du passé de sa famille et éclairer d'un jour nouveau son attitude.gabriella zalapi
N'ayant eu accès ni à l'amour de sa mère, ni à une véritable éducation, Antonia ne peut que s'émanciper en tombant amoureuse et en fuyant tout à la fois un foyer et une mère toxiques. L'arbre généalogique final nous indique qu'elle serait toujours en vie...
Si j'ai aimé la forme du roman, ses ellipses, son écriture précise et allant droit à l'essentiel, je suis restée plus en retrait face au caractère de l'héroïne, trop évaporée à mon goût, en dépit de l'arrière plan dramatique.

Antonia, Gabriella Zalapi, Éditions Zoé 2019.

04/09/2018

Les billes du Pachinko

"Ce n’est pas ma faute, je pense, si je ne raconte rien. Si j'oublie le coréen. Ce n'est pas ma faute si je parle français. C'est pour vous que j'ai appris le japonais. C'est les langues des pays dans lesquels on vit."

Claire passe l'été chez ses grands-parents Coréens du Sud que la guerre a exilés depuis cinquante ans à Tokyo. La communication est difficile car ses grands -parents vivent dans une enclave coréenne et refusent de parler la langue de leur pays d'accueil.Pourtant, l'amour est bien présent et circule entre les générations.
Ses grands-parents différant toujours le projet de visiter leur pays natal, Claire, pour occuper son temps donne des cours de français à une jeune japonaise, Mieko, élevée seule par sa mère.elisa shua duspin
Comme dans le précédent roman de Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho,( découvert en poche récemment et que j'ai beaucoup aimé ), en apparence, il ne se passe presque rien, mais la romancière excelle à peindre ce qui est tu et ne se devine qu'à partir de notations ténues. Un roman vibrant et émouvant.

Éditions Zoé 2018.

20/10/2017

Une toile large comme le monde

"Kuan et Lu Pan ne font pas encore les liens, mais quelque chose s'est ouvert, la bouche béante d'une interrogation, le pendant obscur d'un fonctionnement, sous la forme du souvenir d'un lac."

Nous plongeons d'abord au fond de l'océan pour découvrir FLIN ,"un vulgaire câble","transportant loin des regards fichiers, mails, images, vidéos, et tout ce qui utilise de près ou de loin le world wide web".
Nous remontons ensuite à la surface et faisons la  connaissance de personnages , nomades ou sédentaires, sur différentes parties du globe, qui tous utilisent  internet , voire en sont devenus dépendants, se coupant parfois du reste de leur famille. Ce sont majoritairement de jeunes adultes, même si le plus accro est un adolescent féru de jeux vidéos en ligne. Un panel suffisamment varié pour nous permettre de découvrir plus avant les coulisses techniques d'internet de manière extrêmement concrète, claire et jamais ennuyeuse. Nous prenons aussi conscience au passage de toutes les formes de pollutions générées par le net.aude seigne
Bientôt va naître un projet en apparence fou qui réunira virtuellement ou concrètement tous les personnages: couper internet...
Ce roman avait de prime abord tout pour me déplaire mais la fluidité du style et de la narration ont su me séduire et , au passage, j'ai appris plein d'informations passionnantes. Un grand coup de cœur !

Éditions Zoé 2017.

 

De la même autrice, j'ai aimé, mais non chroniqué :aude seigne

 

20/03/2017

La distance de fuite

"Présomption stupide , qui vient du fait que tout ce que j'écris depuis le début, que la critique a classé comme autobiographique, est avant tout une longue lettre au lecteur."

ça arrive rarement, mais ça arrive: vous ouvrez un livre est, d'emblée, dès les premières lignes, vous avez l'impression que ce livre vous parle directement, que l'autrice s'adresse à vous en particulier.
Les préoccupations de Catherine Safonoff sont en effet aussi les miennes: le rapport à l'autre, la distance de fuite qu'il faut savoir respecter, la fin de la vie , l'usage de la langue...catherine safonoff
Dans ce roman, j'ai découvert une femme qui, bien qu'âgée, sillonne son territoire à vélo, affronte un géant surgi de la nuit avec des mots qu'elle lui retourne, même si chez elle, bien à l'abri la peur la saisit rétrospectivement. Elle anime un atelier d'écriture en prison et découvre que le rapport au langage des détenues est totalement différent du sien, revient sur l'histoire d'amour essentielle de sa vie, va chez son psychanalyste, reçoit bien malgré elle son ex-mari, se bat avec son ordinateur, tente d'assumer ses contradictions...
Le style est alerte et la fin, un peu abrupte, arrive bien trop vite. j'aurais bien prolongé la découverte de cette écrivaine suisse.