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16/10/2020

Une éducation ...en poche

J'ai décidé d'expérimenter la normalité. Pendant dix-neuf ans, j'avais vécu selon la volonté de mon père. Maintenant, j'allais essayer autre chose."

 Comment une jeune fille, n'ayant jamais fréquenté l'école, dont la naissance n'a été déclarée que cinq ans plus tard (avec deux dates différentes !), ayant reçu une éducation à la maison incomplète et biaisée au sein d'une famille de Mormons dirigée par un fanatique religieux a-t-elle pu échapper au destin tout tracé qui l’attendait, à savoir: mère de famille nombreuse ?
C'est ce que nous raconte dans son autobiographie Tara Westover. Elle relate avec franchise les différentes étapes qui l'ont amenée à exploiter son haut potentiel intellectuel, elle qui était née au sein d'une famille où l’État et ses différentes incarnations représentaient le mal absolu.
Elle ne nous cache rien de la honte qui l'habitait, ni du sentiment d'imposture, voire de traitrise,  qu'elle ressentait dans les universités où elle a réussi à étudier, bravant à la fois les gouffres d'inculture et d'inadaptation sociale, en bonne fille de Mormon intégriste qu'elle était.
Elle prendra peu  peu conscience des graves problèmes psychologiques de son père (les mots de "Schizophrène" et de "troubles bipolaires " seront évoqués ), les comprendra, mais ne pourra se résoudre à admettre que la majorité des membres de sa famille soit dans le déni en ce qui concerne le caractère manipulateur et extrêmement violent de son frère Shawn. Pour sauver sa peau, au sens strict du terme, elle devra se résoudre à une solution extrême.tara westover
On frémit en lisant ce texte où un père ferrailleur , pour des raisons de gain de temps, expose  constamment ses enfants aux pires risques,au prétexte qu'il s'en remet à Dieu et à ses anges pour assurer leur sécurité. Pourtant, le portrait de qui pourrait être la caricature d'un tyran à la fois domestique et religieux est nuancé car l'auteure l'affirme  : "je croyais à l'époque -et une partie de moi y croira toujours-, que je devais faire miennes les paroles de mon père."
Un texte fort et courageux où Tara Westover nous montre acquérir une éducation est une bataille de chaque instant contre les idées fausses et les préjugés. On ne s'étonnera pas que l'auteure ait choisi de se spécialiser dans la manière dont l'Histoire est relatée.

15/10/2020

#Lavoyageusedenuit #NetGalleyFrance

"La jeunesse a pris valeur de modèle pour l'existence entière, reléguant ainsi les âges de la vieillesse non à l’idée d'accomplissement mais à celle de surplus, de rebut, voire de non-sens."

Convoquant les créateurs , mais aussi son expérience personnelle, Laure Adler, soixante-dix ans , nous invite à flâner au pays de la vieillesse, plaidant pour une intégration des générations et non une relégation des personnes âgées, comme c'est actuellement le cas. laure adler
Se plaçant dans la lignée des écrits de Simone de Beauvoir, l'animatrice de L’Heure Bleue analyse avec finesse l'arrivée de cet âge de la vie qu'on ne sait vraiment délimiter soi-même mais qui se révèle fort désagréable à première vue. Tout l'art de l'essayiste est de nous convaincre du contraire, utilisant les exemples (entre autres) de Duras, Louise Bourgeois ou Matisse qui ont su exploiter au mieux l'expérience acquise au sein de leur art.
Dans une société vieillissante, une réflexion nécessaire pour des lecteurs de tous âges.

 

 Grasset 2020laure adler

06:15 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : laure adler

14/10/2020

Liv Maria

"Quand elle le voyait dans la glace, son corps lui parlait de ça aussi, de la femme un peu morte à l'intérieur qu'elle était devenue, de toutes ces années passées à traîner, son corps avec ses cicatrices de couteau émoussé, son dos brisé, ses bras durs comme du bois, durs comme son cœur."

Magnifique portrait de femme aux multiples vies, aux multiples identités, Liv Maria fait la part belle au romanesque . D'homme en homme, de pays en pays, je l'ai suivie avec enthousiasme mais  suis restée un peu sur ma faim car j'aurais aimé que soient approfondies les motivations de cette femme qui nous demeurent quelque peu obscure. julia kerninon
Quant au twist qui explique son dernier départ, je l'ai trouvé moyennement crédible, certains peoples nous ayant montré que ce n'était visiblement pas un embarras pour certains. Bilan en demi-teintes donc.

 

13/10/2020

Fille

"La perte de chance, tu vois, c'est  d'être une fille."

Dans ce roman, à forte connotation autobiographique, l'autrice interroge les mots liés à la féminité, plus particulièrement dans son histoire personnelle.  Partout on été repris les mots de son père affirmant qu'il n'avait pas d’enfants car il n'avait que deux filles.camille laurens
Il n'en reste pas moins que l'autrice rappelle qu'en Inde "Dire "c'est une fille avant la naissance est passible de trois ans de prison et de dix mille roupies d'amende: on n'a plus le doit de demander ou de pratiquer une échographie pour voir le sexe de l'enfant et avorter en conséquence car trop de filles disparaissent; à force de les étouffer dans l’œuf, il y a des villages entiers d'hommes célibataires."
La malédiction de naître fille, d'être considérée comme quantité négligeable, comme "une pisseuse", si elle a nettement régressé dans les pays développés, n'en demeure pas moins prégnante dans beaucoup d 'autres parties du monde.
Camille Laurens revient donc sur les moments clés de sa vie et en particulier sur la mort de son premier enfant, épisode d'une violence inouïe quand elle comprend les circonstances qui ont abouti à cette tragédie.
Mais le roman se conclut de manière optimiste avec la jeune fille de l'autrice qui rebat les cartes de la féminité avec une belle énergie.
Un roman constellé de marque-pages.

12/10/2020

La reine des souris

"Aucun de nous deux n'avaient de jumeaux dans la famille. C'était le latin qui avait fait ça, décréta Peter, des cygnes ou des dieux barbus me rendaient-ils visite dans mes rêves ? Il se comporta comme si je l'avais trahi de manière mythologique."

Quoi de plus classique qu'un couple d'étudiants se mariant, en dépit des différences sociales (il est fils d'un couple d'avocats, elle est issue d'un milieu bien plus modeste ) ? Évidemment, le jeune homme ne supporte pas  l'annonce d'une naissance gémellaire et laisse sa belle et son énorme ventre en plan.
Partant de cette situation qui défie les époques, Camilla Grudova y injecte, par petites doses, des touches de cruauté  liées à la dévoration jusqu’à un final parsemé de quelques poils et gouttes de sang et marqué par un silence complice de deux femmes.camilla grudova
Avec un humour très noir, l'autrice écrit ici un texte à la fois contemporain et atemporel sur les relations hommes/femmes ,  convoquant les figures classiques des textes horrifiques, un texte qui pousse jusqu'au paroxysme, mais sans tomber dans le voyeurisme.
Du grand art !
J 'attends de lire avec impatience la totalité du recueil.

 

Traduit de l'anglais (E-U) par Nicolas richard, La non pareille La table Ronde 2020 43 pages délicieusement noires.

06/10/2020

Au bal des absents

"[...], tous ces gens-là qui la condamnaient à la mot sociale, la mort civile , la mort de faim, la mort de froid, la mort dehors, la mort de désespoir, l'avaient définitivement amarinée à la houle incessante, insondable de la cruauté humaine."

Au chômage, au RSA, bientôt à la rue, Claude, quarante ans, est contactée par un mystérieux juriste qui lui propose d'enquêter sur la disparition de toute une famille américaine dans une maison isolée en pleine campagne.
Notre héroïne ignore encore qu'elle va devoir faire face, totalement seule, à "tant de siècles de méchanceté embusquée dans un gigantesque manoir ". Mais  Claude a de la ressource car "le désespoir , c'est un luxe. Tu n'as pas les moyens", s'admoneste-t-elle. Et de se forger, grâce à une flopée de bouquins, de films, de jurons et de formules d'exorcisme, sans oublier les formations subies à Pôle Emploi,  toute une batterie d’armes, à laquelle elle adjoint une binette bienvenue.
Sous couvert de fantastique, d'horreur, Catherine Dufour nous peint ici le combat solitaire d'une femme contre la misère  à laquelle on voudrait qu'elle se résigne. Un combat social, féministe( j'adore la fin, à la fois drôle et horrifique). catherine dufour
On sourit (quand on aime l'humour noir), on frémit et on apprécie de voir ici convoquées et détournées les figures imposées de ce genre de roman. Claude est pugnace , intelligente et astucieuse et on jubile de voir comment elle apprivoise la situation à sa façon. Un roman hautement réjouissant même pour quelqu'un comme moi qui ne suit pas familière du genre fantastique et/ou horrifique.

 

Seuil 2020

05/10/2020

Ma sombre Vanessa

"Ce n'est rien. C'est normal. Toutes les femmes intéressantes ont eu des amants plus âgés qu'elles dans leur jeunesse. C'est un rite de passage. A l'entrée, vous êtes une fille, et à la sortie, vous n'êtes pas tout à fait une femme, mais vous en en rapprochez.Vous êtes une fille plus consciente d'elle-même et de son pouvoir."

Vanessa, en 2017, est rattrapée par son passé via la déferlante MeeToo. Contactée par une journaliste et par une élève abusée par le professeur Strane, la jeune femme refuse pourtant de se considérer comme victime d'un prédateur qui aurait abusé de son autorité sur l'adolescente qu'elle était dix-sept ans plus tôt.
Non, elle considère la relation qui a commencé quand elle avait quinze ans comme une exceptionnelle histoire d'amour entre deux être très sombres et au mieux, reconnait-elle que Strane est éphébophile, mais en aucun cas pédophile.kate elizabeth russell
Elle n'a pas perdu le lien avec cet homme qui l'a valorisée, qui a su amadouer  cette étudiante douée à coups de lectures orientées ( Nabokov, bien évidemment), mais qui s'est aussi montré lâche et manipulateur.
Alternant les époques, Kate Elizabeth Russell fouille avec une précision chirurgicale les rouages faussés de cette relation et nous donne à voir le déni dans lequel se débat Vanessa , dont la vie ne correspond en rien à ce qu'elle aurait pu en attendre.
Les rebondissements se succèdent , sans jamais rien d'artificiel, les multiples facettes, souvent contradictoires de l'héroïne se donnent à voir et l'on est fasciné par une telle maitrise dans l'écriture et la construction de ce premier roman.  à lire absolument.

Traduit de l'anglais par Caroline Bouet, Les Escales 2020, 442 pages constellées de marque-pages.

30/09/2020

Rien n'est noir ...en poche

"Il n'a rien compris, il ne voit pas, Frida ne peint pas ses rêves, ni son inconscient, elle peint une nécessité intérieure. La vérité du désarroi. Et elle n'a pas besoin d'étiquette ni de définition."

Organisé en quatre grandes parties, chacune divisée en chapitres déclinant des nuances de bleu, de rouge, de jaune, avant que de s'assombrir, le texte de Claire Berest choisit de se pencher sur des moments forts de la vie de celle qui est certainement l'une des peintres les plus célèbres au monde: Frida Kahlo.claire berest, frida kahlo
Avec empathie, elle restitue la vie passionnée et tourmentée de celle qui fut très tôt marquée dans sa chair et que la douleur tourmenta quotidiennement. N'en faisant ni une victime, ni une femme soumise , elle brosse un portait à la hauteur de son modèle et nous livre ici une Frida pleine de vie, d'ardeurs et de flamboyance. Une femme libre et puissante
Un texte qui se joue des écueils de la biographie et qui se dévore d'une traite. Une réussite.

29/09/2020

Les gestes du jardin

"bordurer rabibocher
les mains réparent des bouts de terre
                                                     et de végétaux
sans autre outil que l'idée
qui redonne vie à ce qui s'étiole"

Sans ponctuation, sans majuscules, comme un fragment de discours entamé avant et qui se poursuivra plus tard, le texte d'Amandine Marembert raconte Les gestes du jardin. Car le jardin n'a pas de fin et se poursuit à travers les générations ,à travers les gestes transmis, à travers les plantes "de mes grands-parents, de mes parents, divisées pour renaître" mais aussi dans la cohabitation des âges de la vie:
"piochons ensemble
la petite fille que j'étais à huit ans
dans les rangs du jardin
ma petite fille de dix ans
et moi devenue mère"
Elle souligne les différences ténues entre l'enfance et le présent, s'attache aux sensations, aux gestes qui "s'additionnent sans jamais se retrancher", aux matières, aux plantes, aux "mots tus", à tout ce qui fait la structure, l’épaisseur indicible du jardin et qui est aussi souligné par les illustrations douces et poétiques de Valérie Linder.amandine marembert,valérie linder

Et le poème de se terminer sur une promesse: celles des graines mises en sachets par des petites mains pour le printemps prochain.

Un magnifique objet-livre qui file sur l'étagère des indispensables.

 

Une grand merci aux Éditions Esperluette qui font un travail formidable et à Babelio.

28/09/2020

Procédure Dublin

"Mais c'est leur vie, elles font ce qu'elles veulent et surtout ce qu'elles peuvent. Si nous étions à leur place, je me demande ce que nous ferions.
- Nous ne ferions pas mieux."

Divorcée, sexagénaire, retraitée, solitaire (les enfants ont pris leur envol à l'étranger), la narratrice de ce roman devient bénévole dans une association qui accueille les femmes à la rue , essentiellement des migrantes, perdues dans les limbes administratives de cette procédure Dublin qui oblige à demander l'asile dans le premier pays européen où elles sont entrées.juliette jourdan
Elle s'attache particulièrement au parcours d'une jeune femme africaine, Aminata, parcours erratique, douloureux mais dont la narratrice ne connaît que des bribes et s'en satisfait d’ailleurs car elle a bien conscience du gouffre qui sépare les deux femmes et ne prétend pas pouvoir comprendre Aminata.
Elle est en outre tout aussi lucide sur sa démarche, absolument pas militante : "une bonne action de dame patronnesse. A quoi bon se mentir ? ",ainsi que sur ses relations avec ses proches.
De facture assez classique, le roman brosse un portrait sans fard des manquements français, l'État ne s'occupant que de l'aspect judiciaire et répressif, et déléguant aux "assoces" l'aspect humain et matériel, le tout avec des moyen dérisoires. Sans bons sentiments, sans pathos, Juliette Jourdan, avec beaucoup d’humanité , ne prétend pas vouloir sauver le monde, mais son personnage, même laminé par la fatigue, éclaire avec chaleur une réalité trop souvent reléguée à la rubrique "faits-divers". Je craignais un peu l'utilisation du pronom "Tu" mais cela n'a en rien gêné ma lecture ni mon identification à des personnages, bénévoles  guettés par le burn-out, migrantes confrontées à une réalité violente,  que je n'oublierai pas de sitôt.
Un roman dont on parle trop peu et c'est vraiment dommage.

 

le Dilettante 2020