19/09/2018
Légende d'un dormeur éveillé
"Un Surréaliste ce serait précieux pour éclairer les chemins de l'inconscient. Et puis Robert, tu as cette qualité précieuse d'exprimer les choses les plus complexes avec des mots simples, de rester ludique même quand tu es grave. Tu n'es jamais élitiste ni ennuyeux. Vraiment, je trouve que vous êtes faits pour travailler ensemble !"
De Robert Desnos, chacun a en mémoire quelques vers , mis en musique ou non, jouant avec les sons, les images, pleins de fantaisie (Une fourmi de dix-huit mètres... Ce sont les mères des hiboux...). Une photographie vient peut être aussi à l'esprit, celle d'un "dormeur éveillé". Amours malheureuses, Surréalisme, Résistance composent les autres morceaux du puzzle, sans oublier sa mort du typhus juste après la libération du camp de concentration où s'achevait son parcours de déporté.
Avec sa Légende d'un dormeur éveillé, Gaëlle Nohant nous propose un roman qui se fixe pour objectif de "rejoindre la vérité par le biais de la fiction, ou en tout cas une vérité possible". Objectif pleinement atteint par ce texte foisonnant de vie, de sentiments, d'énergie, qui fait revivre de manière extrêmement vivante le Paris des années folles à l'occupation et l'existence de cet homme protéiforme.
Et de l'énergie il en fallait pour suivre le parcours de cet homme tour à tour et simultanément, poète critique, inventeur de slogans publicitaires, chroniqueur radio, porté par une telle exigence de liberté qu'il s'engagea dans la Résistance sans tarder. Ayant le coup de poing facile, ne craignant pas les inimitiés, mais extrêmement fidèle en amour comme en amitié, Roberts Desnos se révèle extrêmement attachant et sensible.
Émaillant judicieusement son texte d'extraits de poèmes, dûment référencés à la fin des 521 pages, l'auteure ,dans la dernière partie du livre, la plus poignante, se glisse aussi à la place de Youki, la femme aimée. Sous la forme d'un journal intime, elle retrace la toute dernière partie de la vie de l'auteur de Corps et Biens, une partie qui nous laisse la gorge serrée.
Un très grand coup de cœur, tant du point de vue de l'écriture, parfois lyrique, parfois plus intimiste mais toujours très prenante, que du point de vue romanesque. On ne s’ennuie pas une minute et on dévore d'une seule traite ce pavé addictif ! Vous voilà prévenu(e)s .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : gaëlle nohant, robert desnos
18/09/2018
L'écart
" Je suis en quête de sensations pures,comme une pieuvre munie de capteurs sensoriels sur toute la longueur de ses tentacules. Seule et heureuse de l'être, je poursuis ma route."
Ayant grandi dans l'archipel des Orcades, la narratrice a troqué son existence rude et sauvage contre une vie nocturne et riche en sensations à Londres. Las, elle a perdu ses amis, son amour ,ses emplois à cause d'une vie nocturne débridée qui a vite viré à l'aigre ,à cause de l'alcool.
Elle choisit donc de rentrer dans son île natale où elle mènera des "essais semi-scientifiques" sur elle-même afin de se libérer de l’alcool. L'entreprise lui prendra deux ans, qu'elle résume ainsi:"Au cours des deux années écoulées, je me suis employée à guetter l'apparition d'un oiseau fuyant et insaisissable, à chasser les aurores boréales et les nuages noctulescents; j'ai nagé dans l'eau glacée de la mer du Nord, couru nue autour d'un cercle de pierres levées, vogué vers des îles abandonnées, volé dans de minuscules avions à hélices, et choisi de rentrer au pays natal."
L'alcoolisme au féminin est encore un tabou ,mais il ne s'agit pas ici du énième récit du "long et laborieux processus de reconstruction" ,mais bien d'une œuvre puissante et littéraire où une voix se fait entendre, une voix qui donne à sentir toute la sauvagerie et la rudesse des univers qui entourent la narratrice.
Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre Éditions du Globe 2018, 330 pages battues par les flots.
06:00 Publié dans Autobiographie, rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : amy liptrot
17/09/2018
Onzième roman, livre dix-huit
"Percepteur le jour, enthousiaste le soir. Cela suffisait-il ? Ne pouvait-il y avoir autre chose ? "
Il a changé de femme, de profession et retrouve son fils devenu étudiant, qui va loger chez lui alors que, quinquagénaire , il est redevenu solitaire. Pourtant, Bjorn Hansen, n'a jamais vraiment eu l'impression de maîtriser sa vie.
Quel roman étrange que celui-ci ! les personnages donnent l'impression de se frôler constamment sans jamais vraiment se rencontrer, à l'image de ce père et ce fils qui évitent au maximum les interactions. Je n'ai éprouvé nulle empathie et suis un peu restée sur ma faim.
06:00 Publié dans rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dag solstad
15/09/2018
Troisième personne...en poche
Ils ne savent plus comment c'était de n'être responsables que d'eux-mêmes. Ils se questionnent mais ils ne peuvent revivre cet état comme on enfilerait un vieux vêtement retrouvé par hasard."
Commencé par un magnifique travelling où l'on suit à travers les rues de Paris transfigurées le trajet d'une mère et de son enfant tout juste née jusqu’au domicile devenu familial, le roman de Valérie Mrejen se clôt par la course effrénée de la fillette, éperdue de liberté ("Vos enfants ne sont pas vos enfants", disait Khalil Gibran...).
Entre les deux,toutes les métamorphises induites par cette Troisième personne:les doutes, les émerveillements, les angoisses, la fatigue...
Un roman plein d'amour et de poésie qui parlera à toutes les générations de mères, un parfait cadeau de naissance, jamais mièvre.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : valérie mréjen
14/09/2018
L'abattoir de verre
"Je ne suis pas intéressée par les problèmes, John -ni par les problèmes ni par la solution aux problèmes. J'abhorre cet état d'esprit qui voit la vie comme une succession de problèmes soumis à l'intellect en vue de leur solution."
L'abattoir de verre réunit sept textes ayant comme fil rouge l'évolution dans le temps d'un personnage déjà rencontré chez Coetzee: l'écrivaine Elizabeth Costello.
Elle doit faire face à la vieillesse qui gagne du terrain,à ses enfants qui n'envisagent pas son avenir de la même façon qu'elle. C'est aussi l’occasion de réflexions sur la condition animale et la manière dont notre société cache la souffrance de ces êtres.
Les textes sont brefs, souvent brutaux mais d'une efficacité imparable.
06:00 Publié dans rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : coetzee
13/09/2018
La planète des champignons
Je me réjouissais de lire enfin un roman russe contemporain qui, en outre, avait choisi une forme intéressante: structurer le récit en sept jours correspondant au rythme de la création du monde.
L'intrigue ? Un traducteur pusillanime et une femme d'affaires ambitieuse sont voisins de datchas à la campagne depuis l'enfance, mais ils n'ont fait jusqu'ici que s’apercevoir.
Ils ont de nombreux points communs: le sentiment d'avoir déçu leurs parents et l'amour de la nature.
La description de la société russe rural est intéressante, tout comme l'écriture mais le rythme extrêmement lent n'a pas su conserver mon attention et j'ai abandonné ce roman bien avant que la rencontre ne se déroule enfin.
05:55 Publié dans Lâches abandons, rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : elena tchijova
12/09/2018
Et soudain la liberté ...en poche
"Ce que les mères reportent sur leurs filles, tout de même. Ce qu'elles leur demandent, souvent silencieusement. Ce pacte qu’elles signent ensemble de leur sang partagé."
Récit d'une double émancipation ,parfois erratiques, celle de la mère d'Evelyne Pisier et la sienne, ce roman avait au départ tout pour me plaire.
Que l'autrice n'ait pu terminer son livre, que son éditrice ait pris le relais, poursuivant par delà la mort le dialogue entamé avec ferveur entre les deux femmes de générations différentes n'était en soi pas gênant, bien au contraire.
Non, ce qui m'a vraiment dérangée est que ce qui est annoncé comme un roman (à tendance clairement autobiographique) exhibe ses coutures, sa fabrication : on nous énonce ce qui est inventé ou non,un personnage public est clairement identifié à une page et renommé quelques pages plus loin.
Dans un tout autre genre, j'ai ainsi nettement préféré le premier roman d'Isabelle Carré qui nous indique avoir inventé certains faits, sans pour autant nous donner les clés et nous plonge ainsi plus efficacement dans la magie romanesque.
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
09:14 Publié dans Biographie, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : evelyne pisier, caroline laurent
07/09/2018
Le complexe d'Hoffman
"Simon réfléchit à la surprise de Jackie. Sans doute un transistor pour garder le contact avec le monde extérieur. Elle avait toujours des attentions qui accusaient Catherine l'air de rien et la maintenaient dans la maladie."
Des parents séparés, une fratrie divisée: la fille avec le père, Simon avec sa mère, Catherine qui souffre de problèmes mentaux. Des problèmes, Simon en a aussi à l'école, où du fait de son nom, Hoffman, des lois anti-alsaciennes édictées par un petit groupe d'élèves rejouent d'autres mesures de stigmatisation et d'éviction.
Simon , sans doute pour évacuer et lutter contre l'atmosphère mortifère du foyer familial, rédige un texte grand guignolesque , plein d'humour noir et absurde que vient contrebalancer le témoignage d'un de ses camarades: Lakhdar, dyslexique, témoignage à la fois naïf et plein d’inventions lexicales
Un roman qui m'a mise mal à l'aise par sa noirceur assumée.
Éditions de l'Olivier 2018.
05:30 Publié dans rentrée 2018, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : colas gutman
06/09/2018
La chance de leur vie
"Le sac de ses jeunes femmes exsangues la fait rêver. Elle a renoncé au sien depuis si longtemps. Disparu le réservoir de vie, d'inventivité, cette cavité contenant la solution à tous les problèmes, un poids, certes, mais qui atteste d'un engagement , d'un héroïsme dont son existence aujourd'hui est dépourvue."
Quelle drôle de femme que cette Sylvie ! Elle ne réagit jamais comme on s'y attendrait et n'aspire qu'à une chose aux États-Unis où , avec leur fils, Lester, elle a accompagné son mari, Hector: redevenir invisible.
Expatriée dans des conditions confortables, Hector a été nommé professeur dans une université de Caroline du Nord où il va enchaîner les conquêtes sans que cela trouble le moins du monde son épouse, elle pourrait accéder à une petite notoriété artistique mais ne le désire pas vraiment.
C'est finalement par Lester que, d'une manière étonnante, le trouble se répandra.
Agnès Desarthe brosse ici le portrait d'une famille expatriée qui vivra, de loin, les attentats meurtriers de novembre 2015, mais aussi celui du corps d'une femme vieillissante et surprenante.
Éditions de l'Olivier 2018.
Cuné est plus enthousiaste que moi.
06:00 Publié dans rentrée 2018, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : agnès desarthe
05/09/2018
Eden Springs
"Est-ce que tu sens ça ,mon ange ? murmura-t-il. C'est ça ,la vie éternelle"
Ruth Banford rit. Elle dit "Je le sens bien. C'est un homme qui se faufile sous mes jupes."
Promettant tout à la fois la vie éternelle et un corps éternellement jeune, Benjamin Purnell fonde une communauté religieuse qui offre aussi le paradis sur terre sous forme d'un parc d'attractions. Le charisme de l'individu est tel que des fidèles viennent en masse des États-Unis, mais aussi de l’étranger.
Prônant l'abstinence sexuelle, mais profitant de sa beauté et de son autorité, il abuse des jeunes filles de la communauté, sans que grand monde y trouve à redire.
Il faudra la mort d'une très jeune femme pour que la machine se grippe, ce qui est annoncé d'emblée.
Alternant les points de vue, proposant des citations et des photographies, le roman évoque en effet des faits réels, Laura Kasischke s'approprie cette histoire en la faisant baigner dans une atmosphère de sexualité diffuse , bucolique et métaphorique.
Elle fait également la part belle à l'évocation du corps des femmes , qu'elles soient jeunes ou vieillissantes, usées par les grossesses ou exclues de toute sexualité de par leur statut social ou leur âge "avancé" pour l’époque (nous sommes au début du 20 ème siècle).
Un roman un peu trop court à mon goût, mais où l'on retrouve bien l'atmosphère étrange chère à l'auteure de Esprit d'hiver.
Traduction Céline Leroy, Éditions Page à Page 2018.
06:00 Publié dans rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : laura kasischke