06/03/2025
#LHôtel #NetGalleyFrance !
"Elles cherchent à filmer l'incertain, l'étrange, la trace de quelque chose, le signe d'un double fantomatique, le secret. Ce qu'on ne remarque pas , ce sont les phrases cachées sous d'autres, les mots dissimulés. "
Raconter l'histoire d'un hôtel depuis son érection sur des terres maudites à une époque où les femmes étaient encore ouvertement traitées de sorcières (et tuées pour cela) jusqu'à nos jours, convoque immédiatement la figure du bâtiment de Shining.
Mais dans le roman de Daisy Johnson, composé de courts chapitres dont les héroïnes et/ou les victimes sont principalement des femmes, cet hôtel est en activité, connu pour les phénomènes étranges qui s'y déroulent (principalement dans la chambre 63) et majoritairement les clients le fréquentent en toute connaissance de cause.
L'hôtel ici absorbe, contamine ses hôtes ou celles qui y travaillent, créant des doubles fantomatiques, révélant des secrets ou ne se manifestant absolument pas, selon les cas. Il y a une sorte d'interpénétration entre le bâtiment et les héroïnes et l'écriture virtuose de l'autrice, multipliant les métaphores ciselées et surprenantes , nous emprisonne dans cette atmosphère parfois suffocante.
Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Il faut tout lire de cette autrice: clic, reclic,
Stock 2025, traduit de l'anglais par Lætitia Devaux.
Merci à l'éditeur et à Netgalley.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : daisy johnson, roman gothique
05/03/2025
34M2
"Dans sa cuisine ce matin, est-ce qu'elle a mal, oui elle a mal , mais au début c'est la familiarité qui l'écrase le plus, cette impression d'être revenue au point de départ, d'être encore dans un autre appartement, une autre cuisine, devant d'autres tasses à café, enfermée, engluée dans ce que cet homme appelle de l'amour, une succession de jours flous, orageux, à marcher sur la pointe des pieds et à respirer à demi en attendant que la violence éclate. "
34 mètres carrés , c'est la superficie de l'appartement que partagent Juliette et sa fille de huit mois, Inès. Un refuge. Une vie reconstruite après une situation d'emprise que Juliette décrit comme un "entourbillon" qui était "un cataclysme silencieux, une catastrophe naturelle, un barrage lentement rempli jusqu'à l'inondation, l'engloutissement, le glissement avait été inéluctable et imperceptible et puis soudain il avait été trop tard[...]".
Ce matin, Juliette est un peu désorientée, mais savoure la matinée : elle a pu dormir tout son saoul? On sonne à la porte. Juliette attend Clare, sa voisine. Elle ouvre: c'est lui.
Commence alors un suspense insoutenable où , en 139 pages, l'autrice joue avec nos nerfs, nous coupe le souffle tout en ménageant de nombreuses révélations et en analysant avec finesse le mécanisme de l'emprise. Les personnages sont denses, complexes et la fin est ...Je ne vous en dis pas plus. Dévoré en quelques heures et relu dans la foulée. Un incontournable.
Editions le Masque 2025.
20:13 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : louise mey
11/02/2025
Et nos yeux doivent accueillir l'aurore...en poche
« Nous n'étions pas de ces familles où on se pardonne les uns aux autres, où on se demande pardon, où on essaie d'enterrer la hache de guerre ou de discuter. Chez nous, c'était soit le silence, soit la violence... »
Celle qui s'exprime ainsi, sans faux-fuyants, est la narratrice du roman, Georgette, dite George, issue d'une famille dysfonctionnelle et très pauvre. Grâce à l'obstination d'une enseignante , elle a réussi à intégrer l'université . C'est là, en 1968, à New-York, qu'elle fera la connaissance d'Ann, issue d'un milieu extrêmement privilégié qu'elle rejette avec violence. Les relations sont d'abord tendues mais George se laissera ensuite séduire par le charisme et les convictions de sa colocataire.
Mais une telle intensité ne peut que déboucher sur une rupture et, ce n'est que des années plus tard que George entendra parler d'Ann qui vient de tuer un policier.
Jouant avec la temporalité, multipliant les points de vue sur Ann, Sigrid Nunez s'écarte avec brio des attendus du roman d'amitié féminine et brosse les portraits nuancés de femmes qui se révèlent surprenantes à bien des égards, sans pour autant user de pathos. Un grand coup de cœur.
De La même autrice: clic.
Elle est aussi l'autrice du roman Quel est donc ton tourment?, (beaucoup aimé, mais pas de billet) , roman adapté récemment au cinéma par Almodovar sous le titre La chambre d'à côté.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : sigrid nunez
06/02/2025
#Labaronneperchée #NetGalleyFrance !
" Tout ce qu'il avait envie de lui dire, c'était "je t'aime", mais on n'était pas dans ces séries américaines où les personnages se font de grandes déclarations quatre fois par épisode. "
Billie, douze ans, inspirée par sa lecture du roman d'Italo Calvino, Le Baron perché, décide d'aller s'installer dans un parc d'accrobranche abandonné, histoire de voir comment va réagir son père. Celui est "visiblement fragile et un peu trop porté sur la bouteille, mais à priori bienveillant" et il élève seul sa fille qui a vite appris à être indépendante.
Inquiétude, recherche, mise au jour de secrets de famille, les rebondissements sont nombreux dans ce roman sensible et délicat qui souligne bien qu'il y a une grande marge entre l'aventure idéalisée et la réalité car "C’était bien joli, les grands gestes romanesques, mais c'était frustrant. "
Un roman qui fourmille de références littéraires et de formules qu'on s'empresse de souligner et un grand bonheur de lecture car les personnages sont fouillés, jamais manichéens et pleins de vie. Un livre qui donne le sourire et où traîne même un beagle... Et zou, sur l'étagère des indispensables.
On soulignera aussi la magnifique couverture d'Amandine Bourbon-Toulan. qui ne peut que faire craquer.
Buchet-Chastel 2025
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : delphine bertholon
13/01/2025
Ilnajamaisététroptard #NetGalleyFrance !
" Loin d'un monde régi par des algorithmes à la logique éprouvée, capables de deviner les films, les chansons qu'on est censé aimer, nous sommes une addition de gracieuses incohérences, de penchants illogiques. Une kyrielle de "je" aux pensées étranges, aux décisions incompréhensibles, aux désirs répréhensibles, aux esprits tortueux en forme d'escalier. De perpétuelles ébauches. Des inconnus à nous-mêmes. "
Pendant deux années, 2023, 2024, à la demande de "Libération", Lola Lafon a rédigé des chroniques, rassemblées dans ce recueil.
L'occasion pour nous de revenir sur des faits oubliés, ou pas, parfois comiques, parfois dramatiques et surtout de porter sur l'actualité et sur notre société un regard à la fois chaleureux, plein d'humanité mais aussi très aigu.
Elle ne pose pourtant pas un regard surplombant, n'hésitant pas à remettre en cause ses propres comportements dictés par une société qui sollicite "notre goût de la sanction, du classement", à déterminer qui sont les "bons" et les "méchants" morts ou pauvres. Un regard nécessaire porté par une écriture toujours aussi belle. A lire absolument pour croire (encore un peu) en l'humanité.
Stock 2025
06:00 Publié dans chroniques, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lola lafon
06/01/2025
Champs de Bataille / L''histoire enfouie du remembrement
"Une façon de faire uniforme était appliquée partout en France. Ils traçaient des traits, clac, clac, comme on l' a fait en Afrique pendant la colonisation, en ignorant les conditions locales, les usages. "
Dans les manuels d'histoire géographie, le remembrement qui a impacté les campagnes françaises et, en particulier, la Bretagne est présenté de manière factuelle, en ignorant les conséquences écologiques ( érosion des sols, disparition des oiseaux et donc nécessité d'utiliser des produits chimiques pour remplacer ce que la nature faisait gratuitement avant).
Se basant sur des multiples archives, sur des témoignages et sur la thèse, en cours de rédaction, de Léandre Mandard, Inès Léraud a mené une enquête fouillée et édifiante sur cette histoire . Elle met à jour, en particulier les conséquences humaines, trop souvent ignorées et d'une grande violence. Elle met aussi en lumière les tentatives de résistance des agriculteurs , occultées, minorées ou réduites par la force.
Se lit enfin, en pointillés, le parcours de René Dumont, fervent partisan du remembrement et qui prendra seulement conscience à 70 ans des dégâts occasionnés, de leur ampleur et de leurs répercussions. Un remembrement-démembrement, un chaos, comme il est écrit dans cette enquête qui file sur l'étagère des indispensables.
Editions Delcourt 2024
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, roman graphique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : inès léraut, pierre van hove
02/01/2025
Devenir zéro...en poche
Il sait que, une fois sacrifiée, l'intimité ne pourra plus être reconquise[...]. "
Envie d'un bon gros roman addictif , intelligent et bien mené? Alors précipitez-vous sur Objectif Zéro. L'intrigue ? Le test d'une intelligence artificielle qui, pour assurer la sécurité des États-Unis, dispose de moyens insensés pour retrouver n'importe qui n'importe où . Grâce à votre démarche, vos habitudes, la possibilité de fouiner dans votre passé, de transformer n'importe quel objet en micro qui vous trahira? C'est ce qu'affirme en tout cas Fusion qui pour valider cette application de surveillance des citoyens doit avoir l'aval de la C.I. A et lance donc un Bêta test. Dix participants ,ayant accepté les règles du jeu, tentent donc de remporter la somme de trois millions s’ils échappent à l'équipe de Fusion, ses algorithmes, ses caméras de surveillance et ses drones. Celle qui paraît la moins bien placée pour gagner est une insignifiante bibliothécaire et pourtant c'est celle qui leur donne le plus de fil à retordre...
Si la première partie du livre m'a donné une furieuse envie de vite me glisser à nouveau dans le roman pour voir qui de David ou de Goliath allait l'emporter, la deuxième m'a nettement moins enthousiasmée, les enjeux étant totalement différents. Il n'en reste pas moins que ce roman évoque des thèmes d'actualité cruciaux, sait ménager le suspense tout en brossant des portraits nuancés de ses personnages. Il file donc sur l'étagère des indispensables.
Éditions Denoël 2023, 464 pages. Traduit de l’anglais par Frédéric Brumen.
11:25 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : anthony mccarten
26/11/2024
L'agent
"Observant les convives, Anthony ne put s’empêcher de se dire que leurs vies valaient moins cher qu'une voiture d'occasion. Ça sautait aux yeux, à leurs vêtements, leur façon de parler, leurs dents mal alignées, et au simple fait qu'ils passaient leurs vacances dans un camping à Vierzon. Des vies méprisées et bradées par la société. Comme sa mère autrefois, qu'on laissait poireauter des heures derrière un guichet administratif et qu'on regardait sans aucune considération. "
Que voilà un attelage bizarre : à ma gauche, Anthony, agent de tueurs à gages, forcé, après une opération calamiteuse de prendre la poudre d'escampette; à ma droite, Thérèse, soixante-quinze ans, directrice d'une agence matrimoniale au bord de la faillite , qui se remet d'un AVC , prête à tout pour échapper à l’Ehpad.
Comment ils vont se rencontrer et aller se mettre au vert ensemble dans un camping à Vierzon n'est qu'une des nombreuses péripéties de ce roman à la fois drôle et caustique où ça défouraille à tout va entre des réflexions sur une société où "Les gens sont prêts aux plus viles manipulations du langage pour ne pas égratigner leur univers petit-bourgeois". Société où la vie de certains vaut largement plus que d'autres.
Il y est aussi question de solitude et de la nécessité de faire bloc, ensemble pou affronter le réel. Un bien joli programme mené tambour battant par Pascale Dietrich à son meilleur.
Liana Levi 2024, 190 pages à dévorer d'abord puis à relire attentivement, en n'oubliant surtout pas les nombreuses citations qui l'agrémentent.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : pascale dietrich
25/11/2024
Tentatives d'évasion
" Il avait quelque chose de timidement canaille, à la Claude Brasseur, mettons.
Je faisais les cent pas dans ce genre de pensées quand je l'ai vu, Christophe, planté à un mètre de moi.Il était là, vêtu d'un blouson an faux daim marron, de baskets à bandes scratch. Plutôt Victor Lanoux que Claude Brasseur,en fait. "
En six nouvelles, aux tonalités et personnages très différents, Cécile Reyboz scrute avec attention et humour parfois grinçant des hommes et des femmes qui voudraient faire un pas de côté, oser se lancer dans un relation amoureuse (et se rendre compte que l'autre n'est pas sur la même longueur d'ondes ou que soi même on est victime de ses préjugés) ou ,au contraire, rompre une relation amicale devenue pesante. Bref se lancer dans un projet, petit ou grand qui viendrait secouer la monotonie de la vie.
Petites ou grandes lâchetés sont évoquées parfois sous l'angle du fantastique , assez classique dans "Zor", d'une infinie délicatesse dans la nouvelle "Si tu veux" qui clôt de manière magistrale ce recueil où l'on se reconnaît volontiers dans ce miroir que nous tend l'autrice. Un pur régal qui confirme tout le bien que je pensais déjà de cette autrice.
Editions Quadrature 2024, 125 pages à savourer .
Envoi de l 'éditeur sans rémunération.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles françaises | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cécile reyboz
07/11/2024
Eden ..en poche
"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "
Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard.
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêve, la trentenaire décide d'acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file, bien évidemment, sur l'étagère des indispensables.
06:03 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : audur ava olafsdottir