27/10/2022
Un peu, beaucoup...à la folie C'est en poche et c'est indispensable !
"Il est vingt heures. En moins d'une journée, j'ai tué, j'ai ri, j'ai aimé. Il faudrait que je dorme. Une nuit de huit ou neuf heures. Douze serait l'idéal. C'est la difficulté quand on possède un champ de bataille en guise de cerveau et une cocotte-minute à la place du corps. Émilie Guillaumin"
"Maman est folle", chante William Sheller. Mais ici, il n'y pas qu'elle qui soit touchée par la maladie mentale, quelle que soit sa forme, identifiée, ou non.
Sans pathos, mais sans gommer la violence qui parfois l'accompagne (sans omettre celle de la société qui prône la résilience à grands cris, comme le rappelle Emilie Guillaumin dans "La fabrique des fous"), chaque texte nous dépeint de l'intérieur ou de l'extérieur, via des proches, les addictions, la bipolarité , la dépression, bref les formes variées de ce qu'on appelle familièrement "folie".
Un mot honni par la mère de la nouvelle de Violaine Huisman "La vieille folle" mais célébré par la fille de celle-ci "parce qu’il recèle l'amour insensé que j'ai voué à maman".
D'amour, il en est beaucoup question dans ces textes. Amour entre un frère et une sœur dans la nouvelle d'Olivier Adam "De passage", nouvelle aux personnages plus vrais que nature où le mari de la sœur ne peut supporter le comportement de ce beau-frère instable à qui on pardonne tout et qui révèle de manière brutale les dysfonctionnements d'une famille.
Amour inquiet d'un père pour sa fille adolescente dont le corps est celui d'une femme et l'esprit celui d'une enfant, un père qui craint les prédateurs sexuels. Et dans cette nouvelle,"la flèche noire" Emmanuelle Bayamack-Tam est à son meilleur, peignant avec subtilité tous les sentiments contradictoires qui peuvent animer les parents de cette adolescente.
Bref, on sent que les autrices et auteurs se sont vraiment impliqués dans ces textes , ce qui nous donne un recueil de très grande qualité. Un indispensable donc.
04/10/2014
Si tout n'a pas péri avec mon innocence
"Dans ma famille nombreuse, il n'y avait pas assez d'amour pour tout le monde: les grands se sont taillé la part du lion et les petits ont léché le plat, comme dans la comptine des cinq doigts que m'apprenait Claudette quand elle avait encore toute sa tête."
Kimberley est l'enfant du milieu d'une fratrie de cinq. Avant elle, deux sœurs aux prénoms slaves qui idolâtrent leur mère, flattant ainsi son narcissisme à toutes épreuves et il en faut pour assumer un bec de lièvre mal recousu. Quant aux deux petits frères, ils ont grandi dans une quasi indifférence maternelle et paternelle. Heureusement la grand-mère veille au grain , du moins tant que son passé ne la rattrape pas.
Rien de fixe, pas de cadre éducatif, alors Kimberley se donne régulièrement des objectifs et tente de sauver sa famille, se récitant des poèmes du XIXème,des alexandrins du grand Charles (comprendre Baudelaire) en particulier et va trouver une manière bien particulière de se sauver, faute d'avoir pu le faire pour le plus fragile de sa fratrie.
Une belle énergie, parfois marquée par l'outrance ,se dégage de ce récit de métamorphoses corporelles et psychologiques à la première personne, marqué d'emblée par la tragédie, qui tisse alexandrins et prose sans démarcations.
Kimberley, charnière de la fratrie, l'est aussi en matière de générations parce qu’elle va retrouver la fameuse sage-femme qui avait tant marquée sa grand-mère lors de son accouchement. Avec cette femme, un peu sorcière, dans un paradis végétal et animal, elle va se dégager de la gangue familiale mortifère.
Un roman à la fois sensible et dérangeant qui se lit d'une traite tant sa narratrice emporte l'adhésion malgré des prises de position extrêmes, propres à l'adolescence et qu'on en souhaiterait pas pour ses propres enfants ! Un univers où se retrouve des figures baudelairiennes, je pense au personnage de Charonne, aux images fortes et marquantes. Un coup de cœur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : emmanuelle bayamack-tam