10/03/2021
les Fragiles
"Jérémiade s'était réveillée comme une héroïne de série télé, ravie de fairesociété . Avec des choses à faire, des cheveux bien coiffés, un plan de carrière extraordinaire. même son legging en Lycra respire l'envie d'en découdre. Finies les migraines et la mélancolie poisseuse, finis les pied sur le linoléum, terminée la télécommande imprimée sur le cul à force de s'asseoir dessus. Elle marche d'un pas alerte et sûr."
Depuis cinq ans une épidémie inattendue de suicides sévit. Ceux qui sont désignés sous l'appellation de Fragiles parce qu'ils n'affichent pas le bonheur obligatoire et l'équilibre mental de rigueur sont regardés d'un mauvais œil, ostracisés et remisés, pour leur bien (est-ce si sûr ?) dans des établissements spécialisés dont il est très difficile de sortir.
C'est donc le parcours de Jérémiade la bien nommée que nous propose de suivre dans ce premier roman Maud Robaglia. Parcours qui a tout du calvaire mais qui , par un revirement inattendu ,verra la rédemption de ces Fragiles dont Jérémiade sera la figure emblématique. mais un tel revirement peut-il vraiment se faire dans l'intérêt de ceux dont la société ne peut s'accommoder ?
Noir, d'un humour très noir, allant au bout de sa démonstration, Les Fragiles est un roman politique qui tend un miroir à peine déformant à notre société de la performance.
Éditions du masque 2021, 188 pages d'une autrice à suivre.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : maud robaglia
09/03/2021
Les six fonctions du langage
"Pendant des années , j'ai fait des efforts surhumains pour passer outre ces écarts de langage abjects. Je me disais "Le Français est une matière vivante, il faut t'habituer". Mais c'est au-dessus de mes forces, Bertrand. Je voudrais en finir."
Un étudiant en linguistique, qui, sur la seule foi du titre, ouvrirait cet objet littéraire qui emprunte aux codes du roman-photo pour mieux les détourner, risquerait d'être surpris.
Et pourtant, c'est bien du langage qu'il est question dans ce nouvel opus de l'impératrice du détournement, j'ai nommé Clémentine Mélois.
Avec humour, elle pointe nos tics de langage, nos jargons, nous apprend à draguer avec des mots rares et précieux, (mais attention toute faute de goût serait rédhibitoire !), le tout accompagné de photos tirées de romans photos sud américains des années 60.
On y voit donc un bellâtre blond au visage inexpressif dupliqué tandis qu'il écoute une litanie de mauvaises nouvelles ou bien encore des scène improbables comme cette femme qui étrangle par une clé de bras un homme de petite taille pour le désarmer. Les femmes (et parfois les hommes ) sont maquillés à la truelle, les vêtements sont à l’avenant des attitudes et des mimiques: outranciers.
Hautement réjouissant ce roman-photo est une pure merveille !
06:00 Publié dans l'amour des mots, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clémentine mélois
08/03/2021
Survivre au sexisme ordinaire
"Les féministes ne sont jamais contentes, c'est même à ça qu'on nous reconnaît. A ça et à notre colère (de mochetés velues), nos luttes (de mal baisées hystériques), notre sororité de gouines féminazies)." Marie Sauvion
Venues d'horizon très divers, dix-huit personnalités féministes s'emparent de ces petites phrases que nous avons toutes au moins une fois entendues et qui mettent mal à l'aise. Au choix: "On ne peut plus prendre l'ascenseur avec une femme", "T'as tes règles ou quoi ? ", "C'est un truc de fille", j'en passe et des pires.
Elles nous rabaissent ces phrases, nous cantonnent dans des stéréotypes et y en a marre. Alors chacune des autrices, avec son style personnel, avec colère et/ou humour, de façon argumentée, les dissèque, voire nous propose de quoi riposter quand la sidération devant tant de bêtise crasse nous saisit.
Un pur régal à s'offrir pour 5 euros chez Librio. !
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : eve cambreleng, alizée vincent, klaire fait grr, Élise thiébaut, lauren malka, marie kirschen, pauline harmange, ovidie, kiyémis, amandine dhée, fiona schmidt, camille et justine, mathilde larrère, valérie rey-robert, paul b. preciado, marie sauvion, rebecca amsellem, Élodie shanta
05/03/2021
Un si petit monde
Envisager l'évolution des habitants (ou ex-habitants) d'un groupe scolaire (des instits donc) à partir de la chute du mur de Berlin était attrayant mais peut être parce que je n'avais pas lu le premier volume , L'escapade, je suis restée sur ma faim.
Les personnages m'ont paru à la limite de la caricature, leurs revirements parfois télescopés et le tout distille un ennui poli.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean-philippe blondel
04/03/2021
Je suis une fille sans histoire
"Parce qu'on se raconte tous des histoires, tout le temps. Et on en écoute, lit ou reçoit en permanence aussi. En réalité, nous sommes pétris de mises en récit que nous ne détectons même plus. Nous avançons sur des lignes de textes là où nous croyons voir du réel, là où nous pensons que nous avons les deux pieds bien plantés dans les faits..."
Alice Zeniter a eu envie de nous parler des rouages du récit, de la manière dont ceux-ci nous affectent, de la politique et des discours dominants. ça pourrait être barbant et c'est très joyeux et plein d'entrain car Alice Zeniter se met en ,use aussi bien d'exemple tirés de l'antiquité (La Poétique, d'Aristote, résumée de manière hilarante) que de la pop culture et ne rechigne pas à nous expliquer son humour de niche, ce qui ne nous laisse pas sur le côté de la route.
Elle multiplie les notes (savoureuses) en bas de page et met en scène de manière vivante les auteurs des thèses auxquelles elle se réfère (Ursula le Guin, Baptiste Morizot, entre autres).
Bien évidemment, comme elle le souligne elle-même, une fille sans histoire, ça n'existe pas mais il n'en reste pas moins que peu de films et/ou romans, y compris certains des siens d'ailleurs , ne passent pas le test de Bedchel (qui vérifie si les femmes ont un rôle suffisamment important et ne sont pas réduites à la portion congrue) et restent trop souvent encore " l'histoire d'un mec qui fait des trucs. Et si ça peut inclure viande, une carabine et des lances, c'est mieux...".
Il est donc grand temps d'envisager , comme certain.e.s ont commencé à le faire ,d'autres points de vue que celui du mâle blanc dominant, et même à regarder d'un autre œil la nature et ses habitants.Comme le résume Lucy Ellmann, autrice des Lionnes : "It's time for men to shut up" que Zeniter traduit ainsi: "J'estime qu'en gros il est temps que les hommes ferment leur gueule." Et de nous citer une liste d'une douzaine d'autrices, dont certaines me sont encore inconnues mais plus pour longtemps.
Une centaines de pages revigorantes , Éditions L’Arche 2021
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : alice zeniter
03/03/2021
#35ansdont15avantInternet #NetGalleyFrance
"Ce truc où tout doit être super esthétique, comme s'il y avait une sorte de label qualité: Tant que ça poste , c'est que sa passe."
Nora a maintenant un compagnon, un fils qui entre à l'école , un psy qu’elle essaie de quitter et bien sûr quelques névroses qu’Instagram ne cesse d'exacerber.
Il est toujours agréable de voir comment évolue celle qui se livre avec autant de franchise, avoue ses obsessions, le décalage qu'il y a entre la façon dont les autres nous envisage et dont nous-mêmes nous nous voyons.
Elle passe à la moulinette cette époque (que nous ignorions encore précovid ), sans pour autant se poser en donneuse de leçons, car elle est la première à craquer pour essayer de ressembler à ces femmes qui lui servent de références au fil des années , mais on la sent plus apaisée néanmoins.
En la lisant, j'avais parfois l'impression de découvrir par dessus son épaule l'univers de ma fille dont elle n'est l'aînée que de quelques années. Réjouissant et tendre.
Mazarine 2021
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : nora hamzawi
02/03/2021
#Migrations #NetGalleyFrance

Par amour pour ces oiseaux, Franny Stone parvient à embarquer sur un bateau de pêche et faisant fi de ses convictions écologiques, propose un marché au capitaine du Saghani : les sternes les mèneront aux poissons et elle pourra les suivre dans leur périple.
Commence alors un double voyage : l'un sur mer en compagnie d'un équipage haut en couleurs , l'autre dans le temps qui nous permet de découvrir une héroïne marquée par un passé douloureux, par son amour de la mer et enfin par une irrépressible bougeotte qui la force à quitter ceux qu'elle aime.
Charlotte McConaghy sait nous tenir en haleine, tant dans son récit d'aventure maritime que dans la découverte des failles de son héroïne. On ressent parfaitement aussi son amour de la nature et les craintes que la sixième extinction annoncée génère chez ses personnages, personnages dont elle brosse le portrait avec beaucoup d'empathie. On frôle parfois le pathos mais la conclusion, juste parfaite offre une lueur d'espoir bienvenue. Un roman qui séduira tous les amoureux de la nature.

06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : charlotte mcconaghy
01/03/2021
Vue mer
"Stefan incarne le mouvement, la vie au pas de course, l'activité avant tout. il ne se laisse ni dépasser ni submerger. Aucune paralysie-affective, sentimentale, familiale-, aucune entrave, il gère, il avance. Comme le temps."
Stefan , pour une fois, se tient en retrait et ne démarre ni sa voiture, ni sa journée. Mentalement, ce chef d’entreprise manipule comme des marionnettes ses collaborateurs, prévoyant leurs agissements, leurs réactions face la nouvelle qu'il laisse à son associée le soin de leur annoncer. Une nouvelle qui va bouleverser leur routine bien huilée.
En un peu plus de cent vingt pages, Colombe Boncenne bosse une satire sociale malicieuse, multiplie les références littéraires (Françoise Deprouste, Bart El' Bye) ou plus contemporaines (Maria Quaraie), entrecoupe son récit de poèmes d'ascenseur et observe avec acuité la vie de cette fourmilière d'entreprises modernes regroupées dans une tour.
Elle souligne le formatage des prétendues élites , la vacuité des comportements si prévisibles de chacun des rouages de cette entreprise. Une pirouette finale permettra de dégonfler les egos en beauté.
Zoé 2020.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : colombe boncenne
25/02/2021
Jour de courage...en poche
"Il ne fallait pas être bien malin pour comprendre que depuis quarante minutes, Livio parlait de lui, de sa fragilité, de son impossibilité à trouver sa place, il était visible qu'il avait recherché comment l'homosexualité avait été abordée dans les différentes sociétés au fil des époques, et Arthur avait été le premier à voir venir, à sentir monter en lui une violence qui devenait impossible à contenir."
Qui dans cette classe de lycée avait déjà entendu parler de Magnus Hirschfeld ,ce médecin juif-allemand qui dès le début du XXème siècle avait lutté en Allemagne pour les droits des homosexuels et avait mis en place un institut étudiant la sexologie ? Personne, peut être même pas la prof d'histoire.
Pourtant, Livio, dix-sept ans, volontaire pour prendre en charge un exposé sur les premiers autodafés nazis, va retracer le parcours exceptionnel de cet homme, une manière pour lui de faire comprendre publiquement ce que même sa meilleure amie se refuse à voir.
Un "passage obligé" dont Brigitte Giraud rend compte au plus près, dans ces 156 pages, retraçant non seulement l'exposé et ses digressions, mais aussi les réactions du public du jeune homme. Le corps de l'adolescent est au centre du dispositif, ce grand corps qui trahit la souffrance de Livio qui peine à trouver sa place non seulement au sein de ses pairs, mais surtout au cœur de sa famille, dont l'histoire familiale repose sur ses fragiles épaules.
Un roman intense qui rappelle que , quelle que soit l'époque, "Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes", citation de Heinrich Heine que Livio aurait dû écrire dès son introduction, oubli révélateur du véritable objet de son exposé.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : brigitte giraud
24/02/2021
Manger Bambi
"Bambi prend tout, demande plus, et n'avale jamais rien, met tout soigneusement de côté pour maman, qui a besoin de sommeil et de tranquillité. Tandis qu'elle-même a besoin de lucidité, de force et de courage. La haine, c'est bon, elle a déjà ce qu'il faut."
Bambi a tout du faon aux pattes grêles, l'innocence apparente, la jeunesse (elle a seize ans) et la beauté, mais pas question de jouer les proies. C'est elle qui harponne, sur les sites dédiés aux sugar daddies , ceux qui vont devenir ses proies. Gare à ceux qui pleurnichent et l'énervent ,elle ne supporte pas. Et là, elle peut se déchaîner et devenir complètement guedin. Une Bambi armée d'un Sig Sauer, seul legs paternel, ça peut faire du dégât !
Mais un jour la belle mécanique s'enraye et Bambi va se trouver prise au piège de ses propres mensonges...
Avec une langue drue, rapeuse, empruntée aux jeunes, Caroline de Mulder brosse le portrait d'une adolescente tour à tour violente,mais douce avec sa mère, qui refuse d'être une victime, qui se ment parfois à elle-même mais sait aussi manipuler les autres. Bambi possède une multitude de facettes et l'autrice sait nous la montrer en pleine transformation, se donnant les apparences d'une pauvre petite fille fragile (qu'elle est aussi parfois), se prenant parfois elle-même à ses propres comédies, ou devenant folle de rage. Une chose est sûre: Bambi ne se laissera pas manger par qui que ce soit sans lutter jusqu'au bout..
La tension règne dans ce texte qui ne cède pourtant jamais au piège du voyeurisme. On est chahuté, bouleversé, et on sort un peu groggy de la lecture de ce roman dévoré d'une seule traite.
Gallimard 2021, 199 pages qui pulsent.
06:00 Publié dans Roman belge | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : caroline de mulder