08/09/2020
#Jeparlecommejesuis #NetGalleyFrance
"Traverser ses mots, les comprendre et les entendre, c'est faire le portrait de la société française en ce début du 21 e siècle."
Le postulat de la linguistique cognitive est que "Nos mots, s'ils entreprennent de décrire le monde (ils sont référentiels) décrivent surtout la façon dont nous le percevons (la construction de la référence)."
Se basant sur un corpus de mots et d'expressions un peu parisianiste, elle le reconnaît ,mais pas que , la linguiste et enseignante Julie Neveux a donc dégagé plusieurs tendances et les analyse avec un style enlevé et réjouissant. On est bien loin ici des cours de linguistique que j'ai dû subir dans un autre siècle !
De la technologie qui montre que parfois nous nous prenons pour des machines ("Je suis en mode survie, laisse-moi mourir tranquille", aux bons sentiments quasi obligatoires, sans oublier les revendications féminines , notre rapport aux médias et à l’écologie, on sent que c'est avec délectation que l'autrice collecte et décortique nos tics, métaphores et autres néologismes.
Le propos est clair et d'un enthousiasme communicatif ! J’attends déjà avec impatience son prochain opus: il y aura de quoi faire avec ce "nouveau monde" dont on nous rabâche les oreilles !
Grasset 2020
06:01 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : julie neveux
01/09/2020
Un mariage américain ...en poche
"Nous ne sommes pas la version noire de la famille américaine idéale."
Le seul crime de Roy ? Avoir été un Noir au mauvais endroit , au mauvais moment, qui plus est dans un État sudiste des États-Unis. Condamné rapidement pour viol, alors que sa femme, Celestial, sait qu'il est innocent, le jeune homme voit basculer sa vie en un rien de temps.
Tout semblait pourtant leur sourire: Roy s'apprêtait à lancer son business tandis que sa jeune épouse commençait à se lancer dans une carrière artistique. Bien qu'appartenant à la classe moyenne américaine, Roy paraît voué à incarner le destin de l'homme noir : "Porté par six ou jugé par douze.", comprendre être dans un cercueil ou passer devant le tribunal.
Tayari Jones choisit de ne pas s'attarder sur le procès, mais bien d'analyser en profondeur la relation qui va peu à peu se déliter entre ceux qui ne sont mariés que depuis dix-huit mois. Par le biais de leur correspondance, puis donnant tour à tour la parole aux différents protagonistes de cette histoire, elle scrute au plus profond les motifs de la distance qui s'établit entre eux. Sans manichéisme, sans parti pris, elle analyse ainsi l'évolution de cette relation et dénonce le racisme qui gangrène la société américaine.
Un roman puissant qui aurait pu néanmoins détailler un peu plus le revirement de la justice et s’épargner quelques lourdeurs concernant les pressentiments de certains personnages.
Attention, la quatrième de couverture en dit beaucoup trop.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Karine Lalechère, Plon 2019, 415 pages prenantes
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tayari jones
31/08/2020
les gratitudes...en poche
"Je chéris le tremblement de leurs voix. Cette fragilité. Cette douceur. Je chéris leurs mots travestis, approximatifs, égarés , et leurs silences."
Même s'il y a bien eu des signes avant coureurs, c'est venu d'un coup: Michka la vieille dame chérie par Marie, ne peut plus rester seule. Les mots lui échappent de plus en plus et elle est tombée dans son salon.
Placée en Ehpad , la vieille dame reçoit régulièrement la visite de Marie,ainsi que celle d'un orthophoniste, Jérôme.
Leurs points de vue , ainsi que celui, biaisé de Michka, qui raconte de manière cauchemardesque des événements dont on ne sait s'ils sont réels ou rêvés, alternent pour brosser de manière sensible et tendre le portrait de cette femme qui s'éloigne de plus en plus de celle qu'elle a été.
Tourmentée par une gratitude qu'elle n'a pu exprimer, Michka sera aidée par ses deux amis pour mener à bien cette mission.
On ne peut qu'être séduit par la délicatesse dont fait preuve à son habitude Delphine de Vigan.
Seul bémol : la volonté de vouloir à tout prix terminer sur une note trop optimiste, ce qui gâche un peu le plaisir du lecteur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : delphine de vigan
30/08/2020
Bacchantes...en poche
e vin est devenu un investissement , soigneusement gardé ,dans d'anciens bunkers à Hong-Kong. Alors qu'un typhon menace, faisant grandir la tension dramatique, trois femmes réussissent à s'introduire dans ce lieu ultra sécurisé. Commence alors un face à face entre les braqueuses ultra chic retranchées à l'intérieur et les forces de police dirigée par Jackie Thran...
En un peu plus d'une centaine de pages , Céline Minard revisite le film de braquage, en une version ultra sophistiquée, qui bouleverse les règles du genre. Ses héroïnes sont de contemporaines Bacchantes qui redonnent tout son sens au breuvage célébré par Bacchus. C'est élégant et mené de main de maître.
06:03 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline minard
29/08/2020
#Lumièredétépuisvientlanuit #NetGalleyFrance
" Comment s'y prend-on pour faire ses adieux à une montagne, comment se défaire des touffes d'herbe, des brins de paille et des petits cailloux devant la maison ? "
Un village de quatre cents âmes perdu au milieu de la campagne islandaise. Ses habitants, parfois hauts en couleurs, travaillés par la solitude, l'usure des couples, le désir amoureux, l'envie de partir, la violence, la bienveillance, bref par tous les sentiments qui agitent un microcosme observé avec beaucoup de bienveillance par l'auteur.
La mort est souvent présente, parfois cruelle, parfois choisie, et irrigue constamment ce texte qui tient à la fois du conte et de la poésie.
Laissez-vous embarquer par cette lecture-fleuve qui fait aussi la part belle à la Nature.
Magnifique traduction de l'islandais d 'Eric Boury.
Grasset 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jón kalman stefánsson
28/08/2020
#Glory#NetGalleyFrance
"Les flics, les avocats, les professeurs, les hommes d'église, le juge et les jurés, les gens qui ont élevé ce garçon avant de l'envoyer dans le mode - ils sont"tous coupables."
Gloria Ramirez, quatorze ans, arrive à se traîner jusqu'à la véranda d'une ferme paumée du Texas. Elle vient d'être violée et furieusement tabassée par un beau gosse de vingt ans, fils de pasteur. Il faudra tout le sang-froid et la détermination de Mary Rose Whitehead pour que cette enfant échappe à son poursuivant.
Dans cette région pétrolifère, en 1976, l'or noir tue indifféremment les hommes et la nature. Les femmes, elles, sont majoritairement assassinées par des hommes. Programmées pour faire des enfants, elles doivent materner aussi leurs maris, être là pour leur bien-être et bien peu d'entre elles ont la chance de faire des études, enceintes dès la fin du lycée et mariées dans la foulée. Les différents groupes religieux se chargent de les maintenir dans le droit chemin. Quant au racisme, il est froidement assumé. La violence est présente, aussi bien dans le climat que dans les mœurs, en témoigne l’équipement d'une patronne de restaurant: "Derrière le comptoir, elle garde un antique pistolet à bétail paralysant, pour les problèmes courants, et un fusil à pompe pour les situations incontrôlables."
Mais, heureusement, toutes les femmes ne s'accommodent pas de cet état de faits et nombre d'entre elles mettent en place des stratégies pour échapper à leur condition.
Roman choral qui nous propose un bien belle galerie de portraits de femmes, Glory possède tout à la fois une structure efficace et des personnages aux caractères bien trempés, chacune à leur manière. Pas de bons sentiments, mais un vent de révolte qui emporte le lecteur et ne lui fera pas oublier de sitôt Corrine, Marie Rose et les autres. Un grand coup de cœur.
Glory, Elizabeth Wetmore, traduit de l'anglais (E-U) par
Éditions Les escales 2020
06:00 Publié dans Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : elizabeth wetmore
27/08/2020
La belle Lumière
"Ce paysage est celui d'une contrée dont la langue est plus hermétique que le sanskrit ou le japonais. Car ce n'est pas d'une langue qu'il s'agit, bien sûr, c'est d'un corps, un corps combattant."
D'Helen Keller on connaît bien sûr l'histoire extra-ordinaire de cette enfant devenue sourde, muette et aveugle qu'une éducatrice hors-normes parviendra à faire communiquer avec le monde extérieur, de manière à ce qu'elle soit "Accueillie dans le monde des hommes."Livres, films déclinent à l'envi cette renaissance et font d'Helen une figure emblématique.
Angélique Villeneuve, elle, choisit de mettre en lumière la mère d'Helen, Kate, de montrer leur relation fusionnelle , pétrie d'amour et de culpabilité, et la déchirure que représente la nécessité de la séparation pour qu'Helen puisse ne plus être envisagée comme un cas désespéré.
Nous sommes en Alabama en 1880, les tensions raciales sont toujours présentes et les libertés des femmes sont réduites à la portion congrue. Pourtant, Kate parviendra à lever tous les obstacles pour que Helen ne soit plus cette "petite fille folle que le monde voudrait savoir morte."
Avec La Belle Lumière, l'autrice de Maria poursuit son exploration fouillée et sensible des thèmes qui irriguent son œuvre : le corps féminin, la maternité et la place accordée aux femmes par la société. Elle brosse ici un portrait riche et marquant d'une mère restée dans l'ombre, comme c'est trop souvent le cas. L'écriture est fluide, enlevée et rend compte au plus près de la relation entre les corps féminins. Un livre magnifique.
Éditions le Passage 2020, 238 pages piquetées de marque-pages.
Sur le blog d Antigone, plein de liens !
06:04 Publié dans Rentrée 2020, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : angélique villeneuve, helen keller, kate keller
26/08/2020
La femme intérieure
"La maison avait glissé dans une réalité alternative, le calme sublime qui enveloppe une espace quand ses habitants non domestiqués sont, enfin, au repos."
Molly, paléobotaniste, participe à des fouilles dans une ancienne station-service. Dans la Fosse où travaille l'équipe différents objets , dont une Bible où le pronom "elle" remplace le "Lui" habituel , perturbent la logique temporelle et attirent les foudres de nombreux croyants.
L'autre moitié de la vie de la jeune femme est occupée par ses deux jeunes enfants dont elle va devoir s'occuper seule pendant une quinzaine de jours, son mari étant à l'étranger pour son travail.
Une existence bien remplie et bien fatigante donc, ce qui explique peut-être pourquoi Molly, après différents incidents pour le moins étranges aimerait confier à son mari une vérité dérangeante :"Il existe une autre version de moi. Elle est venue par la Fosse. Ses enfants sont morts. Elle veut nos enfants."
Le tour de force de Helen Phillips est de présenter son héroïne à la lisière de deux réalités juxtaposées qui peuvent facilement apparaître étranges, tout en restant banales en apparence. Il y a le quotidien cérébral d'une scientifique et sa réalité biologique de mère allaitante :"Elle allait pousser la porte et s'avancer dans son autre vie, cette vie animale et secrète dans laquelle elle coupait des pommes, décongelait des petits pois, torchait des petits culs et laissait son corps se faire traire sans cesse et se remplir sans cesse."
Mais l'autrice n'en ménage pas moins une tension extrême entre ces deux mères tellement semblables qui veulent toutes deux les enfants et semblent prêtes à tout. Même à établir une relation en apparence pacifiée :"Une étrange camaraderie avec la personne qu'elle voulait éliminer, la personne qui voulait l'éliminer."
Utilisant un montage alterné, procédé cinématographique très efficace , Helen Phillps fait monter le suspense et trouve une manière originale de résoudre le problème posé à son héroïne.
Il émane de ce roman une grande puissance , tant par sa tension dramatique, que par sa manière d'utiliser le genre fantastique, un fantastique qui fait la part belle au quotidien, scruté avec une extrême attention , repérant "Les innombrables motifs de chantage que nous avons tous sur nous.", décrivant au plus près la réalité corporelle d'une mère, ses failles et ses forces insoupçonnées. Un style fluide et plein de notations surprenantes ajoute au plaisir de lecture.Un grand coup de cœur qui file directement sur l'étagère des indispensables.
La Femme Intérieure Helen Phillips, traduit de l’anglais (E-U) par Claro, un gage de qualité, Éditions du Cherche-Midi 2020, 411 pages dévorées d'une traite.
Merci au Picabo River Book Club et à l'éditeur.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée 2020, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : helen phillips, claro
25/08/2020
#Unefaroucheliberté #NetGalleyFrance
"Ravie que des ferments de révolte se multiplient de par le monde. heureuse que le mot "féminisme" soit en pleine renaissance. Confiante dans la capacité des femmes à innover et puiser de la force dans leur parcours d’opprimées. La révolte intacte."
Alors que vient de disparaître Gisèle Halimi , paraissent ces entretiens avec Annick Cojean. Celle qui dès son enfance en Tunisie lutta pour la cause des femmes et se révolta contre l'injustice retrace ici avec la journaliste du Monde les grandes étapes de son parcours d'avocate, de militante féministe, de femme politique également (même si ce ne fut guère une réussite).
Elle éclaire également ses motivations plus intimes : être aimée par sa mère, ne plus se sentir étrangère en France.
Elle transmet enfin quelques conseils aux "jeunes femmes qui préparent le monde demain": d'abord l'indépendance économique, ensuite l’égoïsme car "Les femmes ont trop souvent le sentiment que leur bien-être doit passer après celui des autres". Elle ajoute également"refusez l'injonction millénaire de faire à tout prix des enfants"car "la maternité ne doit pas être l'unique horizon.""Enfin, n'ayez pas peur de vous dire féministes. C'est un mot magnifique, vous savez. C'est un combat valeureux qui n'a jamais versé de sang."
Une belle énergie pour une femme âgée alors de quatre-vingt-treize ans .
Grasset 2020
06:00 Publié dans Document, Rentrée 2020 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : annick cojean, gisèle halimi
24/08/2020
Les billes du pachinko...en poche
"Ce n’est pas ma faute, je pense, si je ne raconte rien. Si j'oublie le coréen. Ce n'est pas ma faute si je parle français. C'est pour vous que j'ai appris le japonais. C'est les langues des pays dans lesquels on vit."
Claire passe l'été chez ses grands-parents Coréens du Sud que la guerre a exilés depuis cinquante ans à Tokyo. La communication est difficile car ses grands -parents vivent dans une enclave coréenne et refusent de parler la langue de leur pays d'accueil.Pourtant, l'amour est bien présent et circule entre les générations.
Ses grands-parents différant toujours le projet de visiter leur pays natal, Claire, pour occuper son temps donne des cours de français à une jeune japonaise, Mieko, élevée seule par sa mère.
Comme dans le précédent roman de Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho,( découvert en poche récemment et que j'ai beaucoup aimé ), en apparence, il ne se passe presque rien, mais la romancière excelle à peindre ce qui est tu et ne se devine qu'à partir de notations ténues. Un roman vibrant et émouvant.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : elisa shua dusapin