21/10/2025
Searoad
"Et puis, ne plus être l'associée de de Will Hambleton serait un soulagement. Il faut garder l’œil à la fois sur ses mains baladeuses et sur ses comptes , on a l'impression de travailler avec un éléphant mâle, comme je l'ai dit à Mary, il faut constamment surveiller les deux bouts: s'il ne t'enroule pas dans sa trompe, il risque de s'asseoir sur toi. "
L'héroïne de ce roman en treize chapitres connectés est la petite ville imaginaire de Klatsand, sur la côte Ouest des États-Unis. Visiteurs de passage ou résidents permanents s'y croisent au fil du temps et si l'autrice choisit de mêler les époques en un savant tissage , on y retrouve principalement des personnages féminins, dont une lignée de femmes qui se déploie dans le dernier chapitre, le plus long.
Alternant humour vachard, parfois , et descriptions poétiques, c'est dans un roman plus intimiste que se déploie ici l'imaginaire d'Ursula K. Le Guin.
Féminicide passant sans problème pour un accident, viol dont tout le monde connaît l'auteur, mari qui argumente longuement pour que son épouse n'entreprenne pas des études universitaires, n'hésitant pas à attribuer ses succès à elle à sa position sociale à lui, la vie est rude pour ses femmes, qui parviennent néanmoins à faire face, pour certaines, même de manière ténue. Qu'elles soient jeunes ou sur le point de mourir, leurs portraits sont nuancés , pleins d'humanité et nous touchent en plein cœur.
Editions Rivages 2025. Traduit de l'anglais (E-U) par Hélène Collon
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ursula k. le guin
20/10/2025
Le monde est fatigué
"-Ce que je veux dire, c'est qu'on n'est jamais les mêmes, que nos vies sont des superpositions de nous-mêmes. On est des strates, rien n'est valable tout le temps. "
Qui est Eve ? Une sirène professionnelle ou une femme meurtrie , dans sa chair et dans son âme, qui cherche à se venger ?
De Genève à Dubaï en passant par Tokyo, Brisbane ou Los Angeles, Eve distribue dans des aquariums géants des bisous-bulles, utilise son argent pour mener sa quête , en se confrontant à sa douleur et à celle du monde.
Joseph Incardona en profite en effet pour tacler , entre autres, "L’uniformisation de la pensée [qui] fait baisser les compétences linguistiques", l'exploitation du corps des femmes, l'hypocrisie d'un monde qui signe des traités supposés sauver dans la planète dans un pays où règne la plus grande aberration anti-écologique. Avec ce court roman (212 pages), je découvre le style si particulier de cet auteur et je compte bien ne pas en rester là. Un roman souvent abrupt mais plein d'énergie et de sensibilité.
Editions Finitude 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : joseph incardona
14/10/2025
#Folcoche #NetGalleyFrance !
"Le plus célèbre matricide littéraire, qui, depuis sa parution, berne des générations de lecteurs ."
Folcoche, contraction de "folle" et de "cochonne". Un personnage inoubliable que ce soit pour ceux qui ont lu le roman d' Hervé Bazin ou vu le téléfilm dans lequel Alice Sapritch fut inoubliable. LA mauvaise mère par excellence. Tyrannique, odieuse, violente et contre laquelle lutte le personnage de Jean, adolescent présenté comme double de l'auteur.
Mais la réalité est toute autre et l'enquête basée sur les archives et sur des témoignages de la famille, famille, condamnée au silence pendant des années, est implacable : "Le roman à succès de Jean Hervé6bazin , celui à partir duquel il connut le succès et fonda son écrasante notoriété, est une manœuvre destinée à punir sa famille de l'avoir placé sous interdiction judiciaire et ainsi privé de sa part d'héritage. "
En effet, L'auteur de Vipère au poing est tout à la fois un voleur, un escroc, un manipulateur qui n'hésite pas à alterner promesses et menaces , fait des séjours en asile psychiatrique, en prison, bref qui jette l'opprobre sur sa famille qui essaie tant bien que mal de sauver les apparences. et de le sauver, lui.
Une enquête édifiante sur un mystificateur hors pair.
Grasset 2025.
06:00 Publié dans Enquête, Rentrée Littéraire 2025 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : emilie lanez
13/10/2025
La Bonne Mère
"Elle est ancrée.Il y a toujours l'ouragan qui lui tourne autour, bien sûr, en surface. Au fond, elle est plus stable qu'elle ne l'a jamais été. "
Quand Clara rentre à Marseille pour présenter son amoureux à ses parents, Véro , sa mère, cagole haute en couleurs dans tous les sens du terme, appelle aussitôt in petto le garçon en question Le Girafon. Elle sent d'emblée que Raphaël, ce fils de bonne famille, ne rendra pas heureuse sa fille chérie.
Clara est en effet une transfuge de classe qui termine sa thèse à Paris , tiraillée entre ses origines marseillaises, qu'elle tente de gommer, et sa fidélité à ses parents et en particulier à sa mère.
Avec cette dernière, les relations ne sont pas toujours faciles mais quand la jeune femme sera en butte à une forme particulièrement sournoise mais efficace de violence, elle pourra compter sur sa mère et sa bande copines pour intervenir...
Une couverture façon partchwork bigarré pour présenter un premier roman très attachant, à la fois drôle et dramatique , où s'opposent deux villes et où l'héroïne devra prendre conscience des messages que lui envoie son corps face à des formes de violence dont elle a hérité sans pour autant en prendre conscience. Un bel hommage aussi à la sororité. J'attends avec impatience le prochain roman de cette autrice qui a un sens de la formule efficace : "La belle-sœur les regarde comme si c'était l'Open 13. Elle comprend pas un mot de leur conversation. Quand je la vois, celle-là, ça me rassure. Je me dis qu'au moins je suis pas si con."
Editions l'Iconoclaste 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : mathilda di matteo
06/10/2025
La Bossue
"Je hais le machisme de la culture du livre qui exige la pleine et entière pratique de ces 5 critères de la bonne santé : voir avec les yeux, pouvoir tenir un livre dans ses mains, pouvoir tourner les pages, pouvoir endurer la position de la lecture, pouvoir aller à sa guise dans une librairie acheter un livre. Je hais l'arrogance imbécile de tous ceux qui « adorent les livres » sans se rendre compte du privilège orgueilleux qu'ils expriment par là."
Atteinte d'une myopathie myotubulaire, comme l'autrice, ma narratrice de ce roman a pour objectif d'être enceinte pour pouvoir avorter comme n'importe quelle femme valide. Le ton est donné.
Dénonçant avec rage la violence d'une société validiste, décrivant avec précision tous les empêchements physiques, matériels qu'elle doit affronter pour (sur) vivre, elle déverse sur les réseaux sociaux ses fantasmes sexuels, ses réflexions acides jusqu'au jour où un intervenant du foyer de vie où elle demeure l'identifie...
Attention, ce livre brûle les mains. Pas de pathos, pas de misérabilisme mais une provocation permanente qui en dérangera plus d'un.e.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
Editions Globe 2025. Traduit du japonais par Patrick Honnoré.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sao ichikawa
08/09/2025
DJ Bambi
"Les gens voudraient savoir ce qu'on ressent quand on ne fait partie d'aucun groupe, quand on en aurait envie mais qu'on n'en a pas la possibilité, ils veulent par leurs lectures se confronter à ce qu'ils craignent de vivre, connaître la souffrance d'autrui et découvrir ainsi de nouvelles facettes d'eux-mêmes. "
Depuis six décennies, celle qui a choisi comme nouveau prénom Logn, à savoir l'absence totale de vent, vivait dans un corps d'homme. Il lui a fallu beaucoup de temps pour cerner son identité (était-elle homosexuelle?) et trouver le courage de le dire à sa famille.
Isolée quasiment de tous, seul son frère jumeau vient le voir quotidiennement, et même s'il est laconique, sa présence témoigne de son soutien et de son amour, la tentation du suicide n'est jamais bien loin. L'attente de "l'opération du bas" et la rencontre d'une ancienne camarade de classe, journaliste qui veut écrire sur elle , conduit Logn à se plonger dans ses souvenirs.
La question de l'identité, mais aussi celle du temps car Logn considère qu'elle "n'[est]pas encore née", sont au cœur de ce roman tout en pudeur et poésie.
Le personnage de l'écrivaine, une certaine Audur T. , s'interroge beaucoup sur la pertinence de ce projet d'écriture qu'elle ne cesse de tourner dans tous les sens et finit par conclure: "Pour être tout à fait honnête, Gudridur Logn, tu es l'une des femmes les plus normales que j'aie jamais rencontrées. "
Audur Ava Olafsdottir n'a pas écrit un roman-dossier sur la transidentité mais un texte sensible, parfois humoristique, ni pessimiste, ni optimiste à tout crin, sur une quête d'identité qui a pris son temps pour aboutir. Un roman plein d'émotion et de justesse qui file sur l'étagère des indispensables.
Traduction de l'islandais par Eric Boury.
Editions Zulma 2025
PS: Un roman qui donne envie de découvrir le roman de l'écrivain juif autrichien Felix Salten, Bambi, la vie dans les bois, publié en 1923, apparemment très différent de la version du dessin animé de Walt Disney...
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : audur ava olafsdottir
04/09/2025
#Riendeplusillusoire #NetGalleyFrance !
"Bien que toutes les histoires aient un dénouement, aucune ne se termine vraiment, elles s'entrelacent comme l'ont fait celles qui vont suivre en espérant former ensemble une seule et même trame. "
Trois voyageurs ,dans un train de nuit ,vont entamer une conversation sur les liens entre fiction et réalité. En effet, faute d'avoir emporté un livre, la narratrice, Alicia, prête attention à la conversation entre Terry, écrivain américain et mentor du troisième comparse, son élève, Bou.
Terry s'interroge sur les répercussions de son roman, inspiré de l'histoire ambiguë qu'il a eue avec un dénommé Hans. En effet, ce dernier, furieux de voir sa vie transposée dans une œuvre de fiction, a disparu.
Une situation de départ plutôt classique, des réflexions sur les points de vue différents sur une même histoire, l'influence des lieux, envisagés comme des décors d'une fiction, tels sont quelques uns des thèmes abordés dans ce roman intéressant et fluide mais dont je conserverai pas grand chose au final, tant les personnages m'ont semblé manquer de profondeur.
Traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon.
Editions les Escales 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marta-pérez carbonell
28/08/2025
#Couplets #NetGalleyFrance !
"Et soudain c'était le futur. Tu étais libre d'aimer qui tu aimais. "
En couple depuis huit ans, la narratrice vit à Brooklyn avec son petit ami. Elle tombe follement amoureuse d'une femme et sa vie bascule.
Toutes les étapes de la passion sont ici revisitées dans une langue qui se joue de l'espace, des codes typographiques , multipliant les métaphores sensuelles. 144 pages denses et poétiques pour faire vibrer le langage de l'amour.
Traduit de l'anglais par Julia Kerninon.
Editions Les Escales 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maggie millner
22/08/2025
Peau d'ourse
"J'attends plus qu'un truc: me faire avaler par la montagne. "
De son prénom, Nina, elle ne veut plus rien entendre. Elle s'est approprié le surnom peu glorieux attribué par les autres: "Mont Perdu": "Un mont en forme de bouse. C'était parfait pour me rebaptiser. "
Elle c'est donc Mont Perdu et elle résume ainsi sa vie : "16 ans, moche et village de merde." , village auquel elle est farouchement attachée car situé non loin de ses sœurs, les montagnes.
Son corps gigantesque, se couvrant de plus en plus de poils, son orientation sexuelle (la seule queer du village), tout cela l"isole et la victimise au lycée. Elle crache donc sa rage et ses mots déboulent comme un torrent, adressés à une amie imaginaire à qui elle avoue son amour pour Kelly et son rêve de fusion dans la montagne. Cette montagne qu'elle souffre de voir martyrisée par les chasseurs et les hommes avides.
Flirtant avec le fantastique et l'univers du conte, ce roman évoque à la fois des problématiques écologiques mais brosse surtout le portrait d'une adolescente pleine de fureur face aux transformations de son corps, à son appétence sexuelle, fureur que seule la nature apaise. Cette violence contraste avec des passages poétiques où s'expriment des animaux, grands ou petits, des éléments naturels. Se livre aussi, pied à pied , un combat entre l'humain et l'animal car l'auteur inscrit un mythe lié à l'ours dans une réalité contemporaine.
Un roman qui dépeint la férocité adolescente et en montre toute la ferveur. Une écriture puissante et inspirée. Et zou sur l'étagère des indispensables.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
Editions du Seuil 2025.
06:04 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée Littéraire 2025, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : grégory le floch
21/08/2025
#Lesvulnérables #NetGalleyFrance !
" Quelque chose manque. Quelque chose a été perdu. Je crois que ce questionnement est au cœur de mon écriture. "
En pleine pandémie mondiale, une écrivaine s'interroge sur les relations entre les gens, sur les liens entre fiction et réalité, sur son écriture, elle revient aussi sur son passé. Sa pensée semble vagabonder, de digressions en digressions mais toujours pertinente et intéressante.
Au cœur de cette réflexion également, le récit de gardiennage de perroquet qu'elle a vécu dans un appartement luxueux, en compagnie de l'étudiant velléitaire, qui, au départ était chargé de veiller sur l'animal. L'occasion d 'observer tout à la fois un animal surprenant et un échantillon perturbé de la jeunesse contemporaine.
On s'attache à cette pensée qui avance toujours d'un pas sûr et on souligne à tour de bras les réflexions et les formules de Sigrid Nunez.
Editions Stock 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sigrid nunez