08/03/2019
Au bord de la Sandà
" C'est drôle comme on s'habitue à la solitude. Au début, on a l'impression qu'elle va être intolérable. On regrette les gens et les relations. Mais, peu à peu, quelque chose d'autre les remplace. Ce que l'on considérait comme indispensable s'avère ne pas l'être forcément au bout du compte."
Un peintre vit et peint dans ses caravanes, au bord d'une rivière glaciaire, en Islande . Il ne cherche pas à frayer avec les estivants et ,quand le camping se vide à la fin de l'été, il reste seul .
Il arpente la forêt, cherchant à rendre la vérité des arbres, épaulé par des écrits de peintres, seulement troublé par l'apparition d'une femme vêtue de rouge.
Ni la visite d'un de ses enfants, ni celle d'un acheteur potentiel de ses tableaux ne semblent le toucher et petit à petit s'affirme une volonté à la fois radicale et paisible: celle de ne plus pouvoir vivre dans une société dont il refuse les valeurs frauduleuses: "Le ciment est lourd, en tout cas, et un joug de béton peut faire couler n'importe qui . J'avais une maison que je ne pouvais pas payer et cela m'ôtait tout désir de soulever un pinceau, car je ne pouvais me résoudre à lier d'aucune façon tableaux et revenus. Ce qui est sans doute une notion totalement dépassée dans la société où nous vivons."
Roman contemplatif et intense, faisant la part belle à la nature, Au bord de la Sandà est un roman doté d'une écriture à la fois précise et poétique, exprimant" la force vitale à l’œuvre dans la création". Un roman de 142 pages, bruissant de marque-pages. Un roman qui m'a parlé comme rarement et qui file non seulement sur l'étagère des indispensables, mais également sur ma table de chevet, comme un viatique. Un coup de foudre littéraire !
Magnifiquement traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson, La Peuplade 2019.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : gyrdir eliasson
07/03/2019
#IamIamIam #NetGalleyFrance
"J'aurais aimé savoir que les choses qu'on ne contrôle pas dans la vie sont en général plus importantes, plus formatrices, à long terme que celles qui se passent comme prévu."
Le projet de Maggie O'Farrell ? "raconter la vie de quelqu’un , mais uniquement à travers ses expériences avec la mort."
Chacun des dix-sept chapitres, dûment datés et illustrés façon vieille planche d'anatomie, est consacré à une partie du corps de l'autrice-narratrice, car c'est bien de Maggie O'Farrell qu'il s'agit ici. Et cela commence très fort par un texte d'une tension dramatique extrême ,dont on se dit qu'après cela les choses ne pourront que baisser en intensité. Pas vraiment.
Chacune des expériences qui nous est relatée frappe par sa volonté de vérité dans l 'expression des sensations et des sentiments. Maggie O'Farrel scrute, écrit à l'os, ne se donnant jamais le beau rôle, mais décrivant au plus près pour mieux nous les faire ressentir la douleur, "Une douleur sans rebord, parfaite, parfaite comme une coquille d’œuf.", la violence des institutions de santé dont l'enfant qu'elle a été, mais aussi la femme, ont été victimes. Pas de course au dolorisme pour autant. Si l'auteure évoque l'hémorragie post-partum dont elle a failli mourir, et rappelle que "mourir en couches semble être un danger totalement daté, une menace extrêmement lointaine entre les murs des hôpitaux des pays développés" , c'est aussi pour mieux dénoncer le taux de mortalité maternelle anormalement élevé du Royaume-Uni ,ou évoquer un sujet tabou: les fausses couches et la manière dont elles sont trop souvent balayées d'un revers de la main.
La mort, elle la connaît donc de près, et ce depuis l'enfance. En effet, atteint d'une encéphalite, dont elle garde encore des séquelles, Maggie O'Farrell sait dans sa chair ce qu'est le poids du regard et des réflexions des autres, mais aussi la bienveillance et la confiance que l'on peut trouver dans une main anonyme que l'on serre ou des mots de réconfort. De quoi braver tous les pronostics pessimistes.
Le livre se termine par une course contre la montre, contre la mort, un condensé de souffrances, mais aussi une réaffirmation de la vie coûte que coûte. Un coup de poing -coup de cœur qu'on n'oubliera pas de sitôt.
Un texte qui file directement sur l'étagère des indispensables , bien sûr.
Belfond 2019
De la même autrice, clic, clic et reclic.
06:00 Publié dans Autobiographie, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : maggie o'farrell
06/03/2019
#LesGratitudes #NetGalleyFrance
"Je chéris le tremblement de leurs voix. Cette fragilité. Cette douceur. Je chéris leurs mots travestis, approximatifs, égarés , et leurs silences."
Même s'il y a bien eu des signes avant coureurs, c'est venu d'un coup: Michka la vieille dame chérie par Marie, ne peut plus rester seule. Les mots lui échappent de plus en plus et elle est tombée dans son salon.
Placée en Ehpad , la vieille dame reçoit régulièrement la visite de Marie,ainsi que celle d'un orthophoniste, Jérôme.
Leurs points de vue , ainsi que celui, biaisé de Michka, qui raconte de manière cauchemardesque des événements dont on ne sait s'ils sont réels ou rêvés, alternent pour brosser de manière sensible et tendre le portrait de cette femme qui s'éloigne de plus en plus de celle qu'elle a été.
Tourmentée par une gratitude qu'elle n'a pu exprimer, Michka sera aidée par ses deux amis pour mener à bien cette mission.
On ne peut qu'être séduit par la délicatesse dont fait preuve à son habitude Delphine de Vigan.
Seul bémol : la volonté de vouloir à tout prix terminer sur une note trop optimiste, ce qui gâche un peu le plaisir du lecteur.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : delphine de vigan
05/03/2019
Personne ne disparaît...en poche
"Tout ce que je pouvais dire pour expliquer mes piètres choix c'est que j’avais eu le sentiment général d'avoir besoin de partir, d'avoir besoin d'être la première à partir,le besoin de me barricader contre la vie que tous les autres semblaient vivre, la manière apparemment évidente, intuitive, claire et facile, et facile et claire pour tous ceux qui n’étaient pas moi, pour tous ceux qui se trouvaient de l'autre côté de cet endroit appelé moi."
Sur la seule foi d'une vague invitation, Elyria quitte, sans prévenir qui que ce soit, sa vie apparemment bien lisse de new-yorkaise trentenaire et s'envole pour la Nouvelle -Zélande.
Là, malgré les nombreuses mises en garde, elle choisit de rallier la chambre d'ami proposée, en faisant de l'auto stop. L'occasion de faire de multiples rencontres et de révéler au fur et à mesure de son périple ,tout autant géographique qu'intérieur, les véritables raisons de sa décision.
Une seule voix domine ce premier roman à l'écriture fluide et riche en métaphores. Un seul point de vue, très spécial car Elyria entretient une relation toute particulière à la réalité. Un personnage très attachant qui va se découvrir jusqu'au final un peu verbeux, mais d'une violence psychologique extrême ,qui serre le cœur.
Un coup de cœur ! Et zou sur l'étagère des indispensables, malgré ce petit bémol pour la fin !
Personne ne disparaît, Catherine Lacey, traduit de l'anglais ,( Etats-Unis) par Myriam Anderson,
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : catherine lacey
04/03/2019
Fair-play
"- Mari, dit Jonna, parfois tu es vraiment trop explicite.
-Ah oui ? Parfois, on doit pouvoir des choses inutiles, non ?
Elles reprirent leur lecture."
Mari et Jonna, les doubles de Tova Jansson et de sa compagne, Tuulikki Pietalä, partagent un appartement où elles disposent chacune d’un atelier, relié par un grenier commun.
Les deux femmes ont environ soixante-dix ans, mais ont su conserver une capacité créatrice qui s'exerce sous différentes formes artistiques. Elles voyagent à l’étranger, se rendent aussi dans leur maison insulaire où elles pêchent et s'opposent parfois avec véhémence aux chasseurs qui ne respectent pas les dates d'ouverture de la chasse.
Une grande complicité et une grande fraîcheur se dégagent de ces textes courts, lumineux où Mari évoque aussi bien sa pratique artistique que des détails du quotidien, rituels ou disputes ,passagères, tant les deux partenaires semblent bien rodées l'une à l'autre.
Ce n'est qu'à la toute fin qu Mari évoque de manière explicite ses sentiments pour Jonna avec une infinie délicatesse : " Mari l'écouta à peine. Une idée audacieuse était en train de prendre forme dans son esprit : celle d'une solitude, rien qu'à elle, paisible et pleine de possibilités. Une fantaisie qu'on peut se permettre quand on a le bonheur d'être aimé."
Un bonheur de lecture.
Fair-Play, Tove Jansson, traduit du suédois par Agneta Ségol, La Peuplade 2019, 141 pages emplies de bienveillance.
De la même autrice : clic , clic et reclic
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : tove jansson
27/02/2019
les cuisines du grand Midwest...en poche
"Après des dizaines d'années passées loin du Midwest, elle avait oublié que cette générosité déroutante était une manie répandue dans cette région."
Quand un jeune papa, féru de cuisine ,concocte pour sa fille qui vient tout juste de naître des menus sophistiqués pour les cinq premiers mois de sa vie, nul doute que celle-ci ne devienne une gastronome .
Et pourtant, il faudra bien des rebondissements pour que Eva Thorvald, l’adolescente, croqueuse aguerrie de piments ,n'accomplisse son destin.
Roman d'initiation , Les cuisines du grand Midwest utilise le biais de la cuisine, de la plus traditionnelle à la plus pointue, pour nous brosser le portrait d'une jeune femme que la vie n'a pas épargnée mais qui a toujours su faire face.
Si Eva est bien le fil rouge que nous retrouvons tout au long de ce texte, elle n'est pas forcément le personnage principal de chacun de chapitres qui donne alternativement le point de vue d'autres personnes croisées tout au long de sa vie. Ainsi, l'auteur, usant des ellipses, allège son récit tout en lui conservant sa densité. Un magistral chapitre final permet de réunir des éléments ayant joué un rôle dans la destinée d'Eva, mais n'en disons pas plus.
On prend beaucoup de plaisir à lire ce roman qui m'a parfois fait penser aux premiers textes de John Irving.
Entrecoupé de recettes de cuisine, le texte d'une apparente légèreté aborde des sujets graves sans jamais se prendre au sérieux, mais en faisant preuve de bienveillance et en évitant tous les pièges du pathos. Une magnifique réussite !
Les cuisines du grand Midwest, J. Ryan Stradhal, traduit de l’américain par Jean Esch, Editions Rue Fromentin 2017, 342 pages que j'ai quittées à regret.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : j. ryan stradhal
26/02/2019
La troisième Hemingway
" J'aurais beau me débattre, je n’arriverais pas à sortir de son ombre."
Si les deux premières femmes d'Ernest Hemingway avaient du caractère (et il en fallait sacrément pour faire face à "Papa" ) la troisième, Martha Gelhorn, fut la seule à demander le divorce et à refuser de lui faire une fille.
Romancière, correspondante de guerre sur de nombreux fronts, Paula McLain nous la décrit tiraillée entre son amour pour l'auteur de Pour qui sonne le glas et sa volonté d'exister par elle-même et par son travail.
Mais bien évidemment, l’œuvre de Gelhorn fut, à l'époque, surtout jugée à l'aune de Hemingway.
Un sujet en or dont Paula McLain tire un roman 474 pages, non dénuées de quelques longueurs et parfois hérissées de métaphore hasardeuses, voire de clichés qui ont quelque peu gâché ma lecture.
Merci à Babelio et aux éditions Presse de la Renaissance.
Traduit de l’anglais par Florence Hertz
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : paula mclain
25/02/2019
S'inventer une île
"Le fossoyeur avait raison, on avait besoin de repères, mais chacun devait trouver les siens."
Quand il apprend le décès accidentel de son fils , Tom, 7 ans, Dani est sur un chantier, en Chine. S'il rentre précipitamment pour affronter avec son épouse toutes les formalités du deuil, le père trop souvent absent refuse d'accepter la situation .
Alors que son épouse choisit de faire table rase du passé et de s'inventer une nouvelle vie, Dani voit apparaître son fils, non sous une forme évanescente , mais bien en chair et en os, discute avec lui . Finalement tous deux partent S'inventer une île et vivre d'une certaine façon tout ce qu'ils avaient raté, en raison de l'éloignement du père, tant géographique que mental.
On pourrait se sentir pris en otage par ce roman, d'autant qu'il est basé sur des faits réels, mais Alain Gillot évite tous les écueils du genre lacrymal et propose via des personnages secondaires ou non, différentes manières de vivre au quotidien avec les morts, voire de s’engueuler avec eux. Chacun fait comme il peut pour affronter l’insupportable , semble-t-il suggérer. Ces 208 pages disent l’essentiel, de manière délicate.
Éditions Flammarion 2019.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alain gillot
21/02/2019
#LeChantDesRevenants #NetGalleyFrance
"Quelques jours plus tard, j'ai compris ce qu'il essayait de dire, que devenir adulte signifie apprendre à naviguer dans ce courant: apprendre quand se cramponner, quand jeter l'ancre, quand se laisser porter."
Trois voix portent le récit de cette famille noire du Sud des États-Unis. D'abord celle de Jojo, treize ans maintenant, enfant métis qui vit chez ses grands-parents noirs, chérit sa petite sœur Kayla, mais n'entretient que des relations sans illusions avec sa mère, Leonie qu'il n'appelle jamais "maman". Jojo voit les morts et en particulier Richie, jeune garçon noir que le grand-père de Jojo a connu autrefois au pénitencier de Parchman.
Richie est la deuxième voix de ce roman choral, relatant la violence dont ont été victimes les Noirs, même après l'abolition de la ségrégation.
C'est à Leonie, enceinte à dix-sept d'ans d'un premier enfant, droguée à la méthamphétamine pour oublier la mort de son frère , Given, victime officiellement d'un accident de chasse, mais dans les faits d'un crime raciste, que revient la troisième voix. Égoïste et bien trop amoureuse de Michael, un Blanc rejeté par sa famille car selon eux il a épousé une "pute noire", Leonie embarque ses enfants dans un road movie parfois halluciné pour aller chercher Michael qui va sortir de Parchman où il a effectué sa peine de prison. L'occasion de vivre de manière resserrée tout à la fois le racisme et la violence au quotidien.
Réalisme, lyrisme et une pointe de fantastique, tels sont les ingrédients de ce roman captivant où seul le chant d'une enfant pourra apporter le repos à tous ceux qui sont morts sans sépulture.
(Sing, unburied, sing, )traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, éd. Belfond, 272 p.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jesmyn ward
18/02/2019
Les désaccordés
"Quoi qu'il en soit, il serait faux de dire que je me suis évanoui. J'ai simplement décidé de me rafraîchir la joue contre le sol en plastique et, ce faisant, j'ai entendu un petit ci d'animal venant au monde. Plus tard, j'ai été très déçu d'apprendre qu'il était sorti de ma propre bouche."
Ray Morris et sa femme (très enceinte) Garthene sont des londoniens tout à fait ordinaires. Il est journaliste free-lance, elle est infirmière et ils cherchent, vainement ,à acheter une maison correspondant sinon à leurs goûts, du moins à leurs moyens.
Rien que de très banal donc,jusqu'à ce que toute une série de petits désaccordements dans sa vie sociale, puis familiale, n'entraîne Ray à voir sa vie s'effondrer sur fond d'émeutes londoniennes.
Sur le schéma classique de la boule de neige d'ennuis qui grossit exponentiellement , Joe Dunthorne réussit à maîtriser toujours le rythme de son récit, la véracité des situations, en observant avec finesse son héros dans ses relations avec les autres.
Ray a souvent des réactions inappropriées mais son sens de l'humour fait mouche et il m'est souvent arrivé de rire ou de sourire en dévorant ces 229 pages dans lesquelles cet homme de trente-trois ans se débat pour devenir un peu plus adulte (il serait grand temps).
Gallimard 2019, traduit de l’anglais par Simon Baril.
Un autre roman de Joe Dunthorne, non traduit en français, a été adapté au cinéma , "Submarine" et comme j'avais aimé le film ...
06:00 Publié dans Humour, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : joe dunthorne