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20/11/2012

J'ai réussi à rester en vie

"Un récit autobiographique ne rime à rien s'il n'est pas honnête."

Hospitalisé pour une toux trop tenace, Ray Smith, le mari de Joyce Smith, plus connue dans le monde littéraire sous le nom de Joyce Carol Oates, va de manière inattendue, décéder. Le choc est grand pour son épouse qui va devoir tout à la fois affronter les ennuis administratifs inhérents à cette situation et , bien sûr se débattre avec la souffrance  du deuil, si atroce qu 'elle lui a fait envisager le suicide.
Précisons-le d'emblée si le titre français figure bien dans le récit de Joyce Carol Oates, c'est à la toute dernière ligne. Placé en tête de récit, il possède un côté volontariste et triomphaliste , un peu dans l'esprit survivaliste tellement en vogue qui me déplaît beaucoup. Le titre original ,A Widow's Story, (histoire d'une veuve) me paraît mieux convenir car dans ce récit, la question de l'identité est essentielle.joyce carol oates,comment affronter la mort de son mari
En effet, l'auteure ne cache rien de la dichotomie qui s'établit entre l'image de la romancière, Joyce Carol Oates qui semble continuer à écrire de manière imperturbable, mais il s'agit de textes écrits plus tôt et dont la parution est décalée  et celle, totalement opposée de la Veuve, Joyce Smith qui n'arrive plus à écrire une ligne, cherche désespérément le sommeil et se terre dans "son nid", espace de réconfort qu'elle crée dans son lit.
La mort de son époux est aussi l'occasion, par le biais du regard des autres, mais aussi d'un manuscrit inachevé de Ray, de découvrir d'autres facettes de son mari.
 Avec une grande honnêteté quant il s'agit d'elle même et une grande discrétion , tout à son honneur,quand il s'agit de citer les réponses des mails qu'elle a envoyés à ses amis, Joyce Carol Oates nous peint ici le portrait d'une femme dévastée qui ne sombre jamais dans l'autoapitoiement. Un récit où le lecteur ressent beaucoup d'empathie et jamais de voyeurisme. Un récit poignant tout hérissé de marque-pages. à lire absolument.

 

J'ai réussi à rester en vie, Joyce carol oates, Points Seuil 2012, 530 pages jamais pesantes.

 

 

25/09/2012

Papa was not a rolling stone

"C'est ce qu'il y a de bien avec la littérature: elle envisage le réel avant qu'il n'advienne."

sylvie ohayon

Sylvie Ohayon semble être née sous le signe du tiraillement: juive par sa mère, kabyle par son père, père très vite disparu dans la nature, elle reçoit beaucoup d'amour de la part de ses grands-parents , ce qui compense l'attitude immature de sa mère.
Cette dernière se mariant avec un Daniel, cent pour cent français,  la petite fille ne parviendra jamais à appeler "papa", cet homme qui l'adoptera et lui vouera une haine féroce, bien réciproque. Malgré les coups, les sarcasmes, la petite Sylvie travaille comme une forcenée à l'école, faisant même la classe à ses petits camarades de la cité des 4000 de la Courneuve. Car oui, Sylvie est une banlieusarde, mais la vision qu'elle nous propose de cette cité n'a pas grand chose à voir avec celle propagée par les média. Certes la violence est présente, surtout envers les filles,  mais aussi la solidarité.Notre héroïne, passant de l'autre côté du périph , grâce à  des études de lettres, intègrera un univers tout aussi étrange: celui des bourgeois parisiens.
Autobiographie survoltée, Papa was not a rolling stone possède les défauts de ses qualités : une belle énergie, beaucoup d'humour, un sens de la formule qui a fait ses preuves en publicité (domaine où Sylvie Ohayon a excellé) ,mais aussi un récit cahotique car non maîtrisé. On sent que l'auteur a voulu tout raconter, nous transmettre ses émotions mais sans vraiment prendre le temps d'organiser son récit. J'avoue aussi avoir été agacée par les répétitives leçons de vie que l'auteure tient à nous transmettre à toutes forces et par le style parfois trop relâché. Un bilan en demi-teintes donc mais un roman qui ne se lâche pas malgré tout. Vient de sortir en poche.

04/06/2012

L'autre moitié de moi-même

"Je suis devenue écrivain pour nommer les fantômes."

Panne d'écriture, séparation d'avec le père de ses enfants, Anne-Laure Bondoux traverse une période de crise quand, un soir, elle croit avoir renversé un enfant en voiture. Cet incident étrange, comme venu du passé, va l'entraîner dans une quête qui l'amènera à mettre à jour un secret de famille mais aussi à prendre conscience du pouvoir de la fiction et plus généralement de celui des mots.
Emaillé de citations, de fragments de journaux intimes, de photos même, ce texte ne donne jamais l'impression au lecteur d'être un voyeur. Juste une présence amicale qui accompagne cette démarche et en partage le "typhon émotionnel" avant d'atteindre la délivrance et la fin de la souffrance
On y glanera des provisions pour notre quête personnelle mais aussi la sensation précieuse d'avoir lu un texte vrai, sensible et juste.anne-laure bondoux
Anne-Laure Bondoux s'est bien sûr posé la question de la nécessité de ce texte et y répond très justement: "Il a fallu que je rassemble , par la narration à la première personne, mon identité réduite en miettes. Que je me raconte autrement." car "Si j'en doutais encore, je suis désormais persuadée que le langage est un acte, et que le pouvoir des mots ne se restreint pas  au domaine de l'imaginaire.Il s'exerce sur nous  tous, dans notre vie  concrète pour le meilleur et pour le pire..."

Un livre dérangeant et bienfaisant tout à la fois. je m'en vais de ce pas le relire et noter sur un carnet toutes les citations que j'ai repérées d'un marque-page.

Il a sauté dans mes mains à la médiathèque, sorry les filles !

Une présentation du texte par Anne-Laure Bondou,x ici.

L'autre moitié de moi-même, Anne 6laure Bondoux, Bayard 2011

30/05/2012

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

"La fiction et la poésie sont des médicaments, des remèdes. Elles guérissent l'entaille pratiquée par la réalité sur l'imagination."

En 2003 paraissait en France  la fiction Les oranges ne sont pas les seuls fruits* , roman dans lequel Jeanette Winterson revenait sur une enfance bien particulière: celle d'une enfant adoptée par un couple marqué par une religion sévère et exigeante.51Z6feJJXyL._SL500_AA300_.jpg
Presque dix ans plus tard vient de paraître cet ouvrage qui n'emprunte plus les voies romanesques mais nous livre , avec beaucoup de pudeur et de recul, une autobiographie marquante à bien des égards. Madame Winterson, la mère adoptive , avait tout pour devenir une nouvelle Folcoche, n'hésitant pas , par exemple, à partir en vacances laissant Jeannette à l'extérieur d'un domicile complètement fermé. Mais tout l'art de l'écrivaine est dans la nuance. On sent qu'avec le temps, elle en arrive à jeter un regard presque apaisé sur cette mère si imparfaite.
C'est aussi le récit de la conquête d'une liberté, liberté qui passe par les études et par l'écriture, mais qui ne fera évidemment pas l'économie de la douleur, surtout quand Jeanette essaiera de retrouver sa véritable mère .
L'écriture est tout sauf fluide et linéaire, et l'auteure s'en explique, mais on ne peut qu'être touché à l'extrême par cette femme  et par le pouvoir de l'émotion générée. En témoignent les nombreux marque-pages !

* vient d'être réédité chez l'Olivier, pas encore lu.