04/11/2025
Trois enterrements
"Ils vont enterrer Asha.
Tout le monde sait, ou tous ceux qui veulent savoir savent, ce qui arrive aux migrants pris dans les filets de la lutte contre l'immigration. On les enterre. Elle va finir dans une cellule en béton. Ensevelie sous la paperasserie et les procédures. Inhumée sous l'administratif et les changements de règlements et les appels sans suite et zéro avocat."
La vie, récemment, n' a pas épargné Cherry, infirmière dans un hôpital londonien. Aussi, révoltée par ce qu'elle, les siens et d'autres subissent, n'hésite-t-elle guère à s'embarquer dans une folle virée pour enterrer dignement un migrant massacré par un policier raciste et fermement décidé à la rattraper.
Plaçant son héroïne sous l'égide de Thelma et Louise, l'auteur fait d'elle une femme au caractère bien trempé, avec ses forces et ses faiblesses, et nous entraîne à sa suite dans un road trip tour à tour émouvant, drôle et engagé. En effet, le portrait qu'il brosse de la société britannique est corrosif et sans appel.
Un roman très bien structuré qu'on ne lâche pas.
Traduit de l'anglais par Claro, ce qui ne gâche rien. Actes Sud 2025.
Découvert grâce à Alex, que je remercie: clic.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6)
29/10/2025
Les preuves de mon innocence
" Son propos, en résumé, portait sur la nécessité d’abattre les syndicats, non pas à cause de leur militantisme ou parce qu’ils prétendaient prendre le pays en otage à coups de grève, mais simplement parce qu’à long terme c’était dans l’intérêt de l’économie du pays de sous-payer ses travailleurs. Il fallait maximiser les bénéfices privés, soutenait-il : c’était le seul moyen d’inciter réellement les patrons à rechercher l’efficacité et la productivité. Et si le sommet de la pyramide était bien rémunéré, ces gens iraient dépenser leur argent, qui finirait par circuler dans l’ensemble de la société : non en taxant les riches, mais grâce à l’action naturelle et immuable du marché. "

Poussée de l'extrême droite britannique en lien avec les États-Unis, volonté assumée de détruire le système de santé pour qu'il soit privatisé et enrichisse de grands groupes aux aguets, tels sont quelques uns des thèmes du nouveau roman de Jonathan Coe.
Le tout est enchâssé dans une sorte de Cluedo comportant son lot de personnages hauts en couleurs: la vieille inspectrice gourmande, les vieux conservateurs hautains, le vieux manoir et ses passages secrets, le journaliste blogueur trop curieux, sans oublier deux étudiantes qui vont s'improviser enquêtrices.
L'auteur multiplie les clins d’œil au lecteur en terminant systématiquement les chapitres avant le meurtre par l'adjectif "meurtrier", résout le mystère de manière virtuose , tout en surprenant par une dernière pirouette . Du grand art donc mais le roman est quelque peu empesé par des longueurs récurrentes.
Traduit de l'anglais par Marguerite Capelle.
Gallimard 2025. 476 pages.
06:00 Publié dans je ne regrette pas de les avoir juste empruntés, Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jonathan coe
21/10/2025
Searoad
"Et puis, ne plus être l'associée de de Will Hambleton serait un soulagement. Il faut garder l’œil à la fois sur ses mains baladeuses et sur ses comptes , on a l'impression de travailler avec un éléphant mâle, comme je l'ai dit à Mary, il faut constamment surveiller les deux bouts: s'il ne t'enroule pas dans sa trompe, il risque de s'asseoir sur toi. "
L'héroïne de ce roman en treize chapitres connectés est la petite ville imaginaire de Klatsand, sur la côte Ouest des États-Unis. Visiteurs de passage ou résidents permanents s'y croisent au fil du temps et si l'autrice choisit de mêler les époques en un savant tissage , on y retrouve principalement des personnages féminins, dont une lignée de femmes qui se déploie dans le dernier chapitre, le plus long. 
Alternant humour vachard, parfois , et descriptions poétiques, c'est dans un roman plus intimiste que se déploie ici l'imaginaire d'Ursula K. Le Guin.
Féminicide passant sans problème pour un accident, viol dont tout le monde connaît l'auteur, mari qui argumente longuement pour que son épouse n'entreprenne pas des études universitaires, n'hésitant pas à attribuer ses succès à elle à sa position sociale à lui, la vie est rude pour ses femmes, qui parviennent néanmoins à faire face, pour certaines, même de manière ténue. Qu'elles soient jeunes ou sur le point de mourir, leurs portraits sont nuancés , pleins d'humanité et nous touchent en plein cœur.
Editions Rivages 2025. Traduit de l'anglais (E-U) par Hélène Collon
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : ursula k. le guin
06/10/2025
La Bossue
"Je hais le machisme de la culture du livre qui exige la pleine et entière pratique de ces 5 critères de la bonne santé : voir avec les yeux, pouvoir tenir un livre dans ses mains, pouvoir tourner les pages, pouvoir endurer la position de la lecture, pouvoir aller à sa guise dans une librairie acheter un livre. Je hais l'arrogance imbécile de tous ceux qui « adorent les livres » sans se rendre compte du privilège orgueilleux qu'ils expriment par là."
Atteinte d'une myopathie myotubulaire, comme l'autrice, ma narratrice de ce roman a pour objectif d'être enceinte pour pouvoir avorter comme n'importe quelle femme valide. Le ton est donné. 
Dénonçant avec rage la violence d'une société validiste, décrivant avec précision tous les empêchements physiques, matériels qu'elle doit affronter pour (sur) vivre, elle déverse sur les réseaux sociaux ses fantasmes sexuels, ses réflexions acides jusqu'au jour où un intervenant du foyer de vie où elle demeure l'identifie...
Attention, ce livre brûle les mains. Pas de pathos, pas de misérabilisme mais une provocation permanente qui en dérangera plus d'un.e.
Merci à l'éditeur et à Babelio.
Editions Globe 2025. Traduit du japonais par Patrick Honnoré.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : sao ichikawa
03/10/2025
#LesUniversalistes #NetGalleyFrance !
""C'est une sorte de Bûcher des vanités contemporain, finit-elle par ajouter, qui éclaire dans toute leur complexité les enjeux du racisme, des classes sociales et de la cupidité capitaliste à l'ère des réseaux sociaux !""
Un fait-divers sordide en pleine pandémie de Covid , un homme a été assommé par un lingot d'or dans une propriété squattée du Yorkshire, vient opportunément lancer ou relancer la carrière de deux femmes travaillant dans la presse. 
Hannah, jeune journaliste , interroge en effet les différents protagonistes et , manipulée par Lenny, une essayiste en mal de reconnaissance , rédige un récit capable d'agiter dangereusement la société. Seul le story telling (communication narrative) compte et la vérité , qui va s'avérer plus complexe, a bien peu d'importance ...
Dans ce récit polyphonique, Natasha Brown brosse un portrait sans complaisance d'une société britannique contemporaine à l'heure des vérités alternatives...
Grasset 2025, 240 pages, traduit de l'anglais par Marguerite Capelle.
09:20 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : natasha brown
24/09/2025
#Léducationphysique #NetGalleyFrance !
" Elle partait du principe qu'elle n'était qu'une marchandise, une pièce de bétail doté d'un corps que les autres pouvaient manipuler à leur guise: les petits garçons, les médecins, les professeurs..."
Catalina, seize ans, s'enfuit de la maison de campagne de sa meilleure amie, car on le devine, le père de cette dernière a eu un comportement inapproprié.Le choc est d'autant plus rude que la jeune fille avait idéalisé cet homme en tant que figure paternelle bien plus positive que son propre père. 
En effet , chez elle, par peur du viol, d'une grossesse non désirée et surtout du qu'en dira-t-on, les parents de la jeune fille la maintiennent corsetée (sa mère allant jusqu'à lui faire porter une gaine !). Il lui faut donc absolument rentrer avant vingt-deux heure.
Scandée par des schémas d'horloge, nous suivons donc l'attente d'un hypothétique bus ou, plus dangereux , celle d'une voiture. En effet, trois jeunes filles viennent d'être retrouvées, massacrées.
Double suspense donc, mais surtout flot de pensées de Catalina qui a très vite pris conscience que, dans une société patriarcale, les femmes ont moins de valeur, moins de liberté que les hommes et que ces derniers, par leur double discours, auront toujours raison aux yeux du système.
C'est aussi la conscience d'un corps en plein changement, impossible à contrôler et que la jeune femme voudrait parvenir à faire disparaître...Constat d'une jeune fille en 1994 en Espagne mais qui demeure encore douloureusement d'actualité. Un récit saturé, qui parvient à nous faire ressentir cette sensation d'étouffement, de contraintes répétées, de manière magistrale.
Traduit de l'espagnol par Nathalie Serny. Métaillié 2025. 
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : rosario villajos
23/09/2025
Les Bons Voisins
"L'Histoire, ce n'est pas seulement ce qu'il y a dans les livres d'histoire, c'est ce dont on se souvient. "
Sous prétexte de photographier des maisons où un crime eu lieu, Cath revient sur l'île de Bute, au large de l’Écosse, île où elle a vécu durant son adolescence et où a meilleure amie, Shirley a été assassinée. 
L'occasion de mener une enquête par des chemins de traverse, dans tous les sens du terme. En effet, atteinte d'un nystagmus qui déforme sa vision, l'enquêtrice amateure envisage les faits, les mains et les gens d'une manière singulière.
Tout comme l'autrice d'ailleurs qui juxtapose les époques, entre dans le cerveau d'un protagoniste pour qui les bons voisins, à savoir les fées, lutins et autres bonnets rouges, sont redoutables et fait dialoguer son héroïne avec son amie morte.
On se demande parfois où tout cela va aboutir mais ce roman où plane le souvenir d'Angela Carter (et de sa "compagnie des loups") réussit le pari de ne pas nous lâcher et de boucler l'affaire de manière virtuose. Une autrice dont je vais poursuivre la découverte.
Traduit de l'anglais par Bernard Sigaud. Editions Tristram 2025. 310 pages surprenantes.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : nina allan
08/09/2025
DJ Bambi
"Les gens voudraient savoir ce qu'on ressent quand on ne fait partie d'aucun groupe, quand on en aurait envie mais qu'on n'en a pas la possibilité, ils veulent par leurs lectures se confronter à ce qu'ils craignent de vivre, connaître la souffrance d'autrui et découvrir ainsi de nouvelles facettes d'eux-mêmes. "
Depuis six décennies, celle qui a choisi comme nouveau prénom Logn, à savoir l'absence totale de vent, vivait dans un corps d'homme. Il lui a fallu beaucoup de temps pour cerner son identité (était-elle homosexuelle?) et trouver le courage de le dire à sa famille.
Isolée quasiment de tous, seul son frère jumeau vient le voir quotidiennement, et même s'il est laconique, sa présence témoigne de son soutien et de son amour, la tentation du suicide n'est jamais bien loin. L'attente de "l'opération du bas" et la rencontre d'une ancienne camarade de classe, journaliste qui veut écrire sur elle , conduit Logn à se plonger dans ses souvenirs.
La question de l'identité, mais aussi celle du temps car Logn considère qu'elle "n'[est]pas encore née", sont au cœur de ce roman tout en pudeur et poésie.
Le personnage de l'écrivaine, une certaine Audur T. , s'interroge beaucoup sur la pertinence de ce projet d'écriture qu'elle ne cesse de tourner dans tous les sens et finit par conclure: "Pour être tout à fait honnête, Gudridur Logn, tu es l'une des femmes les plus normales que j'aie jamais rencontrées. "
Audur Ava Olafsdottir n'a pas écrit un roman-dossier sur la transidentité mais un texte sensible, parfois humoristique, ni pessimiste, ni optimiste à tout crin, sur une quête d'identité qui a pris son temps pour aboutir. Un roman plein d'émotion et de justesse qui file sur l'étagère des indispensables.
Traduction de l'islandais par Eric Boury.
Editions Zulma 2025
PS: Un roman qui donne envie de découvrir le roman de l'écrivain juif autrichien Felix Salten, Bambi, la vie dans les bois, publié en 1923, apparemment très différent de la version du dessin animé de Walt Disney...
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : audur ava olafsdottir
04/09/2025
#Riendeplusillusoire #NetGalleyFrance !
"Bien que toutes les histoires aient un dénouement, aucune ne se termine vraiment, elles s'entrelacent comme l'ont fait celles qui vont suivre en espérant former ensemble une seule et même trame. "
Trois voyageurs ,dans un train de nuit ,vont entamer une conversation sur les liens entre fiction et réalité. En effet, faute d'avoir emporté un livre, la narratrice, Alicia, prête attention à la conversation entre Terry, écrivain américain et mentor du troisième comparse, son élève, Bou. 
Terry s'interroge sur les répercussions de son roman, inspiré de l'histoire ambiguë qu'il a eue avec un dénommé Hans. En effet, ce dernier, furieux de voir sa vie transposée dans une œuvre de fiction, a disparu.
Une situation de départ plutôt classique, des réflexions sur les points de vue différents sur une même histoire, l'influence des lieux, envisagés comme des décors d'une fiction, tels sont quelques uns des thèmes abordés dans ce roman intéressant et fluide mais dont je conserverai pas grand chose au final, tant les personnages m'ont semblé manquer de profondeur.
Traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon.
Editions les Escales 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marta-pérez carbonell
28/08/2025
#Couplets #NetGalleyFrance !
"Et soudain c'était le futur. Tu étais libre d'aimer qui tu aimais. "
En couple depuis huit ans, la narratrice vit à Brooklyn avec son petit ami. Elle tombe follement amoureuse d'une femme et sa vie bascule. 
Toutes les étapes de la passion sont ici revisitées dans une langue qui se joue de l'espace, des codes typographiques , multipliant les métaphores sensuelles. 144 pages denses et poétiques pour faire vibrer le langage de l'amour.
Traduit de l'anglais par Julia Kerninon.
Editions Les Escales 2025. 
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maggie millner


