Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/08/2023

Pauvre folle

"Mise en joue par son père, pupilles dans les pupilles, fusil de chasse pointé. Une longue hésitation,  puis elle fut épargnée,  rien sur le plan physique. Mais d'un point de vue psychique, la balle est bien partie. C 'est le dedans de la tête qui a été touché,  le dedans qui a explosé , sur les parois de son crâne,  il y en avait partout .Des bouts du Moi de Clotilde qui s’appelait encore Valérie. "

Le temps d'un voyage en train (direction Heidelberg), Clotilde extrait de son crâne, sous forme de gouttelettes aux formes et textures variées, des souvenirs qui, espère-t-elle lui permettront de comprendre pourquoi il y a dix ans elle est tombée amoureuse  d'un gay, Guillaume. chloé delaume
Tous deux s'étaient créé, grâce aux mots ,un univers parallèle, où leurs identité fusionnaient. Depuis dix-sept mois, Guillaume a fait sa réapparition, et bien que ses ami.e.s ne cessent de lui dire qu'elle est dans le déni et que Guillaume ne quittera jamais son amoureux, Clotilde s'obstine.
Clotilde/Chloé prend à bras le corps le fil de sa vie , du premier choc esthétique grâce à la poésie , en passant par le féminicide de sa mère ,sa bipolarité,  évoque sans honte  (et avec humour) son passé de pute pour masochistes (souvent très fatiguant physiquement) et embarque le lecteur dans ce voyage chatoyant mais sans pathos.
Elle nous régale aussi avec sa "petite typologie du mâle hétérosexuel post # Me Too" car Clotilde est bien sûr féministe et n'hésite pas à tacler au passage le milieu du cinéma auquel appartient Guillaume. J'ai parfois pensé en la lisant à une autrice oubliée, Muriel Cerf, tant on sent que Chloé Delaume se régale à jouer avec les mots et à se bâtir , grâce à eux, un univers plus coloré, plus riche de sensations. D'aucuns y verront peut être du nombrilisme, mais j'ai été emportée par ce roman qui se joue de la bien-pensance.

 

Le Seuil 2023;

 

04/09/2021

Le coeur synthétique... en poche.

"Adélaïde trouve que la campagne , ça a la bande-son d'un décès."

En 2006, Benoite Groult, qui avait largement dépassé les 80  ans, se plaignait que vieillir c'était devenir invisible. De nos jours, Adélaïde, quarante-six ans, qui vient de rompre, découvre avec effroi "l'invisibilité de la femme de cinquante ans avec un peu d'avance.". Pis, elle constate la cruauté des statistiques : il y a bien plus de femmes célibataires que d'hommes et ceux qui le sont ont presque tous un "vice de forme", dixit 'l'une de ses amies.chloé delaume
Car oui, Adélaïde a des amies, elles-mêmes en crise existentielle et, sororité oblige, elles vont  s’entraider.
Commencé sous les auspices de Virginia Woolf (le premier chapitre est en effet intitulé "Une chambre à soi"), le roman de Chloé Delaume se clôt sous ceux de Monique Wittig et de ses "Guerillères". Entre temps, nous aurons eu droit à une série de titres de chansons, très éclectiques, allant de Bashung à Juliette Armanet en passant par Sylvie Vartan, voire Herbert Léonard.
Car oui, on peut être féministe et drôle et l'autrice s'en donne à cœur joie dans ce texte qui nous introduit dans les coulisses du monde littéraire où Adélaïde officie en tant qu'attaché de presse et chapeaute une autrice qui lui ressemble furieusement.
Pratiquant l'autodérision, mais dénonçant aussi les diktats auxquels doivent se conformer les autrices, tant dans leur comportement que dans leur aspect physique, Chloé Delaume signe ici un roman à la fois enjoué et lucide qu'on ne peut lâcher.

En couverture une photographie d'Annette Messager.

Un passage que j'adore: "Il est vingt-deux heures trente, le spectacle reprend. le poète ne fait pas de rimes mais dit la vérité. 4 millions de Français sont ou ont été  victimes d'inceste, on estime actuellement que deux enfants par classe endurent ce crime en huis-clos. Attendu que Clotilde a durant sa performance rappelé qu'en France un féminicide est commis tous les deux jours et une agression homophobe tous les trois jours, le public passe une bonne soirée."

J'en profite pour signaler aussi le très réussi Sororité, sous la direction de la même autrice , paru en poche chez Points Seuil également.
Un recueil de textes aux autrices remarquables, chacune ayant leur point de vue sur ce concept remis en lumière.chloé delaume

22/11/2019

Les sorcières de la littérature

"Angela arrose ses rosiers lorsqu'une poupée vêtue d'une houppelande écarlate fait irruption dans son jardin. Encore une, c’est pas vrai ! Angela lève les yeux au ciel. elle saisit on poignard et frappe la poupée en plein cœur." (extrait de la présentation d'Angela Carter)

Ouvrez vite ce grimoire qui dévoile la magie de 30 femmes écrivaines, poétesses minimalistes ou incandescentes, autrices de science-fiction, de fictions horrifiques, d'hier ou d'aujourd'hui.
Venues des quatre coins du monde, connues ou non, injustement oubliées ou pas, il convient de se précipiter sur ce livre pour célébrer leur force créatrice, leur volonté de briser les carcans de la société, par le truchement de leurs mots.taisia kitaiskaia,katy horan,chloé delaume,cécile roche
Une définition vigoureuse les présente en quelques mots, dégageant les thèmes de leurs œuvres. Ainsi de Sylvia Plath : Furie de la maternité, du mariage et de la lune ; formules tour à tour évocatrices et énigmatiques qui donnent envie de découvrir les autrices qui nous sont encore inconnues : Sibylle aux multiples visages , aux ovules célestes et aux fantasmes tordus (Yumiko Kurahashi).
Taisia Kitaiskaia se charge ensuite de présenter la biographie de chacune d'entre elles et de nous livrer une liste de lectures recommandées (de quoi faire grandir nos Piles à Lire...), textes que Katy Horan illustre d'un portrait en couleur de chacune  de ces sorcières de la littérature. Une préface de Chloé Delaume complète le tout.
Voilà donc tous les ingrédients d'un livre enthousiasmant qui file directement sur l'étagère des indispensables et qui devrait se trouver au pied de chaque sapin de sorcière .

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Roche, Autrement 2019

02/07/2012

J'habite dans la télévision

"ça n'a rien de plaisant, de glamour, ni de drôle. pour personne, ni pour moi. Mais quoi qu'il puisse en ressortir, quoi que ça puisse donner comme trace, je sais qu'il se passe quelque chose en moi, pour de vrai Quelque chose comme mon crâne qui se remplit tous les jours d'oiseaux morts qui n'y étaient nullement avant que ça commence. Quelque chose comme une forme de réalité imposée depuis longtemps à des millions de personnes. ça ne sert peut être à rien , mais je dois persévérer. ressentir mon cerveau qui devient disponible, neurone à neurone disponible, je sais que ça n'a pas de sens pour beaucoup et pour vous. C'est juste un témoignage éperdu comme tant d'autres, sans valur ni effet. Mais c'est un  petit bout de vie ébranlée par une phrase* en juillet 2004, qui a voulu comprendre comment on la mangeait"

* Ce que nous vendons à Coca Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible, phrase prononcée par Patrick Le Lay,PDG de TF1. Cette phrase sera le point de départ d'une expérience menée par la romancière Chloé Delaume. 22 mois durant , toute la journée, elle s'est soumise au flux de chloé delaumemessages publicitaires, de programmes de téléréalité, enregistrant ses mutations corporelles et celles de son cerveau. Ce pourrait être uniquement une tentative sociologique, voire scientifique, mais c'est surtout une expérience sur le langage comme le montre l'extrait ci-dessus.
Le vocabulaire, très précis, n'est pas toujours facile, les ruptures de tons sont fréquentes et le lecteur se perd parfois en chemin mais cela n'en reste pas moins un texte qui fait réagir et s'interroger , tant par le thème que par l'écriture. Un texte qui m'a donné envie de poursuivre ma découverte de cette auteure.chloé delaume

Merci Sébastien pour le prêt !