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04/12/2017

L'invention des corps

"L'Histoire et la société ont brutalisé leurs corps, comme ceux des autres. Ce sont des siècles de force exercée contre leurs squelettes qui ont modelé leurs silhouettes. Des générations de coercition, de pliage, de froissement, de dilatation, d'expansion, de démolition. L'espace du dehors et du dedans sans cesse en opposition."

D'un massacre d’étudiants mexicains à une bande de hackers se réunissant dans la campagne canadienne, le roman de Pierre Ducrozet est une magnifique trajectoire de réappropriation de corps et de lutte contre les menaces du transhumanisme.pierre du crozet
C'est l'élan d'un jeune professeur mexicain, rescapé de ce massacre, qui va se jeter dans les bras d'un apprenti sorcier de la Silicon Valley voulant se débarrasser de la mort. Rien que ça.
Un roman haletant qui , tout en nous retraçant de manière extrêmement vivante, l'histoire du Net, tire la sonnette d'alarme sur des dérives dont nous sommes très proches . Une ironie féroce, mais aussi beaucoup de tendresse pour des personnages atypiques avec qui nous entrons très vite en résonance, garantissent un immense plaisir de lecture. à découvrir dans plus attendre !

Et zou, sur l'étagère des indispensables !

 

Un grand merci à Clara qui m'a donné envie de dévorer ce roman.

27/11/2017

Tango fantôme

"L'histoire se répétait : encore une fois, elle se retrouvait dans l’ombre de sa sœur, qui prenait toute la place."

Helene Bergman croyait avoir coupé tout lien avec sa famille dysfonctionnelle: une mère disparue en Argentine lors de la "Guerre sale", un père irresponsable et alcoolique. A peine entretenait-elle quelques liens distants avec sa sœur Camilla, dite Charlie. tove alsterdal
Mais quand cette dernière tombe d'un balcon, du onzième étage, même si la police conclut rapidement à un suicide, Helene va mener sa propre enquête, partant sur les traces de sa sœur dont elle découvre rapidement qu'elle avait effectué  récemment un voyage en Argentine.
Alternant les époques, le roman de Tove Alderstal rafraîchit nos connaissances sur la situation politique en Amérique du Sud dans les années 70 et brosse le portrait de femmes qui, maladroitement, tentent de se construire un destin.
L'héroïne  n'est en rien attachante, la description des personnages secondaires est un peu superficielle mais,
en dépit de longueurs dans le début du roman, je me suis laissée prendre par l'intrigue, faisant fi de quelques invraisemblances.

Pas encore un coup de cœur pour ce roman policier lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE.

20/11/2017

Ces rêves qu'on piétine

"Elle n'a jamais blessé personne. Elle n'a jamais haussé la voix. Elle a été à la hauteur. Elle s'est battue. Elle a menti. Elle a collé au personnage qu'on avait voulu faire d'elle. Digne de son rôle."

 Montage alterné pour ce roman mettant en scène la fin de la Seconde Guerre mondiale: tandis que sont engagées les marches de la mort, Martha Goebbels et six de ses enfants se terrent avec quelques dignitaires nazis dans le bunker berlinois d'Hitler.

sébastien spitzer


L'occasion de revenir sur le parcours de cette femme qui a bâti sa vie sur un mensonge (son père était juif) et a embrassé sans barguigner les thèses du nazisme pour livrer cours à ses ambitions.
L'occasion aussi de brosser un portrait saisissant et puissant des derniers massacres, tant par les soldats que par les populations civiles, des survivants des camps de la mort.
Faisant le lien entre les deux, les lettres (imaginées par l'auteur) qu’un père a adressées à la fille qui n'a rien fait pour le sauver.
Si le style de l'auteur est à la fois très évocateur mais sans pathos, je suis malheureusement restée à distance de ce texte, un peu pour me préserver et aussi parce que j'avais déjà lu plusieurs romans sur cette période historique .Ce dernier en a sans doute pâti.

Lu dans le cadre du grand prix des Lectrices de Elle.

14/11/2017

La salle de bal

"Quelqu'un dont l'intérieur, elle le savait, se déployait sur des kilomètres, même si son extérieur était aussi fermé et barricadé qu'avant."

Ella, jeune ouvrière , parce qu'elle a brisé une vitre de la filature où elle travaille depuis l'enfance, se retrouve enfermée dans un asile d’aliénés du Yorkshire.Là, elle se liera d'amitié avec Clem, une jeune femme cultivée, qui revendique sa liberté en refusant de se nourrir . Cette dernière aidera Ella à établir un lien avec John Mulligan, un Irlandais farouche et déprimé.anna hope
Nous sommes en 1911 et, en quelques mois, le destin de ces trois personnages va basculer au gré des pratiques pour le moins erratiques d'un jeune médecin, Charles. Ce dernier, dans un premier temps, se lance dans un usage thérapeutique de la musique, n'hésitant pas à organiser un bal hebdomadaire, permettant de réunir les hommes et les femmes de l'établissement, séparés le reste du temps. Mais Charles est aussi fortement intéressé par l'eugénisme, alors fort en vogue à l'époque et , ne pouvant se résoudre à assumer ses pulsions sexuelles, il basculera ensuite dans un comportement qui frôle la folie.
Ella, John et Charles, trois voix qui alternent tout au long de ce roman très maîtrisé du point de vue de la structure narrative. Chacun d'entre eux possède un objectif commun, la liberté, mais ils vont emprunter des chemins très différents pour la conquérir. On se laisse porter par le roman d'Anna Hope, empreint de sensualité et de sensibilité. On assiste, le cœur serré , aux rebondissements parfois un tantinet trop sentimentaux, mais ne boudons pas notre plaisir car Anna Hope a su éviter les écueils du roman historique et nous rendre très actuels ses héros. Un grand plaisir de lecture.
Si je connaissais déjà, via le roman de Maggie O'Farrell L’étrange disparition d'Esme Lennox, la manière dont on bridait les revendications de liberté féminines au début du XXème siècle en Grande-Bretagne, j'ai découvert l'enthousiasme suscité par l'eugénisme en Grande -Bretagne, y compris auprès de Churchill.

13/11/2017

Les passagères du 221

"Ne pas me plaindre, il a déjà bien de la peine, je vais pas lui rajouter la mienne. Et puis moi, j'ai la liberté
Le sens de la lame...J'en parlerais pas non plus
Mais alors, à part le chat, de quoi on va causer ensemble ? "

Unité de temps, un trajet, de lieu, le bus 221, d'action, des femmes d'âges, de milieux différents se rendent à la maison d'arrêt pour visiter un homme et lui apporter du linge propre.
Nous les quitterons au moment où elle s'apprêtent à atteindre leur objectif. Entre temps, nous aurons découvert leurs tragédies intimes, leurs tourments et la manière dont la prison confisque à la fois leur temps et leurs pensées.catherine béchaux
Dans l'espace clos du bus 221, ces trajectoires se frôlent et vont se souder provisoirement à travers une même crainte: arriver en retard du fait de contre-temps que le chauffeur du bus, qui les observe du coin de l’œil avec une empathie discrète, entend bien leur épargner. ça n'est jamais grandiloquent, c'est tout en retenue pour mieux faire naître l'émotion.
Nous les avons sûrement croisées ou aperçues, ces femmes qui, lestées d’encombrants cabas tout autant que de problèmes et le grand talent de Catherine Béchaux est de leur donner une identité bien ancrée dans la réalité. En effet, l’autrice connaît bien ce microcosme de la maison d'arrêt et nous en brosse un portrait qui sonne juste, en particulier quant aux tracasseries administratives concernant les vêtements qui doivent corresponde à des critères bien précis, tout en dépendant du bon vouloir ou non des gardiens. Un roman qui donne une voix à celles qui trop souvent n'en n'ont pas. Un texte à qui on a fait une place trop discrète dans les médias. à découvrir de toute urgence .

Éditions Liana Levi 2017, 119 pages nécessaires.

10/11/2017

Les huit montagnes

"Sur le petit pont de bois, quand je me baissai pour boire, je surpris l'automne train de jeter un sort à mon torrent: la glace dessinait des pistes et des galeries, mettait sous verre les blocs humides, piégeait les touffes d'herbe sèche ne les transformant en sculptures."

La montagne, ce sera d’abord pour le narrateur, l'occasion de suivre son père dans des randonnées en pleine nature ,quand la famille louera de manière régulière une petite maison spartiate dans la vallée d’Aoste. L'occasion pour le père  d'échapper à la vie milanaise qui ne le satisfait en rien et aux difficultés relationnelles avec son épouse et son fils.paolo cognettti
Ce sera aussi la naissance d'une belle amitié avec un jeune garçon du cru, voué à rester sur place, amitié qui perdurera par delà les années, même quand le narrateur  aura voyagé et découvert d'autres montagnes.
Récit de filiation, d'apprentissage, Les huit montagnes est aussi un hymne superbe à la nature auquel personne ne peut rester indifférent. On retrouve avec bonheur les ellipses chères à l'auteur du garçon sauvage, son sens de la retenue dans l'expression des sentiments et sa poésie sans lyrisme. Un grand coup de cœur !paolo cognettti

Éditions stock 2017.Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Il vient d'obtenir le Prix Médicis étranger.

En poche clic.

 

 

07/11/2017

Eleanor Oliphant va très bien

"Quand je ne suis pas sûre de la marche à suivre, je me demande: Que ferait un furet en pareil cas ? ou: Comment réagirait une salamandre si elle se retrouvait dans la même situation ? Invariablement, la bonne réponse s'impose à moi."

 

 Eleanor Oliphant va très bien, merci. Pas son "style de tomber malade", pas de difficulté à s’endormir, "c'est une règle qu'[elle s']impose." Pourtant" Les lundis sont longs à arriver" et voilà un an que personne n'est entré chez elle.Elle a bâti une routine pour tenir à distance sa solitude et si elle apparaît souvent décalée, voire étrange aux yeux de ses collègues de bureau, elle va son petit bonhomme de chemin, cherchant par dessus-tout à passer inaperçue.gail honeyman
Pourtant, quand elle va craquer pour un musicien en mal de notoriété, tout va basculer et elle va se sentir "happée par un tourbillon de possibles", se lançant dans une frénésie de transformations et d’expériences incluant la fréquentation d'un collègue de travail bien moins glamour, Raymond.
Si nous comprenons très vite, par les indices laissés par l'héroïne, qu'un drame a marqué sa vie,  la volonté d’Eleanor de tenir ses sentiments à distance, ses réactions souvent inappropriées dans la vie en société, sa manière à la fois précise , franche et châtiée de s'exprimer,son humour( parfois noir), tout cela désamorce le pathos sans pour autant gommer les émotions ressenties par le lecteur.
Eleanor pourrait être le croisement d' une sorte d'ethnologue portant sur notre société un regard étranger, à la fois hilarant et très juste, et d'une personne à la limite de l'autisme tant ses interactions avec les autres sont décalées. Peu importe, on aurait juste envie qu'elle devienne notre amie tant elle est drôle , attachante et touchante. Un gros coup de cœur !

Eleanor Oliphant va très bien, traduit de l'écossais par Alina Azoulay-Pacvon, Éditions Fleuve 2017, 430 pages qui font un bien fou !

Cuné m'avait donné envie.

06/11/2017

Un loup pour l'homme #MRL17

"Antoine va et vient entre les blessés et sa femme, ici la mort qui rôde et là la vie à venir. C'est un étrange face à face, dans moins de trois mois il sera père. Il est juste avant, dans un grand vide qu'il ne sait comment habiter."

L'appel sous les drapeaux d’Antoine correspond à la découverte de la grossesse de sa jeune épousée. Nous sommes en 1960 et le jeune homme va devoir partir pour l'Algérie.
N'étant pas d'un tempérament guerrier, il a réussi, contre toute attente ,à obtenir une formation d’infirmier, ce qui ne lui épargnera pourtant pas le côté sauvage de cette mission de soin, alliant sauvetage et ramassage des morts sur le terrain des combats.brigitte giraud
Brigitte Giraud, par petites touches, brosse le portrait de jeunes gens un peu à la dérive dans ce qui ne prendra que beaucoup plus tard le nom de guerre. Elle dit le quotidien par des détails criants de vérité, la chaleur, le sable qui envahit tout, le manque d'informations des appelés, la détresse, les salauds et les héros et tous ceux qui oscillent entre les deux.
Les mots étrangers qu'on s'approprie peu à peu, les corps et leurs détresses sont aussi au cœur de ce roman qui nous fait partager les expériences de ces jeunes hommes dans un pays étranger où il sont supposés maintenir l'ordre.
J'ai lu avec beaucoup d'émotion ce roman qui m'a permis de partager un peu ce qu'ont vécu,de manière différente bien sûr, mes parents à la même époque. Un roman rare et puissant.

 

Merci à Antigone, à PriceMinister et à l’éditeur.

de la même autrice: clic, clic clic

20/10/2017

Une toile large comme le monde

"Kuan et Lu Pan ne font pas encore les liens, mais quelque chose s'est ouvert, la bouche béante d'une interrogation, le pendant obscur d'un fonctionnement, sous la forme du souvenir d'un lac."

Nous plongeons d'abord au fond de l'océan pour découvrir FLIN ,"un vulgaire câble","transportant loin des regards fichiers, mails, images, vidéos, et tout ce qui utilise de près ou de loin le world wide web".
Nous remontons ensuite à la surface et faisons la  connaissance de personnages , nomades ou sédentaires, sur différentes parties du globe, qui tous utilisent  internet , voire en sont devenus dépendants, se coupant parfois du reste de leur famille. Ce sont majoritairement de jeunes adultes, même si le plus accro est un adolescent féru de jeux vidéos en ligne. Un panel suffisamment varié pour nous permettre de découvrir plus avant les coulisses techniques d'internet de manière extrêmement concrète, claire et jamais ennuyeuse. Nous prenons aussi conscience au passage de toutes les formes de pollutions générées par le net.aude seigne
Bientôt va naître un projet en apparence fou qui réunira virtuellement ou concrètement tous les personnages: couper internet...
Ce roman avait de prime abord tout pour me déplaire mais la fluidité du style et de la narration ont su me séduire et , au passage, j'ai appris plein d'informations passionnantes. Un grand coup de cœur !

Éditions Zoé 2017.

 

De la même autrice, j'ai aimé, mais non chroniqué :aude seigne

 

17/10/2017

Le jour où Beatriz Yagoda s'assit dans un arbre

"Elle sortit son carnet afin de se calmer en faisant un peu appel à son imagination, en disparaissant juste un instant dans le réconfort des chimères-dans l'appel à l'immortalité qui se cache dans toute fiction."

Auteure un peu oubliée, Beatriz Yagoda revient sous les feux de l'actualité brésilienne quand, après avoir grimpé dans un amandier, valise et cigare à la main, elle disparaît.idra novey
Emma, sa traductrice américaine, plante là son fiancé en mal de mariage et se lance à la recherche de l'autrice, en compagnie du fils de celle-ci. L'aventure va se révéler plus dangereuse que prévu car on s'aperçoit très vite Beatriz avait accumulé des dettes de jeux auprès de personnes plutôt dangereuses.
Traque littéraire loufoque, le premier roman de Idra Novey est aussi une gourmande plongée dans le monde l'édition et de la traduction, un vibrant hommage au pouvoir des mots. Un grand coup de cœur, constellé de marque-pages.

traduit de l'anglais (États-Unis par Caroline Bouet, les escales 2017.