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12/03/2021

La mère morte...en poche

"J'ai maintenant compris que mon chagrin était une maladie chronique, avec laquelle je dois apprendre à vivre.Il y a des périodes de rémission et des rechutes."

 En 2016, "J'ai perdu le 1er avril ma fille unique et le 20 juin, ma mère unique. Maman est un mot qui a disparu de ma vie. je ne le dirai plus et ne l'entendrai plus." Ainsi s'exprime l'une des filles de Benoîte Groult, qui s'autorise à prendre la plume avec franchise, sans dolorisme ni pathos.
Au fil des pages, elle relate la maladie d’Alzheimer dont souffrait sa mère, la dégradation tant mentale que physique auxquelles il a fallu se résigner et le déni dont faisait preuve la principale intéressée. ça pourrait être sordide, mais dans la famille Groult les journaux intimes avaient vocation à être lus dans la sphère familiale et le corps n'avait jamais été un sujet tabou entre Benoîte et ses filles.
Si la mort de la mère était prévisible, bien plus inattendue, injuste et ravageuse a été celle de la fille de Blandine qui laisse un veuf , une petite orpheline de 9 ans et une mère dont le désarroi est total. A quelques semaines de distance, il faudra néanmoins organiser le départ de Benoîte qui avait milité pour le droit de mourir dans la dignité, ce qui lui sera accordé.9782253077565-001-T.jpeg
Ce qui frappe dans l'écriture de Blandine de Caunes, c'est qu'elle ne se pose jamais en modèle et quoi qu'il en coûte assume une forme d’égoïsme nécessaire qui lui avait été enseigné par sa mère. Un récit profondément émouvant, qui m'a parfois mis les larmes aux yeux,  mais qui demeure lumineux et parfois éclairé par la malice de son auguste mère. Une écriture fluide et sensible qui fait que l'on dévore ce livre d'une seule traite

09/03/2021

Les six fonctions du langage

"Pendant des années , j'ai fait des efforts surhumains pour passer outre ces écarts de langage abjects. Je me disais "Le Français est une matière vivante, il faut t'habituer". Mais c'est au-dessus de mes forces, Bertrand. Je voudrais en finir."

Un étudiant en linguistique, qui, sur la seule foi du titre, ouvrirait cet objet littéraire qui emprunte aux codes du roman-photo pour mieux les détourner, risquerait d'être surpris.
Et pourtant, c'est bien du langage qu'il est question dans ce nouvel opus de l'impératrice du détournement, j'ai nommé Clémentine Mélois.
Avec humour, elle pointe nos tics de langage, nos jargons, nous apprend à draguer avec des mots rares et précieux, (mais attention toute faute de goût serait rédhibitoire !), le tout accompagné de photos tirées de romans photos sud américains des années 60. clémentine mélois
On y voit donc un bellâtre blond au visage inexpressif dupliqué tandis qu'il écoute une litanie de mauvaises nouvelles ou bien encore des scène improbables comme cette femme qui étrangle par une clé de bras un homme de petite taille pour le désarmer. Les femmes (et parfois les hommes ) sont maquillés à la truelle, les vêtements sont à l’avenant des attitudes et des mimiques: outranciers.

Hautement réjouissant ce roman-photo est une pure merveille !

11/02/2021

Constellations Eclats de vie

" Prendre en compte la douleur, c'est tenter de répondre à une question posée par le corps On la partage pour trouver une solution , mais nos paroles sont souvent mises en doute."

Un corps féminin , irlandais de surcroît, ce qui n'est pas anodin car ,comme le précise l'autrice "A la fin des années 1980, le catholicisme irlandais ne s'était pas encore délité.", ce qui impliquait encore des maltraitances nombreuses et variées ; un corps qui aura à faire souvent aux médecins, majoritairement encore des hommes, et ce dès le treizième anniversaire de Sinéad Gleeson, voilà l'objet poétique, féministe et charnel de ce recueil de textes.siéad gleeson
De la naissance à la mort , le corps féminin se dit, se vit dans de multiples facettes, se reconquiert face au pouvoir masculin, mais s'écrit aussi dans la transmission de mère en fille. C'est un livre fort, joyeux parfois, qui révèle les traumatismes, les dépasse par la création et si la maladie s'acharne , on peut s'inspirer des créatrices qui elles aussi sont passées par cette expérience pour se sentir plus forte : "Elles m'ont montré qu'il était possible de vivre une vie créative parallèle qui éclipse la vie de patient, l'écartant du centre de la scène. Qu'il était possible d'avoir une maladie sans être la maladie."
Sinéad Gleeson n'en oublie pas pour autant les aspects matériels car "Ce qui est en jeu dans les questions de santé reproductive, c'est l'autonomie et le choix, la possibilité d'agir et d'être entendu. C'est aussi une affaire d'argent, de classe sociale, d'accession et de privilège."
Puisant dans son expérience personnelle, mais aussi dans celle d'autres femmes, l'autrice nous parle à toutes et à chacune et c'est une formidable plaisir que de la lire, j'allais écrire :l'écouter.
Un livre formidable dès la couverture qui reproduit en creux une constellation. Traduit de l'irlandais par Cécile Arnaud, Éditions la table ronde 2021, 292 pages piquetées de marque-pages et qui m'ont touchée au cœur.

04/02/2021

Encabanée

"Incarner la femme au foyer au sein d'une forêt glaciale demeure, pour moi, l'acte le plus féministe que je puisse commettre, car c'est suivre mon instinct de femelle et me dessiner dans la neige et l'encre les étapes de mon affranchissement ."

Quel beau mot que cet Encabanée qui donne son titre au roman ! Évoquant tout à la fois le refuge et la prison, fleurant bon la langue québécoise, il était juste parfait pour ce roman inspiré par le journal intime de l'autrice, enfermée dix jours  dans son petit refuge du Bas-Saint-Laurent à cause d’une vague de froid .
Ici la narratrice , choisit de quitter une vie confortable pour s'acheter une cabane et un terrain à Kamouraska , dans une nature à peine troublée par le bruit de trains. Elle veut mener une vie plus frugale, plus proche de la nature , lire de la poésie et écrire. Il lui faudra aussi s'atteler à l'entretien de son poêle pour faire face à un hiver particulièrement rude. Pas de réseau pour le téléphone portable, tout peut donc devenir dangereux.gabrielle filteau-chiba
J'ai tout aimé dans ce roman, la langue, la démarche et la narration qui fait la part belle au romanesque et au corps ,avec l'irruption d'un intrus qui permettra de satisfaire les désirs charnels de notre narratrice.
Un grand coup de cœur pour ce roman qui peint et défend la nature  canadienne avec brio et nous propose un point de vue féminin et féministe sur une expérience plus  souvent racontée au masculin.

Éditions Le mot et le reste, 108 pages drues.

02/02/2021

Zoomania

 "Au cours des dernières semaines, il m'avait expliqué pourquoi . D’après lui, la plupart des gens étaient incapables de comprendre dans quelle situation désespérée se trouvaient les animaux. Ils étaient trop protégés pour le voir. Trop en sécurité. ils avaient beau connaître les faits et les chiffres , ils ne prenaient pas la mesure de l'ampleur de la dévastation."

La vie des Mc Cloud a été dévastée par une tornade de force 5 ne laissant comme survivants qu'une fratrie de 3 sœurs et un frère. Ne possédant plus rien, Darlène, l'aînée, fait une croix sur ses études à l'université et vend aux médias le récit  de leur tragédie, stigmatisant ainsi leur famille, les marquant du sceau du malheur et de la tristesse.abby geni
Refusant cette situation, Tucker, garçon intransigeant s'enfuit. Il ne reviendra que trois ans plus tard, à la date anniversaire de la tornade, pour libérer de manière dramatique les animaux de laboratoire d'une usine de cosmétiques.
Blessé, pourchassé, il entraîne dans sa cavale, sa plus jeune sœur, Cora, neuf ans,  et entreprend , au fil  de leur périple, de lui expliquer la révélation qu' a été pour lui la tornade et l'engagement radical pour défendre la cause animale qui en a découlé.
Récit tour à tour poignant, haletant , Zoomania sait aussi ménager des moments de pure grâce, comme celui d'un animal incongru évoluant en bord d'océan, ou de tension extrême. Abby Geni manie en virtuose les métaphores et ne présente jamais de manière pathétique ses personnages. Elle peint des scènes hallucinantes ,en n'oblitérant pas leurs aspects dramatiques ou drolatiques, et l'on n'oubliera pas de sitôt l'ultime mission que s'est assigné Tucker.
Un livre palpitant qui fait la part belle à la Nature, sans la présenter de manière angélique, et montre différentes formes de résilience, parfois inattendues.
Un roman puissant qui marque les esprits. Et qui file sur l'étagère des indispensables ,bien sûr.

Traduction Céline Leroy. Actes Sud 2021, 357 pages magistrales.

De la même autrice : clic

21/01/2021

Nous sommes à la lisière...en poche

"Ses histoires à elle, pourtant, n’inventent pas d'autres mondes. Pas d'autres amours non plus. Il leur suffit d'être complices de quelques vies sauvages."

Cheval, fourmis, hérisson, écureuil, chat ou oiseaux, entre autres,  peuplent les nouvelles de Caroline Lamarche.
En effet, ce sont eux  les héros, dûment prénommés, donc dotés d'une identité propre, avec lesquels au moins un humain entre en interaction . caroline lamarche, animaux
Cette dernière peut être brève, peut être en apparence anecdotique,  mais elle fait résonner de manière un peu différente les existences en tous points ordinaires qui nous sont ici relatées en quelques pages poétiques et d'une précision extrême.
Qu'elle s'arrête pour aider un hérisson à traverser la route et l’amoureuse de la nouvelle Ulysse, reliera par des liens éclectiques, mais toujours pertinents, cette rencontre fugitive avec ses propres interrogations lors d'un repas où se révèleront des enjeux qu'elle n'était peut être pas prête à admettre.
La plus longue et la plus émouvante nouvelle, Frou-Frou, évoque une histoire d'amour hors-normes, à bien des égards et témoigne de l'art de l'auteure pour évoquer avec délicatesse et sensibilité des émotions intenses mais sourdes.
La nature est souvent en danger dans ces textes, mais ses habitants, aux vies parfois éphémères, témoignent d'une volonté de vie et de liberté qui émeuvent au plus haut point.

 

Un grand coup de cœur! Et zou sur l'étagère des indispensables !

18/01/2021

Ce matin-là

"Clara se dit qu’elle voudrait trouver un lieu où poser ce qui la transperce. Pour s'asseoir et écouter le silence."

Ce Matin-Là, son véhicule ne veut pas démarrer. Le corps de Clara non plus ne lui obéit plus. Incapable de prévenir qui que ce soit , la jeune femme peine à regagner son appartement. Ce matin-là et beaucoup d'autres ensuite, elle ne pourra plus "en découdre avec la vie".gaëlle josse,burn-out
Récit d'un burn-out qui ne dira jamais son nom, le roman de Gaëlle Josse cerne au plus près et en un peu plus de deux cents pages ce corps qui lâche, qui regimbe et force Clara à reconnaître sa fragilité, sa vulnérabilité.
Pourtant la "reverdie" s'amorcera progressivement, à partir d'un rien, un bouquet de tulipes qui tente la jeune femme , à partir d'une amitié fidèle par-delà les années.
Avec délicatesse, poésie même , Gaëlle Josse nous livre ici un livre précieux comme un talisman et qui atteint bien le but qu'elle s'était fixée en le rédigeant :
" J'ai voulu un livre qui soit comme une main posée sur l'épaule."

Un livre qui ne peut que filer sur l'étagère des indispensables.

Éditions Notabilia

12/01/2021

Inflorescence

"-Tu ne plantes pas seulement pour toi ou pour moi. Tu plantes pour les suivants et ceux d'après encore. Alors vas-y,il y a bien du travail."

Quatre générations de femmes et leurs relations au jardin, aux plantes, aux arbres sont au cœur de ce roman . Nature  en danger, moyen de se reconstruire ou volonté de tout cadrer (dans ces lotissements  Levitt que j'ai découverts ici), chacune des héroïnes, à sa façon, entretient des liens  avec la nature, liens qui les révèlent plus peut être qu'elles ne le souhaiteraient.raluca antonescu
De 1911 à nos jours, c'est aussi le corps des femmes qui  est en question , ainsi que la relation matrilinéaire, réelle ou symbolique.
Fil rouge de ce roman , l'histoire réelle du gouffre du Diable permet de mesurer l'ampleur des dégâts causés à l'environnement au fil du temps.
Raluca Antonescu , par son écriture fine et précise, parvient à créer des atmosphères différentes au fil des chapitres et des personnages qui sont évoqués, tout en maintenant une vraie tension  narrative.
On dévore ce livre, on le piquète de marque-pages et on en sort revigoré comme après une balade  à la campagne.

Et zou, sur l'étagère des indispensables.

Éditions la Baconnière 2021, 254 pages .

08/01/2021

La folie de ma mère

"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "

 

En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.
", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille  qu'elle était la seule à ignorer.isabelle flaten
On est happé par ce texte  pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.

Et zou, sur l'étagère des indispensables !

Le Nouvel Attila 2020.

De la même autrice : clic

A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

06/01/2021

Le bonheur est au fond du couloir à gauche

"Depuis l'enfance, on nous répète que nous sommes libres de réaliser nos rêves. On nous oblige à faire nos propres choix, à suivre la filière correspondant à nos vœux, et donc à assumer seuls nos erreurs et nos échecs.On nous a retiré la bouée de sauvetage de la faute à autrui. Merci du cadeau."

Le narrateur de ce nouveau roman de J.M. Erre est l’illustration parfaite de  cette citation de Jean-Louis Fournier : "C'était un angoissé pour qui tout allait bien, jusqu'au jour où il est né."
Et angoissé Michel H. l'est d'autant plus que Bérénice vient de le quitter, lui laissant en cadeau une flopée de livres de développement personnel, traitant tous de l'art d'être heureux.
"Velléitaire", "timoré", "dépressif suicidaire", les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier cet individu encore jeune , qui peine à trouver sa place dans une société où l'injonction au bonheur est devenue une véritable tyrannie , individu que son voisin peu amène, M. Patusse traite simplement de "raté".j.m. erre
Michel H. est persuadé que Bérénice reviendra  s'il devient heureux et se lance donc dans une série  de tentatives éperdues , loufoques, marquées par le déni le plus total de la réalité, déni qui le fera tomber de Charybde en Scylla.
L'occasion pour J M. Erre de dégommer tous les travers de notre société, en une série de raisonnements biaisés, de fausse logique , le tout assaisonné d'une bonne dose d'humour noir. Le récit file à toute allure et il faut prendre le temps de le relire pour mieux  en apprécier toute la saveur. Un festival de citations à collecter et une mécanique imparable dans la construction font de ces 183 pages de la dynamite ! Un indispensable, bien évidemment  !

 

Buchet-Chastel 2021