08/02/2020
Au grand lavoir...en poche
Alors j'irai au grand lavoir là-bas, où la mémoire se récure contre le granit rugueux, où la langue se rince au torrent qui mousse comme un savon d'encre, où la fiction fait Javel. Je regarderai l'eau crasseuse s'écouler dans une grande synovie de mots et je laisserai sécher les éclaboussures au soleil de leur consolation. Grande lessive.
Il a assassiné la mère de celle qu'il voit un jour à la télé, par hasard.
L'étudiante d'alors est devenue une écrivaine qui va venir pour une signature à Nogent-le-Rotrou Rotrou.
L'assassin a changé d'identité, a été réinséré. Il travaille aux espaces verts de cette commune et mène une vie routinière, totalement perturbée par cette nouvelle. Tous les stratagèmes mis en place vont montrer leurs faiblesses même si, paradoxalement, un point commun unit en pointillés ces deux personnages antagonistes: les plantes.
Utilisant un montage en parallèle qui alterne les points de vue, Sophie Daul met ici en scène un parcours à la fois imaginaire même si inspiré de sa propre histoire. Elle a en effet découvert le corps de sa mère assassinée. Face à un tel drame comment réagir ? Vengeance ? Pardon ? Dans une mise en scène troublante où se dit aussi un corps figé à l'instar de celui de la mère dans une taille 34, Sophie Daul définit ici une troisième voie.
A dire vrai, je craignais la lecture de ce texte qui aurait pu être lacrymal, usant de grosses ficelles, mais l'autrice est à la fois cérébrale et sensible et j'ai dévoré ce roman d'une traite.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sophie daul
07/02/2020
Personne n'a peur des gens qui sourient...en poche
Qui ne s'est jamais faite belle pour déjeuner avec une amie, ou même pour elle-même, afin de ne pas naufrager ? "
ça commence un peu comme dans le court-métrage de Xavier Legrand avec Léa Drucker "Avant que de tout perdre" : Gloria embarque précipitamment ses enfants (ici deux filles, dont une ado en pleine rébellion) et se réfugie dans sa maison d'enfance en Alsace, près d'un lac.
D'emblée, la tension est là. D'emblée, le lecteur échafaude des hypothèses que le récit se chargera de réfuter. De la même manière, le personnage central de Gloria gagnera en épaisseur et en amoralité jubilatoire.
Véronique Ovaldé signe ici un roman dont l'écriture est piquetée de remarques souvent très justes, un roman dense sous une apparence de légèreté, dont l'épilogue est un peu précipité car on serait bien resté encore un peu (beaucoup) en compagnie de Gloria et ses filles.
Un roman qui fait oublier l'échec de ma lecture précédente :Soyez imprudents les enfants, que je n'avais pas réussi à finir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : véronique ovaldé
06/02/2020
Le discours...en poche
Pour ma mère, le monde se divise en trois catégories: ceux qui ont un cancer, ceux qui font construire et ceux qui n'ont pas d'actualité particulière."
"Un type désœuvré, dévasté par le chagrin d'amour et le manque, bloqué dans un repas où tout semble dénué de sens." Quand l'auteur nous propose très gentiment , via son narrateur principal, Adrien, quadragénaire névrosé et torturé, un résumé de la situation pour quoi se gêner ?
Il faut dire qu'on la comprend un peu, Sonia, de vouloir faire une pause: être régulièrement réveillée par un gars persuadé de faire une crise cardiaque, ça fatigue !
Mais bon il est attachant aussi et c'est sans doute pourquoi son futur beau-frère vient de lui demander lors d'un dîner en famille de rédiger Le discours de son prochain mariage.
Belle occasion pour Adrien de se torturer les méninges et de scanner le fonctionnement des relation familiales , où chacun est tenu de jouer sa partition, sans déroger aux règles implicites. A moins que...
Du début à la fin de ce roman, j'ai eu le sourire devant les membres de cette famille, croqués à la fois avec tendresse, pertinence et loufoquerie. On a vraiment l'impression d'y être et de reconnaître , poussés à l'extrême, jusqu'à l'absurde certains comportements de nos contemporains
A noter qu'on peut aussi glaner plein d'infos, à la fois drôles et surprenantes, histoire de briller dans notre prochain dîner de famille !
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans Humour, l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : fabcaro, fabrice caro
05/02/2020
#PréférerL'Hiver#NetGalley
"Face à un événement que l'on refuse tellement, on ne peut que prétendre que le meilleur nous a été enlevé. On ne peut pas fustiger les drames tout en admettant que ce qui nous a été arraché était somme toute, plutôt moyen, voire désagréable."
Une mère et sa fille adulte, marquées par les deuils et l'abandon, vivent recluses dans une forêt. L'hiver "qui anesthésie les peines et offre des cieux blancs et lumineux", est ici célébré, tout comme la nature, et les conduira vers une épure qui viendra à bout des violences subies.
Un texte qui vous prend par la main, ne vous lâche plus, tant sa langue est poétique et sa manière de dévoiler peu à peu ce qui était tu ,hypnotique.
Du grand art. Un premier roman fascinant.
Harper Collins 2020
Cuné m'avait donné envie: clic
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : aurélie jeannin
04/02/2020
#LesFluides#NetGalley
"Le corps de Julie est une armure. Ses capitons des soldats qui repoussent l'assaillant. Est-ce pour créer de la distance entre elle et le reste du monde que Julie a tant grossi en si peu de temps ?
Julie a grossi pour ne pas couler."
En peu de temps Julie a tout perdu: son mari qui n' a pas su comprendre le brutal changement de sa femme, tant psychologique que physique, sa fille, son emploi.
Bien qu'angoissée, Julie tente de renouer avec sa fille et de profiter d'un moment d'intimité à la piscine municipale, moment dont les différentes étapes obligatoires scandent le récit.
Très vite, le lecteur devine la nature de ce qui a provoqué le repli sur elle de Julie et souffre avec elle d'une série de micro humiliations qu'elle subit à la piscine, jusqu'à ce qu'un incident vienne changer la donne.
Alice Moine analyse avec finesse la zone grise que peuvent prendre certaines formes de non-consentement non clairement exprimés, le déni masculin, la honte ressentie par la victime et les conséquences désastreuses que cette agression peut entrainer.
Belfond 2020
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alice moine
03/02/2020
#FannyEtLeMystèreDeLaForêtEnDeuil#NetGalley
Fanny, dix-sept ans, se retrouve brutalement orpheline. Autorisée à habiter seule dans la maison familiale, sans voisins, sans amis, elle va apprivoiser son deuil à s manière, entre rêve et réalité.
Si l'écriture est belle, le roman très court, je suis restée à l'orée de ce texte qui m'a laissée dubitative.
Un écrivain chaudement recommandé par Karl Ove Knausgård.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rune christiansen
30/01/2020
Ma grande...en poche
"La petite a commencé à te ressembler de plus en plus. Elle avait peur de tes cris et elle avait trouvé comment être épargnée , en se liguant avec toi contre moi."
Leur histoire d'amour aura duré peu de temps, mais leur mariage quinze ans. Entre les deux une longue histoire de brimades, d'isolement progressif ,de manipulations, de dénigrement systématique , de violences verbales relatées par un narrateur anonyme tombé dans les filets de celle qu'il appelle Ma grande.
D'emblée nous savons que la fin de cette relation sera tragique et que le projet d'écriture a pour objectif d"oublier après quand j'aurai tout écrit. J'ai pas besoin d'oublier pour mieux vivre . la vérité bouge pas , c'est ça que je veux inscrire : je suis mieux depuis que t'es pas là. Mais je sais que j'avais pas le droit."
L'écriture, un peu oralisée, mais riche d'inventions percutantes , "Tu me faisais des brûlures et je débrûlais jamais." , une écriture enfin libérée, qui peut poser les vrais mots sur l'attitude de cette femme qui se disait"Exclusive, amoureuse" et qu'il peut enfin qualifier de "Possessive, jalouse, envieuse, égoïste." peut déstabiliser.
Tout comme la volonté de renverser la situation en inversant les rôles "traditionnels". C'est l'homme ici qui est la victime de ce harcèlement
On retrouve ici Claire Castillon à son meilleur dans sa volonté de casser les codes et de pimenter d'humour noir la narration de cette relation toxique.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : claire castillon
29/01/2020
Psychologie de la connerie...en poche
Cet essai sur la connerie, sous des dehors en apparence légers, investit des champs tout à fait différents et passionnants, allant de l'école, l'entreprise, la politique à plus étonnant : nos rapports aux animaux.
La connerie est partout, mais, c'est bien connu, nous pouvons tous être le connard de quelqu'un d'autre, mais seuls les vrais cons ne veulent pas s'en rendre compte car la connerie est en effet liée au narcissisme exacerbé.
Comment faire face aux cons ? De nombreux auteurs semblent quelque peu découragés devant l'ampleur du phénomène, accentué et amplifié par les réseaux sociaux.
Mais quelques uns nous offrent des solutions : la culture, la création voire même des cas concrets déjà appliqués par des compagnies aériennes ou des hôpitaux,et qui ont porté leurs fruits.
Un panorama éclectique et riche qui confirme ce qu' Audiard affirmait déjà : "Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît."
06:00 Publié dans Essai, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean-françois marmion
27/01/2020
A mains nues
"Mes amies et moi n'élevons pas nos enfants de la même façon selon qu'ils ont une forme de fille ou de garçon. Conscientes de ce qui se joue ici et maintenant pour les hommes et les femmes, on veut rebattre les cartes."
La narratrice d’À mains nues utilise le "Je", mais c'est une 3je" englobant dans lequel chacune pourra se reconnaitre, s'identifier à des degrés divers. Avec une belle énergie, Amandine Dhée revisite les différentes facettes de ce qui nous constitue en tant que femmes.
Le désir irrigue ce texte de la jeunesse à la vieillesse, cette étape qui pour elle est encore lointaine, et le rend optimiste et riche de possibilités.
La langue est précise, fluide et aborde avec franchise, mais sans jamais tomber dans la vulgarité, tous les aspects de la vie féminine.
Il est intéressant pour celles qui, comme moi, ont connu les années 70 et le choc qu'ont été par exemple Les mots pour le dire de Marie cardinal ou les textes de Benoîte Groult de constater l'évolution des thèmes évoqués, ce qui a disparu ou presque et ce qui apparaît (la notion de genre, par exemple).
Un texte à (s') offrir de toute urgence.
La contre Allée 2020, 136 pages et un malicieux calligramme final...
De la même autrice: clic
Je souris moins aujourd'hui. Non que j'aie perdu en gaieté mais parce que je ne cherche plus d'emblée à avoir l'air charmante et inoffensive. Et je m'excuse moins. Avant, je m'excusais à tout bout de champ, en souriant donc, désolée par-ci désolée par-là, au cas où, pour lustrer. S'excuser, la maladie des femmes.
05:55 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : amandine dhée
25/01/2020
La fourmi rouge...en poche
"Tout a déjà changé sans que je le sache même. Or, je ne sais pas si ça se sent, mais je suis à peu près aussi douée pour le changement que l'étaient les dinosaures..."
Vania Strudel, quinze ans, a l'impression de ne pas avoir tiré le gros lot à la loterie de la vie. Jugez un peu : en plus d'un prénom et d 'un nom sujets à moquerie, elle est affligée d'un ptosis congénital à l’œil gauche, "En gros , [sa] paupière s’affaisse sur mon iris, ce qui fait qu'[elle a ] l’œil perpétuellement mi-clos, comme l'inspecteur Columbo.", un père taxidermiste et une ennemie jurée.
Elle trimballe aussi, nous l’apprendrons petit à petit une cargaison de secrets. Mais ce qui va déclencher toute une série de bouleversements dans sa façon d'envisager l'existence, c'est un mail anonyme à la fois "dévastateur et constructif", l'incitant, non pas à rester une"fourmi noire"banale et sans ambition, mais à assumer sa singularité en devenant une fourmi rouge.
Et il a bien raison l'auteur de ce mail car Vania en a du caractère et de l'humour, souvent vachard d'ailleurs.Il lui reste juste à accepter de grandir à la fois dans son corps et dans son esprit.
Émilie Chazerand brosse ici le portrait d'un microcosme plein de vie et de fantaisie où les ennuis semblent s'accumuler sur le dos de son héroïne , mais, elle a les épaules Vania et on la suit sans hésiter, défrichant à sa suite la jungle des mensonges où beaucoup de gens qui l'aiment l'ont laissée s'enferrer.
J'ai beaucoup aimé aussi la manière très directe, parfois scatologique (et pourquoi pas ?)dont Vania parle de son corps en pleine mutation. Revigorant et très drôle !
06:00 Publié dans Jeunesse, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emilie chazerand