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18/10/2025

A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit ? ...en poche

"Je devine les trois rectangles laissés par les cadres décrochés. Nos traces. Je veux m'assurer que nous avons vécu ici, heureux.M'assurer qu'il reste quelques marques, quelques empreintes de notre histoire. Alors, je viens rôder là quand le sommeil m'évite. Les heures profondes de la nuit sont aussi les premières du matin, un matin qui s'ignore et n'a rien à dire au jour, un matin enveloppé de ses ténèbres comme dans un manteau d'hiver. "

En lisant ces micro-fictions, reliées entre elles par des monostiches consacrés à la nuit, j'avais en tête ces vers de Paul Eluard

"Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses
Le jour est paresseux mais la nuit est active
Un bol d'air à midi la nuit le filtre et l'use
La nuit ne laisse pas de poussière sur nous".

Mais chez Gaëlle Josse, pas de répit pour ces insomniaques que la nuit travaille . Il est souvent question ici de solitude et nos moyens de communication modernes ne font semble-t-il que l'exacerber, qu'on attende une sonnerie ou qu'on ait oublié d'enlever le mode silencieux...gaëlle josse
Vieillard que l'usure du corps rattrape, enfants qui se croient responsables du départ d'un adulte, mais aussi père qui contemple , sans trop y croire , les reliefs d'un anniversaire témoignant de sa rédemption, tous ils nous émeuvent à leur façon.
Il est souvent question de fenêtres dans ces textes, transition vers l'ailleurs ou ouverture vers l'avenir, leur absence n'en devient que plus criante dans le dernier texte, qui, sans pathos, de manière poétique mais efficace,  dit la dureté d'un monde où l'on s'est habitué à la misère.

15/10/2025

Tombée des nues...enfin en poche

"...j'ai tendance à faire confiance au couple même si le couple vient de montrer une terrible cécité, j'aime croire en ce qui peut renaître des failles, au côté salutaire du choc..."

 Marion et Baptiste, un couple d'éleveurs, vivent heureux à la lisière d'une village.Une nuit d'hiver,Marion est prise de douleurs violentes. A leur grande surprise, il s'agit d'un accouchement.
Déni de grossesse. cette expression-  pas très jolie d'ailleurs- ne sera  jamais prononcée dans ce roman choral. Il épinglerait comme un papillon une situation que l'auteure envisage avec délicatesse, sous différents angles, via le prisme de ses personnages.818u8cTNYlL._SL1500_.jpg

Pendant trois jours, vont ainsi alterner le point de vue du voisin qui a sauvé l'enfant, de l'employé du couple, de la sage-femme,de la grand-mère maternelle, de Baptiste et Marion, sans oublier celui plus trouble de Madame Peyre. Cette dernière, toujours à sa fenêtre, tout à la fois en retrait et aux premières loges, pourrait être la caricature d'une commère de village. Mais,au fil du texte, son personnage prendra de la densité et gagnera en subtilités. Il fonctionnera aussi en contrepoint du vent de folie et de solidarité qui s'empare du village à l'annonce de cette naissance.
Le parti-pris de l'auteure est de nous présenter sous forme de fragments numérotés qui s’enchaînent avec fluidité les points de vue différents, libre à nous de consulter  si nécessaire (cela a été rarement mon cas) les grilles de lecture fournies en fin de volume. On peut aussi choisir de suivre les numéros à partir du 5 (je vais bientôt le faire).
En 160 pages, Violaine Bérot réussit un pari fou : traiter d'un thème qui se tient à la frontière du sordide et du cas psychologique, sans tomber ni dans le pathos ni dans l'angélisme. Ses personnages ont chacun leur voix, bien identifiable, la majorité d'entre eux n'est pas dans le jugement, mais dans l'action. Seul le grand-père, dans un premier temps, se préoccupera du regard des autres et des explicitations à fournir. Quant à la mère, elle ne prend la parole qu'au fragment 31 et semble au sens propre Tombée des nues, puisqu'elle se réfugie dans le monde des nues, des nuages. Seule la voix de Dédé, qui s'occupe du troupeau de chèvres de Marion en son absence, parvient dans un premier temps à la ramener sur terre. Quant à la fin, elle est juste sublime.
L'écriture, toujours sur le fil du rasoir, est à la fois poétique et précise. Les personnages sont denses et savent préserver leur part de mystère.
Un formidable roman sur une maternité déroutante s'inscrivant dans un rapport charnel aux animaux et à la nature. Un pur bonheur  ! Et zou, sur l'étagère des indispensables !

24/09/2025

#Léducationphysique #NetGalleyFrance !

" Elle partait du principe qu'elle n'était qu'une marchandise, une pièce de bétail doté d'un corps que les autres pouvaient manipuler à leur guise: les petits garçons, les médecins, les professeurs..."

Catalina, seize ans, s'enfuit de la maison de campagne de sa meilleure amie, car on le devine, le père de cette dernière a eu un comportement inapproprié.Le choc est d'autant plus rude que la jeune fille avait idéalisé cet homme en tant que figure paternelle bien plus positive que son propre père. rosario villajos
En effet , chez elle, par peur du viol, d'une grossesse non désirée et surtout du qu'en dira-t-on, les parents de la jeune fille la maintiennent corsetée (sa mère allant jusqu'à lui faire porter une gaine !). Il lui faut donc absolument rentrer avant vingt-deux heure.
Scandée par des schémas d'horloge, nous suivons donc l'attente d'un hypothétique bus ou, plus dangereux , celle d'une voiture. En effet, trois  jeunes filles viennent d'être retrouvées, massacrées.
Double suspense donc, mais surtout flot de pensées de Catalina qui a très vite pris conscience que, dans une société patriarcale, les femmes ont moins de valeur, moins de liberté que les hommes et que ces derniers, par leur double discours, auront toujours raison aux yeux du système. 
C'est aussi la conscience d'un corps en plein changement, impossible à contrôler et que la jeune femme voudrait parvenir à faire disparaître...Constat d'une jeune fille en 1994 en Espagne mais qui demeure encore douloureusement d'actualité. Un récit saturé, qui parvient à nous faire ressentir cette sensation d'étouffement, de contraintes répétées, de manière magistrale. 

 

 Traduit de l'espagnol par  Nathalie Serny.  Métaillié 2025. rosario villajos

 

08/09/2025

DJ Bambi

"Les gens voudraient savoir ce qu'on ressent quand on ne fait partie d'aucun groupe, quand on en aurait envie mais qu'on  n'en a pas la possibilité, ils veulent par leurs  lectures se confronter à ce qu'ils craignent de vivre, connaître la souffrance d'autrui et découvrir ainsi de nouvelles facettes d'eux-mêmes. "

Depuis six décennies, celle qui a choisi comme nouveau prénom Logn, à savoir l'absence totale de vent, vivait dans un corps d'homme.  Il lui a fallu beaucoup de temps pour cerner son identité (était-elle homosexuelle?) et trouver le courage de le dire à sa famille.
Isolée quasiment de tous, seul son frère jumeau vient le voir quotidiennement, et même s'il est laconique, sa présence témoigne de son soutien et de son amour, la tentation du suicide n'est jamais bien loin.  L'attente de "l'opération du bas" et la rencontre d'une ancienne camarade de classe, journaliste qui veut écrire sur elle , conduit Logn à se plonger dans ses souvenirs.audur ava olafsdottir
La question de l'identité, mais aussi celle du temps car Logn considère qu'elle "n'[est]pas encore née"sont au cœur de ce roman tout en pudeur et poésie.
Le personnage de l'écrivaine, une certaine Audur T. , s'interroge beaucoup sur la pertinence de ce projet d'écriture qu'elle ne cesse de tourner dans tous les sens et finit par conclure:
"Pour être tout à fait honnête, Gudridur Logn,  tu es l'une des femmes les plus normales que j'aie jamais rencontrées. "
Audur Ava Olafsdottir n'a pas écrit un roman-dossier sur la transidentité mais un texte sensible, parfois humoristique, ni pessimiste, ni optimiste à tout crin, sur une quête d'identité qui a pris son temps pour aboutir. Un roman plein d'émotion et de justesse qui file sur l'étagère des indispensables.

 Traduction de l'islandais par  Eric Boury.

 Editions Zulma 2025

PS: Un roman qui donne envie de découvrir le roman de l'écrivain juif autrichien Felix Salten, Bambi, la vie dans les bois, publié en 1923, apparemment très différent de la version du dessin animé de Walt Disney...

07/09/2025

Assemblage...en poche

"La réponse: l'assimilation. Toujours, cette pression, pile à cet endroit. Assimilez-vous, assimilez-vous... Dissolvez-vous dans le melting-pot. Puis coulez-vous dans le moule. Pliez vos os jusqu'à ce qu'ils craquent, se fendent,jusqu'à ce que ça rentre. Forcez-vous à épouser leur forme. Assimilez-vous, voilà à quoi ils exhortent, à quoi ils encouragent. Puis ils froncent les sourcils. Encore. Et encore. Et toujours, en ligne de basse, sous le vocabulaire insistant de la tolérance et de la convivialité - disparaissez ! "

 

Elle a travaillé deux fois plus, su faire face à "cette course faite d'obstacles perpétuels", parce qu'elle est femme et parce qu'elle est noire dans un monde fait pour les Hommes Blancs.
Un monde où le racisme est soigneusement nié et où on exhorte les minorités à se fondre dans la masse, même si le vocabulaire , via ses connotations, porte la marque d'une Histoire et de ses préjugés. Un monde où on n'hésite pas à lui dire frontalement que si elle a été promue c'est parce qu'elle permet à l'entreprise de valoriser les minorités. Un monde où un employé d'aéroport, nonobstant le billet de classe affaire présenté, vous oblige à faire la queue au guichet auquel votre couleur de peau vous assigne.natasha brown
Cette violence larvée la narratrice s'en protège en se tenant à distance de ses émotions ,en apparence, mais la lave intérieure bouillonne et son regard acéré n'épargne personne . Même pas le jeune privilégié qui prétend l'aimer.
Un récit dense, sans concessions, qui file droit sur l'étagère des indispensables. 

25/08/2025

En ces temps de tempête...en poche

Vous êtes une bulle dans une bulle dans une autre bulle. Votre ville, votre État, votre pays- pour l'instant, vous occupez une position privilégiée. Vous avez gagné à la loterie géopolitique. Et c'est dans la nature humaine de protéger ses acquis, qu'on les mérite ou non. "

 

Les tempêtes mentionnées dans le titre du dernier roman en date de Julia Glass peuvent se prendre aussi bien au sens propre qu'au sens figuré. Nous sommes en effet dans un futur très proche où le réchauffement climatique se fait de plus en plus violent , où les attentats continuent à faire des victimes, aussi bien physiques que psychologiques . julia glass
Pour rendre compte de tout cela , l'autrice se penche sur le microcosme privilégié de Vigil Harbor et offre tour à tour la parole à huit personnages, d'âge et de conditions sociales différents (on y retrouve d'ailleurs un jardinier apparaissant dans un de ces précédents romans). Communauté qui sera troublée par l'arrivée d'un homme et d'une femme qui ne sont peut être pas ce qu'ils affirment être...
Gros roman choral de 598 pages, En ces temps de tempête se dévore puis se savoure tout à la fois. A son habitude, Julia Glass y fait preuve d'un grand sens de la construction narrative, mais aussi d'une grande humanité, se penchant avec beaucoup de bienveillance sur ses personnages.  Suspense et humour sont au rendez-vous , il est grand temps de craquer !

Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 

Gallmeister 2023, traduit de l'américain par Sophie Aslanides.

22/08/2025

Peau d'ourse

"J'attends plus qu'un truc: me faire avaler par la montagne. "

De son prénom, Nina, elle ne veut plus rien entendre. Elle s'est approprié le surnom peu glorieux attribué par les autres: "Mont Perdu":  "Un mont en forme de bouse. C'était parfait pour me rebaptiser. " 
Elle c'est donc Mont Perdu et elle résume ainsi sa vie : "16 ans, moche et village de merde." , village auquel elle est farouchement attachée car situé non loin de ses sœurs, les montagnes. grégory le floch
Son corps gigantesque, se couvrant de plus en plus de poils, son orientation sexuelle (la seule queer du village), tout cela l"isole et la victimise au lycée. Elle crache donc sa rage  et ses mots déboulent comme un torrent, adressés à une amie imaginaire à qui elle avoue son amour pour Kelly et son rêve de fusion dans la montagne. Cette montagne qu'elle souffre de voir martyrisée par les chasseurs et les hommes avides. 

 Flirtant avec le fantastique et l'univers du conte, ce roman évoque à la fois des problématiques écologiques mais brosse surtout le portrait d'une adolescente pleine de fureur face aux transformations de son corps, à son appétence sexuelle, fureur que seule la nature apaise. Cette violence contraste avec des passages poétiques où s'expriment des animaux, grands ou petits, des éléments naturels. Se livre aussi, pied à pied , un combat entre l'humain et l'animal car l'auteur inscrit un mythe lié à l'ours dans une réalité contemporaine. 
Un roman qui dépeint la férocité adolescente et en montre toute la ferveur.  Une écriture puissante et inspirée. Et zou sur l'étagère des indispensables. 

 Merci à l'éditeur et à Babelio. grégory le floch

 Editions du Seuil 2025. 

 

10/07/2025

La Pommeraie

Envie de vous immerger dans une bulle de douceur et de tendresse ? Envie de découvrir un relation mère-fille singulière au cœur de la nature ? Alors foncez !

peter heller

Tout ayant déjà été dit sur ce magnifique roman traduit par Céline Leroy, juste un lien: clic

Actes Sud 2025.

07/07/2025

Procès Mazan Une résistance à dire le viol

"La résistance des accusés à prononcer le mot viol est symptomatique de celle de toute une société qui, fuyant le mot, tolère dans la réalité ce à quoi il renvoie. "

L'angle choisi par Mathilde Levesque pour rendre compte du procès Mazan est l'analyse des discours utilisés par les différents intervenants (accusés, avocats, experts-psychiatres, ...).mathilde levesque
L'esquive, par différents procédés, est ce qui marque le plus les propos tenus. Recherche de synonyme soutenu  ("paraphilie" pour ne pas utiliser "perversion sexuelle", par exemple), d'euphémismes pour ne pas prononcer le mot "viol",  tentatives de culpabilisation de la victime (un classique, malheureusement), réification des femmes, supposées être à disposition des hommes, appel à la compassion en évoquant les violences sexuelles subies par certains des accusés dans leur enfance (mais comme le souligne une amie de l'autrice : "si les personnes préalablement agressées basculaient systématiquement du côté de  l'agression , alors il n'y aurait (presque) que des agresseuses. ", voilà quelques uns des procédés relevés qui m'ont particulièrement marquée. 
A l'inverse, Gisèle Pelicot, dont la parole est rare au cours du procès, remet les choses à leur place : "Le mot viol n'est pas assez fort pour moi, ce sont des actes de barbarie. "
L'autrice souligne le caractère systémique de ces structures langagières de déresponsabilisation et le fait que ce procès "rend visible la haine des femmes - au mieux ignorées, au pire objectifiées", ce que l'on retrouve jusque dans "certains discours censés analyser la personnalité et l'attitude des accusés  reprennent à leur compte la misogynie, orientée non plus vers le mépris de la femme mais vers l'impérieux besoin sexuel de l'homme."On croit cauchemarder.
Un livre de 175 petites pages (8 euro), nécessaire et édifiant qui file, bien évidemment, sur l'étagère des indispensables.
 Payot 2025

 

 

04/06/2025

Fantastique histoire d'amour...en poche

"-attendre quelqu'un dans un McDo un dimanche soir  de pluie étant une démonstration redoutable de la nullité morale du capitalisme. "

Un homme, fasciné, observe une jeune femme qui, dans un parc de Lyon, nourrit, à la main, des mésanges.
Lui, c'est Bastien, inspecteur du travail . Il ne se remet pas d'avoir été quitté et supporte difficilement de ne pouvoir être efficace que pour une toute petite partie des salariés qui le contactent.
Elle, c'est Maïa, journaliste scientifique, elle assume pleinement ses envies charnelles et son célibat.
Pour que ces deux-là soient réunis-ou pas-, il faudra une tante physicienne au CERN qui vient de faire une expérience (ratée) sur un cristal scintillateur et une compacteuse "responsable" d'un accident de travail (ou serait-ce un homicide? ).
Explorant cette fois le territoire du thriller; Sophie Divry, nous livre un roman hautement addictif qu'on se réjouit de retrouver le soir tant elle joue avec nos nerfs mais sait aussi nous émouvoir avec ces deux bras-cassés de l'amour.sophie divry

Une pointe de roman social,  une critique du financement privé de la recherche scientifique viennent relever le tout et des personnages secondaires bien campés finissent de parfaire ces 512 pages sans aucune longueur et parsemées d'oiseaux.....  Dès la scène inaugurale, j'ai su  que j'étais cueillie.Une réussite qui file  sur l'étagère des indispensables.