07/03/2019
#IamIamIam #NetGalleyFrance
"J'aurais aimé savoir que les choses qu'on ne contrôle pas dans la vie sont en général plus importantes, plus formatrices, à long terme que celles qui se passent comme prévu."
Le projet de Maggie O'Farrell ? "raconter la vie de quelqu’un , mais uniquement à travers ses expériences avec la mort."
Chacun des dix-sept chapitres, dûment datés et illustrés façon vieille planche d'anatomie, est consacré à une partie du corps de l'autrice-narratrice, car c'est bien de Maggie O'Farrell qu'il s'agit ici. Et cela commence très fort par un texte d'une tension dramatique extrême ,dont on se dit qu'après cela les choses ne pourront que baisser en intensité. Pas vraiment.
Chacune des expériences qui nous est relatée frappe par sa volonté de vérité dans l 'expression des sensations et des sentiments. Maggie O'Farrel scrute, écrit à l'os, ne se donnant jamais le beau rôle, mais décrivant au plus près pour mieux nous les faire ressentir la douleur, "Une douleur sans rebord, parfaite, parfaite comme une coquille d’œuf.", la violence des institutions de santé dont l'enfant qu'elle a été, mais aussi la femme, ont été victimes. Pas de course au dolorisme pour autant. Si l'auteure évoque l'hémorragie post-partum dont elle a failli mourir, et rappelle que "mourir en couches semble être un danger totalement daté, une menace extrêmement lointaine entre les murs des hôpitaux des pays développés" , c'est aussi pour mieux dénoncer le taux de mortalité maternelle anormalement élevé du Royaume-Uni ,ou évoquer un sujet tabou: les fausses couches et la manière dont elles sont trop souvent balayées d'un revers de la main.
La mort, elle la connaît donc de près, et ce depuis l'enfance. En effet, atteint d'une encéphalite, dont elle garde encore des séquelles, Maggie O'Farrell sait dans sa chair ce qu'est le poids du regard et des réflexions des autres, mais aussi la bienveillance et la confiance que l'on peut trouver dans une main anonyme que l'on serre ou des mots de réconfort. De quoi braver tous les pronostics pessimistes.
Le livre se termine par une course contre la montre, contre la mort, un condensé de souffrances, mais aussi une réaffirmation de la vie coûte que coûte. Un coup de poing -coup de cœur qu'on n'oubliera pas de sitôt.
Un texte qui file directement sur l'étagère des indispensables , bien sûr.
Belfond 2019
De la même autrice, clic, clic et reclic.
06:00 Publié dans Autobiographie, l'étagère des indispensables | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : maggie o'farrell
14/01/2019
#Une éducation#NetGalleyFrance
"J'ai décidé d'expérimenter la normalité. Pendant dix-neuf ans, j'avais vécu selon la volonté de mon père. Maintenant, j'allais essayer autre chose."
Comment une jeune fille, n'ayant jamais fréquenté l'école, dont la naissance n'a été déclarée que cinq ans plus tard (avec deux dates différentes !), ayant reçu une éducation à la maison incomplète et biaisée au sein d'une famille de Mormons dirigée par un fanatique religieux a-t-elle pu échapper au destin tout tracé qui l’attendait, à savoir: mère de famille nombreuse ?
C'est ce que nous raconte dans son autobiographie Tara Westover. Elle relate avec franchise les différentes étapes qui l'ont amenée à exploiter son haut potentiel intellectuel, elle qui était née au sein d'une famille où l’État et ses différentes incarnations représentaient le mal absolu.
Elle ne nous cache rien de la honte qui l'habitait, ni du sentiment d'imposture, voire de traitrise, qu'elle ressentait dans les universités où elle a réussi à étudier, bravant à la fois les gouffres d'inculture et d'inadaptation sociale, en bonne fille de Mormon intégriste qu'elle était.
Elle prendra peu peu conscience des graves problèmes psychologiques de son père (les mots de "Schizophrène" et de "troubles bipolaires " seront évoqués ), les comprendra, mais ne pourra se résoudre à admettre que la majorité des membres de sa famille soit dans le déni en ce qui concerne le caractère manipulateur et extrêmement violent de son frère Shawn. Pour sauver sa peau, au sens strict du terme, elle devra se résoudre à une solution extrême.
On frémit en lisant ce texte où un père ferrailleur , pour des raisons de gain de temps, expose constamment ses enfants aux pires risques,au prétexte qu'il s'en remet à Dieu et à ses anges pour assurer leur sécurité. Pourtant, le portrait de qui pourrait être la caricature d'un tyran à la fois domestique et religieux est nuancé car l'auteure l'affirme : "je croyais à l'époque -et une partie de moi y croira toujours-, que je devais faire miennes les paroles de mon père."
Un texte fort et courageux où Tara Westover nous montre acquérir une éducation est une bataille de chaque instant contre les idées fausses et les préjugés. On ne s'étonnera pas que l'auteure ait choisi de se spécialiser dans la manière dont l'Histoire est relatée.
Jean-Claude Lattès 2019.
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tara westover
08/01/2019
Le Nord comme ils l'ont aimé
Articulée en cinq grandes parties, cette anthologie dégage une grande impression de luminosité, de chaleur humaine et d'amour, comme annoncé dans le titre.
Richement illustrée de tableaux (qui pour la plupart m'étaient inconnus), gravures et autres photographies,on y croise des auteurs éclectiques, certains connus (Michel Quint, Jean-Louis Fournier...), d'autres plus oubliés mais aussi certains romanciers ou romancières inattendus comme Edith Wharton par exemple.
La poésie et la chanson ne sont pour autant pas oubliées et c'est un panorama riche de (re) découvertes que nous propose ici Annie Degroote.
A noter que si cette anthologie se concentre sur le Nord et le Pas-de-Calais, la Belgique est aussi parfois évoquée tant est poreuse la frontière entre ces deux entités aux nombreux points communs.
Un pur régal !
Merci aux Éditions Omnibus et à Babelio .
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : annie degroote
29/10/2018
Mon frère
" Sa première pensée, quand le diagnostic [Parkinson] tomba, fut pour l'épouse :
-Elle veut que je me secoue, elle va être servie."
Dans la fratrie, il ne reste plus que Daniel, le cancre, devenu écrivain qui se pose la question, des années après la disparition du frère préféré de la famille, Bernard : Qui était-il vraiment ?
Daniel Pennac, intercalant des passages de son spectacle consacrè à la nouvel Bartelby, revient ici sur la personnalité de ce frère dont il estime qu'il était un lointain cousin du héros de Melville.
Plein d'humour, d'amour et d'empathie, on devine, en filigrane que ce frère, sans jamais ce plaindre, n'a pas eu une vie totalement épanouissante, ni d'un point de vue personnel, ni conjugal.
On ne tombe pourtant pas dans le règlement de compte, le temps sans doute apaisé les esprits, et cela n'en rend que plus palpable l'émotion, contenue, certes, mais infiniment présente.
Merci à Cathy et Laurent pour le prêt.
05:40 Publié dans Autobiographie, rentrée 2018 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : daniel pennac
18/09/2018
L'écart
" Je suis en quête de sensations pures,comme une pieuvre munie de capteurs sensoriels sur toute la longueur de ses tentacules. Seule et heureuse de l'être, je poursuis ma route."
Ayant grandi dans l'archipel des Orcades, la narratrice a troqué son existence rude et sauvage contre une vie nocturne et riche en sensations à Londres. Las, elle a perdu ses amis, son amour ,ses emplois à cause d'une vie nocturne débridée qui a vite viré à l'aigre ,à cause de l'alcool.
Elle choisit donc de rentrer dans son île natale où elle mènera des "essais semi-scientifiques" sur elle-même afin de se libérer de l’alcool. L'entreprise lui prendra deux ans, qu'elle résume ainsi:"Au cours des deux années écoulées, je me suis employée à guetter l'apparition d'un oiseau fuyant et insaisissable, à chasser les aurores boréales et les nuages noctulescents; j'ai nagé dans l'eau glacée de la mer du Nord, couru nue autour d'un cercle de pierres levées, vogué vers des îles abandonnées, volé dans de minuscules avions à hélices, et choisi de rentrer au pays natal."
L'alcoolisme au féminin est encore un tabou ,mais il ne s'agit pas ici du énième récit du "long et laborieux processus de reconstruction" ,mais bien d'une œuvre puissante et littéraire où une voix se fait entendre, une voix qui donne à sentir toute la sauvagerie et la rudesse des univers qui entourent la narratrice.
Traduit de l'anglais par Karine Reignier-Guerre Éditions du Globe 2018, 330 pages battues par les flots.
06:00 Publié dans Autobiographie, rentrée 2018, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : amy liptrot
20/06/2018
#JournalD'irlande #NetGalleyFrance
"Ce qui s'installe, se crée entre deux membres d'un couple qui a longtemps vécu ensemble, c'est autre chose que la tendresse. C'est , je crois une peur commune de la mort : de la mort de l'autre, plus que de la sienne."
Blandine De Caunes souligne à juste titre dans sa préface que l’œuvre de sa mère a commencé par la publication du célèbre Journal à quatre mains (rédigé avec Flora Groult) et qu'elle se clôt donc suivant la volonté de la défunte par l'édition de ces Carnets de pêche et d 'amour allant de 1977 à 2003.
Le sous-titre de ce journal indique bien les deux thèmes principaux de ce texte et la place prépondérante accordée à la passion pour la pêche , place qui, je dois l'avouer, a fini par me lasser.
Par contre, l'analyse ,parfois féroce ,des relations entre Paul Guimard, Benoîte Groult et l'amant de cette dernière surprendra un peu par son intensité. Certes, la situation était connue de tous les membres de la famille (et des lecteurs des Vaisseaux du cœur par exemple) mais l'écrivaine se montre sans complaisance envers son mari vieillissant qui ne supporte plus cette situation alors que, dans sa jeunesse il avait allègrement trompé son épouse.
On se sent parfois de trop dans cette lecture, même si la revendication par cette femme âgée du droit au plaisir est un acte qui s'inscrit logiquement dans la démarche de cette écrivaine féministe .
Grasset 2018
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : benoîte groult
03/04/2018
Chez nous
"Chez nous, on entendait le murmure des arbres dans les bois."
"Chez nous", phrase rituelle qu'on entend quand on évoque sa famille, son chez soi . "Chez nous", leitmotiv qui scande les 87pages de cet opuscule, illustré par l'auteure, dessins dont les inspirations sont citées en fin d'ouvrage.
Souvent très courts, ces paragraphes commençant rituellement par la même formule, évoquent par petites touches ,une famille où l'on était "nés dans un monde voué à disparaître." Un monde où l'on se réjouit de l'arrivée d'un Cora, où les pensionnaires d'un hôpital psychiatrique vont faire des courses, en reviennent le sourire aux lèvres, ce qui vaut à l’expérience, le nom de "Corathérapie". Un monde encore rural mais qui se verra bientôt grignoté par les zones commerciales uniformisées, "Chez nous, les gens étaient façonnés par les paysages de leur enfance."
C'est aussi l'histoire d'une famille modeste , dont on disait que c'était "une famille de braconniers"," où" le mot solidarité avait du sens " mais où on pouvait aussi se réjouir que le malheur frappe à côté. Portraits contrastés, sans idéalisation, qui parleront à chacun de nous sans pour autant exhaler de nostalgie. C'est toute une époque qui se donne à voir d'une manière impressionniste et très touchante.
Grasset 2018
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : géraldine kosial
16/02/2018
En camping-car
"Notre style de vacances était aristocratique parce qu'il valorisait la liberté, le plaisir, la découverte, l'échappée belle, mais il était aussi foncièrement démocratique: pas cher, pas consumériste, pas tape-à-l’œil, pas couche-tard, pas compliqué, quelque chose d'accessible, de proche, de simple, quasiment rudimentaire, une locomotion terrestre, un contact direct avec les gens, des haltes toujours respectueuses de la nature, des coutumes et des produits locaux [...]. En un mot, une grande vadrouille à l'échelle de l' Europe. Maître de soi, mais pas chez soi."
Dans les années 80, Ivan Jablonka, ses parents et son frère, souvent accompagnés de familles dotées elles aussi d'enfants, ont sillonné les routes estivales en camping-car. L'évocation de ces vacances est tout à la fois l'occasion d'une plongée dans la nostalgie de l'enfance, mais aussi d'une analyse sociologique d'un type de vacances bien particulier dans un véhicule tout sauf anodin quand ses deux parents ont été des enfants cachés durant la Seconde guerre mondiale.
En effet ce véhicule de marque Volkswagen témoignait du "génie de l’organisation allemand [...] mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l'intimité, de l'intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père et nous avec."
Ivan Jablonka analyse ainsi avec une émotion tangible la relation très particulière que son père entretenait au bonheur, n'hésitant pas à enjoindre avec colère à ses enfants ignorant un superbe paysage: "Soyez heureux !"
Néanmoins, comme l' évoque très justement la quatrième de couverture l'auteur" esquisse une socio-histoire de son enfance" et c'est justement ce côté un peu léger dans l'analyse, s'essoufflant peut être à vouloir courir plusieurs lièvres à la fois que j'ai regretté. N'étant guère adepte de la nostalgie, j'ai en outre trouvé les évocations de ces vacances aussi longuettes que les séances diapos d'autrefois. Bilan en demi-teintes donc.
Lu dans le cadre du grand prix des lectrices de Elle.
06:00 Publié dans Autobiographie, Document | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : ivan jablonka
22/01/2018
L'amour après
"Il faut déserter les modèles, fuir leurs pièges, leurs barbelés invisibles. L'important, c'est d'avoir de l'air, alors tout peut commencer."
Années 50, Marceline Lorida -Ivens qui est "une fille de Birkenau" est rentrée en France et ne tarde pas à prendre son indépendance vis à vis de sa mère.
La jeune femme dont le corps a été figé dans l'adolescence par le camp a soif de vie et de culture. Elle enchaîne aussi les aventures amoureuses ,même si son corps ignore toute sensation de plaisir, de désir ,et restera à jamais "sec", c'est à dire stérile, sans que Marceline le regrette, bien au contraire.
La nudité reste attachée au regard d'un médecin décidant de la vie ou de la mort et Marceline aura toujours des difficultés à se dénuder, y compris dans un contexte médical.
Un récit rare qui évoque le corps, les sentiments d'une jeune femme fracassée par les camps mais qui est pleine d'ardeur, de vie, d'énergie et d'une formidable liberté.
Grasset 2018
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : marceline loridan-ivens, judith perrignon
29/12/2017
à l'ouest
C'est d'abord un livre que l'on tient bien en main. Une petite brique sympathique dotée d'une jaquette en papier kraft. Du soin, de la qualité, de l'attention.
Un carnet de croquis tenu au fil du temps de l'évolution d'une dépression vécue par l'auteure. Une image par page ,dessinée au Bic noir Slickpen nous apprend Anne Wolfers dans l'unique page retraçant la raison d'être de ce carnet de bord, quasi au jour le jour, sorte de bulletin météo de l’âme et du corps de l'autrice-narratrice.
On y voit les fluctuations de la vague, métaphore de la dépression , du mal être ayant entraîné cette hospitalisation en psychiatrie.
Les légendes sont laconiques, les croquis rugueux, ne mettant jamais en valeur la personne dont il est question. On est ici dans un dessin brut, frôlant le naïf, mais jamais complaisant.
Parfois une échappée vers la lumière se manifeste ,par exemple sous la forme d'une corde à linge comme une guirlande où voltigent joyeusement des vêtements d'enfant ou de la présence réconfortante d'un petit chien. La narratrice n'occulte rien des échecs, des conséquences sur son corps des traitements , mais aussi du retour vers le sourire, vers la vie. Un bel objet artistique, sensible et lumineux.
Un grand Merci à Babelio et aux Éditions Esperluette.
06:00 Publié dans Autobiographie, BD | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anne wolfers