27/11/2015
Victoria et les Staveney/Mon amie Victoria ...en poche
"-Et tu peux compter sur le père ?
- C'est un Blanc.
- Seigneur s'exclama Phyllis.
Sa consternation provenait moins du poids de l'histoire, évoquée par ces trois syllabes, que de la perspective d'ennuis beaucoup plus immédiats."
Le film,"Mon amie Victoria" librement inspiré du roman très court (150 pages) de Doris Lessing m'a donné envie de me replonger dans le texte de départ.
Victoria, petite fille noire de 9 ans, passe une nuit dans une riche maison blanche, un souvenir enchanté qu'elle n'oubliera pas. Des années plus tard, elle renouera avec le plus jeune fils de cette famille, dont elle aura un enfant, sans pour autant vouloir lui révéler immédiatement cette paternité.
Orpheline, Victoria a grandi sans véritables repères, le futur se dérobe sous ses pas et elle ne peut qu'être ballotée par les événements. La seule véritable décision qu'elle prendra concernera sa fille et aura des conséquences qu'elle n'avait sans doute pas prévues.
Il est rare qu'un roman (ou un film) ait comme personnage principal une jeune femme noire et l'envisage dans ses relations avec des Blancs libéraux, persuadés d'être ouverts d'esprit et non racistes.
Doris Lessing traque ici l'hypocrisie, les non dits (le garçon venu chercher Victoria à la sortie de l 'école ne la "voit" pas car il ne peut envisager qu'elle soit noire) et dépeint le fossé qui sépare les personnages dans leur intimité la plus banale (tout ce qui paraît normal aux Staveney, comme demander à un enfant ce qu'il veut manger, est hors-normes pour Victoria).
Court, efficace et pessimiste (lucide?).
le film transpose l'action chez des bobos parisiens (avec la trop rare Catherine Mouchet dans le rôle de la mère de famille) et c'est tout aussi pertinent.
Déniché à la médiathèque.
06:05 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : doris lessing
26/11/2015
La citation du jeudi (ça fait un bail !)
"L'auteure Marie-Ange Guillaume* ayant allumé une cigarette en promenant son chien le matin d'un le 31 mai, fut apostrophée par une dame qui lui fit aigrement remarquer que c'était la Journée sans Tabac.
"Ah bon ! répondit-elle ...Et la Journée sans Casse-couilles, c'est demain ? "
Cité par Jacques A. Bertrand in Brève histoire des choses, Julliard 2015, Prix Alexandre-Vialatte 2015.
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (4)
24/11/2015
Etta et Otto (et Russell et James)
"Quelques mois auparavant, elle avait commencé à se sentir entraînée dans les rêves d'Otto à la place de siens, la nuit."
Etta, quatre-vingt-trois n'a jamais vu l'océan et décide un beau jour de parcourir les milliers de kilomètres qui l'en séparent depuis sa ferme du Saskatchewan. Elle laisse derrière elle son mari, Otto et leur ami, Russell.
Au fur et à mesure de ce périple, le passé affleure et , au fil des rencontres et des souvenirs, se tisse un texte à la fois poétique, simple et plein de fraîcheur qui éclaire, tout en délicatesse, les rapports qui unissent ces personnages, bien plus complexes et riches qu'il n'y paraît de prime abord.
Les drames, petits ou grands , se laissent deviner, rien n'est jamais clairement nommé, tout est dans l'implicite, les paroles parfois échangées par la seule force de la pensée et c'est beaucoup plus efficace.
Quant à James, mon personnage préféré, je vous laisse le soin de faire sa connaissance.
Etta, Otto, des prénoms presque semblables pour des personnages qui se fondent l'un en l'autre par le biais de leurs rêves, un récit en forme de boucle, qui se joue du temps et de l'espace. Un roman magnifique et dont les personnages m'accompagneront longtemps !
Les Escales 2015.
19:20 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : emma hooper
23/11/2015
Les lumières de Central Park
"Chacun connaît parfaitement les blessures, les défauts et les faux-semblants de l'autre, si bien qu'en couchant ensemble ils ont l'impression de coucher avec une partie d'eux-mêmes qui a échoué, comme un film pornographique aux dialogues familiers."
Commencé par le récit d'une mère intrusive qui s'immisce dans la vie amoureuse de son fils, le recueil de nouvelles de Tom Barbash se clôt par celui d'un fils qui ne supporte pas de voir son père, veuf depuis peu, devenir l'enjeu de rivalités féminines. Renversement de situations, comme pour nous dire que les rôles sont interchangeables et que, quelque soit leur âge, les héros de ces textes connaissent tous l'ultra-moderne solitude chantée par Souchon.
Pourtant, le mot n'est jamais écrit, jamais prononcé et Timkin, quitté par sa femme en novembre, n'annule pas la soirée traditionnelle lors de la parade des ballons géants, affirmant que son épouse est en déplacement professionnel.
De la même façon, un apprenti agent immobilier véreux, paumé au milieu de la cambrousse, se lie d'amitié avec un couple de vieillards isolés pour mieux les gruger. Mais le dénouement, pour attendu qu'il soit, n'en sera que plus poignant par la réaction à la fois pleine de bienveillance et de lucidité des personnes apparemment lésées.
Vies qui se frôlent, vies fêlées ou fracassées, la fragilité est partout présente.L'émotion est aussi palpable mais toute en retenue et ,même quand le drame surgit, le pathos est toujours absent. Tom Barbash est un nom à retenir !
Les lumières de Central Park, Tom Barbash, traduit ,avec beaucoup d'élégance, de l’américain par Hélène Fournier, Albin Michel 2015, 255 pages.
05:45 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tom barbash
20/11/2015
Literary life...en poche
"Reste , Charlotte ! ...Tu ne peux pas me laisser tomber maintenant, je n'ai pas terminé mon roman-j'ai besoin de ton malheur !"
Parues chaque samedi dans The Guardian rewiew, Literary Life (mais pourquoi diable avoir gardé le titre en VO ?), ces chroniques ont comme sujet imposé la vie des lettres. Sujet que connaît bien Posy Simmonds puisqu’elle l'avait déjà abordée, sous des angles différents avec Gemma Bovery (bientôt au cinéma avec Gemma Arterton et Fabrice Luchini) et Tamara Drewe (porté à l'écran par Stephen Frears).
Petites librairies indépendantes, supermarchés du livre, rivalités entre auteurs, ateliers de creative writing, autant de figures imposées dont Posy Simmonds se tire avec brio. On appréciera aussi son art de la satire avec le duo Dr Derek/ Nurse Tozer, graphisme tout droit sorti des sixties, qui soigne avec abnégation les affres des créateurs (le syndrome du deuxième roman) ou débusquent sans pitié les cas de plagiat"Hoquetmingway" ou "toux rgueniev"!
Traquant les petitesses et les faiblesses des écrivains sans méchanceté, Posy Simmonds souligne aussi les a priori concernant les auteurs jeunesse ou montre la "torture" que peuvent être les interventions dans les classes ou les séances de dédicaces sans lecteurs... C'est dessiné avec tendresse et empathie, et ça se lit tout seul ! Une BD à savourer à petites gorgées pour mieux l'apprécier.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : posy simmonds
19/11/2015
Désaccords mineurs...en poche
"Les attentes des autres, il y a de quoi vous donner mal à la tête."
Chrissie, mère de trois filles dont la benjamine a dix-huit ans, appartient à "...cette espèce de femmes exaspérantes qui, quand on les interviewait dans leur maison impeccable sur leur aptitude à ne pas devenir folle alors qu'elles géraient l'existence de quatre ou cinq personnes en plus de la leur et en plus d'un boulot, souriaient avec sérénité et répondaient qu'en réalité, il suffisait de faire des pense-bêtes." Ou plutôt appartenait car le décès de celui qui ne l'a jamais épousée, Richie, la laisse dans un désarroi total. D'autant plus que, les dispositions de l'héritage font revenir à la surface la première famille de son compagnon, famille qu'elle aurait préféré continuer à ignorer.
Alors que Chrissie et ses deux premières filles restent bloquées sur le drame qui a bouleversé émotionnellement et économiquement leurs vies, Amy , la plus jeune, faisant fi des accusations de déloyauté ,va de l'avant et établit même un lien avec son demi-frère.
Les univers brossés par Joanna Trollope, que ce soit le Londres coquet ou le Newcastle plus rustique, sont tous empreints de ce confort douillet qu'elle sait si bien décrire. On s'y réconforte à grands coups de mugs de thé, on y croise un chat lourd comme "un hippopotame à fourrure", on déjeune dans un restaurant compassé et on se régale de la finesse des notations psychologiques. Seul bémol, les choses s'arrangent un peu trop bien mais c'est la loi de ces bons gros romans réconfortants, n'est-ce pas ?
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : joanna trollope
17/11/2015
L'héritière
"-Vous êtes en train de me dire que personne n'aime les femmes au pouvoir ?
-Non, elles agacent.
-Alors une femme ne peut pas devenir Premier Ministre ?
-Bien sûr que si !
-Je ne comprends pas ...?
-Elle ne sera pas aimée, c'est tout."
Charlotte,jeune mère de famille,est sur le point d’accompagner son mari, humanitaire en Afrique quand le Premier ministre danois lui propose un poste qu'on peut difficilement refuser quand on en a des convictions: ministre de l'écologie. L'ancienne militante, sincère, intègre et sans langue de bois, saura-t-elle s'intégrer sans douleurs dans un monde cruel où les ministres doivent savoir ménager les susceptibilités tout en manœuvrant habilement pour faire avancer leur carrière ?
à cela s'ajouteront d'autres défis: réussir à préserver sa vie familiale et endurcir son cuir quant aux attaques d'une certaine presse.
Découvrir les coulisses du monde politique, en l'occurrence danois, mais de nombreuses situations (à l'exception des barrages d'agriculteurs considérés comme typiquement français...) sont internationales, est toujours plaisant. Charlotte est parfois un peu naïve mais pleine de ressources et sa fraîcheur-elle a un côté "Belle des champs"- détonne dans ce "monde de vieux babouins et de jeunes loups" qui taclent les femmes pour les dégager du terrain.
Moins sophistiqué que la série House of cards, mais tout aussi plaisant, L'héritière est un bon gros roman de 607 pages , premier volume d'une trilogie, dont je vais dès demain chercher le deuxième volume.
PS:Apparemment, cette trilogie aurait été adaptée à la télévision danoise bien avant la série Borgen qui s'en serait inspiré...
L'héritière, Hanne-Verke Holst, traduit du danois par Caroline Berg, pocket 2015.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : hanne-virbeke holst
16/11/2015
Blood family
"Même si vos soucis sont différents, les livres vous montrent au moins que vous n'êtes pas seuls à vous en faire. Vous n'avez plus besoin d'avoir peur que ce soit anormal."
Jusqu'à l’âge de sept ans, Edward a vécu avec sa mère sous l'emprise d'un tyran domestique, malfaisant et violent. Blood family relate sous forme de récit choral, l'évolution jusqu'à l'adolescence de cet enfant, qui a su trouver des repères grâce à des cassettes vidéo éducatives et, plus tard , grâce aux livres("J'avais l'impression que chacun d'eux me donnait des clés pour devenir normal ").
Adopté, Edward connaîtra pourtant bien des vicissitudes tant pour comprendre l’attitude passive de sa mère que pour se défaire d'encombrants liens du sang qui semblent l'entraîner inexorablement du mauvais côté.
Anne Fine, avec beaucoup d'empathie et de pédagogie, nous fait entrer dans l'intimité de cet enfant blessé psychiquement et trouve un parfait équilibre entre la volonté de ne rien éluder: les sentiments parfois ambivalents des parents adoptifs, les pensées perturbées de son héros,ses échecs ,ses addictions, sans pour autant tomber dans le misérabilisme ou la guimauve.
Une expérience passionnante et un roman de 341 pages qui se dévore d'une traite.
Blood Family, Anne Fine, traduit de l'anglais par Dominique Kugler, école des loisirs 2015, medium (à partir de 12 ans)
06:00 Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : anne fine
14/11/2015
Petit éloge du petit déjeuner
"La symbolique du petit déjeuner, renaissance, intimité, révélateur des obsessions ou des manies a été exploitée par de nombreux autres auteurs."
Comme souvent dans cette collection ce petit éloge semble un peu fait de bric et de broc, comme une sorte de brunch salé-sucré où l'on côtoie des nouvelles courtes (dont une qui coupe l'appétit), des textes nostalgiques et autobiographiques mais aussi des analyses de petits déjeuners des héros, celle de l’œuvre est particulièrement réussie.
On savoure ,mais on reste aussi un peu sur sa faim, comme souvent avec cette collection.
(La redondance du titre n'est pas jolie mais inévitable...)
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : thierry bourcy
12/11/2015
Le Mur de mémoire...en poche
"Un visionneur de souvenirs rencontre une gardienne de souvenirs."
Six nouvelles pour un recueil où le thème de la mémoire constitue un fil rouge. Un thème qui apparaît parfois de manière marquée (dans le premier texte qui donne son titre au recueil) ou de manière plus subtile, dans les cinq autres.
Se déroulant dans différents pays et à différentes époques ( de 1936 à un futur tout proche), ces nouvelles savent à chaque fois nous toucher au cœur car Anthony Doerr, maniant l'ellipse en virtuose, attend parfois le tout dernier moment pour révéler un infime détail qui fera résonner le récit avec une tonalité différente.
Que ce soit des paysans chinois qui emportent les os de chats morts depuis longtemps car ils quittent leur village qui sera submergé par les eaux d'un barrage ou une petite américaine, transplantée en Lituanie avec trois ballots de vêtements trop petits et un chien, qui s'obstine à pêcher l’esturgeon dans un fleuve où il a disparu, ou cet africain du Sud qui fait la queue pendant des heures devant un dispensaire avec son fils malade, tous les personnages savent nous émouvoir sans pour autant que le récit sombre dans le pathos car Anthony Doerr sait trouver le détail à la fois révélateur et efficace qui nous les rend proches.
Un grand bonheur de lecture.
Le Mur de mémoire, Anthony Doerr, traduit de l'anglais (E-U) par Valérie Malfoy, livre de poche 2015, 325pages
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : anthony doerr