06/09/2019
Je m'appelle Lucy Barton...en poche
"Je me répétais que tous les cinq nous avions vraiment formé une famille malsaine, mais je voyais aussi combien nos racines étaient farouchement entremêlées autour de nos cœurs."
Hospitalisée, se sentant seule ,loin de son mari pris par son travail, loin de ses filles, Lucy Barton a la surprise de voir débarquer sa mère à son chevet. Issue d’une famille extrêmement pauvre, sans relations sociales, sans culture, sans expression de sentiments, Lucy a su tracer sa route, échapper à la solitude et devenir écrivain.
Pendant cinq jours, entre veille et sommeil, les deux femmes vont échanger de petits riens, mais, avec une extrême pudeur, trop de non-dits trop profondément enkystés empêchant toute expression directe, Lucy comprendra la profondeur des liens qui la lient à toute sa famille , aussi dysfonctionnelle qu'elle ait été. Un magnifique portrait de femme par l'auteur d'Olive Kitteridge. clic.
Je m'appelle Lucy Barton, Elizabeth Strout,
06:15 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elizabeth strout
05/09/2019
Miss Islande
"- Tu n'as toujours pas avoué à ton poète que tu écris ?
Elle aurait aussi bien pu me demander: Est-il au courant que tu caches en toi une bête sauvage qui n'attend que d'être libérée ? Un écrivain est-il capable de comprendre un autre écrivain ? "
Elle aurait pu choisir de se présenter, comme d'aucuns le lui conseille à l'élection de Miss Islande, ou plus simplement endosser, comme son amie Isey, le destin de mère de famille. Mais Hekkla, qui écrit avec une facilité déconcertante, veut accomplir son destin d'écrivain.
La voilà donc qui quitte son père et sa campagne pour aller de petit boulot en petit boulot à Reykjavik. Là elle retrouve son meilleur ami, Jon John, homosexuel qui , comme elle espère pouvoir déployer ses ailes dans la capitale.
Mais en 1963, dans ce tout petit monde qu'est alors l’Islande, certes irrigué par la poésie, une femme écrivain et un jeune homme considéré de par son orientation sexuelle comme "...un criminel, un déviant, un malade [...] une infamie." vont avoir du mal à se frayer un chemin.
Par petites touches subtiles, sans jamais donner de leçons, Audur Ava Olafsdottir montre ce que l'on n’appelait pas encore le harcèlement sexuel, la condition des femmes qui n'avaient pas encore accès à la contraception, l'aliénation des mères de famille et la mise au banc des minorités sexuelles, mais aussi la bohème des apprentis poètes.
Ses héros sont lumineux, et si l'on connaît rarement les pensées de Hekkla, on les devine grâce aux lettres de son amie. Tous les personnages sont croqués à ravir et même si la décision finale de la jeune femme est frustrante, elle s'inscrit parfaitement dans la logique de l'époque. Un très grand bonheur de lecture et une héroïne qu'on n'oubliera pas de sitôt.
L'étagère des indispensables, bien sûr.
Magnifique traduction d'Eric Boury. Zulma 2019, 268 pages et plein de marque-pages.
Cuné est enthousiaste : clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : audur ava olafsdottir
04/09/2019
Avec toutes mes sympathies...en poche
"Bénéfice secondaire du malheur, le bonheur ne me frappe plus au cœur, mais les contrariétés non plus."
Après le suicide de son frère, la critique littéraire Olivia de Lamberterie a rompu son vœu et exaucé le souhait fraternel : écrire un livre. Dont acte.
Mais sans doute eût-il été préférable qu 'elle se laisse le temps de prendre du recul, cela aurait sans doute favorisé une expression plus maîtrisée des sentiments et un peu plus de rigueur dans l'écriture aussi (à deux reprises, à quelques lignes de distance, la narratrice "se gorge" d'activités positives, comme dans une mauvaise publicité).
J'ai donc ressenti peu d'émotions, mais sans doute suis-je sans cœur.
05:55 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : olivia de lamberterie
02/09/2019
#LePlusFouDesDeux#NetGalleyFrance
"Le problème avec les morts, c'est qu'on en fait des bourgeois avec de petites âmes. On leur taille des destins sur mesure quand ils n'ont plus le choix de nous contredire, comme quand je bégaie et qu'on finit mes phrases à ma place, toujours à côté de ce que j'avais l’intention de dire. L'artiste a-t-il pour vocation de modifier le destin des morts ? "
Imaginez : un inconnu vous intime : "-Donnez-moi une bonne raison, une seule de ne pas me suicider cette nuit !" Cette phrase va agir sur Lucie Paugham, célèbre marionnettiste, comme un détonateur et faire remonter une scène qui s'est déroulée trente ans plus tôt au sein de sa famille. Scène dont les motifs sont restés obscurs aussi bien pour Lucie que pour sa sœur Agnès et leur mère: le suicide du père de famille qui avait posé presque la même question avant de mettre fin à ses jours.
Commence alors une relation étrange entre les deux protagonistes, toujours sur le fil du rasoir, relation qui va totalement chambouler la vie de Lucie, tant du point de vue artistique que familial. C'est aussi l'occasion de découvrir l'univers méconnu des marionnettistes pour adultes et de retrouver la subtilité d'une auteure dont je suis toujours avec attention l'évolution.
Jean-Claude Lattès 2019
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sophie bassignac
01/09/2019
Le pouvoir...en poche
"Le pouvoir de nuire, de faire mal ,est une forme de richesse."
Les femmes, grâce à un organe apparu au niveau d'une clavicule, possèdent un nouveau pouvoir: celui d'infliger une douleur fulgurante, et même la mort. Elles ne sont pour autant pas invincibles, mais la peur a changé de camp et les hommes sont devenus le sexe faible.
Aux États-Unis, en Arabie Saoudite,dans un petit État d'Europe de L'Est et bientôt aux quatre coins du monde, les femmes s’organisent, une nouvelle religion apparaît . Mais celles qui détiennent désormais le pouvoir vont-elles se comporter mieux que les hommes ?
En choisissant de suivre le destin de quatre personnages, dont les destins vont évidemment se croiser, Naomi Alderman axe son roman sur la politique, la religion, les médias et le banditisme. Elles montrent les liens que ces puissances entretiennent mais ne perd pour autant pas de vue le côté humain de Tunde ,jeune journaliste nigérian et unique héros masculin, Allie jeune métisse américaine au parcours chaotique, Roxy fille d' un truand anglais ou bien encore Margot, ambitieuse femme politique divorcée et mère de famille américaine.
L’enthousiasme est très présent dans la première partie montrant le"Grand Changement", tandis que la tension monte dans la seconde qui relate les dérives du pouvoir.
Les textes qui encadrent ce qui est présenté comme un "maudit livre" rédigé par un homme, augmentent la sensation de réel du roman et l’inscrivent dans une démarche présentée comme historique qui ne peuvent que susciter la réflexion. Une grand plaisir de lecture, un roman qui se dévore d'une traite et que la grande Margaret Atwood qualifie de "fulgurant", quoi de mieux pour se précipiter ?
traduit de l'anglais (G-B) par Christine Barbaste
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : naomi alderman
31/08/2019
Dans la mansarde...en poche
"Je sais peu de choses sur Hubert et j'en sais déjà trop. Il me semble parfois un peu indécent d'en savoir autant sur son partenaire."
Huit jours de la vie d'une femme de quarante-sept ans, du dimanche au dimanche, comme une ronde bien huilée en apparence. Son fils aîné a pris son indépendance, sa fille est en vacances à la neige, ne reste donc à la maison que la narratrice et son mari, avocat.
Leur routine fait partie du "système" que la narratrice a mise en place pour échapper à ce qu'elle appelle ses "pensées de mansarde", la mansarde étant "la chambre à soi" où elle dessine et réfléchit. L'espace où elle prend aussi connaissance des courriers qui arrivent quotidiennement, livrant de façon morcelée des pages d'un journal intime d'une époque qu'elle estime révolue. Époque lointaine où elle est soudain et inexplicablement devenue sourde, ce qui lui vaudra un exil forcé, en forêt, dans une quasi solitude. Là, elle connaîtra une expérience intense, que chaque lecteur pourra interpréter à sa façon
Petit à petit, nous prenons ainsi conscience de la force souterraine qui anime cette femme et qu'elle annihile consciencieusement, se pliant à des rituels bourgeois auxquels elle n’adhère pas.
Paru pour la première fois en 1969, ce roman pourrait aussi bien se dérouler de nos jours tant il est moderne et embarque son lecteur dès les premières phrases.221 pages piquetées de marque-pages
Traduit de l'allemand par Miguel Couffon. Babel 2019
De la même autrice : Le mur invisible clic.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marlen haushofer
30/08/2019
Agathe
"Je suis enterrée vivante dans ma propre existence!On vous aurait cru capable de percer à jour l'humour du condamné, lorsque vous y êtes confronté."
Un psychanalyste au bout de cinquante ans de carrière, quelque peu désabusé, sur sa pratique et sur sa patientèle, égrène les huit cents entretiens qui lui restent à assume ravant la fermeture de son cabinet.
Une ultime nouvelle patiente, Agathe, va venir briser la tranquille routine dans laquelle il s'était enlisé, aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle.
Agathe, en effet, met quelque peu à mal l'autorité distanciée derrière laquelle se retranche le psychanalyste. Ce dernier sortira alors de sa zone de confort et se confrontera au plus près des angoisses et des peurs que nous partageons tous, psychanalyste ou pas.
Un roman profondément bienveillant, empli d'humanité, écrit par une psychologue danoise.
Traduction du danois par Inès Jorgensen, La peuplade 2019.
Cuné a aimé aussi: clic.
06:00 Publié dans Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : anne catherine bomann
29/08/2019
Un mariage américain
"Nous ne sommes pas la version noire de la famille américaine idéale."
Le seul crime de Roy ? Avoir été un Noir au mauvais endroit , au mauvais moment, qui plus est dans un État sudiste des États-Unis. Condamné rapidement pour viol, alors que sa femme, Celestial, sait qu'il est innocent, le jeune homme voit basculer sa vie en un rien de temps.
Tout semblait pourtant leur sourire: Roy s'apprêtait à lancer son business tandis que sa jeune épouse commençait à se lancer dans une carrière artistique. Bien qu'appartenant à la classe moyenne américaine, Roy paraît voué à incarner le destin de l'homme noir : "Porté par six ou jugé par douze.", comprendre être dans un cercueil ou passer devant le tribunal.
Tayari Jones choisit de ne pas s'attarder sur le procès, mais bien d'analyser en profondeur la relation qui va peu à peu se déliter entre ceux qui ne sont mariés que depuis dix-huit mois. Par le biais de leur correspondance, puis donnant tour à tour la parole aux différents protagonistes de cette histoire, elle scrute au plus profond les motifs de la distance qui s'établit entre eux. Sans manichéisme, sans parti pris, elle analyse ainsi l'évolution de cette relation et dénonce le racisme qui gangrène la société américaine.
Un roman puissant qui aurait pu néanmoins détailler un peu plus le revirement de la justice et s’épargner quelques lourdeurs concernant les pressentiments de certains personnages.
Attention, la quatrième de couverture en dit beaucoup trop.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Karine Lalechère, Plon 2019, 415 pages prenantes.
Merci à Babelio et à l’éditeur.
05:40 Publié dans Rentrée 2019, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : tayari jones
27/08/2019
#LesGrands Cerfs#NetGalleyFrance
"Je découvrais "l'effet affût": le monde arrive et se pose à nos pieds comme si nous n'étions pas là. Comme si nous n'étions pas, tout court. On constate que le monde se passe de nous. Et même davantage: il va mieux sans nous."
"Un tonnerre de beauté", telle est la première métaphore pour désigner l'un de ces êtres magnifiques qui donnent son titre au nouveau roman de Claudie Hunziger. Cette apparition nocturne, dans la lumière des phares le 29 octobre 2017 va déclencher une nouvelle étape d'un processus né de la rencontre avec un photographe animalier se consacrant uniquement aux cerfs, Léo.
Ce dernier a demandé à la narratrice -qui ressemble fortement à l'autrice-,des années auparavant, l’autorisation d'installer un affût sur un terrain des Hautes-Huttes, nouvelle appellation à ce lieu retiré ,parfois appelé Bambois dans d'autres textes de Hunziger. A commencé alors une amitié en pointillés, Léo toujours sur la réserve, pendant laquelle le photographe a distillé ses connaissances sur les différents cerfs de ce coin des Vosges.
La narratrice , fascinée par la beauté des cervidés, prend aussi conscience des enjeux économiques qu'ils représentent pour des intérêts contradictoires: ceux des chasseurs et ceux de l'Office National des Forêts. Intérêts contradictoires mais ayant quand même pou runique résultat la destruction des cerfs.
Ce roman est une splendeur, par la langue, à la fois ultra précise concernant le vocabulaire spécifique lié aux cerfs, que poétique. C'est à un véritable bain de nature que nous convie Claudie Hunziger, bain alarmiste toutefois car l'autrice tire aussi la sonnette d'alarme sur la disparition des espèces animales et végétales, qu'elle a pu elle-même constater en une dizaine d'années.
Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Grasset 2019.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : claudie hunzinger
26/08/2019
Jour de courage
"Il ne fallait pas être bien malin pour comprendre que depuis quarante minutes, Livio parlait de lui, de sa fragilité, de son impossibilité à trouver sa place, il était visible qu'il avait recherché comment l'homosexualité avait été abordée dans les différentes sociétés au fil des époques, et Arthur avait été le premier à voir venir, à sentir monter en lui une violence qui devenait impossible à contenir."
Qui dans cette classe de lycée avait déjà entendu parler de Magnus Hirschfeld ,ce médecin juif-allemand qui dès le début du XXème siècle avait lutté en Allemagne pour les droits des homosexuels et avait mis en place un institut étudiant la sexologie ? Personne, peut être même pas la prof d'histoire.
Pourtant, Livio, dix-sept ans, volontaire pour prendre en charge un exposé sur les premiers autodafés nazis, va retracer le parcours exceptionnel de cet homme, une manière pour lui de faire comprendre publiquement ce que même sa meilleure amie se refuse à voir.
Un "passage obligé" dont Brigitte Giraud rend compte au plus près, dans ces 156 pages, retraçant non seulement l'exposé et ses digressions, mais aussi les réactions du public du jeune homme. Le corps de l'adolescent est au centre du dispositif, ce grand corps qui trahit la souffrance de Livio qui peine à trouver sa place non seulement au sein de ses pairs, mais surtout au cœur de sa famille, dont l'histoire familiale repose sur ses fragiles épaules.
Un roman intense qui rappelle que , quelle que soit l'époque, "Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes", citation de Heinrich Heine que Livio aurait dû écrire dès son introduction, oubli révélateur du véritable objet de son exposé.
Flammarion 2019
05:50 Publié dans Rentrée 2019, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : brigitte giraud