03/03/2020
Débâcle...en poche
"C'est peut être à ça qu'on les reconnaît, les familles où ce qui est le plus essentiel va de travers: pour compenser, elles inventent un tas de petites règles et de principes ridicules."
Eva est invitée à la fois pour commémorer le trentième anniversaire que ne fêtera jamais Jan, le frère d'un de ses amis, et pour l'inauguration d'un "site de production laitière ,presque entièrement automatisé." Doublon bizarre qui donne d'emblée le ton de ce roman où les sentiments s'expriment de manière quasi souterraine, dans un microcosme, celui d'un village flamand ,où elle a passé toute son enfance.
L'occasion pour la jeune femme de revivre deux été qui auront décidé de son existence et du fait qu'elle se rende à cette invitation munie d'un gros bloc de glace...
Eva, Pim et Laurens, une fille deux garçons, les seuls enfants nés en 1988, coïncidence qui les unira façon trois mousquetaires, même si leurs origines sociales sont bien différentes.Un triangle dont les relations s'effilocheront et deviendront de plus en plus troubles.
La tension ne cesse de monter, et même si parfois, on se perd un peu dans ces retours en arrière, rien de grave : on est tenu en haleine par ces familles dysfonctionnelles chacune à leur manière , où le drame se cache dans les détails qu'Eva scrute avec une acuité sans pareille et sème comme autant de petits cailloux blancs qui, rétrospectivement prennent toute leur valeur.
J'ai été bluffée par ce premier roman qui distille une atmosphère à la fois lumineuse et trouble, qu'on ne lâche pas et qu'on termine quasi exsangue.
Traduit du néerlandais (Belgique) par Emmanuelle tardif.
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : lize spit
02/03/2020
Comme si tu étais toujours là
"Tu me manques tellement, mais il y a quinze ans que tu me manques tellement ! " , m'avoues-tu . Nous nous sommes toujours manqué terriblement."
Sur un coup de tête, par jalousie, la chanteuse Marie Paule Belle quitte sa compagne, Françoise Mallet-Joris, romancière et auteure des paroles de ses chansons. Les deux femmes vivaient alors en toute liberté une relation au vu et su de tous, même si dans les médias, on n'évoquait, je m'en souviens, qu'une belle amitié entre les deux femmes. Nous étions dans les années 70.
Même si ,après leur séparation, les deux femmes ont continué à se voir, à s'écrire, elles n'ont plus jamais revécu ensemble et c'est après la disparition de la romancière en 2016 que Marie Paule belle a vraiment pris conscience de la puissance de l'amour qui les unissait.
Dans un monde où, selon l'autrice, l'homophobie est de plus en plus décomplexée, la parution de ce livre est un souffle d'espérance et d’amour.
Publiant les lettres, les petits billets envoyés avec un belle fréquence par Françoise Mallet Joris, la chanteuse étant souvent en tournée, on voit transparaître à la fois son inquiétude (les risques d'accident, la carrière de son amour) mais aussi sa constante sollicitude et son amour indéfectible. Une telle générosité méritait bien d'être célébrée.
Un texte pudique, tout en retenue, les amateurs d'anecdotes croustillantes en seront pour leurs frais et une magnifique préface de Serge Lama qui a bien connu les deux femmes.
Plon 2020
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : marie-paule belle, françoise mallet-joris, serge lama
29/02/2020
Les recettes de la vie...en poche
"Je veux ta colère, tes reproches, tes insultes, tes coups. Tout, sauf ton silence immobile et cette putain de chape de plomb qui recouvre tes émotions depuis que maman est partie.Je n'en peux plus de tes habits de deuil, de ta rectitude de moine soldat qui dort près de son fourneau. Je ne veux plus de ta sollicitude de père courage, de ta transmission sans émotion, de nos rites qui pédalent dans le vide."
Au lendemain de ce qu'on n’appelle pas encore la guerre d’Algérie, Monsieur Henri, flanqué du fidèle Lucien, a fait du Relais fleuri un restaurant d'habitués. Là, il mène une vie toute entière consacrée à sa femme, à son fils Julien et, bien sûr, à sa cuisine.
Mais, toujours il refusera que son fils devienne à son tour cuisinier.
Quand le roman commence, Henri est plongé dans le coma et Julien veut à toutes forces retrouver le cahier de recettes de son père, ce qui le replongera dans le passé et lui fera découvrir les secrets de son taiseux de père.
Je connaissais Jacky Durand par ses chroniques culinaires, je découvre ici son deuxième roman et c'est un pur régal. Tendresse, gouaille, et bien sûr, évocations de plats qui font saliver, sont au menu de ce très joli roman de filiation empêchée entre un père et son fils.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacky durand
28/02/2020
Principe de suspension...en poche
"Il sait ce que signifie le mot "faible": la conscience de ses propres fragilités. Il sait que lutter contre les autres est plus facile que lutter contre soi-même. Qu'il faut, parfois, faire preuve d'indulgence."
Thomas a racheté une PME de la filière plastique et se bat pour défendre l'industrie dans sa région du Grand Ouest. En butte aux trahisons intimes et professionnelles, son corps lâche prise.
Alors que Thomas est plongé dans le coma, sa femme, Olivia, va peu à peu sortir de sa passivité et envisager d'une nouvelle manière leurs relations quelques peu sacrifiées par les nécessités du travail trop prenant de son époux.
Egrainant les définitions des mots "principe" et "suspension", les chapitres de ce roman remontent le temps afin de démonter les rouages de ce qui a amené au burn out.
Si la description de la vie d'une PME , bien trop rare en littérature, est intéressante, elle manque singulièrement de souffle. On sent la volonté de trop bien faire, de délivrer toutes les informations dont s'est nourrie l'autrice afin de rendre justice à ces patrons de PME, trop souvent oubliés. cela au détriment de la littérature.
J’avoue aussi avoir été passablement agacée par le personnages d'Olivia, singulièrement détachée de la réalité. Bilan en demi-teintes donc.
De la même autrice: clic.
04:55 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vanessa bamberger
27/02/2020
Les falaises
"J'attends qu'il fasse noir pour qu'on se voie moins un peu. J'attends qu'il fasse noir et je défais ses bretelles . Détricote son chandail. Détricote ses cheveux attachés sur sa nuque, les laisse glisser sur mes joues. La laisse glisser sur mes joues. Les mains enfiévrées les doigts araignées d'eau. J''échappe ses taches de rousseur sur le plancher.Ses dents accrochées dans les recoins sensibles de mon cou."
La narratrice, V., vient d'apprendre la mort de sa mère. Elle se rend à sa maison d’enfance, au bord du fleuve Saint Laurent où s'est glissée sa mère, dans le but de vider l'habitation, mais aussi de renouer les liens distendus de cette famille matrilinéaire où les hommes ne faisaient que passer, occupés par d'autres voyages.
D'octobre à mars, nous suivons V. dans un périple d'abord immobile, découvrant les écrits de sa grand-mère, née en Islande, évoquant les souvenirs de sa mère, marquée par une grande instabilité psychologique, mais emmenant ses deux filles, V. et Anaïs aux quatre coins du monde.
Bientôt V. partira sur les traces de son ancêtre, mais elle sait déjà que ce sera pour mieux revenir.
Femmes sauvages, femmes à la fois faibles et fortes, marquées par leur amour de la nature, Virginie DeChamplain leur offre une voix poétique, ultra sensible qui parfois broie le cœur. La lettre que la grand-mère écrit à sa fille nouvelle née est parmi l'une des plus belles lettres d'amour que j'ai lue.
Un texte au plus près des corps, des émotions, de la nature, qui ne fait pas l'économie de la souffrance ,mais sans jamais tomber dans le pathos. Une langue libre qui se réinvente pour mieux dire l'amour et la mort Un texte puissant et marquant qui file sur l'étagère des indispensables.
Éditions La peuplade 2020,212 pages écrites pour chacune d'entre nous.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : virginie dechamplain
26/02/2020
Sous le compost...en poche
"A propos de cholestérol, la femme de Denis débarqua vers 19 h 30, cheveux violets, bouclettes grillées."
Franck, père au foyer, chérit ses trois petites filles, fait un peu de vélo avec des gars du cru, mais s'occupe surtout de son potager , tandis que sa femme, vétérinaire, sillonne la campagne et s'active des heures durant.
Cette belle harmonie est rompue quand Franck reçoit une lettre anonyme l'informant des infidélités de son épouse.
Loin de surréagir, Franck décide juste de se lancer à son tour sur le chemin de l'adultère , même s'il se rend bien compte que "...c'était une erreur de jouer la surenchère plutôt que la conciliation."
Et il commence par l'épouse de celui qui couche avec sa femme. Séduction à la hussarde d'abord, comprendre à la limite du viol (avec une description hilarante du membre du narrateur reprenant des clichés éculés, ce que l'on retrouvera d'ailleurs à plusieurs reprises dans le roman), puis plus policée ensuite.
Au bout de 200 pages, sentant que son récit s'essouffle, apparaissent de nouveaux personnages qui viennent révéler un autre aspect de ce velléitaire de Franck; c'est un écrivain raté. L'aspect roman noir , juste suggéré auparavant, va brièvement se développer avec une victime désignée d'office : la séductrice qui vient affoler tous les mâles du village.
Beaucoup de clichés donc, et la description acide de cette vie villageoise tourne vite court. Décevant.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas maleski, schtroumpf grognon le retour
25/02/2020
Le lambeau...en poche
"Les chirurgiens n'aiment guère que leurs patients ne justifient pas leurs efforts et Chloé supportait mal l'échec."
Survivant de la tuerie de Charlie Hebdo, Philippe Lançon raconte de manière incroyable l'attentat, on a vraiment l'impression d'y être, choisissant de raconter du point de vue parcellaire qui était le sien.
Gravement blessé au visage, il relate dans Le lambeau sa lente reconstruction, tant chirurgicale que psychologique, de manière très crue, très franche aussi, n'ayant pas peur de ne pas paraître sympathique.
Les arts (littérature, cinéma, peinture...) l'aident beaucoup dans ce retour à la vie, ainsi que les soignants et les policiers qui le gardent, dont ils brossent des portraits pleins de vivacité et d'empathie.
L'écriture est superbe d'un bout à l'autre de ces 510 pages. Un texte couvert, à jute titre, de prix.
Couverture chez Folio de Fabienne Verdier.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit de vie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : philippe lançon
24/02/2020
Les dessous lesbiens de la chanson
"Les chansons sont parfois bien utiles pour montrer ce que les yeux ne sauraient voir."
Qu'elles soient ouvertement des hymnes saphiques" comme "Ouvre" de Suzy Solidor (chanson dont les deux derniers couplets ont été censurés par sa maison de disques ), qu'elles avancent masquées (évoquant des thèmes qui parlent seulement aux initiées, la couleur mauve par exemple) ou laissent libre court à l'interprétation de l'ambiguïté d'un pronom ou d'une situation, les chansons véhiculent la réalité parfois cachée, parfois opprimée de l’homosexualité féminine.Classés en quatre grandes parties, ces textes sont analysés tour à tour dans leur individualité, faisant aussi la part belle à la personnalité de leurs interprètes ou de leurs auteurs ou autrices.
C'est ainsi que l'on croise sans surprise Marie-Paule Belle ou Hoshi, mais aussi Anne Sylvestre, Isabelle Mayereau ou Vanessa Paradis dont le fameux Joe le Taxi était en fait une femme liée au monde la nuit lesbienne. Plus surprenant encore, j'ai appris que "Comme un Ouragan " de Stéphanie de Monaco avait été annexé comme "hymne lesbien".
Mais cet ouvrage présente également le grand mérite de mettre en avant de grandes figures du passé, des éclaireuses, des frondeuses qui ont chanté aussi bien la naissance de l'amour que le coule lesbien âgé, comme Pauline Julien avec "Les deux vieilles" (paroles de Clémence Desrochers).
Les dessins, tout en délicatesse et en finesse de Julie Feydel accompagnent ce panorama exhaustif et diablement intéressant dont la bande son est accessible via un QR code. Une magnifique découverte !
Un grand merci aux Editions iXe et à Babelio
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (3)
21/02/2020
On dirait que je suis morte ...en poche
"Il comptait parmi ces gens chanceux: il était sorti de l'enfance en un seul morceau et son passé n'était pas une énorme masse inamovible dotée d'un climat propre."
Mona, jeune femme de ménage (elle adore les aspirateurs !) distribue le soir des préservatifs et des seringues aux drogués. C'est là qu'elle tombe amoureuse de celui qu'elle surnomme M. Dégoûtant, artiste raté et édenté. Au vu du titre de cette première partie , Le Trou, on se doute bien de l'issue de cette relation.
Mais Mona n'a pas dit son dernier mot et la voilà bientôt en route pour le Nouveau-Mexique où, au fil de rencontres (voisins, clients, amis, hauts en couleurs et éclectiques), elle parvient progressivement à se libérer d'un passé qu'on devine toxique, d'après des bribes qu'elle nous a distillés.
Ce pourrait être trash, mais c'est plein d'émotion et de retenue.La langue est métaphorique, surprenante et Jen Beagin, dans ce premier roman, réussit un pari fou: créer un univers et des personnages pleins de vie, attachants , sans jamais tomber dans le glauque. Tout est sur le fil du rasoir mais Mona fait toujours un léger pas de côté in extremis pour éviter le sordide et choisir le camp de l'humour ,de la surprise ou de l'art. On n'oubliera pas de sitôt Yoko et Yoko, Jésus, Betty, et Mona , bien sûr. Une vraie découverte !
Un roman enthousiasmant traduit brillamment de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy qui avait su attirer mon attention sur ce roman .
Buchet-Chastel 2019, 275 pages qui donnent la pêche !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3)
13/02/2020
La daronne... en poche
"Nous étions entre nous, appartenant au grand flou des classes moyennes étranglées par ses vieux. C'était rassurant."
A part une brève parenthèse de bonheur marital, on ne peut pas dire que la vie de notre narratrice ait été marquée par la joie de vivre. Lasse d'être employée au noir par l’État comme interprète judiciaire, de n'avoir ni sécu ni retraite en vue, lasse d'avoir bossé pour payer les études de ses filles, puis maintenant pour l'EPHAD de sa mère, elle saisit l'opportunité de se glisser dans un monde qu'elle connaît bien pour le suivre via des écoutes téléphoniques : celui du trafic de drogue.
Et là, elle revit, jonglant avec la langue qu'elle connaît depuis l'enfance, "la langue d'avant Babel qui réunit tous les hommes", à savoir l'argent. Elle endosse avec jubilation l'identité de La daronne, délicieusement amorale, fustigeant notre société et ses hypocrisies. Usant d'une langue tour à tour soutenue puis argotique, "elle, au contraire, avait l’œil émerillonné de celles qui aiment le biff", Hannelore Cayre se régale visiblement à ponctuer son récit de remarques vachardes et délicieuses à nos yeux de lecteurs: "Je me suis très mal conduite avec lui, mais il faut dire que son honnêteté à toute épreuve en faisait un sacré boulet."
Enfin, une héroïne en colère, amorale et qui ne trouve pas son salut dans l'amooouuuur, voilà qui fait bien fou ! (Plein de femmes fortes d'ailleurs dans ce roman , chacune dans leur genre !).
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : hannelore cayre