05/03/2025
34M2
"Dans sa cuisine ce matin, est-ce qu'elle a mal, oui elle a mal , mais au début c'est la familiarité qui l'écrase le plus, cette impression d'être revenue au point de départ, d'être encore dans un autre appartement, une autre cuisine, devant d'autres tasses à café, enfermée, engluée dans ce que cet homme appelle de l'amour, une succession de jours flous, orageux, à marcher sur la pointe des pieds et à respirer à demi en attendant que la violence éclate. "
34 mètres carrés , c'est la superficie de l'appartement que partagent Juliette et sa fille de huit mois, Inès. Un refuge. Une vie reconstruite après une situation d'emprise que Juliette décrit comme un "entourbillon" qui était "un cataclysme silencieux, une catastrophe naturelle, un barrage lentement rempli jusqu'à l'inondation, l'engloutissement, le glissement avait été inéluctable et imperceptible et puis soudain il avait été trop tard[...]".
Ce matin, Juliette est un peu désorientée, mais savoure la matinée : elle a pu dormir tout son saoul? On sonne à la porte. Juliette attend Clare, sa voisine. Elle ouvre: c'est lui.
Commence alors un suspense insoutenable où , en 139 pages, l'autrice joue avec nos nerfs, nous coupe le souffle tout en ménageant de nombreuses révélations et en analysant avec finesse le mécanisme de l'emprise. Les personnages sont denses, complexes et la fin est ...Je ne vous en dis pas plus. Dévoré en quelques heures et relu dans la foulée. Un incontournable.
Editions le Masque 2025.
20:13 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : louise mey
26/02/2025
Western...en poche
"Si le western est un genre, c'est le féminin. Il articule en un seul trajet l'idée du destin, l'idée du tragique de la condition humaine à celle de la plus fascinante liberté.C'est quoi, tout ça en une seule forme, sinon une femme."
Alexis Zagner, comédien en vogue, alerté d'un vague danger qui le menace, a disparu à quelques jours de la première de Dom Juan, dont il incarnait le rôle titre.
Nous découvrirons peu à peu les raisons de sa cavale, qui ont beaucoup à voir avec son attitude avec les femmes.
Quelques mois plus tôt, Aurore qui élève seule son fils Cosma , a appris le décès de sa mère, et ,bombardée "coordinatrice chargée des paramètres humains détachée à l'adaptation aux ressources digitales à cent pour cent de télétravail" (sic), a décidé de déménager à l'ouest, dans la maison maternelle, située sur un causse.
Évidemment, nos deux héros ne pourront que se rencontrer, mais pas forcément dans les circonstances que nous pourrions imaginer.
Faire cohabiter dans un roman le personnage de Dom Juan de Molière et le genre du western voilà qui paraît quelque peu iconoclaste. Mais cela fonctionne très bien et permet de dézinguer au passage le fonctionnement de notre société avec un humour acide.
Maria Pourchet analyse aussi avec férocité ,par le biais des Fragments d'un Discours Amoureux de Roland Barthes, l'avalanche de messages dont Alexis avait accablé une apprentie comédienne dont il croyait être tombé amoureux.
Alternant les temporalités, Maria Pourchet imprime à son récit un rythme vif et multiplie les rebondissements mais néglige peut être au passage ses personnages qui manquent un peu d'épaisseur. Je suis restée parfois perplexe devant certaines de leurs réactions mais il n'en reste pas moins que Western marquera sans doute cette rentrée 2023.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : maria pourchet
20/02/2025
Le signal...en poche
"Je n'en reviens pas.
Que le signal soit capable encore, après toutes les souffrances , d'offrir cette poésie folle, d'inventer ce paysage nouveau, de la mer en transparence, presque en symbiose."
Quelle drôle d'idée que de consacrer un ouvrage à un immeuble et de le voir évoluer au fil des ans !
Oui mais cet édifice est tout à fait particulier. Il s'agit en effet du Signal ,immeuble d’habitations construit entre 1965 et 1970 en bord de mer et destiné à offrir une vue imprenable à des populations modestes dont c'était le rêve de toute une vie.
Las, le rêve vire au cauchemar car l'érosion marine a été plus rapide que prévu, réchauffement climatique oblige, et l'océan qui a gagné sur la côte aquitaine a chassé les propriétaires de leurs appartements.
Coup de foudre en 2014 pour Sophie Poirier qui suit, fascinée son évolution, imagine les vies des propriétaires expulsés et en procès avec les autorités.
Cet immeuble fait aussi résonner en elle des relations à d'autres habitations et ouvre simultanément l'imaginaire de ses lectrices et lecteurs.
Le Signal fonctionne donc comme une formidable machine à rêver , tantôt poétique, tantôt prosaïque, n'occulte en rien les aspects sociaux et environnementaux et nous fait à notre tour tomber en amour pour cet immeuble promis à la démolition cette année.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
à noter également les photographies d'Olivier Crouzel .
Éditions Inculte 2022.
06:30 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sophie poirier
12/02/2025
Histoire de la femme sauvage
"Et une gamine retient que c'est en arrachant ses racines que l'on est de bonne souche, le contraire de la nature. "
L'histoire commence en 1954 en Algérie, appelée "Alchérie" par l'une des héroïnes, Made, appellation révélatrice du lien fort qu'elle entretient avec ce pays où elle a vu le jour .Adolescente, Made scrute avec acuité tout ce qui l'entoure, et cela irrite beaucoup son entourage et en particulier sa mère, Léa.
Cinquante ans plus tard, Laure, née en France, reviendra sur les traces de sa mère, Made, dans l'oliveraie familiale, où ce qu'il en reste , pour retrouver ses racines et découvrir le secret de sa lignée.
L'attrait puissant du pays natal irrigue ce texte tout en nuances où les femmes ont la part belle , même si elles se contraignent au secret. Ce roman met aussi au jour une réalité trop souvent ignorée des livres d'histoire, réalité que l'écriture poétique d'Isabelle Desesquelles traite avec beaucoup de délicatesse. Un roman où la nature, et les oliviers en particulier, jouent un rôle important, un roman qui résonne encore en nous une fois les pages refermées.
Editions JC Lattès 2025.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : isabelle desesquelles
07/02/2025
#LaLoidelatartinebeurrée #NetGalleyFrance !
"Comment on fait tous pour tenir ? "
Abandonnant ses flopées de personnages plus loufoques et excentriques les uns que les autres, J. M. Erre jette ici son dévolu sur "un couple de CSP+ cultivé", Anna ,psychanalyste et Jean-Luc Godart (avec un T comme il ne cesse de le rappeler) qui n'est que psychologue. Ils viennent d'emménager dans leur nouvel appartement et la pendaison de crémaillère a dû être épique car le réveil est difficile...
La situation va rapidement empirer car le couple va devoir faire face à un avalanche d'objets hétéroclites que , selon eux, ils n'ont jamais commandés. L'appartement va se trouver alternativement envahi puis vidé et certains personnages , assez inquiétants au demeurant font aussi leur apparition. Jean-Luc Godart, auteur d'un livre sur les emmerdements, va donc mettre à l’épreuve ses propres théories...
On se croirait dans du théâtre de boulevard ,mais qui vire à l'absurde, comme si Feydeau avait rencontré Beckett et le couple, la société de consommation via internet en prennent pour leur grade, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Editions Buchet-Chastel 2025
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : j.m.erre
06/02/2025
#Labaronneperchée #NetGalleyFrance !
" Tout ce qu'il avait envie de lui dire, c'était "je t'aime", mais on n'était pas dans ces séries américaines où les personnages se font de grandes déclarations quatre fois par épisode. "
Billie, douze ans, inspirée par sa lecture du roman d'Italo Calvino, Le Baron perché, décide d'aller s'installer dans un parc d'accrobranche abandonné, histoire de voir comment va réagir son père. Celui est "visiblement fragile et un peu trop porté sur la bouteille, mais à priori bienveillant" et il élève seul sa fille qui a vite appris à être indépendante.
Inquiétude, recherche, mise au jour de secrets de famille, les rebondissements sont nombreux dans ce roman sensible et délicat qui souligne bien qu'il y a une grande marge entre l'aventure idéalisée et la réalité car "C’était bien joli, les grands gestes romanesques, mais c'était frustrant. "
Un roman qui fourmille de références littéraires et de formules qu'on s'empresse de souligner et un grand bonheur de lecture car les personnages sont fouillés, jamais manichéens et pleins de vie. Un livre qui donne le sourire et où traîne même un beagle... Et zou, sur l'étagère des indispensables.
On soulignera aussi la magnifique couverture d'Amandine Bourbon-Toulan. qui ne peut que faire craquer.
Buchet-Chastel 2025
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : delphine bertholon
25/01/2025
Là où je nous entraîne...en poche
"Je n'écris pas dans un carnet, sur un écran ou des Post-it, j'écris sur notre mère. "
Ouvrir un roman d'Isabelle Desesquelles c'est partager une brassée d'émotions fortes mais qui ne flirtent jamais avec le pathos. L'autrice parvient en effet toujours à maintenir un équilibre entre ce qu'elle raconte et ce qu'elle suscite chez la lectrice ou le lecteur.
Avec Là où je nous entraîne, d'emblée on devine que cette fois nous allons la suivre au plus près de ce qui fonde son écriture, l'événement traumatique qui a marqué son enfance et l'a menée à l'écriture : "Il y a quarante-six ans une petite fille a commencé à écrire dans sa tête où l'on est deux , l'enfantôme et moi. Elle est l'enfance abolie qui vous hante. Une mère se tue, elle tue l'enfant en vous. L'enfantôme, elle, a refusé de mourir . [...] L'écrire, c'est aller à la source. "
Interrogeant les liens entre réalité et fiction, faisant dialoguer deux textes, l'un consacré à cette petite fille devenue écrivaine qui interroge ses proches sur le suicide maternel, l'autre à une tragédie en route au sein d'une famille marquée par l'écriture et l'intensité des sentiments, Isabelle Desesquelles nous coupe parfois le souffle et nous montre la puissance de l'écriture . Une autrice à son meilleur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : isabelle desesquelles
24/01/2025
Qui-vive...en poche
J'imagine une vie qui serait une éternelle errance où je m'arrêterais devant chaque personne croisée et l'écouterais quelques minutes. "
Parce qu'il y a eu les attentats; le Covid, les confinements; le retour de la guerre en Europe; la découverte de feuillets énigmatiques après le décès de son grand-père, Mathilde est devenue insomniaque, a perdu le sens du toucher ,est obsédée par des vidéos de Leonard Cohen. Bref, Mathilde ne sait plus où elle en est. Et c'est fâcheux pour cette professeure d'histoire-géographie.
Laissant son mari et sa fille, elle part sur un coup de tête en Israël, entame un périple où elle se frotte à des réalités contrastées, bien éloignées de son quotidien. L'occasion de retours en arrière, de changements de perspectives dans ce pays où sa famille n'a pas choisi de vivre mais dont elle parle néanmoins la langue. Un récit où L'Histoire affleure tout le temps. Un récit sensible et poignant qui prend une dimension encore plus grande au vu de l'actualité.
Éditions de l'Olivier 2024, 169 pages. Points 2025
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : valérie zénatti
16/01/2025
#ViesetsurviesdElisabethHalpern #NetGalleyFrance !
" Quelle idée absurde que ce voyage en hiver au cœur de l'été. dans la forêt de neige, je perds pied , entre vengeance et mémoire, colère et recueillement, douleur et résilience. Je me sens disparaître. Pas de guérison possible, juste de temporaires rémissions, et, par intermittence, un féroce espoir. "
Invitée par sa grand-mère maternelle qui vit en Australie, la narratrice ignore que son aïeule compte sur ses talents de scénariste pour mener à bien un crime parfait visant un vieux monsieur dont elle sûre qu'il a participé à la Solution finale...
Comédie noire, Vies et survies d'Elisabeth Halpern joue sur un grand nombre d'oppositions qui font tout le sel de ce roman où la narratrice et sa grand-mère possèdent toutes deux le "physique de l'ennemi", mais un ennemi différent , ce qui entraîne pour la première des soupçons à la douane et pour Elisabeth, née Juive en Ukraine dans les années 20, la survie et de multiples identités. Et puis passer l'été dans les alpes australiennes enneigées s'avère tout aussi savoureux.
Une grand-mère haute en couleurs, dont la capacité à survivre n'est plus à démontrer, mais qui , au fil de ses pérégrinations, se retrouvera mariée à un survivant des camps recréant un mode de vie bien particulier , voilà qui ne pouvait qu'inspirer une scénariste passant son temps à se dénigrer.
Mêlant passé et présent, le roman se permet aussi quelques touches de fantastique pour mieux brouiller les pistes et nous laisser sur une fin quelque peu trouble.
Touche finale, Carine Hazan nous livre les clés de son inspiration en reproduisant la dernière lettre envoyée par sa grand-mère, point de départ de ce roman. L'écriture peut-elle permettre de venger ou faut-il "écrire comme on tisse des étoffes, comme on bâtit des ponts, comme on relaie un cri"?
Un roman plein d'humanité et un personnage qu'on n’oubliera pas de sitôt.
Editions Phébus 2025.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : carine hazan
09/01/2025
Pour Britney
" -bien après lui j'ai entendu d'autres hommes me glisser à l'oreille, un peu outrés, Louise on voit ta culotte, je ne leur ai jamais répondu , et alors ? toujours je fermais les jambes un peu gênée, un peu humiliée d'être soudain rappelée ainsi à ce fait de mon corps, qu'il ne fallait pas oublier, pas cesser de surveiller sans quoi on ne savait pas ce qui pouvait vous arriver, n'est-ce pas, ne pas oublier de veiller à ce qu'on ne puisse pas prendre cela, la fait de se tenir, par simple négligence ou peut-être par envie, les jambes écartées dans un parc avec ses amis, pour un signe, sans quoi il risquait toujours d'y avoir quelqu'un quelque part pour prendre cela pour une invitation. "
Ce court roman( 132 pages) tisse les destinées d'une chanteuse pop hyper sexualisée quand elle était très jeune, Britney Spears, et celui d'une écrivaine que l'on renvoyait sans cesse à son corps et à sa sexualité, Nelly Arcand. La première mettra des années à se libérer de la tutelle de son père. La seconde s'est suicidée.
Dans un texte à la syntaxe heurtée, syntaxe qui laisse souvent au lecteur le soin de poursuivre des portions de phrases, Louise Chennevière revient sur ces destinées tragiques, analysant avec une rage sourde, la manière dont ces femmes ont été broyées par une société patriarcale. Destinées qui font aussi écho, dans une moindre mesure à la propre réception de ses œuvres.
La découverte d'une écriture incisive et l 'envie d'aller plus avant dans l’œuvre de Nelly Arcand à qui la chanteuse Pomme a consacré une chanson, "Nelly".
P.O.L 2024.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : louise chennevière