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13/10/2022

Végétal

"Je ne rêvais que de me rouler dans la mousse, la pluie, que l'humus mouillé abreuve et délivre mes racines. Je ressentais ce besoin de la terre, celle fraîchement arrachée, pour m'en recouvrir et me vautrer dedans , la sentir sur mon corps et pouvoir enfin la flairer. "

 

Cela commence par un changement d'odeur. Le narrateur se rend soudain compte que son corps nu sent l'humus, que son torse est " recouvert de mousse".
La "mutation organique" est en route et elle sera inexorable. Abordant tous les aspects de cette métamorphose, même les plus triviaux, ce narrateur sans nom relate avec précision sa transformation en arbre, sa relation conflictuelle avec les docteurs, car il ne veut pas devenir "un phénomène de foire dans un laboratoire". antoine percheron
En 38 pages, Antoine Percheron réussit un prodige poignant, celui de raconter avec distanciation son propre destin , celui d'un homme atteint d'une tumeur qui pousse "des racines au fond du cerveau", comme le précise une note en fin de texte.

Paru une première fois en 2001 aux Éditions L'Escampette, ce texte vient d'être réédité aux Éditions Belles Lettres et il ne faut surtout pas le rater.

05/09/2022

#Quandtuécouterascettechanson #NetGalleyFrance !

"Comment l'appeler son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ? Celle d'une adolescente enfermée pour ne pas mourir, dont les mots ne tiennent pas en place. "

 Il est des lieux, parfois même vides, mais tellement chargés d'émotion qu'ils ne peuvent manquer de susciter le silence, l'angoisse, voire la fuite. Quand elle a choisi pour la série "Ma nuit au musée" de séjourner dans le lieu qui accueillit Anne Frank, ses parents, sa sœur et quatre autres personnes, Lola Lafon ne pouvait prévoir l'effet que produirait sur elle la chambre de l'adolescente: qu'elle deviendrait presque un lieu tabou.  Pourtant  l'autrice met souvent au cœur de ses romans des jeunes filles qui "se confrontent à l'espace qu'on leur autorise". Autre point commun: "Toutes , aussi, ont vu leurs propos réinterprétés , réécrits par des adultes." lola lafon
En effet quand le Journal est paru, après-guerre oblige, l'heure était à la réconciliation avec l'Allemagne et il fallait gommer les propos trop virulent d'Anne Frank à leur encontre. Cela alla même aux États-Unis, jusqu’à donner un tour joyeux à cette œuvre transformée en comédie musicale à succès !
 Le grand mérite de ce texte , d'une très grande sensibilité, est non seulement de souligner la volonté d'Anne Frank de rédiger un texte littéraire, mais encore de nous rendre pleinement vivante cette jeune fille trop souvent réduite à quelques clichés (dans tous les sens du terme).
Quand tu écouteras cette chanson prolonge la réflexion en creusant l'histoire familiale intime de l'autrice, via ses grands parents, mais élargit aussi le propos en redonnant vie à un très jeune homme croisé par Lola Lafon , victime du génocide perpétré par les Khmers Rouges.  Un texte dont la sincérité et l'émotion serrent le cœur.


 Stock 2022.lola lafon

31/08/2022

Qui sème le vent...en poche

"En plus de nourriture et de vêtements, les enfants ont besoin d'attention. Ce que papa et maman semblent oublier de plus en plus."

La mort accidentelle de Matthies, quelques jours avant Noël, va plonger ses frère et soeurs, ainsi que ses parents ,dans une souffrance qu'ils ne parviendront pas à verbaliser.
Même la religion (ils sont protestants orthodoxes) ne leur sera pas d'un grand secours et chacun dans on coin, ou presque ,continuera tant bien que mal à survivre à ce deuil.marieke lucas rijneveld
Nous sommes au début des années 2000, dans un coin paumé d'une campagne néerlandaise et la vie est rude pour ces éleveurs de bovins. On pourrait parfois croire, n'étaient quelques détails qui ancrent dans la modernité, que cette famille, tout à la fois pudibonde pour ce qui est de la sexualité et très crue en ce qui concerne la réalité de la mort, vit quasiment en dehors du temps.
Tandis que la mère glisse dans une forme de folie, le père fait face avec stoïcisme à une épizootie qui ravage son troupeau, mais aucun d'entre eux ne parvient à exprimer ses sentiments et ils laissent le reste de la fratrie bricoler des stratagèmes pour apprivoiser la mort.
Ainsi la narratrice, dix ans au début du roman, ne quitte-elle pas sa parka, parka dont elle remplit les poches d'objets . Son frère, lui, opte pour des actes bien plus sadiques.
La découverte de la sexualité pour la fratrie les tient encore du côté du vivant ,mais dès les premières pages du roman, on sait qu'une tragédie est en route car "Quand on n'est plus à même de tenir avec tendresse un être humain ou un animal, mieux vaut lâcher prise et s'intéresser à autre chose."
J'ai rarement lu un roman aussi âpre, aussi tenu , dans le sens ou l'autrice ne tombe jamais dans le piège du pathos, où s'exprime une telle âpreté, un tel pessimisme (le père "prétend que ce n'est pas pour nous le bonheur, qu'on n'est pas faits pour être heureux, pas plus que notre peu blanche n'est faite pour endurer le soleil") et pourtant la narratrice , par son regard singulier, sur la nature, les animaux, parvient à nous offrir quelques respirations dans cette atmosphère saturée de tristesse.
La fin tombe comme un couperet.
Une expérience singulière et forte. Un premier roman , un coup de maître.
Il rejoint bien sûr l'étagère des indispensables.

Traduit du néerlandais par Daniel Cunin,

25/08/2022

#Unchienàmatable #NetGalleyFrance !

" Et puis , tu vois, ce serait un titre généreux, générationnel, un titre qui dit : ici on accueille les espèces à table, entrez , les bêtes, on est à table, on vous fait de la place. C'est un titre ouvert, un titre table ouverte aux bêtes, crié de loin par les enfants. C'est un symptôme. Un manifeste. Crois-moi, c'est le bon titre, Sophie. Un chien, émissaire de l'animalité, d'après Kafka, est invité à la table des humains. Sophie, surtout , garde ce titre."

Après Un ange à ma table, récit autobiographique de Janet Frame (autrice d'ailleurs évoquée dans ce roman , mais pour un autre récit), voici donc Un chien à ma table, où l'on retrouve les thèmes chers à l'autrice: la nature, les animaux, la vie retirée dans une maison isolée dans la montagne avec un compagnon, Grieg,  féru de lecture , ainsi que l'écriture bien sûr.claudie hunziger
La narratrice, prénommée Sophie, est maintenant octogénaire et elle observe sa relation à ce corps plus aussi souple, qui peine à se mettre en marche le matin. Pourtant l'irruption d'une chienne de berger, victime d'un zoophile, dans la vie de ce couple âgé va leur insuffler une nouvelle énergie,  instaurer une nouvelle relation au vivant. Cette chienne, aussitôt baptisée Yes, tant elle semble positive, va  se montrer "affamée de langage", ce qui ne peut que réjouir l'écrivaine , Sophie.
 Pourtant, en arrière plan de cet heureux trio , l'atmosphère , évoquée par petites touches, est lourde, le danger rôde, les temps ne sont plus à la réjouissance, mais "On peut très bien écrire avec des larmes dans les yeux."
J'ai retrouvé avec bonheur l'écriture de Claudie Hunziger, soulignant à tour de bras les formules qui émaillent ce texte , profitant pleinement de ses analyses et de son écriture  tour à tour poétique et ancrée dans le réel. Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.

Grasset 2022.

17/08/2022

Ce matin là...en poche

"Clara se dit qu’elle voudrait trouver un lieu où poser ce qui la transperce. Pour s'asseoir et écouter le silence."

Ce Matin-Là, son véhicule ne veut pas démarrer. Le corps de Clara non plus ne lui obéit plus. Incapable de prévenir qui que ce soit , la jeune femme peine à regagner son appartement. Ce matin-là et beaucoup d'autres ensuite, elle ne pourra plus "en découdre avec la vie".
Récit d'un burn-out qui ne dira jamais son nom, le roman de Gaëlle Josse cerne au plus près et en un peu plus de deux cents pages ce corps qui lâche, qui regimbe et force Clara à reconnaître sa fragilité, sa vulnérabilité.gaëlle josse
Pourtant la "reverdie" s'amorcera progressivement, à partir d'un rien, un bouquet de tulipes qui tente la jeune femme , à partir d'une amitié fidèle par-delà les années.
Avec délicatesse, poésie même , Gaëlle Josse nous livre ici un livre précieux comme un talisman et qui atteint bien le but qu'elle s'était fixée en le rédigeant :
" J'ai voulu un livre qui soit comme une main posée sur l'épaule."

Un livre qui ne peut que filer sur l'étagère des indispensables.

06/07/2022

Courir avec Lucy

"aller de l'avant m'est une orientation majeure un tropisme permanent et puis quand Lucy vient à mes côtés tout ce qui vient me visiter me presse me prend de vitesse j'aborde la matière autrement vrombissement des atomes bousculade des électrons d'une séance de course à pied je ne reviens jamais bredouille pensées frétillantes petits poissons d'argent sur les rives de l'Aa la pêche est bonne tout l'an"

 

Quel bonheur de rencontrer une écriture, riche, foisonnante, et néanmoins cadrée par les cinquante deux séances correspondant aux séances hebdomadaires de course de la poétesse. Une écriture en prose non ponctuée, mais qui ne pose aucune difficulté de lecture, chacun.e trouvant son rythme, comme lors d'une pratique sportive. florence saint-roch
Et cette idée de l'apparition de Lucy aux côtés de la coureuse, Lucy baptisée ainsi par Yves Coppens et dont la découverte avait marqué l'enfance de Florence saint-Roch ! L'australopithèque dont "l'invincible élan porte haut les femmes depuis la nuit des temps" et dont la mention  fera même déguerpir un "don Juan à la sauce décathlon", car les tonalités varient au fil du texte, la présence de Lucy galvanisant l'autrice, la faisant autant réfléchir sur sa pratique plus amicale que sportive, son écriture, mais convoquant aussi des problèmes qui traversent les époques comme celui des migrants.
J'ai d'abord dévoré ce texte, déniché par hasard, puis relu plus posément et dorénavant je l'ouvre régulièrement pour le laisser infuser. Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 

Éditions Invenit 2022

 

 

05/07/2022

L'Odyssée de Pénélope...en poche

"Je n'ai rien laissé paraître, de crainte de mettre sa vie en péril. Sans compter que la femme d'un homme qui tire une grande fierté de ses aptitudes au déguisement ne doit pas faire la bêtise de le reconnaître: en effet, il est toujours imprudent de s'interposer entre un homme et l'idée qu'il se fait de sa propre intelligence. "

Imaginez: Pénélope, personnage secondaire chez Homère, prend la parole pour nous donner sa version de l’histoire, mais elle le fait de nos jours et des Enfers  où elle côtoie sa pire ennemie, la fielleuse,coquette et trop belle Hélène, à l'origine de la guerre de Troie. margaret atwood
Ce décalage temporel nous donne des passages fort drôles comme celui où la narratrice décrit, sans jamais le nommer ,un édifice et la pratique contemporaine que nous en avons : un musée.
Mais bien sûr, le plus important est le portrait, très nuancé, que nous brosse Margaret Atwood de cette héroïne qui n'est au départ qu'une très jeune femme, peu au fait de la vie, mais qui, suivant les conseils de sa mère, parviendra à s'adapter avec plus ou moins de bonheur à toutes les situations.
Ce n'est pas la première fois qu'Ulysse est montré comme un menteur invétéré dont les aventures  sont certainement plus prosaïques et moins glorieuses que celles chantées par Homère , mais Atwood prend beaucoup de plaisir à éclairer , avec efficacité , de nombreux points laissés dans l'ombre et le récit, scandé par le chœur des servantes sacrifiées, prend une dimension symbolique convaincante.  Un récit caustique et plein d'humour qui rend Pénélope très proche de nous , sans jamais l'idéaliser. Une grande réussite !

Traduit de l’anglais (canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné.

 

Préface de Christophe Ono-dit-Biot. Robert Laffont Pavillons Poche 2022

14/06/2022

l'engravement

"Vous êtes trente ou vingt, parfois dix, peu importe, vous rampez sur l'allée, écrasés, vidés, fautifs, égarés sur le chemin que vous connaissez si bien. Pas de chance, aucun échafaud n'est dressé au bout de l'asphalte. Il y a un parking, un arrêt de bus, une rue que personne ne veut habiter, et votre vie, qui continue. La voilà la sentence : Vivez avec. "

Où se dirige ce troupeau, hétéroclite, mais uni par une même détresse, une même souffrance, un même espoir malmené , vacillant mais entretenu par la proximité des autres ? Il va vers cet endroit où leurs proches sont enfermés parce que leur vie , telle celle des baleines échouées sur les plages, n'a pas su s'adapter au bruit du monde, parce que ce bruit a poussé "leur stress à un paroxysme ingérable".
Ce sont ainsi différents parcours qui se donnent à lire via ce roman choral, entrecoupé par des discours souvent violents, révélant au passage les dysfonctionnements du système de santé. Nous voyons ainsi, par petites touches l'évolution des patients, celle de leurs aidants qui trimballent des sacs puant la pisse ou le sang, mais charriant surtout leurs minuscules victoires et leurs immenses échecs. eva kavian
L'émotion  est toujours là, mais sans voyeurisme et c'est tout un pan, souvent caché, de la société qui se donne à voir dans ce roman d'une force inouïe et bouleversante . Un très grand coup de cœur. 

Éditions la Contre-Allée 2022.

 

06/06/2022

Les choses sont contre nous

Ami.e.s du tiède, du mou, du consensus, passez votre chemin.Dans ces, je cite ,"essais féministes au vitriol", L'autrice des Lionnes se lance dans des diatribes revigorantes contre , pêle-mêle, la société patriarcale,"Les pistons et les pompes" et autres symboles phalliques, dénigre les romans noirs, analyse en détails "La petite maison dans la prairie", conseille aux filles des "Morning routine" de "sauver les baleines, de planter des arbres, de construire des voies ferrées, de démanteler Guantánamo, de rencontrer des gens ou juste de lire un livre. ", s'en prend aux soutien-gorges, prône la grève du sexe, dézingue Trump avec des formules qu'aucun journaliste n'oserait employer et regrette "L’art perdu du pas-bouger", auquel elle consacre un chapitre entier. lucy ellmann,claro
De longues énumérations charrient ses griefs ou ceux à qui elle s'en prend, mais l'humour n'est jamais absent , un humour souvent grinçant, qui ne plaira pas à tout le monde mais qui m'a beaucoup fait sourire. Mettre sur le même plan des dictateurs sanguinaires et les emprunteurs de livres n'est pas donné à tout le monde. Bref, des textes décapants et des points de vue originaux , auxquels on n’adhèrera pas forcément toujours , font de ces essais une lecture hautement stimulante . La traduction de Claro est comme d'habitude juste parfaite.

Et zou, direction l'étagère des indispensables.

 

Éditions du Seuil 2022.

294 pages

16/05/2022

Le pays des phrases courtes

"Personne ne veut savoir comment tu vas, dit-il .Souviens-toi de ça. "

Pièce rapportée, l'héroïne et narratrice de ce roman l'est à plus d'un égard. Son compagnon a été embauché dans une école d'un type particulier , privilégiant les arts, dans une région rurale du Danemark. Enseignants et élèves forment une communauté, quasi une secte aux dire d'une autre pièce rapportée, et si cette appellation est formulée avec humour, il n'en reste pas moins que la narratrice se sent fortement décalée et peine à créer des liens d'amitié avec une population trop laconique à son goût. stine pilgaard
Expansive, peinant à obtenir son permis de conduire, jeune mère analysant avec acuité et humour les perturbations engendrées par cette naissance, nous la suivons dans ses tribulations, le tout ponctué par les lettres drolatiques et les réponses hautes en couleurs qu'elle fournit en tant qu'"oracle" dans le journal local, sorte de courrier du cœur, emploi que lui a procuré la directrice de son mari. L'écriture de chansons satiriques lui permet aussi de tenir le coup  dans cet univers si étrange à ses yeux.
Le point de vue décalé, fin et plein d'humour, l'écriture alerte et les personnages croqués à ravir font de cette lecture un pur délice. J'ai surligné à tour de bras et j'ai déjà hâte de voir traduit un autre roman de cette autrice .

 

Éditions Le Bruit du monde 2022.

 Traduit du danois par Catherine Renaud.