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16/05/2024

Je pleure encore la beauté du monde

Quand on parle de préservation, de sauver cette planète, il faut commencer par les prédateurs. Parce que tant qu’on ne les aura pas sauvés eux, on n’aura aucune chance de sauver le reste. »
Moi, je vois leur puissance subtile, leur patience immense et leur beauté incomparable.

Ayant beaucoup aimé le premier roman, Migrations, de cette autrice, je me faisais une joie d'ouvrir celui-ci. Il avait en effet tout pour me plaire: une histoire de réintroduction de loups dans une forêt des Highlands (une pure fiction , apparemment) et j'étais déjà ravie.
Hélas, le défaut que j'avais déjà évoqué comme bémol pour son précédent ouvrage se donne ici libre-cours: le pathos. charlotte mcconaghy
On accumule les personnages torturés, les situations prévisibles (voire invraisemblables) et à trop vouloir accumuler les thèmes (violence faites aux femmes, loups accusés de tous les maux, y compris de meurtre sur humains) l'autrice m'a totalement déçue. Dommage.Il n'en reste pas moins qu'on sent ci un véritable amour  de la nature et des loups.

 Éditions Gaïa 2024. Traduit de l'anglais (Australie) par Marie Chabin.

09/05/2024

Printemps...en poche

"Si vous passez devant un buisson ou un arbre, vous ne pourrez pas ne pas l'entendre ce bourdonnement mécanique, la nouvelle vie déjà à l’œuvre, l'usine du temps. "

Le printemps est la saison où le temps semble parfois devenu fou, alternant froidure brutale et soleil estival , où la mort et la vie semblent  lutter pied à pied . Ce n'est en rien une saison mièvre et Ali Smith nous le démontre dans cet opus particulièrement déstabilisant, violent et captivant pour qui accepte de se laisser malmener dans sa lecture.611FQDnkX5L._SL1500_.jpg
Flots de paroles violentes anonymes (provenant des réseaux sociaux, des médias, de la rue ? ) captant bien la Grande-Bretagne contemporaine, claironnant la haine de l'Autre, de l’étranger, dévalent d'emblée sur le lecteur telle une avalanche étouffante.
Cette image de l'avalanche reviendra par ailleurs, sublimée par l'évocation des œuvres d'une artiste , Tacita Dean. car il est aussi beaucoup question d'art et de distorsion de la réalité.

Nous croiserons ainsi la route de Richard,réalisateur de télévision, qui ne se remet pas du décès de son amie Paddy, sur le point de participer, sans grand enthousiasme, à un projet mettant en scène Rilke et Katherine Mansfield. Comment rencontrera-t-il Bretagne , gardienne dans un centre de rétention et cette mystérieuse petite fille, Florence, qui semble hypnotiser tous ceux qu'elle croise et les plier en douceur à sa volonté ?
C'est tout l'art d'Ali Smith que  de flouter les frontières dans un pays qui les réaffirme avec force ,de générer le chaos ,afin de mieux souligner celui du monde dans lequel nous évoluons. Un roman éprouvant mais nécessaire. ali smith

Grasset 2022. Traduit de l'anglais par Laetitia Devaux. Un travail remarquable.

04/05/2024

Lemon...en poche

Certaines vies sont injustement cruelles, et nous continuons à vivre en les ignorant comme de misérables insectes. "

Un féminicide commis sur une très jeune et très jolie femme vêtue, au moment de sa mort, d'une robe jaune est le point de départ de ce roman à la structure en apparence éclatée.kwon Yo-Sun
Il faut accepter, dans un premier temps, de se laisser flotter un peu avant d'identifier les narratrices principales, toutes trois liées à la victime, sa sœur et deux amies , obsédées par ce crime demeuré impuni en apparence...
Roman d'atmosphère, Lemon est aussi un roman qui dépeint une société brutale (voir la scène d'interrogatoire initiale) où ceux qui sortent de la norme sont rejetés. C'est enfin un roman à la structure assurée qui sème des indices et permet au lecteur de se faire sa propre opinion sur les personnages.

150 Pages. Traduit du coréen  par  Kevin Jasmin Hamard.

 

Éditions La Croisée 2023

03/05/2024

L'invitée...en poche

"Alex garda les yeux baissés. Elle avait l'habitude de s'effacer, de faire comme si les choses qui étaient en train de se produire n'étaient, en fait, pas en train de se produire. "

Alex a vingt-deux ans et elle est L'invitée de Simon, riche quinquagénaire qui l'a emmenée dans sa maison de Long Island. Là, l'été touche à sa fin et Alex profite de la plage et dérobe les cachets antidouleur de son hôte pour mieux supporter la réalité clinquante d'un monde où elle n'a en fait pas sa place.81gSOF6BXlL._SL1311_.jpg
Nous découvrons rapidement qu'Alex analyse chaque faits et gestes des gens qui l'entourent pour mieux s'adapter à leurs désirs et les manipuler.  Cette tension  permanente est très coûteuse émotionnellement, même si Alex a appris à se dissocier dans certaines situations trop humiliantes ou violentes. Un soir, elle commet un faux-pas , est chassée par Simon.
La jeune femme refuse d'admettre la réalité des faits et seule, sans ressources, sans amis, menacée par une connaissance qu'elle a trahie et volée, comme elle le fait avec chacun, elle se persuade que Simon l’accueillera dans une semaine lors de sa fête du Labor Day. Lui reste alors à trouver de quoi subsister dans ce microcosme de gens riches qui vivent dans l’entre-soi et se croient en sécurité.
Emma Cline peint avec subtilité et férocité ce monde cossu où la violence est sourde. La dérive d'Alex , qui passe on a envie de dire d'une main à une autre, d'un milieu social à un autre, est teintée tout à la fois de mélancolie et de tension. Un climat subtil et dérangeant qui fait de ce roman une expérience troublante.

 

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch.

Éditions La Table Ronde 2023.

30/04/2024

De vengeance

"L'ennui, avec la plupart des humains, c'est qu'ils parlent. Ils communiquent. Ils mettent le nez dans vos affaires. Ils ne peuvent pas s'empêcher de vous créer des problèmes. Ils sont difficiles à contrôler. Ils élaborent des scénarios. Ils suspectent. Ils errent. Ils sont difficiles à cerner. leurs actions sont souvent impossibles à prévoir. Ils mentent. Ils jouent la comédie. Ils sont méchants. "

La narratrice tue accidentellement un camarade de classe. Son crime demeure impuni. Coup de chance : elle vient de trouver sa vocation et s'en réjouit. Seul regret: elle ne peut s'en vanter. D'emblée le ton est donné : nous voici avec une tueuse en série qui va, peu à peu, monter en puissance et se débarrasser de ceux qu'elle estime nuisibles à des degrés divers: cela va de celui qui manque l'écraser à celui qui ne ramasse pas les crottes de son chien. Pour commencer.J.D. Kurtness
Socialement bien intégrée, patiente (très patiente), intelligente et organisée, elle passe inaperçue et en joue.
Pour elle, c'est un "passe-temps" que de se venger. Mais elle pratique cette activité avec beaucoup de distance et ne connaît pas toujours le résultat de ses actes, libre au lecteur de l’imaginer. Contrairement à d'autres tueurs en série, elle ne paraît pas outrageusement dérangée et tout l'art de l'autrice , pour peu qu'on apprécie l'humour noir (très noir), est de nous rendre acceptable son comportement...Une lecture intensément jubilatoire.

Et zou sur l'étagère des indispensables !

 Éditions Dépaysage 2022, 151 pages à lire et relire.

 

28/04/2024

La collectionneuse de mots oubliés...en poche

Dès son enfance, Esme grandit non pas au milieu des livres, mais au milieu des mots car son père participe à la première édition de ce qui deviendra l'Oxford English Dictionnary.
Commencé à la fin du XIX ème siècle, cet ouvrage est bien évidemment rédigé par des lexicographes masculins, même si quelques femmes y apportent leur contribution, et révèle une vision genrée , laissant de côté des mots qui concernent non seulement les femmes, mais aussi les classes modestes de la population.71kXQmcPcfL._SL1311_.jpg
Ces mots, laissés de côté, Esme va les collectionner , espérant leur redonner une légitimité.
Ce roman, qui avait tout pour me déplaire de prime abord (les romans historiques ne sont pas ma tasse de thé, encore moins quand ils se présentent sous la forme de pavés) a su emporter ma totale adhésion. Les personnages sont bien campés, l'arrière plan historique est présent juste ce qu'il faut avec des points de vue intéressants, les péripéties sont amenées avec à propos et on ne s'ennuie pas une seconde. Quant à la dernière partie, elle propose un saut dans le temps et l'espace des plus enrichissants. Amoureux des mots et de l'histoire des femmes, précipitez-vous sur cette pépite !

PS: cerise sur le gâteau : l'autrice précise ce qui est réel ou de l'ordre de la fiction. 

22/03/2024

Le volume du temps 1

"Il est bon de voir le monde se tenir immobile. "

Venue acheter des livres anciens à Paris pour le commerce qu'elle tient avec son mari, Tara se réveille un 19 novembre. Mais non, les événements lui donnent tort: elle revit tout ce qui lui est arrivé la veille. Le temps s'est donc arrêté pour elle  le 18 novembre. solvej balle
De retour chez elle, elle tente d'expliquer la situation à son époux qui se montre compréhensif dans un premier temps mais oublie au fur et à mesure ce qu'elle lui a révélé. Las, elle prend ses quartiers, à l'insu de son mari, dans la chambre d'amis et observe tout ce qui se passe, réfléchissant au temps, au pouvoir des habitudes, au pouvoir des mots, à l'évolution de son couple.
Je n'ai jamais aimé le côté répétitif et moralisateur du film "Un jour sans fin", aussi ai-je abordé ce roman avec circonspection, mais j'ai été vite fascinée par la capacité de l'autrice à renouveler, sans effet de manche, la situation, à faire évoluer son personnage pendant un an, terminant ce premier volume à l'orée du 18 novembre de l'année suivante.

Le deuxième tome (il y en a sept en tout!) est dans ma Pile à Lire. Affaire à suivre.

 

 Grasset 2024. Traduit du danois par Terje Sinding, 250 pages.

20/03/2024

Journal d'un vide

"Me voilà de retour, entre rêve et réalité. "

Mme Shibata, seule femme de son équipe, occupe un poemi yagiste à responsabilités mais doit se coltiner tout ce que ses homologues masculins considèrent comme lui revenant d'office: à savoir nettoyer, ranger derrière eux. Un jour, tout à trac, cette jeune trentenaire annonce qu’elle est enceinte. Cela va aussitôt changer la donne et la libérer de pas mal de charge mentale.
Par ce mensonge, elle entre dans un nouvel univers: celui des femmes enceintes, sorte de tribu qui se promène avec un porte-clés annonçant leur état, se livre à une débauche de sueur dans des cours d'aérobic survoltés...
Le récit bascule encore une fois brutalement quand un nouveau fait important est annoncé au détour d'une phrase (ne pas lire la quatrième de couv' qui en dit beaucoup trop) et change totalement la perception du lecteur. Nous naviguons ainsi,à vue, entre rêve et réalité, dans ce roman à charge contre la société patriarcale japonaise que l'héroïne va
dénoncer avec une fausse candeur à la toute fin du roman, juste avant une ultime pirouette... Un roman déstabilisant mais jubilatoire. Une réussite.

Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon

Celles qui ne meurent pas ...en poche

"Être malade ouvre un espace excessif à la pensée et la pensée excessive fait de la place aux pensées mortifères. Mais j'ai toujours eu plus soif d’expérience que de l'absence de celle-ci, alors si l'expérience de la pensée est la seule que mon corps pouvait me donner au-delà de la douleur, il fallait bien accepter de m'ouvrir à des réflexions folles et morbides. "

Il y a encore quelques années, le mot "cancer" était banni et on lui préférait la périphrase "longue et douloureuse maladie", euphémisme qui fut bientôt attribué à une autre pathologie, le Sida, dans une sinistre gradation de l'horreur.
Le texte d'Anne Boyer est saturé du cancer sous toutes ses formes : politique, médicale, psychologique, sociale, raciale et philosophique.anne boyer
L'autrice fait de son expérience un vaste exercice de pensée brillante et parfois exigeante, prenant à bras le corps tous les aspects de sa maladie.
Son écriture, très travaillée, sans pour autant qu'elle se regarde écrire, nous fait ressentir au plus intime l'expérience de la douleur . Elle pointe aussi du doigt les ambiguïtés d'un système médical où un traitement peut être plus invalidant qu'efficace,  où un médecin peut affirmer qu'il a pratiqué des mastectomies inutiles car il fallait bien qu'il paie ses vacances ;  système dans lequel une malade après une opération sous anesthésie générale est quasiment jetée dehors, où elle est sommée de travailler quelle que soit la douleur et l'éreintement ressenti.
On sort de ce roman éprouvant un peu hagard, physiquement mal à l'aise,  mais conscient d'avoir lu un texte exceptionnel .

Grasset 2022, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy.

01/03/2024

Migrations...en poche