17/08/2023
Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes
"La meilleures chose dans le fait de vieillir était de se vautrer dans ce grand rien-à-cirer. "
Quelle mouche a donc piqué Remington ? Est-ce le fait d'avoir été poussé vers la sortie d'un emploi qu'il prenait trop à cœur au goût de sa supérieure ? Est-ce le fait de refuser de vieillir ? Toujours est-il que le voilà décidé à courir un marathon cette année, empiétant ainsi sur les plates bandes de son épouse, Serenata qui, jusqu'à présent , avait été la seule sportive de ce couple de sexagénaires. Et le tout pile au moment où cette dernière, empêchée par ses genoux, est contrainte à la sédentarité.
Comme tous les nouveaux convertis, Remington fait montre d'un enthousiasme exacerbé et sacrifie beaucoup de temps (et d'argent), sous la férule de sa coach, Bambi, la trop parfaite.
C'est à un joyeux jeu de massacre que se livre ici Lionel Shriver en brossant le portrait , via ce couple, de toute une société qui sacrifie au culte du corps et de la jeunesse. Pour autant ces personnages n'en demeurent pas moins crédibles et Serenata m'a souvent surprise en réagissant à contre-courant de ce qu'on aurait pu attendre, conférant ainsi à ce roman beaucoup d'humanité. Une belle réussite.
Traduit de l’américain par Catherine Gibert.
Pocket 2023
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : lionel shriver
10/08/2023
La valse des petits pas...en poche
"Le restaurant est mieux qu'un théâtre se dit-il. Chaque soir , ils interprètent un vaudeville différent. "
Au menu de cette brasserie parisienne : une farandole d'histoires d'amour à différents stades de maturation, une tablée empestant la testostérone et la servilité, des hésitations, des points de vue alternés, des surprises (pas forcément du chef) et, en fil rouge, la relation en pointillés qui s'ébauche entre le barman et la jolie serveuse.
Unité de temps (une soirée), de temps et d'action pour un ballet parfaitement agencé par l'autrice, fine observatrice de ses contemporains. Un bon moment de lecture qui vous donnera l'envie de tendre l'oreille quand vous irez au restau...
Pocket.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claire renaud
08/07/2023
Soeurs...en poche
"Le chagrin est une maison sans fenêtre ni porte, sans possibilité de voir le temps qui passe."
Septembre et Juillet sont des sœurs nées à dix mois d'intervalle mais entretiennent une relation quasi gémellaire, même si elles ne se ressemblent pas physiquement. Sheela, leur mère est bien consciente de l’emprise, de la manipulation , confinant parfois à la cruauté, que l'aînée exerce sur sa cadette mais n'intervient pour autant pas de manière efficace.
Harcelée à l'école, "cette bête de Juillet " donnera lieu à un premier incident, puis à un second dont la gravité vaudra à cette famille de trois femmes de se réfugier dans une vieille maison au bord de la mer où l'atmosphère oscillera entre cauchemar et réalité.
Daisy Johnson excelle à créer ces mondes entre deux eaux où ses personnages se perdent pour mieux se retrouver. Elle y entraîne son lecteur, le déroutant parfois, le faisant douter avant que de dévoiler ce qui était devant nos yeux et ne pouvait mener qu'au drame. Un roman envoûtant qui confirme le talent singulier de cette autrice.
Traduit de l’anglais par Lætitia Devaux. 216 pages . Stock 2021
10:38 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : daisy johnson
21/06/2023
Mes 18 exils...en poche
"J'étais donc une française en mode-gruyère , avec des trous qui prenaient plus de place que la masse de fromage. L'histoire d'une vie n'est-elle pas remplie de lacunes, d'ignorance, d'insuffisance , d'humiliation, de vide ? "
Quel plaisir de retrouver Susie Morgenstern dans ces 18 exils qui pour certains sont prévisibles, au vu de son itinéraire et d'autres plus surprenants.
Susie, comme à son habitude, s'y livre à la fois avec beaucoup de franchise et de délicatesse, n'hésitant pas à évoquer des thèmes comme la masturbation ou le désir sexuel chez les femmes âgées. Elle y évoque aussi la maladie et sa manière , très souriante, d'y faire face alors qu'à l'intérieur l'angoisse rôde.
Éternelle optimiste en apparence, elle égraine néanmoins les regrets de sa vie et envisage même l'organisation de son enterrement. car le dernier exil n'est-il pas la mort ?
Un livre facile à lire mais bien moins léger qu'il y paraît.
L'iconoclaste 2021
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : susie morgenstern
16/06/2023
La vallée des fleurs...en poche
"Viens me chercher, je pense. Emmène-moi. Laisse-moi me jeter dans la mer obscure. "
La vallée des fleurs est un roman tout en contrastes qui relate l'itinéraire d'une jeune femme inuite qui va intégrer une université au Danemark. Si son homosexualité est tout à fait acceptée par sa famille, on sent bien d'emblée que sa singularité se situe ailleurs et qu'elle dérange. Serait-ce son hypersensibilité ou un comportement parfois atypique ?
Au Danemark, l'effort d’adaptation au monde étudiant ,mais aussi aux subtilités de la langue (elle ne détecte pas immédiatement l'ironie ,par exemple) vont lui être coûteux et un deuil dans la famille de sa petite amie sera l'occasion pour elle d'aller dans l'Est du Groenland ,près de ce cimetière qui donne son titre au roman.
Car la mort irrigue ce roman, dont les têtes de chapitre de la première partie sont scandés par la mention factuelle de suicides de jeunes gens. Une vague de suicides touche en effet le Groenland et les mesures prises pour l'endiguer ne semblent guère efficaces.
Si l'humour est bien présent, la souffrance l'est tout autant et l'autrice dépeint avec une extrême sensibilité cette écorchée vive qui tente de se retrouver. Un roman extrêmement dépaysant , qui montre aussi bien la beauté sauvage que les laideurs de ce pays, sa rudesse et sa délicatesse.
Traduit du danois par Inès Jorgensen
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : niviaq korneliussen
18/05/2023
Evidemment Martha...en poche
"Je voulais lui dire que c'était la première fois que j'étais capable de décider comment réagir à un événement négatif, aussi insignifiant soit-il, au lieu de réagir avant d'avoir pris conscience. J'ai dit que je ne savais pas qu'on pouvait choisir quoi ressentir au lieu d'être submergée par une émotion extérieure. J'ai dit que c'était difficile à expliquer. Je ne me sentais pas différente, je me sentais moi-même. Comme si je m'étais trouvée."
Depuis l'âge de dix-sept ans, Marthe souffre de troubles psychiques et tente de s'en accommoder avec l'aide de traitements peu efficaces. Elle a maintenant trente-quatre ans, un premier mariage éphémère à son actif et un second qui se délite.
Les autres membres de sa famille (un père poète jamais édité, une mère sculptrice (qui vit aux crochets de sa sœur tout en la méprisant copieusement) une sœur quasi jumelle exténuée par ses grossesses successives) , ont chacun à leur manière tenté de "faire avec" l'attitude chaotique de Martha mais semblent eux aussi sur le point de lâcher prise.
L'autrice a fait le choix de ne jamais nommer la maladie (qui sera enfin correctement diagnostiquée ), sans doute pour ne pas stigmatiser ou pour ne pas limiter le récit et cela me convient très bien car ce qui est davantage montré ici est la souffrance de Martha et celle de tous ceux qui l'entourent.
La structure éclatée du roman, les allers retours dans le temps, l'analyse fine des rapports complexes liant Martha à sa famille et, en particulier, à son second mari en apparence trop patient, la révélation retardée de certaines réactions de la jeune femme contribuent à maintenir la tension tout au long du récit.
Un roman clivant sans doute mais que j'ai dévoré et qui m'a serré le cœur.
Traduit de l'anglais par Anne Le Bot
Le Cherche Midi 2022, 399 pages qui peuvent dérouter et/ou profondément émouvoir.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : meg mason
17/05/2023
La fille qui voulait voir l'ours...en poche
"Je ne me suis jamais senti aussi humaine et pleine vie que dans ce cosmos sylvestre. J'y ressens la palpitation du monde. J'imagine les flux de sève dans les arbres, les racines exploratrices du sol, les usines à chlorophylle des feuillages.
Mais je sens aussi mes limites à écouter, sentir, comprendre tout ce qui m'entoure. "
Acheté un peu par hasard, beaucoup pour travailler sur le thème du voyage en privilégiant le voyage au féminin, ce récit de Katia Astafieff a dépassé mes espérances par sa fluidité d'écriture, son humour, son attention aux autres et à la nature et surtout sa volonté de ne pas se poser en héroïne.
La narratrice ne nous cache rien de ses échecs, de ses limites physiques et surtout détaille bien les problèmes spécifiques qui se posent aux femmes en matière de préparation logistique: quid du soutien-gorge , comment résoudre le problème des règles en conciliant efficacité et légèreté car il faut veiller à ne pas trop se charger. Et la voilà partie sur le sentier international des Appalaches en plein été...
Un récit qui détonne agréablement comparé à ceux de certains de ses confrères masculins...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : katia astafieff
15/05/2023
Ours...en poche
"Elle aimait l'ours. Il y avait en lui des profondeurs qu'elle ne pouvait atteindre, qu'elle ne pouvait sonder, ni détruire de ses doigts d'intellectuelle."
Quand Lou, archiviste à Toronto se voit proposer d'aller inventorier le contenu d'une bibliothèque sur une île au Nord de l'Ontario, c'est l'occasion rêvée de briser la routine de sa vie quelque peu étriquée.
Sur place, elle découvre la présence d'un ours ,laissé là par son précédent propriétaire.
Commence alors une relation qui, petit à petit, va entraîner le plantigrade et la jeune femme sur les chemins de la liberté des corps et des esprits, au plus près de nature .
L'ours reste obstinément opaque aux yeux de Lou qui n'est pas dupe qu'elle projette sur lui ses propres émotions et des petites notes , découvertes au fil de son travail, enrichissent ce portrait mouvant en inscrivant l’animal au cœur de différentes mythologies.
Récit d'émancipation, ce roman interroge aussi nos liens à la nature, à l'animal et efface les frontières que l'humain a établi entre eux.
Paru en 1976, ce roman a attendu 1999 pour être traduit pour la première fois en français .Le voici, dans une nouvelle traduction , et une sublime couverture, toute de sensualité.
Il y a toujours un risque à relire un texte que vous aviez beaucoup aimé à plus de vingt ans de distance mais le côté "étrange et merveilleux" que souligne Margaret Atwood sur le bandeau est toujours présent et le roman a conservé tout son pouvoir. A (re) découvrir absolument.
Cambourakis 2023.Traduit de l'anglais (Canada) par Géraldine Chognard.
06:05 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : marian engel
13/05/2023
La fin des hommes...en poche
" -Rappelez- leur qu'avoir un travail, c'est avoir un but. Même si on n'en veut pas, un travail est une raison de se lever le matin. C'est avoir un avenir auquel on ne croyait plus. "
Rédigé avant la pandémie de Covid 19, ce roman imagine une sorte de grippe , extrêmement mortelle et ne touchant que les hommes. Nous sommes en 2025, parti d’Écosse, le mal se répand d'abord au Royaume Uni, puis dans le monde entier. Mais, hormis quelques incursions dans certains pays étrangers, l'action sera centrée sur le Royaume Uni .
Le récit est pris en charge par plusieurs narratrices, ce qui permet de varier les points de vue (scientifique, historique, politique). Mais, il faut bien l'avouer, tout ceci reste assez superficiel et l'autrice privilégie bien plus l'aspect émotionnel qu'économique par exemple. Elle se débarrasse d'une pichenette désinvolte de certains problèmes, (faute de données , toute la situation en Afrique, par exemple, ne peut être évoquée) même si elle souligne certains biais misogynes de la société ante pandémie. En outre, un épisode de violence domestique, réglé façon humour noir, par le Fléau a lieu en ...Russie. Aucun cas d'alcoolisme ou de violences faites aux femmes au Royaume -Uni ?
Bref, même si j'ai lu jusqu'au bout les 471 pages de ce roman, je n'ai pas été totalement convaincue par le traitement de l'intrigue.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christina sweeney-baird
11/05/2023
Pas dormir...en poche
"Quand nous marchons au milieu des plantes et des animaux, nous nous déplaçons dans du vivant, nous en faisons partie. Quand nous nous tassons au milieu des objets, ce qui nous entoure est mort, nous en faisons partie. Et l'immobilité nous cloue entre les planches de l'insomnie."
Nul besoin d'être insomniaque pour dévorer ce nouvel opus de Marie Darrieussecq.
Souffrant de ce mal depuis la naissance de son premier enfant, elle revient ici sur toutes les méthodes employés pour tenter d'arriver à dormir, convoquant nombre d'auteurs et autrices grands insomniaques eux aussi, Kafka et Duras en tête.
Faisant preuve d'une grande franchise, elle n'élude pas son alcoolisme, boire lui permettant de dormir, mais avec des réveils plus que difficiles, mais ne se centre pas seulement sur son cas. L'insomnie lui permet aussi d'évoquer aussi bien la forêt africaine, que la jungle de Calais, posséder un lieu où dormir, une chambre à soi, n'étant pas donné à tout le monde.
Tenant à la fois du témoignage, de l'analyse, cet Objet Littéraire non Identifié n'est pas dénué d'humour et, cerise sur le gâteau, est ponctué de photographies, pas toujours très lisibles malheureusement. 297 pages dévorées d'une traite .
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Objet Littéraire Non Identifié | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie darrieusecq