25/08/2022
#Unchienàmatable #NetGalleyFrance !
" Et puis , tu vois, ce serait un titre généreux, générationnel, un titre qui dit : ici on accueille les espèces à table, entrez , les bêtes, on est à table, on vous fait de la place. C'est un titre ouvert, un titre table ouverte aux bêtes, crié de loin par les enfants. C'est un symptôme. Un manifeste. Crois-moi, c'est le bon titre, Sophie. Un chien, émissaire de l'animalité, d'après Kafka, est invité à la table des humains. Sophie, surtout , garde ce titre."
Après Un ange à ma table, récit autobiographique de Janet Frame (autrice d'ailleurs évoquée dans ce roman , mais pour un autre récit), voici donc Un chien à ma table, où l'on retrouve les thèmes chers à l'autrice: la nature, les animaux, la vie retirée dans une maison isolée dans la montagne avec un compagnon, Grieg, féru de lecture , ainsi que l'écriture bien sûr.
La narratrice, prénommée Sophie, est maintenant octogénaire et elle observe sa relation à ce corps plus aussi souple, qui peine à se mettre en marche le matin. Pourtant l'irruption d'une chienne de berger, victime d'un zoophile, dans la vie de ce couple âgé va leur insuffler une nouvelle énergie, instaurer une nouvelle relation au vivant. Cette chienne, aussitôt baptisée Yes, tant elle semble positive, va se montrer "affamée de langage", ce qui ne peut que réjouir l'écrivaine , Sophie.
Pourtant, en arrière plan de cet heureux trio , l'atmosphère , évoquée par petites touches, est lourde, le danger rôde, les temps ne sont plus à la réjouissance, mais "On peut très bien écrire avec des larmes dans les yeux."
J'ai retrouvé avec bonheur l'écriture de Claudie Hunziger, soulignant à tour de bras les formules qui émaillent ce texte , profitant pleinement de ses analyses et de son écriture tour à tour poétique et ancrée dans le réel. Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Grasset 2022.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2022, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claudie hunziger
17/08/2022
Ce matin là...en poche
"Clara se dit qu’elle voudrait trouver un lieu où poser ce qui la transperce. Pour s'asseoir et écouter le silence."
Ce Matin-Là, son véhicule ne veut pas démarrer. Le corps de Clara non plus ne lui obéit plus. Incapable de prévenir qui que ce soit , la jeune femme peine à regagner son appartement. Ce matin-là et beaucoup d'autres ensuite, elle ne pourra plus "en découdre avec la vie".
Récit d'un burn-out qui ne dira jamais son nom, le roman de Gaëlle Josse cerne au plus près et en un peu plus de deux cents pages ce corps qui lâche, qui regimbe et force Clara à reconnaître sa fragilité, sa vulnérabilité.
Pourtant la "reverdie" s'amorcera progressivement, à partir d'un rien, un bouquet de tulipes qui tente la jeune femme , à partir d'une amitié fidèle par-delà les années.
Avec délicatesse, poésie même , Gaëlle Josse nous livre ici un livre précieux comme un talisman et qui atteint bien le but qu'elle s'était fixée en le rédigeant :
" J'ai voulu un livre qui soit comme une main posée sur l'épaule."
Un livre qui ne peut que filer sur l'étagère des indispensables.
10:59 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : gaëlle josse
06/07/2022
Courir avec Lucy
"aller de l'avant m'est une orientation majeure un tropisme permanent et puis quand Lucy vient à mes côtés tout ce qui vient me visiter me presse me prend de vitesse j'aborde la matière autrement vrombissement des atomes bousculade des électrons d'une séance de course à pied je ne reviens jamais bredouille pensées frétillantes petits poissons d'argent sur les rives de l'Aa la pêche est bonne tout l'an"
Quel bonheur de rencontrer une écriture, riche, foisonnante, et néanmoins cadrée par les cinquante deux séances correspondant aux séances hebdomadaires de course de la poétesse. Une écriture en prose non ponctuée, mais qui ne pose aucune difficulté de lecture, chacun.e trouvant son rythme, comme lors d'une pratique sportive.
Et cette idée de l'apparition de Lucy aux côtés de la coureuse, Lucy baptisée ainsi par Yves Coppens et dont la découverte avait marqué l'enfance de Florence saint-Roch ! L'australopithèque dont "l'invincible élan porte haut les femmes depuis la nuit des temps" et dont la mention fera même déguerpir un "don Juan à la sauce décathlon", car les tonalités varient au fil du texte, la présence de Lucy galvanisant l'autrice, la faisant autant réfléchir sur sa pratique plus amicale que sportive, son écriture, mais convoquant aussi des problèmes qui traversent les époques comme celui des migrants.
J'ai d'abord dévoré ce texte, déniché par hasard, puis relu plus posément et dorénavant je l'ouvre régulièrement pour le laisser infuser. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Éditions Invenit 2022
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : florence saint-roch
05/07/2022
L'Odyssée de Pénélope...en poche
"Je n'ai rien laissé paraître, de crainte de mettre sa vie en péril. Sans compter que la femme d'un homme qui tire une grande fierté de ses aptitudes au déguisement ne doit pas faire la bêtise de le reconnaître: en effet, il est toujours imprudent de s'interposer entre un homme et l'idée qu'il se fait de sa propre intelligence. "
Imaginez: Pénélope, personnage secondaire chez Homère, prend la parole pour nous donner sa version de l’histoire, mais elle le fait de nos jours et des Enfers où elle côtoie sa pire ennemie, la fielleuse,coquette et trop belle Hélène, à l'origine de la guerre de Troie.
Ce décalage temporel nous donne des passages fort drôles comme celui où la narratrice décrit, sans jamais le nommer ,un édifice et la pratique contemporaine que nous en avons : un musée.
Mais bien sûr, le plus important est le portrait, très nuancé, que nous brosse Margaret Atwood de cette héroïne qui n'est au départ qu'une très jeune femme, peu au fait de la vie, mais qui, suivant les conseils de sa mère, parviendra à s'adapter avec plus ou moins de bonheur à toutes les situations.
Ce n'est pas la première fois qu'Ulysse est montré comme un menteur invétéré dont les aventures sont certainement plus prosaïques et moins glorieuses que celles chantées par Homère , mais Atwood prend beaucoup de plaisir à éclairer , avec efficacité , de nombreux points laissés dans l'ombre et le récit, scandé par le chœur des servantes sacrifiées, prend une dimension symbolique convaincante. Un récit caustique et plein d'humour qui rend Pénélope très proche de nous , sans jamais l'idéaliser. Une grande réussite !
Traduit de l’anglais (canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné.
Préface de Christophe Ono-dit-Biot. Robert Laffont Pavillons Poche 2022
05:55 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : margaret atwood
14/06/2022
l'engravement
"Vous êtes trente ou vingt, parfois dix, peu importe, vous rampez sur l'allée, écrasés, vidés, fautifs, égarés sur le chemin que vous connaissez si bien. Pas de chance, aucun échafaud n'est dressé au bout de l'asphalte. Il y a un parking, un arrêt de bus, une rue que personne ne veut habiter, et votre vie, qui continue. La voilà la sentence : Vivez avec. "
Où se dirige ce troupeau, hétéroclite, mais uni par une même détresse, une même souffrance, un même espoir malmené , vacillant mais entretenu par la proximité des autres ? Il va vers cet endroit où leurs proches sont enfermés parce que leur vie , telle celle des baleines échouées sur les plages, n'a pas su s'adapter au bruit du monde, parce que ce bruit a poussé "leur stress à un paroxysme ingérable".
Ce sont ainsi différents parcours qui se donnent à lire via ce roman choral, entrecoupé par des discours souvent violents, révélant au passage les dysfonctionnements du système de santé. Nous voyons ainsi, par petites touches l'évolution des patients, celle de leurs aidants qui trimballent des sacs puant la pisse ou le sang, mais charriant surtout leurs minuscules victoires et leurs immenses échecs.
L'émotion est toujours là, mais sans voyeurisme et c'est tout un pan, souvent caché, de la société qui se donne à voir dans ce roman d'une force inouïe et bouleversante . Un très grand coup de cœur.
Éditions la Contre-Allée 2022.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : eva kavian
06/06/2022
Les choses sont contre nous
Ami.e.s du tiède, du mou, du consensus, passez votre chemin.Dans ces, je cite ,"essais féministes au vitriol", L'autrice des Lionnes se lance dans des diatribes revigorantes contre , pêle-mêle, la société patriarcale,"Les pistons et les pompes" et autres symboles phalliques, dénigre les romans noirs, analyse en détails "La petite maison dans la prairie", conseille aux filles des "Morning routine" de "sauver les baleines, de planter des arbres, de construire des voies ferrées, de démanteler Guantánamo, de rencontrer des gens ou juste de lire un livre. ", s'en prend aux soutien-gorges, prône la grève du sexe, dézingue Trump avec des formules qu'aucun journaliste n'oserait employer et regrette "L’art perdu du pas-bouger", auquel elle consacre un chapitre entier.
De longues énumérations charrient ses griefs ou ceux à qui elle s'en prend, mais l'humour n'est jamais absent , un humour souvent grinçant, qui ne plaira pas à tout le monde mais qui m'a beaucoup fait sourire. Mettre sur le même plan des dictateurs sanguinaires et les emprunteurs de livres n'est pas donné à tout le monde. Bref, des textes décapants et des points de vue originaux , auxquels on n’adhèrera pas forcément toujours , font de ces essais une lecture hautement stimulante . La traduction de Claro est comme d'habitude juste parfaite.
Et zou, direction l'étagère des indispensables.
Éditions du Seuil 2022.
294 pages
09:50 Publié dans Essai, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : lucy ellmann, claro
16/05/2022
Le pays des phrases courtes
"Personne ne veut savoir comment tu vas, dit-il .Souviens-toi de ça. "
Pièce rapportée, l'héroïne et narratrice de ce roman l'est à plus d'un égard. Son compagnon a été embauché dans une école d'un type particulier , privilégiant les arts, dans une région rurale du Danemark. Enseignants et élèves forment une communauté, quasi une secte aux dire d'une autre pièce rapportée, et si cette appellation est formulée avec humour, il n'en reste pas moins que la narratrice se sent fortement décalée et peine à créer des liens d'amitié avec une population trop laconique à son goût.
Expansive, peinant à obtenir son permis de conduire, jeune mère analysant avec acuité et humour les perturbations engendrées par cette naissance, nous la suivons dans ses tribulations, le tout ponctué par les lettres drolatiques et les réponses hautes en couleurs qu'elle fournit en tant qu'"oracle" dans le journal local, sorte de courrier du cœur, emploi que lui a procuré la directrice de son mari. L'écriture de chansons satiriques lui permet aussi de tenir le coup dans cet univers si étrange à ses yeux.
Le point de vue décalé, fin et plein d'humour, l'écriture alerte et les personnages croqués à ravir font de cette lecture un pur délice. J'ai surligné à tour de bras et j'ai déjà hâte de voir traduit un autre roman de cette autrice .
Éditions Le Bruit du monde 2022.
Traduit du danois par Catherine Renaud.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : stine pilgaard
31/03/2022
La folie de ma mère...en poche
"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "
En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille qu'elle était la seule à ignorer.
On est happé par ce texte pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Seuil 2022Le Nouvel Attila 2020. Points Seuil 2022
De la même autrice : clic
A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle flaten
24/03/2022
#Coupez #NetGalleyFrance !
"Le grand danger quand on cherche des réponses ,c 'est qu'on risque de les trouver. "
Passer presque un quart de siècle en prison pour le meurtre de son amant et recouvrer la liberté à soixante-douze ans dans un monde où " Il lui fallait sans cesse se rappeler que tout le monde s'attendait désormais à ce que tout soit instantané et que le moindre délai représentait un intolérable désagrément , que seul le recours à un téléphone portable pouvait atténuer. " n'est pas aisé. D'autant qu'elle n'a pas su se défendre et lutter contre l'institution juridique.
Un autre personnage qui ne se sent pas à sa place ,c'est Jerry, étudiant en cinéma, d'origine modeste, et fan des films d'horreur de série B. Quittant la résidence universitaire, trop onéreuse et hostile à son goût , il emménage en colocation avec des personnes âgées, dont Millicent.
Avec son fichu caractère , la vieille dame ne lui facilite pas la tâche ,mais découvrir qu'elle officia en tant que maquilleuse experte sur les plateaux des films qu'il adore, dont le fameux Mancipium que personne n'a vu, leur permettra de nouer des liens. Lien qui se resserreront quand Millicent découvrant par hasard un détail qui remet en question toutes ces certitudes quant à son amant se met en tête de renouer avec ses anciens , afin de mettre à jour la vérité.
Le duo improbable commence alors un road trip qui se transformera vite en course poursuite où les morts se multiplient...
Alliant les qualités hétéroclites de ses héros, Brookmyre nous fait découvrir avec gourmandise l'univers des séries B gore, fustigeant au passage notre société contemporaine. L'intrigue est juste parfaite et les 500 pages se tournent toutes seules, alternant passé et présent, multipliant les rebondissements sans jamais forcer le trait.
Un récit haletant, un univers aux antipodes de mes goûts mais que l'auteur rend passionnant, une bonne dose d'humour, souvent noir, des personnages attachants, tels sont les ingrédients d'un roman juste indispensable.
Éditions Métailié 2022, traduit de l’écossais par David Fauquemberg
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christopher brookmyre
14/03/2022
#Cellesquinemeurentpas #NetGalleyFrance !
"Être malade ouvre un espace excessif à la pensée et la pensée excessive fait de la place aux pensées mortifères. Mais j'ai toujours eu plus soif d’expérience que de l'absence de celle-ci, alors si l'expérience de la pensée est la seule que mon corps pouvait me donner au-delà de la douleur, il fallait bien accepter de m'ouvrir à des réflexions folles et morbides. "
Il y a encore quelques années, le mot "cancer" était banni et on lui préférait la périphrase "longue et douloureuse maladie", euphémisme qui fut bientôt attribué à une autre pathologie, le Sida, dans une sinistre gradation de l'horreur.
Le texte d'Anne Boyer est saturé du cancer sous toutes ses formes : politique, médicale, psychologique, sociale, raciale et philosophique.
L'autrice fait de son expérience un vaste exercice de pensée brillante et parfois exigeante, prenant à bras le corps tous les aspects de sa maladie.
Son écriture, très travaillée, sans pour autant qu'elle se regarde écrire, nous fait ressentir au plus intime l'expérience de la douleur . Elle pointe aussi du doigt les ambiguïtés d'un système médical où un traitement peut être plus invalidant qu'efficace, où un médecin peut affirmer qu'il a pratiqué des mastectomies inutiles car il fallait bien qu'il paie ses vacances ; système dans lequel une malade après une opération sous anesthésie générale est quasiment jetée dehors, où elle est sommée de travailler quelle que soit la douleur et l'éreintement ressenti.
On sort de ce roman éprouvant un peu hagard, physiquement mal à l'aise, mais conscient d'avoir lu un texte exceptionnel .
Grasset 2022, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Récit de vie, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : anne boyer