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08/04/2021

Elmet ...en poche

"Le sol regorgeait d'histoires brisées qui tombaient en cascade, pourrissaient puis se reformaient dans les sous-bois de façon à mieux resurgir dans nos vies. on racontait que des hommes verts avec des visages en feuille d’arbre et des membres en bois noueux scrutaient depuis les fourrés."

L'histoire se passe de nos jours, mais elle est en fait intemporelle car elle s'inscrit dans une problématique qui dépasse les époques. Celle d'un petit groupe qui refuse d'être ostracisé , qui n'a que faire des règles en vigueur et entend bien vivre où il veut, dans le respect de la nature, sans trop s'occuper des autres. Mais "...le géant barbu qui vivait dans les bois avec son jeune fils et sa fille belliqueuse" vont devoir se rendre à l'évidence : même dans les bois du Yorkshire, les hobereaux, et à leur tête la figure emblématique de Mr Price, font leur loi et la police n'a pas à se mêler de leurs affaires.
 En effet, ce père refuse que son corps, dont il usait pour gagner sa vie lors de combats illégaux, soit soumis à Mr Price, conscient que celui-ci entend juste contrôler pour se sentir exister. Il est en effet beaucoup question du corps dans ce roman et en particulier de celui de la jeune fille, Cathy, qui rejetant l'idée de devenir une victime, déclenchera la tragédie qui était en route. Celui du plus jeune fils, Daniel, narrateur à la recherche de sa sœur, est également au cœur d'une problématique différente.product_9782072922435_195x320.jpg
Il est enfin question de la force d'une communauté qui tente de s'unir pour faire face à l'injustice, le tout dans une région marquée par le chômage, mais aussi par la poésie. Un roman au final impressionnant, tout à la fois baigné de tendresse et de violence au sein d'une nature sauvage. Une prose magique à découvrir.

 

 Elmet de Fiona Mozley, traduit de l’anglais par Laetitia Devaux,  Éditions Joëlle Losfeld 2020, 237 pages qu'on n'oubliera pas de sitôt.

07/04/2021

L'ami...en poche

"C'est que j'ai dit au psy: qu'il ne me manque plus ne me rendrait pas heureuse, pas du tout."

Rien en apparence ne pouvait lier le destin de la narratrice, écrivaine et professeure à l’université, et celui d'Apollon, grand danois vieillissant et bien trop encombrant pour son minuscule appartement new-yorkais, où d'ailleurs les chiens sont interdits.9782253102120-001-T.jpeg
Et pourtant, quand l’épouse numéro trois de son meilleur ami récemment décédé lui demande instamment de recueillir le chien de la taille d'un poney, la narratrice accepte.
Commence alors une cohabitation d'abord chaotique, où on se demande si le chien ne va pas prendre le dessus sur sa bienfaitrice, puis plus harmonieuse. Relation durant laquelle l'écrivaine revient en profondeur sur les liens compliqués avec celui qui fut son mentor, fugitivement son amant , et sur la douleur qu'elle ressent à la suite de ce deuil.
L'ami c'est à la fois celui qui est décédé ,mais aussi l'animal qui va lui permettre de poser des mots sur sa douleur et avec lequel va s'établir une amitié profonde.
La narratrice réfléchit aussi sur les fonctions de l'écriture et sur les modifications profondes qu'entraîne cette relation entre Apollon et elle, qui l'aide à accepter le manque car "Ce qui nous manque-ce que nous avons perdu, ce que nous pleurons-, n'est-ce pas au fond ce qui nous fait tels que nous sommes vraiment ?".
La fin est déchirante et , toute en retenue , m'a fait venir les lames aux yeux.
Un récit bouleversant qui analyse ,sans sensiblerie, mais avec beaucoup de justesse, les liens qui nous unissent aux animaux, aux autres humains et permet aussi de réfléchir aux renoncements nécessaires quand le bout du chemin approche. Un grand coup de cœur.

Et zou sur l’étagère des indispensables.

 

Stock 2019,Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Bach.

25/02/2021

Jour de courage...en poche

"Il ne fallait pas être bien malin pour comprendre que depuis quarante minutes, Livio parlait de lui, de sa fragilité, de son impossibilité à trouver sa place, il était visible qu'il avait recherché comment l'homosexualité avait été abordée dans les différentes sociétés au fil des époques, et Arthur avait été le premier à voir venir, à sentir monter en lui une violence qui devenait impossible à contenir."

Qui dans cette classe de lycée avait déjà entendu parler de Magnus Hirschfeld ,ce médecin juif-allemand qui dès le début du XXème siècle avait lutté  en Allemagne pour les droits des homosexuels et avait mis en place un institut étudiant la sexologie ? Personne, peut être même pas la prof d'histoire.
Pourtant, Livio, dix-sept ans, volontaire pour prendre en charge un exposé sur les premiers autodafés nazis, va retracer le parcours exceptionnel de cet homme, une manière pour lui de faire comprendre publiquement ce que même sa meilleure amie se refuse à voir.
Un "passage obligé" dont Brigitte Giraud rend compte au plus près, dans ces 156 pages, retraçant non seulement l'exposé et ses digressions, mais aussi les réactions du public du jeune homme. Le corps de l'adolescent est au centre du dispositif, ce grand corps qui trahit la souffrance de Livio qui peine à trouver sa place non seulement au sein de ses pairs, mais surtout au cœur de sa famille, dont l'histoire familiale repose sur ses fragiles épaules.41BTst5l27L._SX307_BO1,204,203,200_.jpg
Un roman intense qui rappelle que , quelle que soit l'époque, "Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes", citation de Heinrich Heine que Livio aurait dû écrire dès son introduction, oubli révélateur du véritable objet de son exposé.

19/02/2021

Un soir au paradis...en poche

"Mais je suis restée quand même là, à réfléchir à ma vie, une vie pleine de beauté et d'amour en définitive. Il me semblait l'avoir traversée comme j’avais traversé le Louvre, en observatrice invisible."

Quels que soit les aléas de la vie que connaissent les héroïnes des nouvelles de Lucia Berlin, quelles que soient les lieux qu'elles habitent, temporairement ou non, elles ne se plaignent jamais et se débrouillent toujours pour  préserver l'essentiel : l'amour, que ce soit celui des hommes (souvent infidèles) et des enfants.lucia berlin
Artistes, stars américaines lors d'un tournage, professeure connaissant de fins de mois difficiles, Lucie Berlin, observe avec empathie et débusque toujours la fêlure des êtres. Vingt-deux textes qui confirment tout le talent de cette nouvelliste qui s’est souvent inspiré de sa vie.

De la même autrice: clic.

23/01/2021

Ecotopia...en poche

"En fait, plus j'examine de près le tissu de la vie écotopienne , plus je dois reconnaître sa solidité, sa beauté."

Trois États de la côte ouest des États-Unis ont fait sécession et on construit une société écologique radicale présidée par une femme. Après vingt ans de relations tendues entre Ecotopia et son grand voisin, un journaliste, William Weston est autorisé à séjourner dans ce pays où les semaines de travail sont de vingt heures, où règnent la frugalité et le recyclage , bien loin donc des valeurs consuméristes américaines.ernest callenbach
Alternant articles envoyés au Times-Post et journal de bord, plus intime le roman nous propose une sorte de catalogue des différents secteurs de l'économie, l’éducation, la société de cette utopie en action. Souvent très techniques, ces textes ont un aspect quelque peu rébarbatif, même s'ils offrent comme le souligne la quatrième de couverture "un antidote au désastre en cours."
Quant à ce balourd de Weston, il cumule les défauts du macho et même s'il évolue au fil du texte, il m'a profondément agacée, surtout quand il se retrouve à l’hôpital où l'infirmière (ça fait partie du traitement !) lui offre des services sexuels.
Écrit dans les années 70, ce roman porte la trace des utopies de cette époque (habitat en communauté , liberté sexuelle), mais ne résout pas pour autant  de manière satisfaisante des problématiques toujours cruciales de nos jours comme la questions des minorités raciales. Bilan en demi-teintes donc.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice  Matthieussent

 

22/01/2021

Le complexe de la sorcière...en poche

"Je lui parle des innocentes qui finissaient par croire ce dont on les accusait, je lui parle ses exécutions. Je lui raconte ce qui m’arrive. Je lui dis que ces histoires me rappellent des souvenirs qui n'ont rien à voir avec les chasses elle-mêmes."

Alors qu'elle vient d'emménager avec l'homme qu'elle aime, la narratrice voit en rêve une femme  qu'elle identifie bientôt comme étant une sorcière. Elle entame alors des recherches et découvre que le Moyen-Age et les sorcières ne sont pas liés, mais que les chasses aux sorcières ont eu lieu au XV ème siècle en France.
Elle se demande alors quel est l'impact de ces chasses aux sorcières , dûment organisées , sur le psychisme des femmes.isabelle sorente
Au fur et à mesure de ses recherches, lui reviennent en mémoire des souvenirs occultés: celui du harcèlement dont elle avait été victime au collège et dont elle analyse patiemment les rouages, soulevant ainsi le poids du non-dit familial. L'analyse qu'elle poursuit en parallèle l'aide également à établir des liens entre ses propres souffrances et les traces que deux siècles de terreur pourraient avoir laissées dans la psyché féminine. Entre roman, autofiction et essai, un texte intense, original et fort qui parlera à tous ceux qui s'intéressent aux rouages de l'esprit humain.

21/01/2021

Nous sommes à la lisière...en poche

"Ses histoires à elle, pourtant, n’inventent pas d'autres mondes. Pas d'autres amours non plus. Il leur suffit d'être complices de quelques vies sauvages."

Cheval, fourmis, hérisson, écureuil, chat ou oiseaux, entre autres,  peuplent les nouvelles de Caroline Lamarche.
En effet, ce sont eux  les héros, dûment prénommés, donc dotés d'une identité propre, avec lesquels au moins un humain entre en interaction . caroline lamarche, animaux
Cette dernière peut être brève, peut être en apparence anecdotique,  mais elle fait résonner de manière un peu différente les existences en tous points ordinaires qui nous sont ici relatées en quelques pages poétiques et d'une précision extrême.
Qu'elle s'arrête pour aider un hérisson à traverser la route et l’amoureuse de la nouvelle Ulysse, reliera par des liens éclectiques, mais toujours pertinents, cette rencontre fugitive avec ses propres interrogations lors d'un repas où se révèleront des enjeux qu'elle n'était peut être pas prête à admettre.
La plus longue et la plus émouvante nouvelle, Frou-Frou, évoque une histoire d'amour hors-normes, à bien des égards et témoigne de l'art de l'auteure pour évoquer avec délicatesse et sensibilité des émotions intenses mais sourdes.
La nature est souvent en danger dans ces textes, mais ses habitants, aux vies parfois éphémères, témoignent d'une volonté de vie et de liberté qui émeuvent au plus haut point.

 

Un grand coup de cœur! Et zou sur l'étagère des indispensables !

14/01/2021

Préférer l'hiver...en poche

Face à un événement que l'on refuse tellement, on ne peut que prétendre que le meilleur nous a été enlevé. On ne peut pas fustiger les drames tout en admettant que ce qui nous a été arraché était somme toute, plutôt moyen, voire désagréable."

Une mère et sa fille adulte, marquées par les deuils et l'abandon, vivent recluses dans une forêt. L'hiver "qui anesthésie les peines et offre des cieux blancs et lumineux", est ici célébré, tout comme la nature, et les conduira vers une épure qui viendra à bout des violences subies.index.jpg
Un texte qui vous prend par la main, ne vous lâche plus, tant sa langue est poétique et sa manière de dévoiler peu à peu ce qui était tu ,hypnotique.
Du grand art. Un premier roman fascinant.

 

13/01/2021

Post-scriptum...en poche

1982-2013, telles sont les dates butoirs de ce nouveau volume du journal de Jane Birkin (je n'ai pas lu le premier volume).
Évidemment, ils faut aimer cette artiste pour avoir envie se pencher ainsi sur des extraits choisis, commentés et annotés par l'autrice a posteriori, mais l'écriture, très fluide et le portrait qui se dessine en filigrane de celle qu'on a l'impression de connaître par cœur, tant elle s'est livrée dans des interviews sans fards, font que l'on est forcément séduits, tant par sa franchise que par son manque total d'arrogance.jane birkin
Elle n'est évidemment pas parfaite, Jane, et elle ne se présente pas comme telle, loin s'en faut,  mais son joli brin de plume, son humour  font que l'on en découvre de nouvelles facettes de notre Anglaise préférée.
Éludant d'une pirouette la maladie, revenant avec élégance sur ses amours, ses filles, ses échecs, parfois, ses deuils, elle nous livre ici ce qu'elle veut bien nous donner et c'est tant mieux car on n'a pas l'impression de lire par dessus l'épaule de quelqu’un.

09/01/2021

Tout ce qui nous submerge...en poche

Elles étaient coupées physiquement, mais aussi linguistiquement du monde. Elles constituaient une espèce à elles seules."

Si "nous sommes déterminés par le paysage, notre vie est tracée en fonction des collines, des rivières et des arbres." et plus particulièrement ici par la rivière, sur laquelle ont vécu dans un bateau, la narratrice et sa mère, s'y créant un univers bien à elles, doté d'expressions singulières,empreintes de références mythologiques, et où rôdait un animal fantastique, englobant toutes les peurs : le Bonak.
Quand le roman commence la narratrice, Gretel, a retrouvé sa mère, Sarah,  quasi aphasique, au comportement frôlant la folie après une disparition de seize ans. Seize ans, c'est aussi l'âge auquel Sarah a abandonné sa fille.
Dans ce roman, il est en effet beaucoup question d'abandons, ressentis comme nécessaires, de "traque", de liens familiaux particuliers. 51M7DtL8JIL._SX307_BO1,204,203,200_.jpg
Daisy Johnson brouille les pistes, via la chronologie des différents épisodes, mais aussi par le biais des identités fluctuantes, tant du point de vue des prénoms que du genre. Elle revisite ainsi de manière originale le mythe d’œdipe, se penche sur les souvenirs et le pouvoir des mots. Ce n'est ainsi pas un hasard si Gretel, exclue du groupe par son langage particulier, devient lexicographe, pour mieux maîtriser les mots.
Il se dégage de ce roman une atmosphère particulière, irriguée jusque dans l'espace entre les os par la rivière, à la fois maléfique et attirante , créant un univers à la frontière du fantastique. Un roman fascinant qui perd parfois son lecteur mais, en dépit de quelques longueurs, parvient toujours à le garder captif, tant l'écriture est poétique , au plus proche de la nature , des émotions.