14/06/2014
Trop de bonheur...en poche
"A croire qu'il existe en apparence on ne sait quel savoir-faire fortuit et bien sûr injuste dans l"économie du monde puisque le grand bonheur -aussi provisoire, aussi fragile soit-il -d'une personne peut sortir du grand malheur d'une autre."
Les femmes et leur quête de bonheur, dérisoire et courageuse à la fois sont au centre des nouvelles d'Alice Munro. Cruauté, résilience qui ne dit pas son nom, soumission au désir des hommes, voilà à quoi ces très jeunes filles, mères ou femmes plus âgées doivent composer.
Tout l'art d'Alice Munro est de ne pas porter de jugement, de décrire en une phrase tranchante et/ou férocement drôle, l'attitude, le comportement d'un personnage et vous le livrer en entier résumé : "Certaines suggestions, certaines idées, avaient le pouvoir faire tressaillir les muscles de son maigre visage tavelé, et alors son regard devenait noir et aigu, et sa bouche semblait remâcher un goût répugnant. Elle pouvait vous bloquer net dans votre élan, comme un féroce buisson de ronces."
Des textes qui possèdent juste le bon tempo et la bonne durée et ne nous laissent jamais sur notre faim. Des univers denses et intemporels.
Point Seuil 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alice munro
12/08/2013
Fugitives
"Mais à ce moment-là, les sentiments étaient altérés, l'homme éprouvait de la gratitude, elle de la bonne volonté, les deux une espèce de nostalgie décalée."
Une jeune femme sous l'emprise d'un homme plus âgé, un raté pur jus, ce qu'elle s'obstine à ne pas voir, va tenter d'échapper à son emprise dans la première nouvelle de ce recueil de huit textes. On a le coeur qui bat tout au long de notre lecture , on a envie de l'interpeller cette naïve amoureuse et on finit, le coeur broyé, à la fin du texte.
Nous suivons ensuite durant trois époques de sa vie, de la jeunesse à la maturité, Juliet qui possède, non une difformité physique, mais une maîtrise de lettres classiques, ce qui revient quasiment au même dans le coin paumé où elle a grandi. Aux prises avec des parents vieillissants, puis avec sa propre fille en quête de spiritualité, Alice Munro la décrit avec beaucoup d'empathie.
Jeunes ou vieilles, le point commun entre toutes les femmes évoquées est qu'elles sont toujours en décalage avec le monde et l'époque dans lequel elles ont eu la malchance de naître, mais ne présentent pourtant jamais en victimes : "Elle espère comme les gens espèrent sans se faire d'illusions des aubaines imméritées, des rémissions spontanées, des choses comme ça !".
Dans ces histoires, les hommes sont relégués au second plan, même si d'une manière ou d'une autre, ils influent sur l'existence féminine. Mais au final, ce sont elles qui choisissent, mènent leur vie comme elles l'entendent, s'en accommodent plutôt bien même si parfois la vie a été cruelle envers elles.
Une pointe d'humour, de l'émotions contenue et une lucidité aigüe, voilà qui rend particulièrement savoureux ces textes intemporels.
Fugitives, Alice Munro, oints Seuil 2009, traduit de l'anglais (Canada) par Jacqueline Huet et jean-Pierre Carasso.
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : alice munro
24/06/2013
Trop de bonheur
"A croire qu'il existe en apparence on ne sait quel savoir-faire fortuit et bien sûr injuste dans l"économie du monde puisque le grand bonheur -aussi provisoire, aussi fragile soit-il -d'une personne peut sortir du grand malheur d'une autre."
Les femmes et leur quête de bonheur, dérisoire et courageuse à la fois sont au centre des nouvelles d'Alice Munro. Cruauté, résilience qui ne dit pas son nom, soumission au désir des hommes, voilà à quoi ces très jeunes filles, mères ou femmes plus âgées doivent composer.
Tout l'art d'Alice Munro est de ne pas porter de jugement, de décrire en une phrase tranchante et/ou férocement drôle, l'attitude, le comportement d'un personnage et vous le livrer en entier résumé : "Certaines suggestions, certaines idées, avaient le pouvoir faire tressaillir les muscles de son maigre visage tavelé, et alors son regard devenait noir et aigu, et sa bouche semblait remâcher un goût répugnant. Elle pouvait vous bloquer net dans votre élan, comme un féroce buisson de ronces."
Des textes qui possèdent juste le bon tempo et la bonne durée et ne nous laissent jamais sur notre faim. Des univers denses et intemporels. 316 pages piquetées de marque-pages.
Trop de bonheur, Alice Monro, Editions de l'Olivier 2013, traduit de l'anglais (Canada ) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
06:03 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : alice munro
26/12/2012
L'amour d'une honnête femme
"Mais c'est parfois un travail de tous les diables , indiquait-elle , d'être la mère d'une sainte."
Les huit nouvelles composant le recueil L'amour d'une honnête femme se déroulent au Canada et si elles nous parlent d'un monde aujourd'hui disparu où une femme enceinte devait quitter son emploi pour ne pas choquer le public, elles sont également intemporelles tant elles touchent à l'intime et au subtil.
Alice Munro se glisse avec aisance aussi bien dans la peau d'une adolescente face aux amours contrariées de sa mère , d'une grand-mère qui découvre que sa fille n'a qu'une hâte: abréger les vacances familiales, d'une jeune mariée qui doit faire face à une logeuse intrusive et prétendument exemplaire, que dans la peau de gamins faisant une macabre découverte. Il est souvent question de liberté féminine et on ne s'étonnera guère qu'un autre de ses recuels porte le titre de Fugitives.
Le trajet de ces nouvelles est rarement linéaire, Munro s'offre le plaisir de balader son lecteur entre passé et présent, passant d'un point de vue à un autre et soulevant un coin de voile pour mieux en poser un autre, nous épargnant fort à propos le procédé mécanique de la chute.
Quant au style, il est précis et plein d'humour, on sent que l'auteure prend la vie à bras le corps et qu'elle observe avec une précision amusée le monde qui l'entoure : "Jill avait bien senti une odeur de whisky. Mrs Shantz emporte toujours une fiasque lorsqu'elle se rend à une réunion dont-selon ses propres mots-elle ne peut raisonnablement rien espérer."
La tension dramatique de certains textes est d'une précision diabolique mais toujours pleine de beaucoup d'empathie, sans effets mélodramatiques ni de jugements à l'emporte pièces.
Une auteure qu'il faut absolument (re)découvrir !
Merci à Sylvie qui a su me donner l'envie de relire cette auteure !
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : alice munro