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15/09/2022

#aCollectionneusedemotsoubliés #NetGalleyFrance !

"...j'ai pris conscience que les termes les plus fréquemment employés pour nous définir étaient ceux qui décrivaient notre fonction par rapport à d'autres. Les mots les plus anodins eux-mêmes-jeune fille, épouse, mère- révélaient au monde si nous étions vierges ou non . "

 Dès son enfance, Esme grandit non pas au milieu des livres, mais au milieu des mots car son père participe à la première édition de ce qui deviendra l'Oxford English Dictionnary.
Commencé à la fin du XIX ème siècle, cet ouvrage est bien évidemment rédigé par des lexicographes masculins, même si quelques femmes y apportent leur contribution, et révèle une vision genrée , laissant de côté des mots qui concernent non seulement les femmes, mais aussi les classes modestes de la population.pip williams
 
Ces mots, laissés de côté, Esme va les collectionner , espérant leur redonner une légitimité.
Ce roman, qui avait tout pour me déplaire de prime abord (les romans historiques ne sont pas ma tasse de thé, encore moins quand ils se présentent sous la forme de pavés) a su emporter ma totale adhésion. Les personnages sont bien campés, l'arrière plan historique est présent juste ce qu'il faut avec des points de vue intéressants, les péripéties sont amenées avec à propos et on ne s'ennuie pas une seconde. Quant à la dernière partie, elle  propose un saut dans le temps et l'espace des plus enrichissants. Amoureux des mots et de l'histoire des femmes, précipitez-vous sur cette pépite !

PS: cerise sur le gâteau : l'autrice précise ce qui est réel ou de l'ordre de la fiction.

 Traduit de l’anglais par Odile Demange, Editions Fleuve 2022.pip williams

06/09/2022

Le goûter du lion

"Mais elle m'a fait comprendre qu'accepter la mort, c'était aussi accepter son désir de vivre, de vivre le plus longtemps possible. Cela  a été une véritable révélation pour moi. "

Shizuko, trente -trois ans, se rend sur l’île aux citrons dans un établissement où tout est fait pour adoucir la fin de vie des pensionnaires. Dans un environnement naturel à la beauté exceptionnelle, aidée par un petite chienne qui se prend d'affection pour elle, entourée par un personnel attentif , la jeune femme, dont l'affaiblissement est rendu de manière délicate, va pouvoir se préparer à mourir avec sérénité.ito ogawa
Sur un sujet éminemment périlleux, Ito Ogawa, dans un style fluide , à l'émotion contenue, parvient à nous donner envie de nous rendre sur cette île quand le moment sera venu.

Traduit du japonais par Déborah Pierret-Watanabe

31/08/2022

Qui sème le vent...en poche

"En plus de nourriture et de vêtements, les enfants ont besoin d'attention. Ce que papa et maman semblent oublier de plus en plus."

La mort accidentelle de Matthies, quelques jours avant Noël, va plonger ses frère et soeurs, ainsi que ses parents ,dans une souffrance qu'ils ne parviendront pas à verbaliser.
Même la religion (ils sont protestants orthodoxes) ne leur sera pas d'un grand secours et chacun dans on coin, ou presque ,continuera tant bien que mal à survivre à ce deuil.marieke lucas rijneveld
Nous sommes au début des années 2000, dans un coin paumé d'une campagne néerlandaise et la vie est rude pour ces éleveurs de bovins. On pourrait parfois croire, n'étaient quelques détails qui ancrent dans la modernité, que cette famille, tout à la fois pudibonde pour ce qui est de la sexualité et très crue en ce qui concerne la réalité de la mort, vit quasiment en dehors du temps.
Tandis que la mère glisse dans une forme de folie, le père fait face avec stoïcisme à une épizootie qui ravage son troupeau, mais aucun d'entre eux ne parvient à exprimer ses sentiments et ils laissent le reste de la fratrie bricoler des stratagèmes pour apprivoiser la mort.
Ainsi la narratrice, dix ans au début du roman, ne quitte-elle pas sa parka, parka dont elle remplit les poches d'objets . Son frère, lui, opte pour des actes bien plus sadiques.
La découverte de la sexualité pour la fratrie les tient encore du côté du vivant ,mais dès les premières pages du roman, on sait qu'une tragédie est en route car "Quand on n'est plus à même de tenir avec tendresse un être humain ou un animal, mieux vaut lâcher prise et s'intéresser à autre chose."
J'ai rarement lu un roman aussi âpre, aussi tenu , dans le sens ou l'autrice ne tombe jamais dans le piège du pathos, où s'exprime une telle âpreté, un tel pessimisme (le père "prétend que ce n'est pas pour nous le bonheur, qu'on n'est pas faits pour être heureux, pas plus que notre peu blanche n'est faite pour endurer le soleil") et pourtant la narratrice , par son regard singulier, sur la nature, les animaux, parvient à nous offrir quelques respirations dans cette atmosphère saturée de tristesse.
La fin tombe comme un couperet.
Une expérience singulière et forte. Un premier roman , un coup de maître.
Il rejoint bien sûr l'étagère des indispensables.

Traduit du néerlandais par Daniel Cunin,

19/08/2022

#LeLâche #NetGalleyFrance !

"Suivant qui vous êtes, les handicapés vous apparaissent comme des memento mori, la bonne action de la journée à accomplir, un réceptacle pour votre pitié ou un motif de curiosité. "

Qui est le lâche dans ce roman ? Le fils qui  a fugué il y a dix ans sans donner de nouvelles et se retrouve maintenant dans l'obligation d'appeler son père à la rescousse car il est paralysé et sans ressources à la suite d'un accident ; ou le père qui, à la mort de sa femme, a plongé dans l’alcool et la violence ? jarred mcginnis
Peu importe au fond. L'essentiel est que, bon gré, mal gré les deux hommes vont devoir cohabiter , s'adapter l'un à l’autre , et cela n'ira pas sans mal car si le père a su gommer (en partie) ses aspérités, le fils est une boule de colère contre le destin, contre les autres, mais surtout contre lui-même.
Pas d'autoapitoiement, mais une bonne dose d'humour noir et un regard acéré porté sur le handicap, la manière dont il est vécu de l'intérieur ( le fait que l'auteur soit lui-même en fauteuil n'y est sans doute pas pour rien) et un magnifique portrait , très nuancé, des relations familiales. L'auteur qui signe ici son premier roman fait une belle entrée dans la littérature. jarred mcginnis

 
Traduit de l'anglais (États-Unis) par : Marc Amfreville
Éditions Métailié 2022

 

16/08/2022

Après la pluie

" C'est vraiment bizarre quand on y réfléchit , tous ces Blancs de la classe moyenne qui viennent ici pour avoir moins d'intimité, de confort et d'avantages que chez eux, en quoi ce sont des vacances ? "

 Un village vacances  au bord d'un loch en Écosse . Manque de chance il ne cesse de pleuvoir et les vacances estivales virent à l'aigre pour les six familles qui occupent les chalets.617w6pc55oL._SX195_.jpg
Écossais, Anglais, personnes âgées, familles flanquées d'adolescents ou au contraire de jeunes enfants, jeune couple à l'orée de la vie, tous sont très différents mais partagent une sourde inimitié contre la famille d"'étrangers", dont ne sait quel pays d'Europe de l'Est (suppose-t-on) qui font , bruyamment, la fête la nuit.
Sarah Moss plonge alternativement au sein de chaque chalet, révélant les frustrations, les mensonges (à soi-même et autres) de chacun de ces microcosmes. Elle se penche également sur la nature environnante et ses animaux qui pâtissent eux aussi du climat. L'exaspération monte progressivement car ni la pluie, ni le bruit nocturne ne cessent...
Si j'ai retrouvé avec plaisir le regard aigu de Sarah Moss sur ses contemporains, (qui évoque en filigrane le Brexit et ses conséquences) , faute de réelle tension narrative, j'ai senti l'ennui poindre à plusieurs reprises.

Traduit de l'anglais par Laure Manceau.

Acte Sud 2022.

15/08/2022

Triple zéro

"Si ce boulot au centre d'appels m'avait appris une chose, c'est qu'on ne peut pas éviter l'urgence. Peu importe ce qu'on fait, l'urgence vous tombe dessus."

Afin de financer son séjour aux États-Unis où elle espère vivre de sa plume, une étudiante de dernière année à l'université de Sydney travaille huit heures par jour dans un centre d'appel d'urgence. là, elle est confrontée aussi bien à la violence humaine qu'aux désastres écologiques.madeleine watts
Insidieusement, son emploi affecte son comportement et elle laisse son corps être malmené par des hommes de passage. Elle ne retrouve l'harmonie qu'en nageant , même si elle sait que la mer comporte elle aussi bien des dangers.
Roman dominé par trois éléments: la terre, l'eau et le feu, Triple Zéro établit une équivalence entre le continent australien qui subit de plein fouet les conséquences dramatiques du réchauffement climatique et le corps de sa narratrice. Un roman singulier à l'écriture maîtrisée, parfois poétique. 

 

Brillamment traduit de l’anglais (Australie) par Brice Matthieussent.

 

Éditions rue de l'échiquier 2022.

299 pages.

 

11/08/2022

Evidemment Martha

"Je voulais lui dire que c'était la première fois que j'étais capable de décider comment réagir à un événement négatif, aussi insignifiant soit-il, au lieu de réagir avant d'avoir pris conscience. J'ai dit que je ne savais pas qu'on pouvait choisir quoi ressentir au lieu d'être submergée par une émotion extérieure. J'ai dit que c'était difficile à expliquer. Je ne me sentais pas différente, je me sentais moi-même. Comme si je m'étais trouvée."

Depuis l'âge de dix-sept ans, Marthe souffre de troubles psychiques et tente de s'en accommoder avec l'aide de traitements peu efficaces. Elle a maintenant trente-quatre ans, un premier mariage éphémère à son actif et un second qui se délite.
Les autres membres de sa famille (un père poète jamais édité, une mère sculptrice (qui vit aux crochets de sa sœur tout en la méprisant copieusement) une sœur quasi jumelle exténuée par ses grossesses successives) , ont chacun à leur manière tenté de "faire avec" l'attitude chaotique de Martha mais semblent eux aussi sur le point de lâcher prise.meg mason,maladie mentale
L'autrice a fait le choix de ne jamais nommer la maladie (qui sera enfin correctement diagnostiquée ), sans doute pour ne pas stigmatiser ou pour ne pas limiter le récit et cela me convient très bien car ce qui est davantage montré ici est la souffrance  de Martha et celle de tous ceux qui l'entourent.
La structure éclatée du roman, les allers retours dans le temps, l'analyse fine des rapports complexes liant Martha à sa famille et, en particulier, à son second mari en apparence trop patient, la révélation retardée de certaines réactions de la jeune femme contribuent à maintenir la tension tout au long du récit.
Un roman clivant  sans doute mais que j'ai dévoré et qui m'a serré le cœur.

Traduit de l'anglais par Anne Le Bot

Le Cherche Midi 2022, 399 pages qui peuvent dérouter et/ou profondément émouvoir.

 

10/08/2022

Reine rouge

"Le monde est gouverné par les médiocres, les égoïstes et les crétins. Particulièrement par ces derniers. Or le capitaine Parra semble être une intéressante combinaison des trois."

Un improbable duo (un flic gay, Jon Gutiérrez (plutôt fort, mais pas gros), une femme aux capacités intellectuelles hors-normes,  Antonia Scott, un crime atroce aux motivations peu claires, un style enlevé, un art du suspense parfaitement maîtrisé, voilà de quoi blanchir nos nuits tant ce roman est addictif.juan gomez -jurado
Les personnages sont bien croqués, j’avoue que le péché mignon de l'héroïne (collectionner les mots qui n'existent que dans une langue) me l'a rendue  sympathique), l'intrigue particulièrement tordue, tout ceci est très efficace  . Seul petit bémol: j'ai passé les pages trop descriptives et surtout trop gores . J'attends déjà avec impatience la suite.

Traduit de l'espagnol par Judith Vernant. Fleuve Noir 2022

08/08/2022

Suspendue

"Ma Belle, il n 'y a qu'un seul genre de femme qui cherche un mari...C'est celle qui n'en a jamais eu."

Une jeune étudiante,scientifique férue d’escalade d'arbres, a été blessée par des flèches et reste Suspendue, laissée pour morte dans l'un des parcs nationaux les plus populaires des États-Unis. Sera-t-elle découverte à temps ? carolyn jourdan
Avec ce roman je découvre la catégorie cosy crime mystery ( que je connaissais sans le savoir ), ces crimes feutrés, façon Agatha Christie ,pourrions-nous dire. Mais ici, pas de thé, ni de cottages, nous sommes dans le parc national des Smoky Mountains  et Miss Marple est remplacée par une infirmière du cru et son acolyte , un employé du Parc national qui connaît la faune et le terrain comme personne.
D'autres personnages, hauts en couleurs et bien campés ,complètent le tableau.
 Une atmosphère bon enfant,un suspense bien tenu et surtout un récit très bien documenté (on apprend plein d'informations concernant la faune, la flore et leur impact possible sur notre vie quotidienne) font de ce court roman un très bon livre de détente, sans que cela soit péjoratif, bien au contraire.

 

Éditions Diagonales 2022

04/08/2022

Les oubliés de Londres...en poche

"Le système était devenu trop immense à combattre. Il n'octroyait plus aux petites gens leurs quotas de petites victoires, parce que la moindre des concessions risquait désormais de les amener à croire qu'ils méritaient mieux, et que cette croyance était bien trop dangereuse pour qu'on la laisse prospérer. "

La spéculation immobilière qui sévit à Londres ne laisse pas de répit aux gens aux revenus modestes contraints quitter leur immeuble, voué à la démolition, pour céder la place à des appartements hors de prix qui ne seront peut être même pas occupés.eva dolan
Certains résistent quand même et parmi eux, Molly,la soixantaine, photographe  aguerrie de la lutte sociale et Hella, la trentaine, doctorante en sciences politiques et militante de gauche que Molly a prise sous son aile.
Quand le roman commence, les deux femmes sont en train de jeter le cadavre d'un homme dans la cage d'un immeuble qui sera bientôt rasé. L'identité de ce cadavre pose problème mais il semble bien lié au passé d'Hella , un passé pour le moins ambigu.
Alternant les points de vue et les époques, sans jamais pour autant que nous perdions le fil, le récit conserve son intensité et ses retournements de situations) jusqu'à la fin. Quant aux personnages, ils ont de multiples facettes et sont dépeints avec une grande véracité,  Londres étant ici un personnage à part entière. Une grande réussite pour ce troisième roman d'Eva Dolan.

Traduit de l’anglais par Lise Garond .

Éditions Liana Levi 2020. Points Seuil 2021.