09/11/2010
Signé Romain
"Ton absence rend triste et méchant."
Triste et méchant, Romain ? Oui, au début de cette correspondance qui court du 30 juillet, au 17 août 2009 (une lettre par jour), on devine la colère animant cette main qui doit griffer le papier, ce tout jeune homme qui ne supporte pas que sa mère soit partie loin de lui, pour son travail certes, mais aussi pour rejoindre un homme que Romain ne supporte évidemment pas.
Relation qu'on devine fusionnelle donc entre la mère et le fils ,en l'absence d'un père qui ne sera évoqué qu'à la toute fin de ce roman épistolaire, dévoilant par la même occasion un secret de famille.
Alors s'il nous hérisse quelque peu ce Romain , on le voit peu à peu s'adoucir, se calmer passant de la formule d'appel "Maman ? " (dérangeant et violent ce point d'interrogation que l'on retrouve aussi dans sa signature "Ton fils ? " !) à des appellations beaucoup plus tendres.
Le portrait de la vie familiale chez ses grands-parents avec en particulier le débarquement de la famille parfaite est d'une drôlerie extrême, oscillant entre causticité et tendresse rugueuse. Un magnifique portrait, une écriture pleine de rage et d'amour aussi et un magnifique hommage à la littérature car, avant de partir la mère a confié à son fils" "le suc de [ses] plus belles lectures d adolescente" , soit onze livres, ce qui vaudra à Romain, une belle colère mais aussi de superbes découvertes. Un roman qui dit la nécessité de laisser à l'autre son espace, sans pour autant oublier l'amour, un roman initiatique où le personnage est statique dans l'espace mais évolue grâce à l'écriture , à la lecture mais aussi en s'ouvrant aux autres. Magnifique !
Signé Romain, Catherine Gualtiéro, Ecole des Loisirs 2010, 86 pages pleines d'énergie.
Liste ci-dessous !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : catherine gualtiéro, adolescence
Onze livres en tout. (Livres lus par Romain dans "Signé Romain")
- Lettres à un jeune poète, Rilke
- Brûlant secret, Stefan Zweig
- La confession d'un enfant du siècle, Musset
- Gros Câlin, Romain Gary
- L'enfant bleu, Henri Bauchau
- Le jour des corneilles*, Jean-françois Beauchemin
- Si on les tuait ?, Annie Saumont
- La bouche pleine de terre, Branimir Scepanovic
- Bic et autres shorts, Vitaliano Trevisan
- Sous le soleil jaguar, Italo Calvino
- Désordre au paradis, Gabrielle Vincent
*"Parnoir,enjambe ta culotte et suis-moi !"
Le père, sorte de Géant rabelaisien, la bonhommie en moins, lit dans les étoiles, tandis que le fils voit sans souci particulier les trépassés évoluer autour de lui. Parmi ces derniers, sa mère, morte lors de sa mise au monde.
Le père rudoie le fils qui supporte sans broncher les crises de folie paternelles, espérant toujours recevoir une preuve d'amour, cet amour dont il est assoiffé.
En 150 pages, Beauchemin crée des personnages inoubliables,un univers dense et rude où la vie et la mort se mélangent sans cesse. En effet, pour le premier repas de son fils, le père lui donne du lait provenant d'un cadavre de hérisson femelle."Ce fut ma première pitance sur le domaine de la Terre : le lait d'une bête morte achevée par Père. Ce fut par même occasion ma première rencontre véritable avec la mort, véritable en ce que j'en fus pénétré, puis nourri. Toute ma vie , cela devait me rester inscrit au ventre: par là le trépas avait tracé sa sente en ma personne; comme mots se formant et s'alignant sur la page."
Cette puissance des mots est en outre annoncée prophétiquement par le père : "J'y lorgne qu'un jour viendra où, par quelque diablerie, tu seras comme instruit de mots, et qu'alors lumière t'apparaîtront."La tragédie n'a plus qu'à se mettre en marche car "C'est analphabétisme[...]bien plus désolant encore que celui de ne pouvoir lire en nos semblables humains. "
Vous qui aimez les mots, les mots anciens, les mots qui roulent comme des cailloux, précipitez-vous sur Le jour des corneilles , de Jean-François Beauchemin !
05:55 Publié dans Extraits | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : catherine gualtiéro