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02/04/2020

Tenir jusqu'à l'aube...en poche

"Elle ne pouvait se permettre aucune erreur, aucun écart. L'enfant et elle devaient filer doux, afficher zéro défaut, ne laisser aucune prise à la société. A tout instant, ils risquaient d'être étiquetés "famille à problèmes". Ils étaient hors-normes, ils étaient fragiles, ils étaient suspects."

Dans l'espoir de maintenir un lien ténu avec le père de son enfant de deux ans, la narratrice, graphiste free-lance, continue à vivre dans une ville où elle n'a ni amis, ni famille qui pourraient la sortir de ce huis-clos parfois étouffant avec son fils.
Les difficultés matérielles s'accumulent et la jeune femme commence à fuguer hors de l'appartement pour échapper à "cette créature qu'elle avait créée de toutes pièces: la bonne mère ".
Ces fugues "comme une respiration" un entêtement" créent une tension dans le roman car elles deviennent de plus en plus une nécessité et la narratrice ne peut s'en empêcher, même si elle a bien conscience de "Tirer sur la corde", titre de la deuxième partie du roman.
Cette tension est d'autant plus grande qu'elle est mise en parallèle avec le récit dont le petit ne se lasse pas: "La chèvre de Monsieur Seguin", cette chèvre ,qui, par amour de la liberté est prête à affronter le pire. Scandant le roman, les extraits de la nouvelle d'Alphonse Daudet seront aussi l'occasion d'un clin d’œil final à la fois jubilatoire et  violent.carole fives
Car oui, de la violence il y en a dans ce roman. Celle des internautes intervenant sur les forums de mamans solos, sortes de harpies vengeresses prêtes à lapider toutes celles qui osent se plaindre de leur fatigue,de leurs galères, de leur solitude... Celle des institutions (crèches, personnel de santé...), des propriétaires de logements, celle d'une société où les violences physiques faites aux femmes sont banalisées et niées, ne serait-ce que par les mots...
Mais Carole Fives sait aussi se faire intimiste en décrivant le quotidien de ce couple fusionnel mère-enfant, en soulignant la nécessité de "Réintégrer son corps." ,"Un corps sans enfant qui s'y cramponne. Un corps sans poussette qui le prolonge". Là, l'écriture colle au plus près des sensations et fait partager au lecteur ce sentiment de grande respiration nécessaire.
Un roman dévoré d'une traite puis relu dans la foulée, plus lentement cette fois pour mieux le savourer. Et zou sur l’étagère des indispensables !

26/03/2020

La vraie vie...en poche

"La mort habitait chez nous. Et elle me scrutait  de ses yeux de verre. Son regard mordait ma nuque, se délectait de l 'odeur sucrée de mon petit frère."

Attention, bombe émotionnelle !
Dans un lotissement jouxté par le bois des Petits Pendus (tout un programme), vit une famille qui se donne l'apparence de la normalité: deux parents, deux enfants dont l'aînée, la narratrice, aime et protège son petit frère.
En effet,dès l'incipit, le ton est donné : "A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère, Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres." C'est là que le père, tyran domestique, entrepose les trophées de chasse les plus divers, dont une hyène particulièrement effrayante. Cet animal deviendra ainsi la métaphore du mal qui, à la suite d'un choc traumatique, fera basculer Gilles dans un univers où les émotions auront disparu. Dès lors, la narratrice se donne une mission en apparence impossible:effacer cette vie qu'elle considère comme une mauvaise branche pour sauver son frère.adeline dieudonné
Nous la suivrons donc au fil de cinq années, où, avec une volonté farouche, elle va progressivement se donner les moyens de changer le présent. Dotée de grandes capacités scientifiques,  elle analyse lucidement la situation, d'un œil quasi clinique: sa mère est une amibe qui a pour seule fonction d'avoir peur de son mari . Quant au père , "Son goût pour l’anéantissement allait [l']obliger à[ se ]construire en silence, sur la pointe des pieds."
Adelien Dieudonné ne ménage pas nos nerfs, maîtrisant son récit d'une main ferme , tout en le dotant d'une écriture à la fois imagée et efficace. On tremble, on frémit, on a la gorge serrée devant cette héroïne qui se construit à la fois physiquement, psychologiquement et émotionnellement, refusant farouchement de devenir une victime.
Un premier roman que j'ai trimballé partout avec moi le temps de sa lecture, un objet compact dont la couverture rend parfaitement l'idée de huis-clos et de menace animale. Une réussite époustouflante. Et zou sur l'étagère des indispensables !

21/03/2020

Sous les branches de l'Udala...en poche

Fin des années 60, le Biafra et le Nigeria se déchirent dans une guerre interethnique. La jeune Ijeoma envoyée loin de sa mère (qui se remet du deuil de son mari ) tombe amoureuse d'Amina.
Amours doublement interdites du fait de l'origine de ces très jeunes filles, dont les chemins se sépareront très vite.9782264075420ORI.jpg
Ijeoma devra faire face au poids de la religion (sa mère veut la "soigner" à coups de passages de la Bible), de la société ,mais finira par devoir emprunter des chemins de traverse pour pouvoir vivre pleinement.
Roman très didactique, ce texte n'a suscité chez moi aucune empathie, par ses longueurs et par sa volonté trop affirmée de dénoncer une situation bien évidemment inadmissible. Dommage.

20/03/2020

Je suis le genre de fille...en poche

"On en était à "investir". Le mot me coule des mains, c'est une suée, c'est impropre, j'en conclus que c'est sale."

Scandés par l'anaphore qui donne son titre au roman, les chapitres brossent le portrait impressionniste, drôle, souvent, agaçant parfois d'une femme divorcée, qui travaille et dont la fille est adolescente.
Trop accommodante, pour les uns, trop passive pour les autres,  elle n'a pas une bonne image d'elle-même et peine à correspondre aux diktats de la société.product_9782072829222_195x320.jpg
Elle rejoue la nuit les dialogues qu'elle aurait pu tenir "mais [son]imagination de perdante les fait tourner à [son] désavantage." Elle nous ressemble souvent et cet exercice de quasi autoflagellation pourrait tourner à vide si les derniers chapitres ne jetaient une ombre émouvante sur l'ensemble. Un roman qui me réconcilie avec l’œuvre de Nathalie Kuperman.

13/03/2020

En attendant le jour...en poche

Bosch , son enquêteur fétiche étant parti à la retraite, Michael Connelly entame ici une nouvelle série avec une héroïne plus jeune, Renée Ballard, inspectrice affectée au quart de nuit du commissariat.
Situation frustrante car ne pouvant déboucher en principe sur le suivi, et donc la résolution d'aucune enquête. Mais on peut compter sur l'obstination et la volonté de s'affranchir du poids de la hiérarchie des héros de Connelly pour qu'évidemment cet obstacle soit contourné, fût ce au péril de sa santé.
Nous voici donc lancés sur la piste d'un agresseur de prostitué trans et sur celle de l 'assassin d'une jeune serveuse dans un ba, victime collatérale d'un règlement de compte dans un bar.michael  connelly
Dûment documenté, le roman démarre plutôt lentement mais ne nous épargne pas quelques scènes propres à susciter des sueurs froides, scènes où il ne ménage pas son héroïne. Une héroïne attachante,et pas seulement parce qu'elle a adopté un chien des rues.
Michael Connelly ne retrouve pas ici le niveau atteint avec ce qui reste pour moi son meilleur texte, à savoir le Poète, mais en excellent faiseur, remplit sa mission : nous divertir avec talent et c'est avec plaisir que je lirai le prochain tome de cette série.

11/03/2020

Retour à Birkenau...en poche

"Nous remontons. On retrouve nos mortes, on retrouve nos poux, on retrouve la nuit."

Déportée en 1944  avec son père, son frère et son neveu, Ginette Kolinka sera la seule à revenir de Birkenau.
Si elle annonce brutalement à sa mère la mort du reste de sa famille,elle ne raconte à personne, même pas à son mari, l'horreur de ce qu'elle a vécu. Les 26 kilos qu'elle pèse à vingt ans en disent bien plus long et la culpabilité de la survivante l'en empêche tout autant.ginette kolinka
Il faudra la création de la fondation Spielberg, après le film la liste de Schindler pour que Ginette Kolinka accepte de se confier , avant que d’accompagner des groupes d'élèves à Birkenau.
Retour à Birkenau, où l'on croise fugitivement Marcelline (Loridan -Ivens) et Simone (Veil ) ,est un récit bref, cru, où Ginette Kolinka ne s'épanche guère, sauf à regretter la quasi aseptisation des anciens camps d'extermination, le décalage entre ce dont elle se souvient et ce que sont devenus ces endroits, parfois presque trop jolis au printemps. Afin d'imaginer le bruit , les odeurs, la promiscuité, la violence, le froid, il faut lire ce témoignage cru.
Il faut aussi deviner entre les lignes et les quelques détails qu'elle donne, presque en passant, la reconstruction de cette femme, qui ne pouvait se défaire de l'habitude prise au camp de baisser les yeux, qui a fait deux dépressions mais qui se réjouit de ce que ses sœurs ne l'aient pas considérée comme une déportée. Un récit nécessaire.

07/03/2020

L'aube sera grandiose...en poche

Quand Titania, écrivaine, embarque sans prévenir sa fille de seize ans, Nine, vers une destination inconnue, une cabane cachée au bord d'un lac, cette dernière regimbe. Sans réseau, comment supporter ce huis-clos avec sa mère ?anne-laure bondoux
Ce que Nine ignore c'est que Titania rejoue avec elle une scène qu'elle-même a vécue quand sa propre mère, Rose-Aimée ,lui a dévoilé un secret familial. Dorénavant, c'est à Titania de passer le relais et de narrer à sa propre fille une histoire familiale pleine d'amour et de cahots.
Récit d'une nuit blanche, L'aube sera grandiose est un roman fluide qui nous tient en haleine, une magnifique histoire de transmission, une magnifique histoire d'amour entre des mères atypiques et leurs enfants. L'occasion aussi de se replonger, pour qui les ont connues, dans les années 70, là où tout était plus lent, là où l'ennui n'était pas sauvagement combattu à l'aide d'écrans. Un grand coup de cœur pour terminer l'année.

06/03/2020

I am I am I am...en poche

"J'aurais aimé savoir que les choses qu'on ne contrôle pas dans la vie sont en général plus importantes, plus formatrices, à long terme que celles qui se passent comme prévu."

Le projet de Maggie O'Farrell ? "raconter la vie de quelqu’un , mais uniquement à travers ses expériences avec la mort."
Chacun des dix-sept chapitres, dûment datés et illustrés façon vieille planche d'anatomie, est consacré à une partie du corps de l'autrice-narratrice, car c'est bien de Maggie O'Farrell qu'il s'agit ici. Et cela commence très fort par un texte d'une tension dramatique extrême ,dont on se dit qu'après cela les choses ne pourront que baisser en intensité. Pas vraiment.
Chacune des expériences qui nous est relatée frappe par sa volonté de vérité dans l 'expression des sensations et des sentiments. Maggie O'Farrel scrute, écrit à l'os, ne se donnant jamais le beau rôle, mais décrivant au plus près pour mieux nous les faire ressentir la douleur, "Une douleur sans rebord, parfaite, parfaite comme une coquille d’œuf.", la violence des institutions de santé dont l'enfant qu'elle a été, mais aussi la femme, ont été victimes. Pas de course au dolorisme pour autant. Si l'auteure évoque l'hémorragie post-partum dont elle a failli mourir, et rappelle  que "mourir en couches semble être un danger totalement daté, une menace extrêmement lointaine entre les murs des hôpitaux des pays développés" , c'est aussi pour mieux dénoncer le taux de mortalité maternelle  anormalement élevé du Royaume-Uni ,ou évoquer un sujet tabou: les fausses couches et la manière dont elles sont trop souvent balayées d'un revers de la main.9782264075437ORI.jpg
La mort, elle la connaît donc de près, et ce depuis l'enfance. En effet, atteint d'une encéphalite, dont elle  garde encore des séquelles,  Maggie O'Farrell sait dans sa chair ce qu'est le poids du regard et des réflexions des autres, mais aussi la bienveillance et la confiance que l'on peut trouver dans  une main anonyme que l'on serre ou des mots de réconfort. De quoi braver tous les pronostics pessimistes.
Le livre se termine par une course contre la montre, contre la mort, un condensé de souffrances, mais aussi une réaffirmation de la vie coûte que coûte. Un coup de poing -coup de cœur qu'on n'oubliera pas de sitôt.

Un texte qui file directement sur l'étagère des indispensables , bien sûr.

Belfond 2019

De la même autrice, clic, clic et reclic.

04/03/2020

Eden Springs...en poche

"Est-ce que tu sens ça ,mon ange ? murmura-t-il. C'est ça ,la vie éternelle"
   Ruth Banford rit. Elle dit "Je le sens bien. C'est un homme qui se faufile sous mes jupes."

Promettant tout à la fois la vie éternelle et un corps éternellement jeune, Benjamin Purnell fonde une communauté religieuse qui offre aussi le paradis sur terre sous forme d'un parc d'attractions. Le charisme de l'individu est tel que des fidèles viennent en masse des États-Unis, mais aussi de l’étranger.
Prônant l'abstinence sexuelle, mais profitant de sa beauté et de son autorité, il abuse des jeunes filles de la communauté, sans que grand monde y trouve à redire.laura kasischke
Il faudra la mort d'une très jeune femme pour que la machine se grippe, ce qui est annoncé d'emblée.
Alternant les points de vue, proposant des citations et des photographies, le roman évoque en effet des faits réels, Laura Kasischke s'approprie cette histoire en la faisant baigner dans une atmosphère de sexualité diffuse , bucolique et métaphorique.
Elle fait également la part belle à l'évocation du corps des femmes , qu'elles soient jeunes ou vieillissantes, usées par les grossesses ou exclues de toute sexualité de par leur statut social ou leur âge "avancé" pour l’époque (nous sommes au début du 20 ème siècle).
Un roman un peu trop court à mon goût, mais où l'on retrouve bien l'atmosphère étrange chère à l'auteure de Esprit d'hiver.

 

Traduction Céline Leroy,

03/03/2020

Débâcle...en poche

"C'est peut être à ça qu'on les reconnaît, les familles où ce qui est le plus essentiel va de travers: pour compenser, elles inventent un tas de petites règles et de principes ridicules."

Eva est invitée à la fois pour commémorer le trentième anniversaire que ne fêtera jamais Jan, le frère d'un de ses amis, et pour l'inauguration d'un "site de production laitière ,presque entièrement automatisé." Doublon bizarre qui donne d'emblée le ton de ce roman où les sentiments s'expriment de manière quasi souterraine, dans un microcosme, celui d'un village flamand ,où elle a passé toute son enfance.
L'occasion pour la jeune femme de revivre deux été qui auront décidé de son existence et du fait qu'elle se rende à cette invitation munie d'un gros bloc de glace...lize spit
Eva, Pim et Laurens, une fille deux garçons, les seuls enfants nés en 1988, coïncidence qui les unira façon trois mousquetaires, même si leurs origines sociales sont bien différentes.Un triangle dont les relations s'effilocheront et deviendront de plus en plus troubles.
La tension ne cesse de monter, et même si parfois, on se perd un peu dans ces retours en arrière, rien de grave : on est tenu en haleine par ces familles dysfonctionnelles chacune à leur manière , où le drame se cache dans les détails qu'Eva scrute avec une acuité sans pareille et sème comme autant de petits cailloux blancs qui, rétrospectivement prennent toute leur valeur.
J'ai été bluffée par ce premier roman qui distille une atmosphère à la fois lumineuse et trouble, qu'on ne lâche pas et qu'on termine  quasi exsangue.

Traduit du néerlandais (Belgique) par Emmanuelle tardif.