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Madame rêve
"Juste le temps de récupérer, un peu, avant de reprendre son long chemin de solitude."
Quelques vers de Victor Hugo, une chanson de Bashung, voilà de quoi panser certaines plaies des héros de ces huit nouvelles de Ludovic Joce.
Souvent solitaires (abandonnés, sur le point de l'être, âgé, veuve...), obnubilés par la nourriture , leur carrière ou simplement par une paire de chaussures de marque, gens de peu ,comme les appelait avec tendresse Pierre Sansot, l'auteur fait entendre leur voix, tantôt mélancolique, gouailleuse ou oppressée, avec délicatesse et empathie. Le temps est suspendu et l'on n'oubliera pas de sitôt l'image de ce "gâteau au chocolat couronné de trois bougies blanchâtres aux mèches noircies" aperçu dans un réfrigérateur.
Ludovic Joce confirme tout le bien que je disais déjà de cet auteur ici.
Madame Rêve, Ludovic Joce, Éditions in&dits 2018, 69 pages à découvrir.
23/07/2018 | Lien permanent | Commentaires (2)
Petit problème paranoïaque :
07/11/2020 | Lien permanent | Commentaires (4)
Sang d'encre
"Elle aimait avoir de l'argent liquide sous la main, comme elle aimait avoir des tiroirs remplis de chemises bien pliées- et être entourée d'escargots."
Au milieu des années 60, la romancière américaine Patricia Highsmith s'installe dans un cottage de la campagne du Suffolk. Pour écrire au calme, bien sûr, mais aussi pour recevoir tranquillement, la femme mariée dont elle est amoureuse, Sam.
Las, tout cela va de mal en pis et bientôt Highsmith se retrouve plongée dans une atmosphère inquiétante ressemblant singulièrement à celle des romans dont elle a le secret.
Jill Dawson, dans ses remerciements cite obligeamment les sources biographiques comme romanesques dont elle s'est inspirée pour ce roman mêlant biographie et fiction pour notre plus grand plaisir. On y découvre une romancière sous toutes ses facettes, n'assumant pas officiellement son homosexualité (Carol a paru à l'époque sous pseudonyme) et trimballant des escargots dans son sac à main.
Jill Dawson restitue de manière vivante l'époque et la personnalité complexe de Patricia Highsmith, une auteure( un peu oubliée aujourd’hui) adaptée au cinéma par Hitchcock.
Denoël,2018, traduit de l'anglais par pierre Ménard.
17/04/2018 | Lien permanent | Commentaires (2)
Les grands espaces
"Le mot le plus souvent prononcé à la maison était probablement le mot "bouture".
Placé sous les auspices de Pierre Loti, Marcel Proust ou encore George Sand, la BD De Catherine Meurisse qui revisite son enfance à la campagne fleure bon à la fois la littérature et la verdure.
Tout s'entremêle ici avec grâce et humour. On ne tombe pas dans une nostalgie sirupeuse, mais on se balade entre dénonciation des politiques agricoles erratiques, création de musées en herbe , nain de jardin qui parle et naissance d'une carrière de caricaturiste via le croisement entre une chèvre et Ségolène Royal...
Les dessins sont magnifiques et méritent d'être contemplés en détails. L'auteure s'amuse aussi à réécrire certains poèmes (sources mentionnées à la fin) et on prend un énorme plaisir à cette lecture revigorante.
Indispensable, bien sûr et une très belle idée de cadeau.
Dargaud 2018
26/11/2018 | Lien permanent | Commentaires (3)
Dictionnaire amoureux des dictionnaires
"Le dictionnaire court de la science la plus érudite à la fantaisie la plus débridée; en chemin, il rencontre la littérature, les grands textes et s'enroule autour d'eux comme le lierre de la critique: Pierre Bayle *avait lancé le mouvement."
Multiforme, multisupports, le dictionnaire est selon Alain Rey un Objet Culturel mal Identifié et il est plus facile de dire ce qu'il n'est pas que de déterminer ce qu'il est. C'est pourquoi l'auteur de ce dictionnaire amoureux des dictionnaires confie le soin à Josette Rey-Debove (à qui il consacre un article tout en retenue) de le définir en cinq points rigoureux et clairs. On devine en effet que dans le couple, l'aspect technique, celui des concepts, était plus celui de la lexicographe disparue en 2005 . A Alain Rey de s'occuper avec sa truculence coutumière des volutes plus littéraires . Il va ainsi sans jamais ennuyer son lecteur des plus célèbres au plus méconnus des lexicographes, se penchant avec intérêt aussi bien sur le dictionnaire de Vidocq que sur celui de Perret ou de Desproges.
Alain Rey souligne au passage le grand intérêt des Français pour les dictionnaires de synonymes , "par suite d'une obsession rhétorique, ne pas se repéter dans l'expression écrite, et manifester qu'on est maître des nuances et de l'expression juste.". Il en profite pour réaffirmer l'ambiguïté du terme synonyme et critique de la même manière ces dictionnaires des mots de sens voisins, ces recueils formant "une marée de mots où nos contemporains aiment à barboter." Le style est donc très imagé et la pensée robuste, l'ouvrage n'étant pas seulement l'occasion d'un exercice d'admiration mais aussi de quelques rappels vigoureux non seulement linguistiques mais aussi économiques (un dictionnaire est aussi un enjeu financier ). Un dictionnaire dans lequel chacun se fraiera son propre chemin, baguenaudant, piochant de- ci de- là, sans jamais être déçu. Enthousiasmant !
Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Alain Rey, Plon 2011, 988 pages de ABC, ABCD à Virginia Woolf, illustrées par Alain Bouldouyre. 998 pages !
* Pierre Bayle: auteur d'un "Dictionnaire historique et critique, une des oeuvres majeures du siècle de Louis XIV parce qu'il annonce la suite, les Lumières."
07/03/2011 | Lien permanent | Commentaires (10)
Il baissa sa culotte et dans mon estime/Zeugmes au plat
"Il lui fit l'amour et des zeugmes au plat."
Hervé Le Tellier (auteur de la préface du second ouvrage)
En 2001, Maryz Courberand lui dédiait un chapitre et le titre de son ouvrage. Ne reculant devant rien, elle se fendait aussi d'un texte en comportant "une petite cinquantaine (ou une bonne quarantaine)" ; quand on aime on ne compte ni son temps ni les zeugmes.
Le zeugme, késaco ?, se demande le lecteur matutinal bouffi de sommeil et non d'orgueil mal placé. Est-ce
a/ un mot comptant pour 17 points au scrabble ?
b/ une figure de style dans laquelle se sont illustrés Pierre Desproges, Victor Hugo et beaucoup d'autres ?
c/un procédé, dixit Desproges , qui consiste à rapprocher grammaticalement plusieurs noms à un verbe ou à un adjectif qui,logiquement , ne se rapporte qu'à un des noms ?
Pas besoin d'aspirine !
Les trois , nous informe Pierre Bailly, qui lui consacre un petit traité faisant l'éloge de cette tournure à la fois humoristique et poétique. L'incongruité est la marque de fabrique du zeugme et peu nous chaut de savoir si oui ou non si ce bouleversement de la syntaxe est fautif ou pas. Les plus grands lui ont donné ses lettres de noblesse, de Hugo et son classique "Vêtu de lin blanc et de probité candide." à Renaud, plus trivial "Alors elle va manger une pizza / Au jambon et au centre commercial."
Mais le champion du zeugme double salto demeure sans conteste Desproges avec son fameux : "Après avoir sauté sa belle-soeur et le repas de midi le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane."
Si vous avez envie de vous lancer dans le zeugme et dans mes bras (pour me remercier), ce livre est fait pour vous car l'auteur avec générosité et clarté vous en livre le mode d'emploi ! Yapluka !
Il baissa sa culotte et dans mon estime (Bizarreries de langage) , Maryz Courberand, Mots & Cie 2001.
Les zeugmes au plat, Sébastien Bailly, Mille et une nuits, 2011.
11/04/2011 | Lien permanent | Commentaires (5)
les déferlantes
"Quand on n'attend plus, on meurt."
La Hague. La narratrice, employée par le Centre ornithologique, est venue y compter les oiseaux et petit à petit , elle s'est fondue dans le paysage, se faisant accepter par les habitants de cette région âpre et belle à la fois.
L'arrivée de Lambert va réveiller "la meute des fantômes " et mettre à mal "Les questions, les réponses, ce complexe tricotage de mensonges et de vérités. Les choses dites en décalé, celles dites seulement en partie et celles qui ne le seront jamais. Toutes les teintes du contre-jour."
Pas de certitudes donc dans ce roman de l'entre-deux, entre ciel et mer, dans ce moment que l'on se donne "entre bientôt et maintenant", dans cet endroit où arbres et vieux et se confondent...
Claudie Gallay dans Les déferlantes nous peint le portrait de deux solitudes, de deux êtres en déséquilibres : Lambert qui veut des certitudes et la narratrice qui est taraudée par le vide,"J'ai serré les poings. Comprendre quoi ? Qu'un jour on se réveille et qu'on ne pleure plus ? Combien de nuits j'ai passées, les dents dans l'oreiller,je voulais retrouver les larmes, la douleur,je voulais continuer à geindre. Je préférais ça. j'ai eu envie de mourir, après, quand la douleur m'a envahi le corps, j'étais devenue un manque,un amas de nuits blanches, voilà ce que j'étais, un estomac qui se vomit, j'ai cru en crever, mais quand la douleur s'est estompée, j'ai connu autre chose.
Et c'était pas mieux.
C'était le vide."
ce creux au coeur des statues de Raphaël, qui depuis dix ans," cherche à sculpter le désir ".
Claudie Gallay, elle, dans un paysage traversé parle fantôme de Prévert, sculpte le manque avec des mots âpres et denses, sculpte l'espace des phrases.
Une remontée vers la lumière, non pas fulgurante, mais pas à pas , où les personnages marchent tous vers leur destin,s'extraient ou non de la gangue de pierre qui les emprisonne, apprennent ou non à marcher à deux. "Les Indiens Hopi disent qu'il suffit de toucher une pierre dans le cours d'une rivière pour que toute la vie de la rivière en soit changée.
Il suffit d'une rencontre."
Un livre qui peut changer le cours de notre vie ? En tout cas un livre précieux et nécessaire.
Vient de sortir en poche.
Ps:Malgré la couv' j'ai craqué (je l'avais emprunté à la médiathèque) car j'ai commis l'erreur de l'ouvrir au hasard ...et pof, j'ai replongé aussi sec ! Dans la foulée Susan Fletcher (même erreur, même conséquence) a aussi rejoint la biblio des indispensables !
05/06/2010 | Lien permanent | Commentaires (30)
”Quand on n'attend plus, on meurt.”
La Hague. La narratrice, employée par le Centre ornithologique, est venue y compter les oiseaux et petit à petit , elle s'est fondue dans le paysage, se faisant accepter par les habitants de cette région âpre et belle à la fois.
L'arrivée de Lambert va réveiller "la meute des fantômes " et mettre à mal "Les questions, les réponses, ce complexe tricotage de mensonges et de vérités. Les choses dites en décalé, celles dites seulement en partie et celles qui ne le seront jamais. Toutes les teintes du contre-jour."
Pas de certitudes donc dans ce roman de l'entre-deux, entre ciel et mer, dans ce moment que l'on se donne "entre bientôt et maintenant", dans cet endroit où arbres et vieux et se confondent...
Claudie Gallay dans Les déferlantes nous peint le portrait de deux solitudes, de deux êtres en déséquilibres : Lambert qui veut des certitudes et la narratrice qui est taraudée par le vide,"J'ai serré les poings. Comprendre quoi ? Qu'un jour on se réveille et qu'on ne pleure plus ? Combien de nuits j'ai passées, les dents dans l'oreiller,je voulais retrouver les larmes, la douleur,je voulais continuer à geindre. Je préférais ça. j'ai eu envie de mourir, après, quand la douleur m'a envahi le corps, j'étais devenue un manque,un amas de nuits blanches, voilà ce que j'étais, un estomac qui se vomit, j'ai cru en crever, mais quand la douleur s'est estompée, j'ai connu autre chose.
Et c'était pas mieux.
C'était le vide."
ce creux au coeur des statues de Raphaël, qui depuis dix ans," cherche à sculpter le désir ".
Claudie Gallay, elle, dans un paysage traversé parle fantôme de Prévert, sculpte le manque avec des mots âpres et denses, sculpte l'espace des phrases.
Une remontée vers la lumière, non pas fulgurante, mais pas à pas , où les personnages marchent tous vers leur destin,s'extraient ou non de la gangue de pierre qui les emprisonne, apprennent ou non à marcher à deux. "Les Indiens Hopi disent qu'il suffit de toucher une pierre dans le cours d'une rivière pour que toute la vie de la rivière en soit changée.
Il suffit d'une rencontre."
Un livre qui peut changer le cours de notre vie ? En tout cas un livre précieux et nécessaire.
Encore plus réussi que celui-ci.
L'ayant emprunté à la médiathèque, j'attendrai sagement sa sortie en poche pour le relire.
L'avis de Marie
10/07/2008 | Lien permanent | Commentaires (29)
De tout, un peu...
Mai a filé à toute allure avec ses changements brusques de températures (nous avons déjeuné deux fois dans le jardin)et ses jeudimanches en cascades...
J'ai terminé deux saisons d' une seule série, The News Room avec bien peu d’enthousiasme d'ailleurs, car si les coulisses du journal de télévision américaine sont intéressantes, les intrigues amoureuses annexes sont prévisibles au possible.
Coup de cœur pour un seul film : Dans la cour, une comédie dramatique de Pierre Salvadori, avec des répliques au cordeau qui m'ont faire rire (sous cape, nous n’étions que trois dans la salle !). Catherine Deneuve, retraitée active , préoccupée par une fissure grandissant à la fois dans son mur et dans sa vie, va trouver de la compréhension et du soutien auprès d'un auto-proclamé "spécialiste de l'accablement", interprété par Gustave Kervern.
Les ruptures de ton surprennent et on ne comprend parfois certaines situations qu'à retardement, ce qui les rend encore plus savoureuses. Peinture d'un microcosme parfois croquignolet, parfois émouvant, on oscille entre rires et émotions avec pour seul viatique un poème de Raymond Carver, "Sleeping" ("Dormir"), qui figure dans le recueil La vitesse foudroyante du passé, en poche.
Il a dormi sur les mains.
Sur un rocher.
Sur ses pieds.
Sur les pieds de quelqu'un d'autre.
Il a dormi dans des bus, des trains, des avions.
Dormi pendant le service.
Dormi au bord de la route.
Dormi sur un sac de pommes.
Il a dormi dans une sanisette.
Dans un grenier à foin.
Au Super Dôme.
Dormi dans une Jaguar et sur la plate-forme d'un pick-up.
Dormi au théâtre.
En prison.
Sur des bateaux.
Il a dormi dans des baraquements et, une fois, dans un château.
Dormi sous la pluie.
Sous un soleil ardent il a dormi.
A cheval.
Il a dormi sur des chaises, dans des églises, des hôtels de luxe.
Il a dormi sous des toits étrangers toute sa vie.
Maintenant il dort sous la terre.
Il n'en finit pas de dormir.
Comme un vieux roi.
Raymond CARVER
31/05/2014 | Lien permanent | Commentaires (9)
La dame à la camionnette
"Il était rare qu'on lui rende le moindre service sans avoir en même temps envie de l'étrangler."
Nul doute que cette couverture jaune primevère aurait beaucoup plu à Miss Sheperd ! Cette vieille dame marginale et excentrique repeignait inlassablement de cette couleur les différentes camionnettes dans lesquelles elle vécut successivement à la fin de sa vie.
Victime de l'embourgeoisement de son quartier, mais dotée d'un grand sens de la manipulation et d'une mauvaise foi inébranlable, Miss Sheperd finit par établir ses quartiers dans l'entrée du jardin d'Alan Bennett. Une cohabitation improbable et chaotique, entre exaspération et volonté d'aider cette vieille dame soucieuse de préserver sa dignité et ses secrets ,qui dura une vingtaine d'années.
Une synthèse pleine d'humour des notes qu'Allan Bennett a prises au fil du temps sur cette vieille dame qui faisait tache et dont un des habitants du quartier se demandait si elle était vraiment excentrique... Une peinture d'une transformation en marche qui ne tombe jamais dans l'autosatisfaction ni dans l'apitoiement. 114 pages so british !
La dame à la camionnette, Alan Bennett, traduit de l'anglais par Pierre Ménard ,Buchet-Chastel 2014.
Du même auteur: clic
06/02/2014 | Lien permanent | Commentaires (12)