05/09/2017
La maladroite...en poche
"...et je me souviens que je me suis dit, Diana aura quand même eu droit à ce que maman pleure pour elle."
"Quand j'ai vu l’avis de recherche, j'ai su qu'il était trop tard." . Ainsi s'exprime dès la première ligne l'une des institutrices de Diana, celle qui avait donné l'alerte, dressant la liste des meurtrissures, blessures diverses que la petite fille expliquait à chaque fois soigneusement.
Tous ceux qui ont côtoyé Diana, huit ans, ont tenté ou non d'intervenir, prennent ici la parole, à l'exception notable de ses parents, et ces paroles distillent un profond malaise.
En effet, si chacun, professionnel, ou non, sent bien que les récits des parents et celui de Diana concordent trop bien, s'il y a suspicion de maltraitance, la rigidité du cadre institutionnel, le fait que les parents soient "soudés comme les mécanismes d'une machine, et la machine marchait toute seule", sans oublier "le nœud d'énergie, de résistance, dans ce petit corps sur cette chaise", rien ne peut freiner la tragédie qui se met en marche , quasiment dès la naissance de l'enfant.
La grande force du premier roman d'Alexandre Seurat est de ne jamais tomber dans le pathos, de ne jamais accuser qui que ce soit et surtout de donner la parole d'une manière qui sonne très juste à des personnes extrêmement différentes. La situation n'est jamais envisagée de manière sordide, voire méprisante. Tout est dans l'ambiguïté et dans la difficulté que ressentent les différents témoins à poser des mots justes sur une situation qui se dérobe.
On lit ce roman d'une traite, la gorge serrée,car, même si on en devine l'issue, on ne peut s'empêcher d'espérer, et il entre en nous "par petits éclats, comme une multitude d'échardes dans la peau" avant de nous laisser groggy.
à lire et relire, un premier roman qui file droit sur l'étagère des indispensables.
La maladroite, Alexandre Seurat, Éditions du Rouergue 2015
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alexandre seurat
18/08/2016
L'administrateur provisoire
"Il y a sûrement quelque part dans son corps -mais où ? - un endroit où fouiller pour trouver cette parole arrêtée, mais je n'arrive jamais à remonter tout à fait assez haut, tout à fait assez loin dans le corps de mon père pour qu'on parle, ce qui s'appelle parler."
Pourquoi le frère du narrateur, hanté par la Shoah, est-il mort ?Pourquoi leur mère participe-t-elle à des réunions d'amitié judéo-chrétiennes alors que rien ne les relie à la religion juive ? à ces questions, et à bien d'autres, le narrateur entreprend de trouver des réponses.
Aidé d'abord par son oncle, puis par un historien, il découvre que son arrière-grand-père, Raoul H., a occupé, sous Vichy, le poste d'administrateur provisoire. Derrière ces mots,en apparence anodins, se cache une entreprise d'aryanisation collective, de spoliation des entreprises possédées par des personnes juives en France, que Raoul H. a mené sans états d'âme, "dans un style parfaitement neutre, très méthodique , scrupuleux". Une manière de procéder que l'on peut rapprocher de la formule utilisée à l'époque, "éléments juifs",qui ,en réifiant les personnes aseptise et déshumanise. Formule qui sera aussi utilisée par une gardienne du camp,de Bergen-Belsen.
Il règne dans le deuxième roman d'Alexandre Seurat une angoisse diffuse,créée par les non-dits ou le demi-vérités qui circulent dans cette famille bourgeoise aux liens distendus. La mère sème quelques indices , évoquant les romans de Modiano ou le texte d'Alexandre Jardin consacré à son grand-père collaborateur, sans jamais les nommer explicitement, tandis que le narrateur, lui, s'en tient aux faits, s'appuie sur des documents réels, cités dans le roman. Il redonne une identité- même si les noms ont été changés-, une histoire,aux victimes de l'arrière-grand-père. Il remonte à la source du secret de famille, mal qui a gangréné le corps et l'esprit de son frère, le conduisant à la mort et par-là même dévoile tout un pan encore trop mal connu de notre histoire.
Un roman nécessaire.
L'administrateur provisoire ,Alexandre Seurat, Editions du Rouergue 2016.182 pages glaçantes.
06:00 Publié dans Rentrée 2016, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alexandre seurat
19/08/2015
La maladroite
"...et je me souviens que je me suis dit, Diana aura quand même eu droit à ce que maman pleure pour elle."
"Quand j'ai vu l’avis de recherche, j'ai su qu'il était trop tard." . Ainsi s'exprime dès la première ligne l'une des institutrices de Diana, celle qui avait donné l'alerte, dressant la liste des meurtrissures, blessures diverses que la petite fille expliquait à chaque fois soigneusement.
Tous ceux qui ont côtoyé Diana, huit ans, ont tenté ou non d'intervenir, prennent ici la parole, à l'exception notable de ses parents, et ces paroles distillent un profond malaise.
En effet, si chacun, professionnel, ou non, sent bien que les récits des parents et celui de Diana concordent trop bien, s'il y a suspicion de maltraitance, la rigidité du cadre institutionnel, le fait que les parents soient "soudés comme les mécanismes d'une machine, et la machine marchait toute seule", sans oublier "le nœud d'énergie, de résistance, dans ce petit corps sur cette chaise", rien ne peut freiner la tragédie qui se met en marche , quasiment dès la naissance de l'enfant.
La grande force du premier roman d'Alexandre Seurat est de ne jamais tomber dans le pathos, de ne jamais accuser qui que ce soit et surtout de donner la parole d'une manière qui sonne très juste à des personnes extrêmement différentes. La situation n'est jamais envisagée de manière sordide, voire méprisante. Tout est dans l'ambiguïté et dans la difficulté que ressentent les différents témoins à poser des mots justes sur une situation qui se dérobe.
On lit ce roman d'une traite, la gorge serrée,car, même si on en devine l'issue, on ne peut s'empêcher d'espérer, et il entre en nous "par petits éclats, comme une multitude d'échardes dans la peau" avant de nous laisser groggy.
à lire et relire, un premier roman qui file droit sur l'étagère des indispensables.
La maladroite, Alexandre Seurat, Éditions du Rouergue 2015, 122 pages qui résonnent longtemps en nous.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : alexandre seurat