09/11/2015
Jacques a dit
"Son truc , c'était de s'asseoir sur un nuage et de me dresser la liste des tâches qui m'attendaient, ce qui me convenait très bien puisque je n'aimais pas rester inoccupée. Jacques me fournissait à tout moment des raisons d'être. Jacques était mon énorme raison d'être."
Un couple improbable, qui a duré vingt-sept ans jusqu'à la mort prématurée de Jacques Morgenstern, époux de Susie, une de nos auteures jeunesse favorites, comment ça fonctionne ? C'est ce que nous raconte avec son humour, sa franchise et sa cocasserie habituelle l'auteure de Lettres d'amour de 0 à 10.
Et d'amour il en sera beaucoup question, même si Susie Morgenstern , amerloque, femme du "second type"selon son époux(, "seulement je n'ai jamais su en quoi consistait ma catégorie") ne peut qu'émettre des hypothèses a posteriori sur les raisons de son amour à lui.
Dans ce récit autobiographique, rédigé vingt ans après la mot de Jacques , l'auteure ne brosse cependant pas un portrait hagiographique. Jacques a des défauts , dont un de taille: sa mère, que Susie devra supporter dans sa maison niçoise (104 marches à grimper pour l'atteindre !).
Exigeant pour lui-même et pour les autres, Jacques mêle le matin notes et poème laissés à l'intention de son épouse et tyrannise quelque peu ses filles en ce qui concerne les mathématiques ("normal ", il les enseigne à la fac).
Un récit plein de vie, de bonheur, mais où Susie Morgenstern ne nous cache pas ses difficultés (le récit de son premier encaissement de chèque à la poste est un morceau d'anthologie à la fois émouvant et drolatique) ni ses peines. Une lecture revigorante et pleine de sincérité !
Jacques a dit, Susie Morgenstern, Bayard 2015, 221 pages qui se tournent toutes seules.
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06/11/2015
rien de personnel...en poche
« Un immense mensonge qui avait été sa seule option, même s’il l’avait isolée et n’avait jamais cessé de la perturber. »
Quand elle propose à son éditeur et ami de rédiger la biographie de Vera Miller, comédienne peu encline à s’épancher mais qui a marqué le cinéma et connaît encore le succès sur les planches, Elsa ne lui révèle pas que cette femme est sa mère. Une mère qui l’a abandonnée à son père et ne l’a rencontrée que de loin en loin avant que tout contact ne soit rompu.
Menant son enquête, la biographe va petit à petit prendre possession de son histoire familiale et, tout en cernant le caractère complexe de Véra, découvrir « des aspects de sa propre personnalité qu’elle aurait préféré continuer à ignorer ». Souvent en porte à faux par rapport à ses découvertes, « Un détail odieux pour la fille de la comédienne ; inespéré pour sa biographe. », Elsa doit aussi faire face à sa propre fille, tout juste entrée dans l’adolescence avec une belle énergie.
On suit avec intensité cette quête nuancée qui nous offre deux superbes portraits de femmes à des âges différents. Agathe Hochberg explore avec empathie les liens mère/fille et nous propose un récit évitant clichés et « happy end »conventionnel. Une belle analyse aussi de la relation à la notoriété.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : agathe hochberg
05/11/2015
Déneiger le ciel...(enfin) en poche
André Bucher, dans son roman Déneiger le ciel ,nous conte l'histoire d'un veuf d'une soixantaine d'années, David, qui jusqu'à présent déneigeait les routes de son village mais qu'une panne de tracteur va contraindre à l'immobilité.
Presque rien donc mais c'est là que tout commence car, la neige bloquant tout, David va partir à pied à la rencontre d'êtres chers ou encore inconnus mais dont il se sent responsable. Ces kilomètres ,dans un paysage empêtré et où chaque geste peut tout faire basculer de manière irrémédiable,vont lui faire prendre conscience que : " Pour la première fois de sa vie, il ressentait à leur paroxysme l'importance et la réalité de tous ses êtres chers".
L'écriture est à la fois poétique et précise , rythmée par des allusions musicales et l'on suit avec bonheur cet homme singulier qui ,à sa manière, prend soin de tous, humains et animaux, présents et disparus
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : andré bucher
04/11/2015
Le dernier des fous
"-Tous ces gens-là dorment. Ils dorment tous, dit-elle.Ils dorment le jour et la nuit.Ils sont enfermés dans une infinité de vieilles chambres. Toute leur vie tourne autour de choses mortes."
Un jeune garçon, Hooker, observe attentivement, sans toujours le comprendre ,le monde qui l'entoure.L’atmosphère est pesante dans cet été canadien où règne la chaleur, dans cette maison où personne ne se parle vraiment et où règne l'échec.
Échec de son frère aîné, incapable de garder un emploi, échec du couple de ses parents avec le père qui s'aveugle devant la situation familiale et une mère qui reste enfermée dans sa chambre, ne se remettant pas de la mort de son dernier enfant.
La folie et la mort rôdent, bien trop proches de cet enfant qui enterre oiseaux et chats écrasés et prend tout au pied de la lettre. La compagnie de la seule personne vraiment aimante à ses côtés, une domestique noire qui travaille depuis 20 ans chez eux ne pourra empêcher la tragédie qui s'est mise en marche dès la première scène de ce roman oppressant.
On pense à Faulkner, O Neill, mais c'est avec une grande économie de moyens et une extrême efficacité que Timothy Findley narre cette histoire quasi hors du temps et de l'espace ,et donc universelle. Un roman exigeant et magnifique !
Le dernier des fous, Timothy FindlEy, Libretto 2015
Merci à Babelio et à l'éditeur.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : timothy findley
03/11/2015
Mon chien est un manipulateur /off the leash
"A l'école du chiot
-Si je comprends bien, M. Leibowitz, l'idée c'est de faire tout le contraire de ce que nous ordonnent nos maîtres, car ils ne nous puniront pas, vu que nous sommes trop mignons ?
-Exact."
Les stratégies mises en place pour obtenir une place dans le lit ou dans le canapé, les réunions organisées pour protester contre les noms de chiens idiots, le snobisme de certains de nos compagnons, mais aussi leur condescendance vis à vis de nos obsessions (les crottes) et de notre comportement, parfois idiot à leurs yeux. Toute leur vie secrète, quoi ! Voilà ce que révèlent les dessins tendres et caustiques de Rupert Fawcett.
Chaque maître se reconnaîtra et gloussera en regardant ces saynètes croquées sur le vif où se révèle la vie trépidante de nos compagnons:
"-T'as prévu quoi cette semaine, Sam ?
-Absolument rien.
-Pareil. D'ailleurs, je devrais m'y mettre.
-Ouais. On a un planning à respecter."
Seul petit bémol: le titre français, bien trop négatif à mon goût.
Un livre, petit par la taille, mais qui m'a bien fait rire dans mon lit, avec ...un chat sur les pieds !
à offrir à tous les amis des chiens, y compris aux éducateurs d’écoles des chiots... !
Un énorme merci à Cath et Laurent ! :)
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : rupert fawcett
02/11/2015
L'intérêt de l'enfant
"Que le monde soir rempli de tels détails, de ces minuscules preuves de la fragilité humaine, menaça de l'anéantir et elle dut détourner les yeux."
Fiona Maye est une brillante magistrate spécialiste du droit de la famille. à l'aube de la soixantaine, son mari ,s'estimant délaissé, lui demande abruptement l'autorisation de faire un écart de conduite. Et ce, juste quand Fiona doit juger un cas particulièrement subtil: celui d 'un jeune homme atteint d'un cancer qui refuse toute transfusion sanguine car il est témoin de Jéhovah.
Professionnelle et méthodique, Fiona fait face à tous ces remous avec intelligence et finesse.
J'ai beaucoup aimé la description du ballet silencieux, cette communication sous forme de "pas de deux silencieux et solennel" entre les époux ainsi que la manière à la fois rationnelle, pleine d'empathie et de respect dont Fiona traite son affaire.
J'ai moins été convaincue par le récit du dernier cas juridique qui, relaté par un des collègues de Fiona, semble mal venu, voire inutile car la narration aurait gagné en intensité en étant plus resserrée. à ce détail près, L'intérêt de l'enfant est un roman prenant, tant par son histoire que par son ambiance et ses personnages.
Cuné m'a donné envie, surtout pour la tasse, où je la rejoins tout à fait. les Anglais ont vraiment le chic pour l'observation des détails de la vie quotidienne !
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : ian mc ewan
29/10/2015
Debout payé...en poche
"...Ossiri se disait qu'on ne pouvait pas faire confiance à un chien que son maître avait baptisé Joseph en l'honneur de Staline, Mobutu et Kabila, trois dictateurs partageant le même prénom et un certain sens de la cruauté."
Ossiri, étudiant ivoirien, devient vigile après avoir atterri sans papiers à Paris en 1990.Il retrace pour nous les trois époques mythiques de ce métier , correspondant aussi aux relation franco-africaines (1960-1980, les années 90, l'après onze septembre qui vient tout chambouler), entrecoupées de notations sociologiques très personnelles sur les clients et le fonctionnement de deux boutiques, Camaïeu, Sephora, clairement identifiées. Il revient aussi sur la manière de vivre des Ivoiriens en France, leurs palabres politiques, leur solidarité, leur intégration progressive à la société française.
Rien de tel qu'un regard étranger pour revisiter notre société française de manière particulièrement caustique ,acérée et hautement réjouissante. Celui qui s'y colle, on le remarque à peine, sauf si on a une idée en tête: c'est le vigile.
Gardien de temples de la consommation ou de minoteries devenues fantômes, il est Debout-payé pour préserver des richesses qui ne lui appartiendront jamais et ne se prive pas d’observer le monde qui l'entoure. Il catégorise sans relâche d'une manière très personnelle et haute en couleurs. ça pulse, ça grince, ça rigole aussi et ça donne un formidable mélange énergique et vivant . à découvrir de toute urgence ! Un grand coup de cœur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : gauz
27/10/2015
Les gens dans l'enveloppe
"C'est une histoire d'abandons. De l'abandon dont sont capables et victimes les femmes."
En juin 2012, Isabelle Monnin achète sur internet un lot de photographies d'une famille dont elle ne sait rien. Constatant une absence, celle de la mère d'une petite fille dont la photo figure en couverture, elle imagine un roman mettant en scène ces gens ordinaires qui pourraient être nous.
Le texte une fois achevé, elle part à la recherche des vraies personnes, aidée en cela par un amateur de clochers qui a recensé sur internet tous ceux de Franche-Comté. Elle découvrira alors que, dans la vraie vie, la position centrale de ce récit est en fait occupée par le père de famille...
N'ayant aucun goût pour la nostalgie, j'ai un peu traîné des pieds avant d'entamer la lecture de ce roman .Pourtant le dispositif m'intéressait vraiment et l'écriture sensible d'Isabelle Monnin, sa délicatesse et sa pudeur ont fait que j'ai été emportée par les deux textes. Une œuvre singulière, accompagnée des photographies et d'un disque avec des chansons composée par Alex Beaupain et des reprises où l'on entend certains des gens dans l’enveloppe.
357 pages piquetées de marque-pages.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : isabelle monnin
23/10/2015
Manuel d'écriture et de survie...en poche
"Fais ce que tu veux et surtout ne prête pas attention à ce qu'on dira de toi et de ton travail."
Dans l'esprit de Lettres à un jeune poète (Rilke), Martin Page répond aux missives d'une écrivaine en devenir, Daria. Il la conseille dans son écriture mais aussi dans ses rapports aux autres, abordant avec lucidité la jalousie, la différence entre les véritables amis et le réseau que l'on peut se constituer: "Les arrivistes ont des copains et des connaissances, ils sont à l'aise en toute occasion, ils sont lubrifiés pour mener une vie sociale faite de sourires, d’écoute distraite et d'un amoncellement de paroles." . Il aborde tous les aspects de la vie littéraire , lui conseille de ne pas oublier les libraires, la convainc de la créativité des ateliers d'écriture, bref lui transmet une vision lucide et pragmatique de la vie d'écrivain et de la vie tout court.
En creux, Martin Page nous livre aussi un autoportrait sans fards, plein de sensibilité, sans gommer ses aspects tour à tour exaltés ou dépressifs.
Ce qui frappe dans ces 172 pages, que j'ai piquetées de marque-pages, en plus d'une vision riche et passionnante de l'écriture, c'est l'inscription de l'écrivain dans la vie économique et sociale. La difficulté à s'affirmer écrivain mais aussi à assurer tout simplement sa vie d'un point de vie financier. Pas de retraite, pas de garantie de ne pas finir à la rue, thème qui hante Martin Page.
Évidemment, plein de références à glaner au passage et plein de découvertes littéraires à faire ! Un viatique nécessaire à lire et relire.
06:00 Publié dans l'amour des mots, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : martin page
22/10/2015
Le jardin blanc ...en poche
"Pour le Britanniques, l'auto-dénigrement est un subtil motif de fierté. Les Américains, eux, le prenaient toujours pour un manque de confiance en soi."
Jo Bellamy, jeune paysagiste américaine, est envoyée par son employeur dans le Kent pour d'étudier (en vue de reproduction) le fameux jardin blanc de Vita Sackville-West. C'est aussi l'occasion pour la jeune femme de revenir sur les traces de son grand-père, qui vient de se suicider, et qui avait , dans sa jeunesse travaillé dans ce même jardin.
A Sissinghurst, Jo découvre un journal intime qui pourrait bien être celui de Virginia Woolf, amie et amante de Vita.Or, ce journal se prolonge au-delà delà de la date du décès de l'auteure de Mrs Dallowway...
Commence alors une folle course-poursuite entre universitaires et experts de chez Sotheby's afin d'élucider le mystère des derniers jours de Virginia Woolf.
Stephanie Barron s'engouffre avec jubilation dans l'espace temporel qui sépare la disparition et la découverte du corps de Virginia et, mêlant fiction et réalité, invente une fiction effrénée qui tient le lecteur en haleine. Si l'explication est un peu tarabiscotée, on prend néanmoins beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman à qui on pardonnera un aspect romance un peu trop prévisible, mais qui sait tirer parti choc des cultures et de notre côté "fan de . Un pur plaisir à côté duquel j'étais passée en raison d'une couverture initiale trop sombre. Celle de Morgane Rospars est juste parfaite !
Le jardin blanc, Stephanie Barron, traduit de l'anglais (E-U) par Isabelle D. Philippe, 10/18 2015, 373 pages jubilatoires suivies d'une série de questions et thèmes de discussion autour du Jardin blanc. Tellement anglo-saxon !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : stephanie barron