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11/09/2023

Eden

"Cela m'a fait comprendre que même si mon travail consiste à analyser la manière dont idées et sentiments se coulent dans le moule du langage, je n'ai pas toujours été très douée pour faire coïncider mes pensées avec mes paroles. Il est à la fois étrange et illogique qu'une souris soit à l'origine de telles réflexions , et il est plus bizarre encore que, juste après, j'aie décidée de construire un mur en pierres. "

Alba enseigne la linguistique à l'université de Reykjavík, participe à des colloques dans le monde entier sur les langues en voie de disparition , sans que cela soit suivi de beaucoup d'effet... Elle assure aussi la lecture et la correction d 'ouvrages pour une maison d'édition qui la tanne pour qu'elle lise un recueil de poésie, ce que la jeune femme semble toujours remettre à plus tard. 
Du jour au lendemain, peut être à la suite d'un rêaudur ava olafsdottirve, la trentenaire décide d’acquérir une maison dans la campagne islandaise et de planter une forêt de bouleaux.
Tous ces faits, en apparence juxtaposés, trouveront progressivement leur explication, parfois données par le père, la sœur d'Alba ou d'autres protagonistes de ce roman que j'ai dévoré d'une traite avant de le relire dans la foulée plus posément cette fois.
Il y est en effet beaucoup question de mots, et l'on y découvre au passage, le fonctionnement ardu de la langue islandaise, mais aussi de nature, de réfugiés et du changement climatique, le tout sans aucune leçon donnée.
Tout y est fluide, aussi bien le style que la manière dont les gens passent d'un métier à un autre, ou le temps de la neige en mai au soleil radieux. Un pur délice qui file bien évidemment sur l'étagère des indispensables.

 

Traduction Eric Boury, Editions Zulma 2023.

29/08/2023

L'invitée

"Alex garda les yeux baissés. Elle avait l'habitude de s'effacer, de faire comme si les choses qui étaient en train de se produire n'étaient, en fait, pas en train de se produire. "

Alex a vingt-deux ans et elle est L'invitée de Simon, riche quinquagénaire qui l'a emmenée dans sa maison de Long Island. Là, l'été touche à sa fin et Alex profite de la plage et dérobe les cachets antidouleur de son hôte pour mieux supporter la réalité clinquante d'un monde où elle n'a en fait pas sa place. emma cline
Nous découvrons rapidement qu'Alex analyse chaque faits et gestes des gens qui l'entourent pour mieux s'adapter à leurs désirs et les manipuler.  Cette tension  permanente est très coûteuse émotionnellement, même si Alex a appris à se dissocier dans certaines situations trop humiliantes ou violentes. Un soir, elle commet un faux-pas , est chassée par Simon.
La jeune femme refuse d'admettre la réalité des faits et seule, sans ressources, sans amis, menacée par une connaissance qu'elle a trahie et volée, comme elle le fait avec chacun, elle se persuade que Simon l’accueillera dans une semaine lors de sa fête du Labor Day. Lui reste alors à trouver de quoi subsister dans ce microcosme de gens riches qui vivent dans l’entre-soi et se croient en sécurité.
Emma Cline peint avec subtilité et férocité ce monde cossu où la violence est sourde. La dérive d'Alex , qui passe on a envie de dire d'une main à une autre, d'un milieu social à un autre, est teintée tout à la fois de mélancolie et de tension. Un climat subtil et dérangeant qui fait de ce roman une expérience troublante.

 

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch.

Éditions La Table Ronde 2023.

22/08/2023

Le Vieil Incendie

" J'ai de la peine à me rappeler que nous avons été indissociables. Nous avions les mêmes timidités, les mêmes craintes de la vie sociale. On ne se chamaillait pas. Notre langue de silences et de cris nous a réunies. "

 A quinze ans, l'aînée, Agathe,  a fui sa sœur cadette,Véra, aphasique, et son père. Elle a fait sa vie aux États-Unis où elle écrit des scénarios  et des dialogues de films. Quinze ans plus tard, Agathe et Véra doivent vider la maison familiale qui sera abattue. Et pour cela , elles ont neuf jours.
Pas de disputes autour des objets ici, Agathe étant même prête à incendier le contenu de la maison dont elle ne veut rien garder. Elle apprend à redécouvrir sa cadette qui  n'a plus rien de celle qu'elle se sentait obligée de protéger.
Au fil des jours, des souvenirs reviennent et les secrets se révèlent.
Avec une infinie délicatesse, par petites touches, Elisa Shua Dusapin brosse le portrait de ces deux sœurs pour qui les silences sont peut être plus parlants que les mots. Car peut-on se fier aux mots ? Ils sont trompeurs, déformés, peuvent devenir le vecteur d’humiliations...Ils peuvent être difficiles à prononcer ou à écrire , même quand on en a fait son métier... elisa shua dusapin
La nature  joue également un rôle très important ici, ainsi que le corps des femmes, corps bridé, corps faillible ou corps retrouvé. Un texte magnifique dans sa concision parfaite et l'émotion intense qu'il dégage.  Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 

Éditions Zoé 2023.

21/08/2023

#Misericordia #NetGalleyFrance !

" Et c'est là la difficulté de  me retrouver à vivre à l’Hôtel Paradis. Exil. Il n'y a plus rien qui ne soit qu'à moi, ni mon corps, ni mon esprit. "

Elle vit dans une maison de retraite dont l'appellation est pour le moins ambigüe et si on la déplace en fauteuil roulant, parfois comme un paquet, elle n'a rien perdu de ses facultés d'observation et enregistre sur un petit magnétophone le journal de ce qui sera sa dernière année de vie. Sa fille, l'écrivaine Lidia Jorge, retranscrit ici ces textes et leur insuffle émotion et poésie.lidia jorge
Il est très poignant de  voir "de l'intérieur" les explications de comportements qui peuvent parfois paraître incompréhensibles (appel en pleine nuit pour connaître une information pour le moins triviale, terreurs nocturnes parfaitement retranscrites où la narratrice lutte pied à pied contre la mort...). Mais il y a aussi les histoires d'amours entre les pensionnaire ou celles des soignants  et tout ce microcosme  est rendu avec vivacité et bienveillance. Quelques longueurs m'ont parfois perdue en route mais la fin du texte , avec la description du Covid , des mesures qui sont appliquées sans aucune explication aux pensionnaires , restera un moment fort de littérature.

 

Traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues.

 

Éditions Métailié 2023lidia jorge

18/08/2023

A prendre ou à laisser

"Elle refusait d'apparaître aux yeux de son assassin de  mari comme un vieux tacot goulu en carburant dont il faudrait remplacer tant de pièces qu'il se révélerait moins onéreux de l'abandonner à la casse et d'acheter un véhicule neuf. "

Pour des raisons diverses (des antécédents de dégénérescences du cerveau ,le désir  ne pas être un poids pour le National Health Service...) , Cyril et Kay ont passé un pacte: le jour du quatre-vingtième anniversaire de Kay, ils mettront fin à leurs jours.
Arrive le jour fatidique et tout n'est pas si simple. lionel shriver
Un point de départ, douze possibilités et autant de textes aux tonalités diverses qui nous permettent de réfléchir sur la vieillesse et la fin de vie. Le risque était de tomber dans une certaine mécanique, mais Lionel Shriver parvient toujours à nous surprendre, voire à nous effrayer. L'humour est toujours aussi grinçant et l'autrice n'hésite pas à brosser d'elle un portrait au vitriol , un clin d’œil bien venu pour éviter toute position surplombante. Un pur régal.

 Belfond 2023.

Traduit de l’américain par Catherine Gibert

17/08/2023

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

"La meilleures chose dans le fait de vieillir était de se vautrer dans ce grand rien-à-cirer. "

Quelle mouche a donc piqué Remington ? Est-ce le fait d'avoir été poussé vers la sortie  d'un emploi qu'il prenait trop à cœur au goût de sa supérieure ? Est-ce le fait de refuser de vieillir ? Toujours est-il que le voilà décidé à courir un marathon cette année, empiétant ainsi sur les plates bandes de son épouse, Serenata  qui, jusqu'à présent , avait été la seule sportive de ce couple de sexagénaires. Et le tout pile au moment où cette dernière, empêchée par ses genoux, est contrainte à la sédentarité. lionel shriver
Comme tous les nouveaux convertis, Remington fait montre d'un enthousiasme exacerbé et sacrifie beaucoup de temps (et d'argent), sous la férule de sa coach, Bambi, la trop parfaite.
C'est à un joyeux jeu de massacre que se livre ici Lionel Shriver en brossant le portrait , via ce couple, de toute une société qui sacrifie au culte du corps et de la jeunesse. Pour autant ces personnages n'en demeurent pas moins crédibles et Serenata m'a souvent surprise en réagissant à contre-courant de ce qu'on aurait pu attendre, conférant ainsi à ce roman beaucoup d'humanité. Une belle réussite.

Traduit de l’américain par Catherine Gibert.

 

Pocket 2023

16/08/2023

En ces temps de tempête

" Vous êtes une bulle dans une bulle dans une autre bulle. Votre ville, votre État, votre pays- pour l'instant, vous occupez une position privilégiée. Vous avez gagné à la loterie géopolitique. Et c'est dans la nature humaine de protéger ses acquis, qu'on les mérite ou non. "

 

Les tempêtes mentionnées dans le titre du dernier roman en date de Julia Glass peuvent se prendre aussi bien au sens propre qu'au sens figuré. Nous sommes en effet dans un futur très proche où le réchauffement climatique se fait de plus en plus violent , où les attentats continuent à faire des victimes, aussi bien physiques que psychologiques .
Pour rendre compte de tout cela , l'autrice se penche sur le microcosme privilégié de Vigil Harbor et offre tour à tour la parole à huit personnages, d'âge et de conditions sociales différents (on y retrouve d'ailleurs un jardinier apparaissant dans un de ces précédents romans). Communauté qui sera troublée par l'arrivée d'un homme et d'une femme qui ne sont peut être pas ce qu'ils affirment être...julia glass
Gros roman choral de 598 pages, En ces temps de tempête se dévore puis se savoure tout à la fois. A son habitude, Julia Glass y fait preuve d'un grand sens de la construction narrative, mais aussi d'une grande humanité, se penchant avec beaucoup de bienveillance sur ses personnages.  Suspense et humour sont au rendez-vous , il est grand temps de craquer !

Et zou, sur l'étagère des indispensables.

 

Gallmeister 2023, traduit de l'américain par Sophie Aslanides.

 

Le billet d'Aifelle, qui vous mènera vers d'autres.

08/07/2023

Soeurs...en poche

"Le chagrin est une maison sans fenêtre ni porte, sans possibilité de voir le temps qui passe."

Septembre et Juillet sont des sœurs nées à dix mois d'intervalle mais entretiennent une relation quasi gémellaire, même si elles  ne se ressemblent pas physiquement. Sheela, leur mère est bien consciente de l’emprise, de la manipulation , confinant parfois à la cruauté, que l'aînée exerce sur sa cadette mais n'intervient pour autant pas de manière efficace.daisy johnson
Harcelée à l'école,  "cette bête de Juillet " donnera lieu à un premier incident, puis à un second  dont la gravité vaudra à cette famille de trois femmes de se réfugier dans une vieille maison au bord de la mer où l'atmosphère oscillera entre cauchemar et réalité.
Daisy Johnson excelle à créer ces mondes entre deux eaux où ses personnages se perdent pour mieux se retrouver. Elle y entraîne son lecteur, le déroutant parfois, le faisant douter avant que de dévoiler ce qui était devant nos yeux et ne pouvait mener qu'au drame.  Un roman envoûtant qui confirme le talent singulier de cette autrice.

Traduit de l’anglais  par Lætitia Devaux. 216 pages . Stock 2021

03/07/2023

#Undestinsauvagesisauvage #NetGalleyFrance !

"-Jusqu'à ce qu'il apprennent qu'ils travailleront pour une femme.
Marie acquiesce.

-Mais tu  les dois comprendre. Ce sont des hommes et ils ont leur fierté.

Eh bien, moi aussi. Et je n'irai pas supplier un gardien de troupeau ivre et puant de venir sous mon toit, tout ça pour qu'il reluque ma fille et m'insulte dans mon dos. "

Une mine d'or perdue au Nouveau Mexique. Trois destins de femmes par delà les années (1930- 1970) dont une, Cornelia, disparue dans la montagne dans les années 30. Une femme trop indépendante, qui n'hésitait pas à employer un autochtone, au grand dam des habitants  de la petite ville de Boldville.inga vesper,schtroumpf grognon le retour
Boldville où ,quarante ans plus tard , Joanna, une flic qui a quitté la police , fuyant un mari violent , vient se réfugier. Là, aidée de sa cousine, Glitter, petite-fille de Cornelia, elles vont tenter d'élucider la mort d'un autre membre de la famille décédé dans un campement de hippies.
Parfois  on peut avoir envie de lire un roman  qui vous prend par la main et coche les cases des thèmes dans l'air du temps (emprise masculine, émancipation des femmes...), thèmes qui par ailleurs m'intéressent mais qui m'ont semblé ici utilisé de manière trop artificielle. J'ai néanmoins apprécié que L'autrice, de manière discrète, certes, souligne au passage que la libération sexuelle pouvait être une manière de se passer du consentement féminin...
Beaucoup de longueurs ont fini par me lasser et j’avoue avoir passé quelques pages pour arriver plus vite à la fin et avoir la confirmation de l'identité de l'assassin.

 

Éditions de La Martinière 2023inga vesper,schtroumpf grognon le retour

 

 

16/06/2023

La vallée des fleurs...en poche

"Viens me chercher, je pense. Emmène-moi. Laisse-moi me jeter dans la mer obscure. "

La vallée des fleurs est un roman tout en contrastes qui relate l'itinéraire d'une jeune femme inuite qui va intégrer une université au Danemark. Si son homosexualité est tout à fait acceptée par sa famille, on sent bien d'emblée que sa singularité se situe ailleurs et qu'elle dérange. Serait-ce son hypersensibilité ou un comportement parfois atypique ?niviaq korneliussen
Au Danemark, l'effort d’adaptation au monde étudiant ,mais aussi aux subtilités de la langue (elle ne détecte pas immédiatement l'ironie ,par exemple) vont lui être coûteux et un deuil dans la famille de sa petite amie sera l'occasion pour elle d'aller dans l'Est du Groenland ,près de ce cimetière qui donne son titre au roman.
Car la mort irrigue ce roman, dont les têtes de chapitre de la première partie sont scandés par la mention factuelle de suicides de jeunes gens. Une vague de suicides touche en effet le Groenland et les mesures prises pour l'endiguer ne semblent guère efficaces.  
Si l'humour est bien présent, la souffrance l'est tout autant et l'autrice dépeint avec une extrême sensibilité cette écorchée vive qui tente de se retrouver. Un roman extrêmement dépaysant , qui montre aussi bien la beauté sauvage que les laideurs de ce pays, sa rudesse et sa délicatesse.

Traduit du danois par Inès Jorgensen