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06/06/2022

Les choses sont contre nous

Ami.e.s du tiède, du mou, du consensus, passez votre chemin.Dans ces, je cite ,"essais féministes au vitriol", L'autrice des Lionnes se lance dans des diatribes revigorantes contre , pêle-mêle, la société patriarcale,"Les pistons et les pompes" et autres symboles phalliques, dénigre les romans noirs, analyse en détails "La petite maison dans la prairie", conseille aux filles des "Morning routine" de "sauver les baleines, de planter des arbres, de construire des voies ferrées, de démanteler Guantánamo, de rencontrer des gens ou juste de lire un livre. ", s'en prend aux soutien-gorges, prône la grève du sexe, dézingue Trump avec des formules qu'aucun journaliste n'oserait employer et regrette "L’art perdu du pas-bouger", auquel elle consacre un chapitre entier. lucy ellmann,claro
De longues énumérations charrient ses griefs ou ceux à qui elle s'en prend, mais l'humour n'est jamais absent , un humour souvent grinçant, qui ne plaira pas à tout le monde mais qui m'a beaucoup fait sourire. Mettre sur le même plan des dictateurs sanguinaires et les emprunteurs de livres n'est pas donné à tout le monde. Bref, des textes décapants et des points de vue originaux , auxquels on n’adhèrera pas forcément toujours , font de ces essais une lecture hautement stimulante . La traduction de Claro est comme d'habitude juste parfaite.

Et zou, direction l'étagère des indispensables.

 

Éditions du Seuil 2022.

294 pages

16/05/2022

Le pays des phrases courtes

"Personne ne veut savoir comment tu vas, dit-il .Souviens-toi de ça. "

Pièce rapportée, l'héroïne et narratrice de ce roman l'est à plus d'un égard. Son compagnon a été embauché dans une école d'un type particulier , privilégiant les arts, dans une région rurale du Danemark. Enseignants et élèves forment une communauté, quasi une secte aux dire d'une autre pièce rapportée, et si cette appellation est formulée avec humour, il n'en reste pas moins que la narratrice se sent fortement décalée et peine à créer des liens d'amitié avec une population trop laconique à son goût. stine pilgaard
Expansive, peinant à obtenir son permis de conduire, jeune mère analysant avec acuité et humour les perturbations engendrées par cette naissance, nous la suivons dans ses tribulations, le tout ponctué par les lettres drolatiques et les réponses hautes en couleurs qu'elle fournit en tant qu'"oracle" dans le journal local, sorte de courrier du cœur, emploi que lui a procuré la directrice de son mari. L'écriture de chansons satiriques lui permet aussi de tenir le coup  dans cet univers si étrange à ses yeux.
Le point de vue décalé, fin et plein d'humour, l'écriture alerte et les personnages croqués à ravir font de cette lecture un pur délice. J'ai surligné à tour de bras et j'ai déjà hâte de voir traduit un autre roman de cette autrice .

 

Éditions Le Bruit du monde 2022.

 Traduit du danois par Catherine Renaud.

31/03/2022

La folie de ma mère...en poche

"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "

 

En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.
", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille  qu'elle était la seule à ignorer.isabelle flaten
On est happé par ce texte  pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.

Et zou, sur l'étagère des indispensables !

Seuil 2022Le Nouvel Attila 2020. Points Seuil 2022

De la même autrice : clic

A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.

24/03/2022

#Coupez #NetGalleyFrance !

"Le grand danger quand on cherche des réponses ,c 'est qu'on risque de les trouver. "

 Passer presque un quart de siècle en prison pour le meurtre de son amant et recouvrer la liberté à soixante-douze ans dans un monde où " Il lui fallait sans cesse se rappeler que tout le monde s'attendait désormais à ce que tout soit instantané et que le moindre délai représentait un intolérable désagrément , que seul le recours à un téléphone portable pouvait atténuer. " n'est pas aisé. D'autant qu'elle n'a pas su se défendre et lutter contre l'institution juridique. christopher brookmyre
Un autre personnage qui ne se sent pas à sa place ,c'est Jerry, étudiant en cinéma, d'origine modeste, et fan des films d'horreur de série B. Quittant la résidence universitaire, trop onéreuse et hostile à son goût , il emménage en colocation avec des personnes âgées, dont Millicent.
Avec son fichu caractère , la vieille dame ne lui facilite pas la tâche ,mais découvrir qu'elle officia en tant que maquilleuse experte sur les plateaux des films qu'il adore, dont le fameux Mancipium que personne n'a vu, leur permettra de nouer des liens. Lien qui se resserreront quand Millicent découvrant par hasard un détail qui remet en question toutes ces certitudes quant à son amant se met en tête de renouer avec ses anciens , afin de mettre à jour la vérité.
Le duo improbable commence alors un road trip qui se transformera vite en course poursuite où les morts se multiplient...
Alliant les qualités hétéroclites de ses héros, Brookmyre nous fait découvrir avec gourmandise l'univers des séries B gore, fustigeant au passage notre société contemporaine.  L'intrigue est juste parfaite et les 500 pages se tournent toutes seules, alternant passé et présent, multipliant les rebondissements sans jamais forcer le trait.
 Un récit haletant, un univers aux antipodes de mes goûts mais que l'auteur rend passionnant, une bonne dose d'humour, souvent noir, des personnages attachants, tels sont les ingrédients d'un roman juste indispensable.

Éditions  Métailié 2022, traduit de l’écossais par David Fauquemberg

christopher brookmyre

14/03/2022

#Cellesquinemeurentpas #NetGalleyFrance !

"Être malade ouvre un espace excessif à la pensée et la pensée excessive fait de la place aux pensées mortifères. Mais j'ai toujours eu plus soif d’expérience que de l'absence de celle-ci, alors si l'expérience de la pensée est la seule que mon corps pouvait me donner au-delà de la douleur, il fallait bien accepter de m'ouvrir à des réflexions folles et morbides. "

Il y a encore quelques années, le mot "cancer" était banni et on lui préférait la périphrase "longue et douloureuse maladie", euphémisme qui fut bientôt attribué à une autre pathologie, le Sida, dans une sinistre gradation de l'horreur.
Le texte d'Anne Boyer est saturé du cancer sous toutes ses formes : politique, médicale, psychologique, sociale, raciale et philosophique. anne boyer
L'autrice fait de son expérience un vaste exercice de pensée brillante et parfois exigeante, prenant à bras le corps tous les aspects de sa maladie.
Son écriture, très travaillée, sans pour autant qu'elle se regarde écrire, nous fait ressentir au plus intime l'expérience de la douleur . Elle pointe aussi du doigt les ambiguïtés d'un système médical où un traitement peut être plus invalidant qu'efficace,  où un médecin peut affirmer qu'il a pratiqué des mastectomies inutiles car il fallait bien qu'il paie ses vacances ;  système dans lequel une malade après une opération sous anesthésie générale est quasiment jetée dehors, où elle est sommée de travailler quelle que soit la douleur et l'éreintement ressenti.
On sort de ce roman éprouvant un peu hagard, physiquement mal à l'aise,  mais conscient d'avoir lu un texte exceptionnel .

Grasset 2022, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy.anne boyer

10/03/2022

Térébenthine...en poche

"L'urgence de devenir sujet."

Il suffit d'un article dans un magazine d'art, proclamant le grand retour de la peinture pour que la narratrice retrouve le souvenir de ses études aux Beaux-Arts, quinze ans plus tôt, quand Luc, Lucie et elle-même formaient un drôle de trio.
Surnommés les Térébenthine, par dérision, car ils s’obstinaient à peindre dans une époque où prévalait l’art conceptuel et le discours qui le justifiait , ils étaient relégués dans les caves. Ces "illuminés du sous-sol" entraient alors en résistance et en amitié et c'est leur parcours que nous relate ce roman.carole fives
Roman d'apprentissage, d’émancipation aussi , à une époque où il n'y pas de modèles nus masculins et où les artistes femmes sont systématiquement ignorées  par les profs des Beaux-Arts, par routine peut être pour certains, plus que par mauvais volonté. Quant aux critiques, ils "ont beau dire que l'art n'a pas de sexe, tu sens qu'ils manquent d'objectivité et que le but est bien plutôt de faire passer pour neutre une histoire de l'art tout empreinte de virilité." Ces artistes existent pourtant et une magnifique accumulation d'artistes femmes (plus d'une centaine !) vient nous le rappeler.
Une pensée est en formation, tout autant qu'une artiste et une femme, et ces métamorphoses qui nous sont données à voir sont passionnantes car pleines de justesse et de sincérité. Un roman constellé de marque-pages qui file sur l'étagère des indispensables.

08/03/2022

Le Sanctuaire...en poche

" Le vacarme de l’eau recouvre mes pensées. Me perdre dans quelque chose de plus , un flux sans fin, capable de venir à bout des rocs et des montagnes, une eau qui sache conserver la trace des temps anciens, ère de fougères géantes et de reptiles volants, temps que les glaciers ont gardé intact, preuve que le monde restera monde malgré l'homme et ses cataclysmes , et qu'à l'image des dinosaures nous devrions nous en tenir à cette vérité première: nous ne sommes pas grand-chose sur Terre. "

Gemma, même si elle affirme avoir été élevée par "les plantes et les animaux" et n’avoir jamais eu de peluche "je n'en ai pas besoin" essaie-t-elle de se convaincre, commence progressivement, à l'orée de l'adolescence, à envisager qu'il peut y avoir un autre monde , d'autres sensations, d'autres manières de vivre, que celles imposées par son père. laurine roux
En effet, ce dernier a mis à l'abri sa femme, leur première fille, June ,et Gemma à l'abri dans un chalet de montagne, après une pandémie dont nous apprendrons progressivement l'origine supposée. Il a fait de ses filles de parfaites chasseresses et on comprend progressivement l'emprise qu'il a, et tient à conserver sur sa femme et ses filles.
Célébration de la nature et de l'indépendance des femmes, Le sanctuaire, par sa langue somptueuse et son atmosphère prenante, réussit le tour  de force  de combiner tout à la fois Nature Writing, anticipation et roman de formation, le tout en 141 pages addictives.

De la même autrice, j'avais aussi beaucoup aimé , mais pas chroniqué, Une immense sensation de calme, sorti aussi chez Folio.

03/03/2022

#LesMerveilles #NetGalleyFrance !

"Je suis née pour me marier et avoir des enfants, et cuisiner, et faire le ménage, et peut-être pour travailler à l’extérieur pendant que je ne travaille pas à l’intérieur ; mais ma vie a pris un autre chemin et j'y tiens. "

Maria, trop jeune maman, issue d'un milieu très modeste doit confier sa fille à sa famille et partir travailler à Madrid comme femme de ménage, voire comme nounou pour des enfants plus chanceux que Carmen. Nous sommes à la fin des années 60 et Maria va constater que le lien avec sa fille, déjà très ténu (elle accomplit mécaniquement les soins quand elle s'en occupe sporadiquement) va se déliter. Maria va peu à peu s'affranchir de ce que la société attendait d'elle et gagner en indépendance,  financière (même si ses revenus restent modestes),  intellectuelle et même sentimentale elena medel
Quant à Alicia, que nous suivons dans les années 2000, elle a subi plusieurs traumatismes, dont un déclassement social. Elle a elle aussi coupé tout lien avec sa famille et analyse froidement ses relations avec les hommes. Nous avons ainsi droit à une description quasi clinique de relations sexuelles où les deux partenaires sont réduits à "quelqu'un", soulignant ainsi leur côté interchangeable.
Toutes deux évoluent dans Madrid, ville qui devient un personnage à part entière, et leurs parcours sont plus ou moins pénibles, car marqués par le fait qu’elles sont des femmes dans un espace public dédié aux hommes, mais aussi des travailleuses pauvres qui doivent emprunter des transports en commun mal commodes.
Ces deux récits d'émancipation à des époques différentes soulignent bien l'importance de l'argent dont le manque conditionne la destinée (pas d'études, des boulots précaires où l'on peut vous remplacer par encore plus pauvres que vous...) mais aussi une certaine forme de solidarité  (non idéalisée). Les relations familiales elles aussi sont peintes sans fard et même si les héroïnes semblent faire l'économie des sentiments, comme corsetées dans une armure protectrice, elles n'en demeurent pas moins attachantes. Un roman que j'ai dévoré d'une traite.

Éditions La Croisée 2022 elena medel

 

15/02/2022

Le Signal /Récit d'un amour et d'un immeuble

"Je n'en reviens pas.
Que le signal soit capable encore, après toutes les souffrances , d'offrir cette poésie folle, d'inventer ce paysage nouveau, de la mer en transparence, presque en symbiose."

Quelle drôle d'idée que de consacrer un ouvrage à un immeuble et de le voir évoluer au fil des ans !
Oui mais cet édifice est tout à fait particulier. Il s'agit en effet du Signal ,immeuble d’habitations construit entre 1965 et 1970 en bord de mer et destiné à offrir une vue imprenable à des populations modestes dont c'était le rêve de toute une vie.
Las, le rêve vire au cauchemar car l'érosion marine a été plus rapide que prévu, réchauffement climatique oblige, et l'océan qui a gagné sur la côte aquitaine a chassé les propriétaires de  leurs appartements. CVT_Le-Signal-Recit-dun-amour-et-dun-immeuble_9276.jpg
Coup de foudre en 2014 pour Sophie Poirier qui suit, fascinée son évolution, imagine les vies des propriétaires expulsés et en procès avec les autorités. 
Cet immeuble fait aussi résonner en elle des relations à d'autres habitations et ouvre simultanément l'imaginaire de ses lectrices et lecteurs.
Le Signal fonctionne donc comme une formidable machine à rêver , tantôt poétique, tantôt prosaïque, n'occulte en rien les aspects sociaux et environnementaux et nous fait à notre tour tomber en amour pour cet immeuble promis à la démolition cette année.

Et zou, sur l'étagère des indispensables !

à noter également les photographies d'Olivier Crouzel . 

 

Éditions Inculte 2022.

10/02/2022

Requiem

"Or, ce qui rend la vie supportable, c'est de pouvoir oublier."

Jonas quitte Reykjavík  et se réfugie dans un village des fjords de l'Est de l’Islande. Là, il note dans un carnet de moleskine toutes les musiques qu'il entend dans les bruits du quotidien : ronronnement du réfrigérateur, bruits de moteurs etc.  Mais il ne cesse de minorer cette création et ne se revendique jamais comme compositeur. gyrdir eliasson
On comprend petit à petit que sa vie de rédacteur publicitaire lui pèse , que son couple se délite et qu'un drame les a frappés : "Pourquoi nul ne s'enquiert de Joakim ? ". Comme autant de petit cailloux semés au fil du texte, les indices de cette souffrance jamais clairement énoncée apparaissent. Car c'est bien là le problème: Jonas ne peut parler à parler de choses importantes.
Il s'enfonce de plus en plus dans la solitude et les pertes successives jalonnent son parcours. Son identité elle-même peu à peu s'efface et cet itinéraire,tout en retenue, n'en devient que plus poignant. Un roman où quelques pointes d'humour (souvent noir) émergent d'une tonalité mélancolique et prenante. Un grand coup de cœur qui file sur l'étagère des indispensables.

Traduit de l'islandais par Catherine Eyjolsson. La Peuplade 2022

 

Du même auteur: clic 

reclic.