19/01/2010
Sur le bord de l'inaperçu
"Ici, seules les femmes savent lisser le temps."
Visiter Baldéa , sur les traces du narrateur, c'est partir pour un monde qui n'a pas de frontières , un monde où il faut accepter de perdre ses repères car "L'incertitude est partout" ,pour le plus grand bonheur de ses habitants et pour le notre également.
En 68 chroniques, Michel Guillou nous peint en effet un univers où "Les plus beaux raisonnements flottent dans l'air comme de purs échafaudages de givres", comme un écho des paroles givrées dans Rabelais, un monde où les expressions peuvent être prises au pied de la lettre (voir le chapitre intitulé "Feux de torchons"),où des "néoforgerons forgent à la hâte les néologismes de première nécessité." Point n'est besoin à l'auteur d'ailleurs de tels auxiliaires car lui même se charge-et avec quel talent !- d'en créer lui même qui sont très évocateurs tels " se recrocotiner"relevé au passage, sans compter tous ces mots dont on ne sait plus s'ils sont ou rares ou inventés mais qui se fondent délicieusement dans les énumérations dont l'auteur nous régale.
Tout ceci pourrait relever de l'anecdotique ou du pur jeu avec les mots. Ce serait sans compter sans la véritable topographie -fluctuante et précise- des villes,de leurs guerres, des "zones de Tohu Bohu et de Brou Haha". Une analyse qui passe aussi en revue la flore (très réduite) et la faune pour le moins surprenante, sans compter tous les points d'eau particulièrement dangereux (On comprend pourquoi les piscines sont vides et peuvent servir à ranger les livres...). N'oublions pas un recensement exhaustif et poétique de toutes les formes d'eau présentes sur Baldéa, et toute une batterie de petits métiers pittoresques: peintres d'horizon, planteurs d'eau, porteurs d'ombre ou poseurs de panne...Sans oublier quelques coups de griffe qui pourraient bien s'appliquer à notre époque bling-bling, Michel Guillou retrouvant ainsi un usage traditionnel du monde imaginaire tel que l'avait utilisé par exemple Swift. Bref, vous l'aurez compris ce livre est un enchantement, tant pour ceux qui sont friands de mots que pour ceux qui apprécient un imaginaire en folie ! Inutile de vous dire qu'il a d'ores et déjà sa place sur l'étagère des indispensables et qu'il en sortira souvent pour être consulté !
Sur le bord de l'inaperçu, Michel Guillou, Gallimard, 2009, 174 pages chatoyantes et jubilatoires !
Merci encore à Bellesahi pour cette découverte !
06:00 Publié dans l'amour des mots, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : michel guillou, une mine pour les profs de français et les ateliers d'écriture!
17/01/2010
juste pour vous donner envie...
"Il existe ici des adjectifs pyromanes.
Un fil de braise les habite ,que rien n'éteint.
Ils prennent un malin plaisir, un plaisir chafouin aux feux d'encre, aux feux d'alinéa, de paragraphe, , aux feux de page et de chapitre qu'ils allument.
A leur contact, la moindre phrase s'enflamme et se consume, ne laissant qu'une ligne de cendre, une traïnée de mica noir, le silence illisible d'une poussière d'alphabet.
[...]
Les adjectifs pyromanes sont des êtres nerveux et frondeurs, des énergumènes fronduleux. L'incendie est leur joie, l'écriture la paille, la folle avoine de leur feu.
Seules leur résistent les phrases dont l'incendie leur est égal ou supérieur."
Michel Guillou, Sur le bord de l'inaperçu, Gallimard,2009, billet à venir. Merci à Bellesahi pour cette formidable découverte.
06:00 Publié dans Extraits, l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : sur le brod de l'inaperçu, michel guillou, pays imaginaire
31/12/2009
La fin des haricots et autres mystères des expressions françaises
La fin des haricots, la fin de l'année, quoi de mieux pour clore 2009 que ce recueil de chroniques parues dans "Le Figaro et rassemblées en format poche ?
Alors, bien sûr, quand on est féru de ce type d'ouvrage, on retrouve des explications données ailleurs, mais une petite révision ne fait jamais de mal aux neurones et c'est toujours l'occasion de se cultiver et de satisfaire sa curiosité en picorant dans ces textes savoureux, qui fustige parfois au passage les erreurs entendues ou lues dans les media...
L'occasion pour moi aussi de souhaiter qu'en 2010 vous vous portiez comme un charme et que vous goûtiez les délices de Capoue ! A bientôt, je vous embrasse !
La fin des haricots et autres mystères des expressions françaises, Colette Guillemard, Omnia, 2009, 274 pages, 12 euros.
06:05 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (39) | Tags : colette guillemard
14/10/2009
Les mots migrateurs, les tribulations du français en Europe
Les mots migrateurs se propose d'étudier méthodiquement les traces qu'ont laissées les mots français dans vingt-huit pays d'Europe, rangés par familles de langue.
Après une introduction historique très claire expliquant le succès de notre langue en Europe, Marie Treps recense méthodiquement les mots français, qui ,parfois méconnaissables , ont su s'installer durablement dans d'autres langues.
Cette promenade est riche, peut être un peu trop même si on veut la faire d'une seule traite mais chacun pourra faire son miel des mots principalement empruntés- ô surprise- au vocabulaire gourmand, amoureux ou culturel mais qui, comme le souligne l'auteure témoignent souvent d'un usage désuet de la langue française.
Le lecteur curieux apprendra aussi quelles sont les particularités des diverses langues européennes. Ainsi en slovaque peut on trouver une phrase sans aucune consonne mais dont l'occurence est rare puiqu'elle signifie: "Mets ton doigt au travers de la gorge".
A consulter régulièrement.Ou pas !:)
Marie Treps, Les mots migrateurs, les tribulations du français en Europe, éditions du Seuil.
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12/10/2009
Lettres à mon libraire
"sanctuaires irremplaçables où s'achète le savoir universel",
A l'initiative de ce joli recueil, Lettres à mon libraire, Jean Morzadec, un fondu de littérature qui oeuvre sur France Inter. Des écrivains ont donc été sollicités pour "raconter, en mots simples, quelle place tiennent les librairies dans leur vie."
Les réponses sont éclectiques, et dans la forme et dans le fond ,mais toutes donnent à voir un véritable amour de ces endroits mi-capharnaüm, mi-caverne d'Ali baba, peuplés d'improbables libraires, capables pour certains d'indiquer de manière précise où se niche tel ouvrage sans même bouger un cil, leur mémoire vive battant à plates coutures celle d'un ordinateur !
Certains auteurs, comme Claudie Gallay remercient au passage les libraires qui les ont soutenus, tandis que d'autres en profitent pour assurer un peu de pub à leur dernier ouvrage en date, oubliant parfois au passage le thème imposé...
Véronique Ovaldé , égale à elle même , arrive à insuffler une étrangeté poétique à un souvenir d'enfance, tandis que Patrick Modiano envisage le recensement de toutes les librairies qu'il a connues dans Paris et qui ont disparu...Didier Daeninckx, quant à lui, se fend d'une bafouille hilarante là où on se serait attendu à plus de gravité...
Ce recueil est aussi l'occasion de découvrir certains auteurs , ainsi pour moi, Benoît Hopkin qui nous décrit un comportement typique de lecteur compulsif dans lequel chacun pourra se reconnaître, avec entre autres une "tête d'équerre" particulièrement bien trouvée. Bref, de quoi assurer pour six euros le bonheur de tous ceux ceux qui fréquentent ce "temple aux murs de papier" (et de glaner au passage quelques bonnes adresses) ! Un livre qui donne aussi envie d'écrire sa propre lettre...
Lettres à mon libraire, préface de François Busnel, Editions du Rouergue, 6 euros.
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11/09/2009
Lâche pas la patate !
Marie Treps,gourmande de mots, à son habitude , dans Lâche pas la patate ! nous régale de mots et d'expressions francophones venus du Québec (avec la délicieuse débarbouillette (carré de tissu éponge pour nettoyer le visage) )ou le très imagé ruine-babines (harmonica), de Suisse, où la lenteur semble une valeur sûre , de la Louisiane où l'on sait Laisser les bons moments rouler (profiter des bons moments) ou de Nouvelle-Calédonie . Mais c'est peut être dans toutes les anciennes colonies françaises d'Afrique que la langue se plie avec le plus de bonheur aux néologismes d'une évidence radicale :ainsi cadeauter au Sénégal ou frousser au Congo-Kinshasa. Sans oublier mon chouchou en direct de Côte d'ivoire: C'est gâté complet, ça ne marche plus du tout, c'est fichu!
J'y ai découvert en outre que Filet américain, être à la ducasse, fréquenter, amitieux,amusette ô surprise, ne sont pas comme je le croyais des régionalismes du Nord mais qu'ils nous viennent tout droit de la Belgique toute proche ! Comme quoi les mots se jouent des frontières et s'acclimatent en un rien de temps !
Une promenade à travers les pays mais aussi l'Histoire avec la binette du colon désignant une chaise longue en Nouvelle -Calédonie,la binette étant un instrument aratoire, tandis que la chaise longue est indispensable à la sieste, "Pendant que les uns travaillent, les autres se reposent..."
Pour tous les amoureux des mots, quel que soit leur âge !
Lâche pas la patate !, Marie Treps, éditions du Sorbier, 2009, 15 euros.Illustrations de Gwen Keraval
Le billet d'Esmeraldae qui m'avait donné envie !
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12/06/2009
Les mots de Brassens
Ouvrir le livre de Loïc Rochard c'est plonger d'emblée dans l'univers de Brassens, l'entendre chanter tous les refrains et les couplets qui ont accompagné et accompagnent encore nos vies, mettre en route un juke box d'où s'échappent en ribambelle quelques grigous, une ou deux gourgandines, une donzelle, pas trop collet monté, un blanc-bec pour qui elle aurait le béguin, pour qui son coeur battrait la breloque.
Féru du Grand Georges, l'auteur s'est en effet donné pour tâche, véritable travail de Bénédictin, de préciser dans ce Petit dictionnaire d'un orfèvre du langage tous ces mots dont nous ignorons souvent le sens exact mais que Brassens a rendu familiers à nos oreilles et qui participent de l'univers si particulier du chanteur. Il précise en outre, et c'est fort utile, la ou les chansons dans lesquelles on peut trouver le terme en question.
Dans son intéressante introduction, Loïc Richard nous montre également l'apparente facilité des textes du moustachu à l'éternelle pipe, textes qui coulent souples et aisés, mais qui ont parfois nécessité une année de travail avant que les mots sonnent juste aux oreilles du compositeur. Car Brassens s'était "abîmé" dans la lecture et n'aimait rien tant que mêler références mythologiques, langage vert ou recherché, détournant au passage bien des expressions.
Cerise sur le gâteau, Loïc Rochard a même recherché quelques unes des réminiscences littéraires témoignant de la diversité des lectures du chanteur puisqu'on y trouve aussi bien Jean de La Fontaine, René Fallet ou Shakespeare !
Bref, pas question ici de flagorner mais nous sommes ici devant une somme où chacun trouvera son content, car c'est une oeuvre riche mais jamais pédante, un dictionnaire plein d'amour et de poésie .
Les mots de Brassens , Petit dictionnaire d'un orfèvre du langage, Loïc Rochard, Le cherche midi, 358 pages où l'on ne mange pas du poète !
Ps: Depuis , je chante en boucle "la ronde des jurons" !:)
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22/05/2009
Porc ou cochon? Les faux-semblants
Si comme moi vous hésitez toujours entre "revolver" et "pistolet"," Meurtre" et "assassinat", ce livre est fait pour vous ! Avec verve, Jean-Loup Chiflet remets nos idées en ordre.
On se balade (et non ballade) au son d'un biniou breton ou d'une cornemuse écosaisse. On sirote un bourbon, à base de maïs ou un whisky (à base d'orge) tout en feuilletant une revue (sans images) ou un magazine (avec)...
Les distinctions sont parfois clairement tranchées, le revolver est une arme à feu à répétition, le pistolet ne tire qu'une fois, ou plus subtiles et l'on rejoint parfois ici l'ouvrage de Jean-Louis Fournier Les mots des riches, les mots des pauvres. : "Chez les Le Quesnoy, on est ivre, chez les Groseille, on est soûl".
Chiflet en profite également pour distinguer des couples maudits, un Casanova n 'a rien d'un Don Juan, Un Monet d'un Manet. Il se permet aussi quelques incursions dans l'actualité : Carla ou Cecilia,Arnault ou Pinault, dont on peut contester la pertinence au vu des autres couples mentionnés...A ces people, j'eus largement préféré qu'il éclairât ma lanterne sur Laurel et Hardy que je n'arrive jamais à identifier...
Un recueil bien utile , non pas pour se mettre la rate au court-bouillon mais au contraire pour clarifier nos esprits !
Porc ou cochon, Jean-Loup Chiflet, Chiflet & Cie, 185 pages éclairantes.12,95 euros.
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12/03/2009
schtroumpf grognon : the end ! (ouf !)
De temps en temps, ça fait du bien de se faire taper (gentiment) sur les doigts, de vérifier le sens ou l'utilisation fautive ou non d'un mot. Quand en plus, Le Répertoire des délicatesses du français contemporain paraît dans la collection dirigée par Philippe Delerm""le goût des mots", on se régale d'avance , en bon gourmand des mots que l'on est.
Mais d'emblée, la mention , en exergue ,que "Beaucoup des phrases "fautives" donnée en exemple dans ce livre proviennent du journal Le Monde, du Nouvel Observateur ou de France Culture", media connus pour leur grand sens de l'humour, aurait dû me mettre à puce à l'oreille : on n'est pas ici pour s'amuser !
Il ne s'agit pas ici de remettre en question le sérieux et la qualité de ces articles, loin s'en faut , mais j'aurais vraiment apprécié un peu moins de rigidité dans le jugement. Comme auraient dit mes élèves africains, je trouve Renaud Camus trop "cintré" dans sa manière de s'exprimer. A le lire , on a l'impression de retrouver le maître d'école qui martyrisait ses élèves, sanglé dans sa blouse grise, arpentant la classe à grandes enjambées. Ce qui n'est pas, avouons-le bien agréable !
Ce livre est en fait la réédition de Répertoire des délicatesses du français contemporain, paru en 2000 aux éditions POL.
Ceci explique peut être cela...
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28/01/2009
Bonjour, veaux, vaches, cochons, couvées!
Eveillé comme une potée de souris, vous n'êtes pas une tête de linotte et n'allez donc pas oublier de noter sur vos tablettes, le très riche livre de Patricia Vigerie , Quand on parle du loup, qui recense de manière exhaustive les expressions et proverbes contenant des noms d'animaux.

Autrefois paru sous le titre La symphonie animale, je l'avais déjà compulsé en bibliothèque mais avait évidemment perdu ses références.Grâce à la fabuleuse Fashion et au Patounet Swap organisé de main de maître par la pétillante Cuné, j'ai enfin pu me délecter à nouveau de ces expressions imagées si expressives , délicieusement illustrées par des gravures de Grandville.
06:00 Publié dans l'amour des mots, très utiles! | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : quand on parle du loup, patricia vigerie, les animaux dans les expressions de la langue française