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Rechercher : l'apparence du vivant

Affûtez vos dictionnaires !

Tel est le conseil du professeur Rollin (François de son prénom) dans Les grands mots du professeur Rollin.
Fondateurdu Centre de Sauvetage des Mots en voie de Disparition (ne pasconfondre avec le CECAMPI, Centre Européen de  Conservation etd'Assistance aux Mots Passablement Inutiles, vous le vexeriez!), où lesmots sont conservés à la température idéale de 12 °C. Même si lepersonnel se limite à la personne de son fondateur, celui -ci comptaitsur les auditeurs de France Culture et dorénavant sur les lecteurs decet ouvrage car "Chaque fois que je vous exhorte à  sauver un motmenacé d'extinction , vous l'ajoutez,s'il n'y figurait pas , à votrevocabulaire, et vous le promouvez dans vos biotopes respectifs au prixd'efforts considérables".41E5lDXK3QL
En bon pédagogue, afin de faciliter lacompréhension de termes parfois rébarbatifs, le  professeur Rollinnous fait profiter d'une saynète mettant en scène un couple récurrent:Simone et son époux,dont nous découvrirons au fur et à mesure les nombreux amis . ce couple charmant ,jusqu'aux deux tiers de l'ouvrage,a pour coutume ,afin de clore le débat ,de terminer par une formulerituelle "Embrasse-moi",formule qui comporte quelques variantes,dontcelle-ci que j'ai testée pour vous : "Embrasse-moi, vieux hérisson !".*
Vousl'aurez compris,il ne s'agit pas  seulement de sauver des motsd'une manière scolaire mais de les mettre en  scène  avecverve  et d'enprofiter pour s'amuser avec eux ! les mots deviennent vivants,ils essaient pour certains de  forcer le passage, l'auteur ne nouscache pas ses préférences ou ses rejets, bref on n'est pas  icipour s'ennuyer car le style est coruscant (brillant,quoi !).
Missionaccomplie, cher professeur, je vais sans barguigner** tester certainesformules auprès de mes élèves, et en particulier celle-ci :"Laissez-loi donc cheminer vers l'ataraxie***", ce qui aura au moins lemérite de leur couper le sifflet ou les  incitera à me dénoncer àl'administration sous prétexte que j'aurais pêté un câble...
99 mots à  savourer en attendant la sortie des Belles lettres du professeur Rollin (en octobre).

* L'Homme  et moi aimons les hérissons et n'hésitons d'ailleurspas à leur faire traverser la route à l'occasion, l'homme ne s'est donc pasvexé et a obtempéré.

**barguigner : marchander, puis par extension,hésiter, mettre du temps à prendre une décision.

***ataraxie: tranquillité de  l'âme.

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”j'ai un emploi du temps assez restreint le matin, je dors.”

Ouvrir Tout le monde est infidèle c'est se faufiler discrètement dans la pièce où eurent lieu les  entretiens entre Françoise Sagan et André Halimi, entendre leurs voix si caractéristiques ,comme s 'ils étaient là à deux pas de nous...
Juste une centaine de pages, qui patinent un peu au démarrage le temps  que  chacun trouve ses marques mais qui ensuite pétillent  et nous livrent un portrait souriant de l'auteur de  Bonjour tristesse.
Rien qu'une centaine de pages mais si denses, si riches,  qu'arrivé à la  fin, on se trouve tout bête et tout déçu de ne pas en avoir plus.51DQdUyCqSL._SL500_AA240_.jpg
Sagan qui tient beaucoup à  sa réputation de dilettante, par souci  de ne pas casser  les pieds comme tous ces gens  qui parlent  si sérieusement  de  leur travail, Sagan qui surprend  en affirmant : "Oh moi, dès que je vais à la campagne  après Paris au printemps, je me  roule dans le foin et j'ai l'air  d'une  imbécile, je me jette dans la  prairie, je  respire l'herbe, je fais l'idiote...Ridicule...  Il faut dire, il va falloir  que   j'arrête avec l'âge venant ! " ce qui nous la  rend d'autant plus sympathique, et juste après ajoute:  "Je n'aime pas tellement l'eau, ce n'est pas mon élément(...) je ne suis pas quelqu'un à  eau, d'aucune manière (rires)."
Légère et drôle donc, mais aussi très consciente de ses capacités :Dostoïevsky, Proust "...eux ont du génie, moi j'ai du talent voilà!", se reconnaissant douée pour l'écriture mais ne pensant pas "arriver à cette force de percussion", sans doute car "En fait, il faut être ,je crois,  très malheureux pour écrire. Je  ne suis pas  quelqu'un de malheureux, la  vie m'amuse  trop." Néanmoins , l'entretien se clôt sur une note mélancolique, à la fois drôle est désespérée, à l'image de Françoise Sagan.
Un texte charmant ( au sens propre du terme) qui éclaire  d'une manière très intéressante celle qui  est de nouveau sous les feux de l'actualité après avoir fait la une des journaux de son vivant.

Tout le monde est infidèle. Françoise Sagan. Entretiens avec André Halimi. Le Cherche Midi.

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Légende d'un dormeur éveillé

"Un Surréaliste ce serait précieux pour éclairer les chemins de l'inconscient. Et puis Robert, tu as cette qualité précieuse d'exprimer les choses les plus complexes avec des mots simples, de rester ludique même quand tu es grave. Tu n'es jamais élitiste ni ennuyeux. Vraiment, je trouve que vous êtes faits pour travailler ensemble !"

De Robert Desnos, chacun a en mémoire quelques vers , mis en musique ou non, jouant avec les sons, les images, pleins de fantaisie (Une fourmi de dix-huit mètres... Ce sont les mères des hiboux...). Une photographie  vient peut être aussi à l'esprit, celle d'un "dormeur éveillé". Amours malheureuses, Surréalisme, Résistance composent  les autres morceaux du puzzle, sans oublier sa mort du typhus juste après la libération du camp de concentration où s'achevait son parcours de déporté.gaêlle nohant,robert desnos
Avec sa Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant nous propose un roman qui se fixe pour objectif  de "rejoindre la vérité par le biais de la fiction, ou en tout cas une vérité possible". Objectif pleinement atteint par ce texte foisonnant de vie, de sentiments, d'énergie, qui fait revivre de manière extrêmement vivante le Paris des années folles à l'occupation et l'existence de cet homme protéiforme.
Et de l'énergie il en fallait pour suivre le parcours de cet homme tour à tour et simultanément, poète critique, inventeur de slogans publicitaires, chroniqueur radio, porté par une telle exigence de liberté qu'il s'engagea dans la Résistance sans tarder. Ayant le coup de poing facile, ne craignant pas les inimitiés, mais extrêmement fidèle en amour comme en amitié, Roberts Desnos se révèle extrêmement attachant et sensible.
Émaillant  judicieusement son texte d'extraits de poèmes, dûment référencés à la fin des 521 pages, l'auteure ,dans la dernière partie du livre, la plus poignante, se glisse aussi à la place de Youki, la femme aimée. Sous la forme d'un journal intime, elle  retrace la toute dernière partie de la vie de l'auteur de Corps et Biens, une partie qui nous laisse la gorge serrée.

Un très grand coup de cœur, tant du point de vue de l'écriture, parfois lyrique, parfois plus intimiste mais toujours très prenante, que du point de vue romanesque. On ne s’ennuie pas une minute et on dévore d'une seule traite ce pavé addictif ! Vous voilà prévenu(e)s .

Et zou, sur l'étagère des indispensables !

Il est temps maintenant de se (re)plonger dans l’œuvre de Robert Desnos !

Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.

Légende du dormeur éveillé, Gaëlle Nohant, Éditions Héloïse d'Ormesson 2017.

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Une vie après l'autre

"Elle n'avait encore jamais préféré la mort à la vie et au moment de partir comprit que quelque chose s’était fêlé, cassé et que l'ordre des choses avait changé. Puis les ténèbres abolirent toute pensée."

Même si Une vie après l'autre commence par l'assassinat d'Hitler par Ursula, l’héroïne qui est abattue juste après, nous n'avons pas affaire ici à une uchronie.
D'ailleurs Ursula ("petite oursonne", comme l'appelle tendrement son père) naîtra plusieurs fois en février 1910 et mourra tout autant, explorant ainsi le champ des possibles de la narration et du romanesque. On pourrait craindre le côté mécanique du procédé mais le lecteur est vite rassuré: l'écriture, tour à tour enjouée et émouvante de Kate Atkinson et son art du récit ont vite fait de nous ferrer et on ne peut plus lâcher ce roman so british, dans son humour vachard "-Elle lui est reconnaissante, je pense. Il lui a donné le Surrey. Un court de tennis, des amis ministres et du rosbif à gogo. Ils reçoivent énormément-tout le gratin. Certaines femmes seraient prêtes à souffrir pour ça. Même à supporter Maurice." et l'attitude bien trempée de ses personnages !kate atkinson for ever !
Et si  tel personnage avait survécu, et si tel autre avait eu un enfant que serait-il arrivé ?, se demande -t-on parfois à la lecture d'un roman. Kate Atkinson  répond à ses questions pour nous et se penche avec une précision extrêmement vivante sur la vie quotidienne des civils en Allemagne (un sommet d'émotion) et en Grande Bretagne (à Londres ,en particulier ,pendant les bombardements) , pendant la Seconde Guerre mondiale.
On suit avec passion les péripéties de la famille Todd (un ancien mot pour désigner le renard), de l'enfance à l’âge adulte. Des personnages aux caractères bien marqués qui nous deviennent familiers en un rien de temps. Sympathiques ou non, sages ou excentriques, il y en a pour tous les goûts !
Un roman tour à tour champêtre ou urbain,paisible ou menaçant,  traversé par des renards ,des chiens, des bébés qui "sentaient bon le lait, le talc et le grand air où leurs vêtements avaient séché tandis qu'Emil avait un léger goût de fumet.", des enfants élevés pour affronter la dureté du monde par des adultes aimants mais frôlant parfois la négligence, selon nos critères actuels !
Impressions de déjà-vu, rêves éveillés, réincarnations, toutes les explications sont envisagées pour expliquer cette propension d'Ursula à vivre des événements de différentes façons. Elles sont surtout l'occasion , pour Kate Atkinson, de revenir sur le thème de la temporalité, déjà exploré dans ses précédents romans, Dans les replis du temps et Dans  les coulisses du musée et de nous proposer sa propre explication.
 Un roman enthousiasmant autant par son style , sa construction  que par les thèmes explorés.Une forêt de marque-pages ! Et zou sur l'étagère des indispensables !

515 pages traduites avec élégance par  Isabelle Caron, une couverture identique à l’originale (on me permettra de préférer la  couverture de l'édition de poche anglaise...).kate atkinson for ever !

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Dictionnaire des mots manquants

"Il manque le mot pour dire qu'on manque de mots."

(Isabelle Minière)

D'autres dictionnaires, à vocation souvent humoristiques, cf Le Baleinié , s'était déjà penché sur le problème: l'insuffisance de notre langue pour désigner certaines situations. Ici ce sont des écrivains et écrivaines qui évoquent les problèmes qu'ils ont rencontré au cours de leur travail. Certaines nuances de sentiments (en particulier, l'amour), des problèmes de sensations ou d'identité sont ainsi analysés. D'aucuns ont choisi le prisme de la fiction, d'autres celui de la réflexion pied à pied et, au début de chaque entrée de ce dictionnaire, permettant de situer le mot manquant il y a une triangulation , façon géolocalisation.belinda cannone,christian doumet
Au gré de ses humeurs ou de ses affinités, chacun pourra ainsi butiner d’entrée en entrée et faire son miel de ce Dictionnaire des mots manquants , découvrant au passage de nouveaux auteurs et autrices.
J'ai particulièrement été touchée par le texte d’Isabelle Minière autour du manque de mots en cas de mauvaises nouvelles: "C'est sa place pas la nôtre. C'est lui, c'est elle, qui vit cet événement-là, cette perte, ce chagrin, cette tristesse, et parfois ce désespoir.
Il manque un mot qui dise qu'on manque de mots.
Un mot qui dise: "Je suis là, je suis avec toi, tu peux compter sur moi mais je ne sais pas bien le dire parce que je suis bouleversé(e). Ce serait un mot naïf, simple et profond.[...]
On aurait envie de s'essuyer les yeux en entendant ce mot-là."
Le texte de Brina Svit sonne lui aussi très juste, qui traite d'une certaine inversion des relations,quand c'est la mère qui a besoin de se faire "houspiller" par sa fille: "Il n'y que sa fille qui puisse la sermonner de la sorte, avec ce mélange de ton  réprobateur et bienveillant à la fois: c'est le prolongement de leur histoire, un changement provisoire et bénéfique des rôles."
Quant à Pia Petersen, née au Danemark, vivant et écrivant en français, elle traque le mot permettant de définir sa situation spécifique d'écrivaine non francophone et célèbre simultanément la quête même car  "Quand il n'y aura plus rien à chercher parce qu'on saura tout précisément , que se passera-t-il ? "

Dictionnaire des mots manquants, dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet, éditions Thierry Marchaisse, 211 pages inspirantes.

Je mangeais tranquillement ici quand il m'a tendu les bras !

AUTEURS: Élisabeth BARILLÉ , Pierre BERGOUNIOUX, Stéphane BOUQUET, Belinda CANNONE, Pierre CLEITMAN, Pascal COMMÈRE, François DEBLUË, Michel DEGUY, Jean-Michel DELACOMPTÉE, Gérard DESSONS, Jean-Philippe DOMECQ, Max DORRA, Christian DOUMET, Anne DUFOURMANTELLE, Renaud EGO, Denis GROZDANOVITCH, Jacques JOUET, Pierre JOURDE, Cécile LADJALI, Pierre LAFARGUE, Frank LANOT, Alain LEYGONIE, Diane de MARGERIE, Jean-Pierre MARTIN, Isabelle MINIÈRE, Dominique NOGUEZ, Gilles ORTLIEB, Véronique OVALDÉ, Alexis PELLETIER, Pia PETERSEN, Didier POURQUERY, Philippe RAYMOND-THIMONGA, Henri RAYNAL, Philippe RENONÇAY, Jean ROUAUD, James SACRÉ, Marlène SOREDA, Morgan SPORTES, Brina SVIT, François TAILLANDIER, Claire TENCIN, Gérard TITUS-CARMEL, Patrick TUDORET, Julie WOLKENSTEIN.

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Femme au foyer

"Je ne suis rien qu'une série de mauvais choix mal mis en œuvre. C'était une accusation à laquelle elle ne pouvait rien objecter."

Expatriée en Suisse alémanique, "Anna était une bonne épouse, dans l'ensemble." La première phrase du roman  porte déjà cette restriction, cette fêlure et cette opacité qui caractérisent le personnage de cette américaine ayant épousé un Suisse, vivant avec leurs trois  jeunes enfants à l'ombre d'une église qu'elle ne fréquente pas; Femme au foyer , comme un écho "des 3K"( Kinder, Küche und Kirche, que l'on traduit en français par « enfants, cuisine et église », représentation des valeurs traditionnelles dévolues aux femmes durant le IIIème Reich).  jill alexander essbaum
Et pourtant comme le lui fait remarquer le Dr  Messerli :"Un femme moderne n'est pas obligée de mener une vie aussi étriquée.Une femme moderne n'est pas obligée d’être aussi malheureuse.[...] Anna se sentit rabrouée mais ne répliqua pas."
Ayant fait des études d'économie domestique, qu'elle ne semble guère mettre à profit, Anna trompe son ennui et son malaise en consultant une psychiatre, en suivant des cours d'allemand, et en ayant des relations sexuelles extraconjugales non dénuées de plaisir, mais de toute volonté de sa part ,ou presque.
Elle évolue dans un périmètre très limité, tant dans l'espace que dans la langue, que malgré les années, elle ne maîtrise toujours pas. Anna semble subir et s’interdire toute vérité, toute autonomie.
Placé sous les auspices de ses sœurs en littérature, Emma Bovary et Anna Karénine, le personnage central du roman de Jill Alexander Essbaum ne peut aller que vers la tragédie, programmée dès la première page.
Alors oui Anna pourra sembler agaçante à certains, mais tous les thèmes abordés, la langue poétique et évocatrice de l'auteure, l'opacité  des personnages et le malaise diffus qui se dégage de ce texte m'ont séduite au plus haut point !
Et aux pages cornées par Cuné (que je remercie très chaleureusement) s'est ajoutée une flopée de marque-pages (jamais aux mêmes endroits !)

Et zou sur l'étagère des indispensables !  Mais attention c'est le genre de roman qu'on adore ou qu'on déteste !

Femme au foyer, Jill Alexander Essbaum, traduit de l’anglais  (E-U) par Françoise Du Sorbier, je confirme tout le bien que dit d'elle Cuné ! Albin Michel 205, 384 pages fascinantes.

L'avis de Clara.

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Une vie après l'autre...en poche

"Elle n'avait encore jamais préféré la mort à la vie et au moment de partir comprit que quelque chose s’était fêlé, cassé et que l'ordre des choses avait changé. Puis les ténèbres abolirent toute pensée."

Même si Une vie après l'autre commence par l'assassinat d'Hitler par Ursula, l’héroïne qui est abattue juste après, nous n'avons pas affaire ici à une uchronie.
D'ailleurs Ursula ("petite oursonne", comme l'appelle tendrement son père) naîtra plusieurs fois en février 1910 et mourra tout autant, explorant ainsi le champ des possibles de la narration et du romanesque. On pourrait craindre le côté mécanique du procédé mais le lecteur est vite rassuré: l'écriture, tour à tour enjouée et émouvante de Kate Atkinson et son art du récit ont vite fait de nous ferrer et on ne peut plus lâcher ce roman so british, dans son humour vachard "-Elle lui est reconnaissante, je pense. Il lui a donné le Surrey. Un court de tennis, des amis ministres et du rosbif à gogo. Ils reçoivent énormément-tout le gratin. Certaines femmes seraient prêtes à souffrir pour ça. Même à supporter Maurice." et l'attitude bien trempée de ses personnages !kate atkinson for ever !
Et si  tel personnage avait survécu, et si tel autre avait eu un enfant que serait-il arrivé ?, se demande -t-on parfois à la lecture d'un roman. Kate Atkinson  répond à ses questions pour nous et se penche avec une précision extrêmement vivante sur la vie quotidienne des civils en Allemagne (un sommet d'émotion) et en Grande Bretagne (à Londres ,en particulier ,pendant les bombardements) , pendant la Seconde Guerre mondiale.
On suit avec passion les péripéties de la famille Todd (un ancien mot pour désigner le renard), de l'enfance à l’âge adulte. Des personnages aux caractères bien marqués qui nous deviennent familiers en un rien de temps. Sympathiques ou non, sages ou excentriques, il y en a pour tous les goûts !
Un roman tour à tour champêtre ou urbain,paisible ou menaçant,  traversé par des renards ,des chiens, des bébés qui "sentaient bon le lait, le talc et le grand air où leurs vêtements avaient séché tandis qu'Emil avait un léger goût de fumet.", des enfants élevés pour affronter la dureté du monde par des adultes aimants mais frôlant parfois la négligence, selon nos critères actuels !
Impressions de déjà-vu, rêves éveillés, réincarnations, toutes les explications sont envisagées pour expliquer cette propension d'Ursula à vivre des événements de différentes façons. Elles sont surtout l'occasion , pour Kate Atkinson, de revenir sur le thème de la temporalité, déjà exploré dans ses précédents romans, Dans les replis du temps et Dans  les coulisses du musée et de nous proposer sa propre explication.
 Un roman enthousiasmant autant par son style , sa construction  que par les thèmes explorés.Une forêt de marque-pages ! Et zou sur l'étagère des indispensables !

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La vie effaçant toutes choses

"Je marche sous le joug d'une sacoche de dix kilos que j'appelle mon kit de survie, j'apprends que j'ai peur des baleines mortes et je ne sais pas qui je suis.Et je ne sais pas si je l'apprendrai ici.Mais je sens que si je me laisse porter par les fanfares de la Renaissance, par la tempête et les corps de baleines, j'accèderai à une part de moi que je ne me rappelle pas avoir jamais approchée."

Neuf femmes, d'âges,de milieux différents, mais toutes dans un moment de fragilité, fragilité qu'il leur faudra accepter, et surtout dans une volonté de se débarrasser de "l'échiquier social" qui leur a imparti un rôle -carcan. Signe de ce malaise à la fois psychique et physique, les cauchemars morbides (décrits de manière très réaliste) dont beaucoup d'entre elles souffrent.fanny chiarello
Fanny Chiarello scrute ici avec une attention sans faille les micro-fonctionnements de nos relations avec les autres, en soulignant la violence cachée: "Il y a violence à feindre de ne pas percevoir le spectre lumineux d'un être vivant, même si l'on feint pour le laisser croire qu'il dispose d'une forme d'intimité, là, entre sa valise et le couloir du TER, même si l'on feint pour le laisser détendre ses épaules sans témoin."
Elle décrit aussi avec une précision poétique les paysages dévastés des bords de voies de chemins de fer, les petites villes côtières, les chambres d'hôtels modestes, tous ces lieux que nous traversons sans leur accorder plus qu'un regard distrait, mais qui en disent long sur notre humanité.
Roman ou nouvelles ? L’éditeur ne tranche pas. Disons qu 'il s'agit de neuf récits qui s'interpénètrent par le biais de personnages récurrents, qu'ils soient principaux ou non, une SDF, Rita , étant un peu le fil rouge que l'on va retrouver dans chacun de ces textes, simple silhouette ou actrice à part entière, interagissant avec les autres héroïnes.
Autre lien : la musique, qu'elle intervienne par le biais d'orchestres, d'une artiste ou d'une station de radio dont certains animateurs ou animatrices joueront aussi un rôle au sein de ce dispositif narratif.
Certaines métaphores servent aussi de leitmotiv, comme autant de cailloux que l'auteure sème à l'attention du lecteur.
Un roman puissant, tant par la forme que par le fond .
L'écriture de Fanny Chiarello, précise, vive, donne chair à ces neuf femmes, parfois rugueuses, nous les rend attachantes, sensibles et presque sœurs. Un grand coup de cœur ! Et zou sur l’étagère des indispensables.

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La maison en chantier, éloge du plâtre, de la poussière et du pot de peinture

Allez savoir pourquoi le mot "éloge" (malgré  de nombreuses  déconvenues made in folio,2 euros) exerce sur moi  un attrait irrépressible.  Quand,  de  plus, lui  sont accolés  des mots aussi incongrus que "plâtre " et "poussière", ma curiosité est aussitôt mise en éveil et je craque bien évidemment!
Bien m'en a pris car si en matière de chantier (et non de bricolage ou rénovation, comme le précise l'auteure)  je ne fais que subir et non agir, j'ai  été totalement conquise par le texte de Christine Brusson.
Comme elle le souligne  "Rares sont les travailleurs manuels  qui  écrivent" et on pourrait ajouter :d'une manière aussi originale , poétique et iconoclaste qu'elle.
Parce qu'elle s'est elle même consacrée  à cet art du chantier après des études de lettres et d'architecture , l'auteure -qui a par ailleurs rédigé Rénovation intérieure de A à Z- a donc  toute  légitimité pour nous parler de manière  pratique (schémas à l'appui), mais  aussi vivante et charnelle des liens qui unissent le corps humain, la maison et le monde.
Dans ce court livre,  composé de 64 chapitres mêlant références littéraires-une petite sélection de livres clôt le texte-architecturales ,  poétiques , Christine Brusson  , balaie les  idées reçues,dédramatise  le  chantier, nous montre tout ce qu'il lui apprend et nous transmet son  "même amour passionné des  livres et des maisons".41SHeZiooPL._SL500_AA240_.jpg
Elle nous dit la matière (très belles  pages à la  fois instructives et poétiques sur le plâtre et la poussière), le rapport au corps  , à la vie, à tout ce qui s'inscrit dans les  maisons et en nous. "Mettez-vous au travail.  Commencez par planter un clou, puis  deux , puis dix. Vous verrez,  cela  ira de  mieux en mieux.  De mieux en mieux, je vous assure".  Et on a envie de la croire tant son énergie est contagieuse.
Un livre  total, où  l'humour et la  sensualité se faufilent, -qui aurait pensé que le  chantier donnait envie  de faire l'amour ?-,un livre où piocher citations à l'envi , tant sur la chantier que sur une pratique de vie et de liberté. Un livre charnel et puissant qui va m'accompagner longtemps, je le sens car après l'avoir lu et corné abondamment, je vais régulièrement y piocher  au hasard et recorner sans vergogne de nouvelles pages...

Christine Brusson,  La  maison en chantier,  éloge du plâtre et de la poussière et du pot de peinture.

Editions des Equateurs,  200 pages intenses.

 

A propos du mot chantier: "Il  évoque un lieu interlope empli de matériaux et d'outils,  où le corps, oublieux  de lui-même et du temps,  avec générosité, s'use et s'amuse."

"Les maisons ressemblent aux arbres. On s'y hisse pour s'y cacher.
On sent cela dans les romans : les maisons sont des personnages. Chez Dickens, par exemple, écrit l'architecte danois Rasmussen, "les maisons et les intérieurs  acquièrent de façon démoniqaue une âme correspondant à celle des habitants."
Oui, elles abritent une âme, ou quelque chose qu'on peut nommer ainsi, une conscience. Elle est  là, elle vous regarde dans les coins d'ombre, la lumière de midi, l'élégance des courbes où tremblent les rideaux de mousseline, le vent dans la cheminée, la présence et l'absence des gens aimés. On pense à ceux qui ont habité là avant nous.Parfois dans une pièce, d'où vient cette impression que q
uelqu'un nous regarde ? "

 

 

 

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La blessure. Anna Enquist #3

La blessure est un recueil de nouvelles parfaitement clos sur lui même. En effet, Anna Enquist réussit le  tour de force de partir d'un fait authentique, un père et ses deux fils qui ont erré sur un bloc de glace pendant quatorze  jours au 19 ème siècle "la traversée", de nous parler de relations familiales plus contemporaines, de  football, de l'organisation de  la cuisine d'un hôpital, de tableau retrouvé, pour terminer par un texte qui  nous donne, mine de rien, en passant, des nouvelles de personnages évoqués précédemment, dans un paysage d'une luminosité, une blancheur absolue, équivalente à celle inaugurant le  recueil. Armature solide donc.
Point commun à tous ces personnages, qu'ils soient adultes ou enfants ? Une blessure, une fragilité,"Je me sens comme  un tache mal délimitée" qui va soudain les faire basculer , un peu -ou plus - dans un état de bouleversement qu'ils affronteront avec des armes variées. Ce peut être la politesse car "La politesse est un poignard en or",  la connaissance: Jacob qui est le seul à savoir nager et lire dans cette famille de pêcheurs, veut à tout prix s'en sortir, alors que son père et son frères, plus frustes, s'abandonnent aux éléments...
Anna Enquist souligne les ambivalences  de ses héros, ainsi une adolescente qui ment à ses parents pour aller rejoindre  celui dont elle  croit être amoureuse : "Pourquoi ne sait-elle pas ce que je fais,  pense Hanna,pourquoi est-ce que je me mets à pleurer,  pourtant je ne veux surtout  pas qu'elle le sache."41eWqLUiieL._SL500_AA240_.jpg
L'auteure excelle à nous montrer, sans pathos,  l'hystérie qui s'enflamme soudain dans une communauté vivant en quasi autarcie, ou celle qui couve à bas bruit dans le cerveau d'un excellent gestionnaire, plus apte à la déceler chez les autres qu'à la reconnaître chez lui.  La description de toutes les stratégies qu'il met en place inconsciememnt  pour la  tenir  à  distance est proprement époustouflante. Quant à celle,  hallucinée ,des relations d'un couple hollandais dans un camping français à la veille  d'un match de foot , elle vaut aussi tous les romans."Les  vacances se passent à laver.De la vaisselle,  des  vêtements, des corps.Tout est enduit de  savon et maintenu sous un filet d'eau. Pendant ce temps, il faut crier comme dans une conversation en plein ouragan.
"Je  voudrais être morte.
-Je n'arriverai pas à me débarrasser de cette tache de gras.
- Ce soir je vais me pendre
-J'aimerais faire des rognons. "
Et cetera.Tout se perd dans le vent."
C'est en effet avec une grande  économie de moyens, mais avec beaucoup d'empathie,  qu'Anna Enquist relate ces instants , sans jamais céder à la facilité de la nouvelle à chute, préférant évoquer des atmosphères, raconter de manière simple , nette et efficace. Ainsi en deux phrases  : "Le morceau de  glace remonte en basculant à la surface.  Pas père." Du grand art .

 

La  blessure, Anna Enquist.1999, édité chez Actes Sud en  2005, chez Babel en 2007.Traduction du néerlandais par Isabelle Rosselin267 pages infiniment  justes.

Un énorme merci à  Cuné qui  m'a offert ce livre,  me permettant ainsi de découvrir cette auteure !

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