09/08/2014
Le livre d'un été
"Le vent soufflait sans relâche. Il soufflait toujours sur cette île, tantôt d'ici, tantôt de là. Un sanctuaire pour qui avait du travail, un jardin sauvage pour qui grandissait, et sinon, une succession de jours et le temps qui passait."
Sur une île finlandaise, une grand-mère atypique (elle fume en cachette, crapahute quand elle perd sa canne ou fait un petit malaise), son fils veuf et la fille de ce dernier, la petite Sophie, passent des vacances estivales.
Cette succession de textes courts est centrée sur la relation entre la grand-mère (attentive sans être intrusive ,très fine) et sa petite fille, le père n'étant qu’une silhouette qui ne prend jamais la parole. Au fur et à mesure, se brosse le portrait d'une vie qui pourrait être idyllique mais où il faut savoir s'adapter aux tempêtes, aux constructions intempestives qui gâchent la vue; une vie très attentive aux odeurs, à la nature et au temps qui passe.
La grand-mère parvient toujours à désamorcer, en les contournant, les crises de toute puissance ou de chagrin de Sophie et cette complicité nourrit le récit.
Ce pourrait être banal, c'est tout simplement délicieux, plein de charme, de tendresse et de délicatesse. L'écriture, en apparence très simple, est lumineuse, pleine de malice .Mon coup de cœur estival, tout piqueté de marque pages !
Le livre d'un été, Tove Jansson, Livre de poche 2014, 167 pages à lire plus d'un été !
L'avis de Clara , vainqueure haut la main de la course pour dénicher ce livre !
Hélène, elle aussi conquise !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : tove jansson
08/08/2014
Moyenne
"Je vais finir par devenir trop vieille pour devenir grande."
Ne nous leurrons pas : si j'ai acheté ce livre c'est plus pour son titre (quelqu'un qui se revendique Moyenne dans un monde où règne la compétition, ça intrigue) et pour son auteure (la sœur d'une actrice qui bénéficie en ce qui me concerne d'un gros capital sympathie) que pour son thème.
Récit à la première personne du parcours d'une femme qui va devoir se dépasser parce que la naissance de sa fille grande prématurée et handicapée moteur bouleverse sa vie, Moyenne a su m'étonner par bien des aspects.
D'abord par la personnalité de Laurence Kiberlain qui ne se pose jamais en victime, n'agresse (verbalement) personne , même si elle pointe parfois posément au passage les incohérences, les incompétences, la mauvaise foi qui vont accompagner son parcours et celui de sa fille. On sent que c'est une belle personne qui a su s'adapter et évoluer pour elle-même et pour sa fille.
Enfin par le style de ce récit, simple mais pas simpliste, sans effets de manches ni pathos.Posé. On sourit parfois aussi de ses analyses : "Je ne m'y connais tellement en rien que j'ai du recul en tout.", on admire sa lucidité et son courage. Un bon moment de lecture.
Moyenne, Laurence Kiberlain, Livre de poche 2014, 136 pages et quelques illustrations de l'auteure (dont la couverture) et une flopée de marque-pages.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : laurence kiberlain
07/08/2014
L'attente
"Non, mon enjeu est ailleurs, dans la reconquête d'une solidité ,dans la diminution de ma dépendance affective, dans l'apprivoisement d'une solitude partielle, mais plus dans le don, plus dans cet amour sans condition dont j'ai exploré, avec lui en tout cas, les voluptés et les tourments."
Il y a quelques années j'avais lu un roman de Fanny Hurst, Back street, devenu emblématique de ces femmes qui, maîtresses d'un homme marié, n'avaient d'autre choix que de vivre dans l'ombre, sacrifiant leur vie à un amour impossible.
Je rechignais donc un peu à lire L'attente mais le nom de Catherine Charrier dont j'avais déjà pu apprécier l'écriture dans un premier recueil de nouvelles (clic) m'a décidée.
Et j'ai bien fait ! En effet, il ne s’agit plus ici d'une héroïne soumise (même financièrement) mais d'une femme indépendante, au caractère trempé, mariée, mère de famille et qui se lance avec ardeur dans une relation avec un homme lui aussi marié et père de famille. Pas de grande scène de rencontre mais d'emblée une analyse de l'espace qui devient particulier aux amants et l'enclenchement d'une chronologie, d'un décompte de cette attente qui donne son titre au roman.
Nous n'aurons que son point de vue à elle, ne découvrirons les détails de cette histoire qui va durer treize ans que par l'analyse qu'elle en fera, des chapitres consacrés à l'attente (qui finira personnifiée ,tant elle est récurrente) s'intercalent d'ailleurs entre cette chronologie à J+ qui jalonne le roman, lui conférant sa densité. L'écriture est sensuelle sans être vulgaire, aucune complaisance de la part de l'héroïne mais un récit prenant, sensible et maîtrisé qui emporte l'adhésion. Une réussite ! 239 pages bruissantes de marque-pages !
L’attente, Catherine Charrier Pocket 2014.
Le billet de Clara qui vous mènera vers d'autres.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : catherine charrier
14/07/2014
Patients
"Je découvre les joies de l'autonomie zéro, de l'entière dépendance aux humains qui m'entourent et que je ne connaissais pas hier."
A deux semaines de son vingtième anniversaire, Fabien heurte le fond d'une piscine pas assez remplie . Le diagnostic tombe: risque de paralysie à vie.
De cet accident de plongeon (deuxième cause de tétraplégie après les accidents de la route), à la réanimation où il a le temps d'observer consciencieusement la couleur du plafond et sa teinte, en passant par les centres de rééducation où il rencontrera de drôles de loustics, gais ou tristes , Fabien raconte avec humour et sensibilité, sans auto apitoiement, le passage brutal de sa condition de valide à celle d’handicapé.
Dans ces centres, le tragique côtoie l'humour volontaire ou non,mais quand on a vingt ans , même en fauteuil roulant, c'est aussi l'âge des conneries, aussi limitées soient-elles ! Un récit plein de vie qui analyse avec lucidité le regard que l'on porte sur les handicapés:"Pour ceux qui n'ont pas l'habitude de le côtoyer, le statut d'handicapé (surtout en fauteuil roulant) est tellement marquant (effrayant, dérangeant ) qu’il masque complètement l'être humain qui existe derrière. On peut pourtant croiser chez les personnes handicapées le même genre de personnalités qu'ailleurs : un timide, une grande gueule, un mec sympa ou un gros con."
Patients *Grand Corps Malade, Points Seuil 2014, 166 pages enlevées.
*"Quand tu es dépendant des autres pour le moindre geste, il faut être pote avec la grande aiguille de l'horloge. la patience est un art qui s'apprend patiemment."
PS: je en connais pas bien les textes de slam de Grands Corps Malade, mais la personnalité sympathique de ce grand gaillard m'a donné envie de lire son récit et je ne le regrette pas .
Pour continuer sur un thème identique, avec une écriture plus travaillée , on lira de Régine Detambel:Son corps extrême .clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Récit | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : grand corps malade, fabien marsaud
10/07/2014
Moi, j'attends de voir passer un pingouin...en poche
Moi, j'attends de voir passer un pingouin, cette phrase qui m'habite et semble dépourvue de sens est un mantra pour desserrer l'étau. Entendant ou lisant ces syllabes absurdes, les hommes épris de sérieux, les représentants de l'ordre et de la loi, leurs amis, leurs alliés, les rédacteurs en chef, les directeurs financiers, les responsables de tout acabit haussent les épaules et passent leur chemin.
Nous voici tranquilles."
Une narratrice (serait-ce Nouk, une héroïne déjà rencontrée chez Genviève Brisac ?) non identifiée, qui "gagne sa vie en racontant des fariboles de petite ampleur", dans 13 petits textes nous livre des moments de sa vie. Une vie animée par une ribambelle d'animaux, par des dialogues avec son fils, Nelson, ou sa concierge, Céleste. Par des cours d'éducation populaire où elle exprime sa passion pour Rosa Luxembourg, cette révolutionnaire un peu trop oubliée.
Car c'est bien de révolte qu'il s'agit. Geneviève Brisac a choisi en effet d'illustrer ce thème, fondamental pour Pablo Picasso pour la collection Tabloïd de chez Alma éditeur.
Mais pas de révolte flamboyante. non,il faut comme elle l'indique dans son autoportrait "Noter le passage du temps sur les êtres, observer une voile qui se gonfle, décrire les déceptions et les malentendus, la beauté des ciels et des amitiés, l'omniprésente bêtise , les injustices et les insoumissions Rendre réelle cette seconde vie cachée sous la vie officielle."
Il n'en reste pas moins que je suis restée un peu perplexe, accrochant ça et là quelques marque-page, séduite par le style lumineux et enjoué de Geneviève Brisac mais pas tout à fait rassasiée...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : geneviève brisac
02/07/2014
Les gosses
"Il n'y a pas longtemps, j'ai été boire un coup avec une amie que je n'avais pas vue depuis cinq ans. Quand elle est arrivée et qu'elle s'est assise en face de moi, j'ai été sidérée par toutes les rides qu'elle avait autour des yeux et de la bouche. Elle avait pris un coup de vieux terrible.[...] Elle était peut être aussi joyeuse parce qu'elle me voyait à un stade avancé de délabrement et se croyait épargnée.Je ne tenais plus sur ma chaise[...] Il me fallait un miroir d'urgence. [...] Les néons au dessus du lavabo ne m'épargnaient pas .ça ne faisait aucun doute, moi aussi j'avais pris un sacré coup de vieux."
"Un livre agréable, facile à lire et bien écrit, ça existe ?". Telle était la question que je posais il y a quelques temps à Cuné. Dans une mauvaise passe de lecture ,j'étais. Et puis, j'ai déniché ,fraîchement sorti en poche, Les gosses qui remplit exactement les termes du contrat.
ça sent le vécu mais sans lourdeur, on se retrouve par petites touches dans le portrait de cette mère de famille fraîchement divorcée qui doit tout à la fois élever un jeune adulte qui a une façon très particulière d'envisager le monde du travail , une grande fille, un pied dans l'adolescence, un pied dans l'enfance (qui a peur du noir mais a la dent dure pour critiquer sa mère) et la petite dernière, neuf ans au compteur, câline et adorable mais avec une fâcheuse tendance à ramener des animaux à la maison. Sans oublier une mère pot de colle et un voisin charmant. Le tout en bossant à la maison.
Un bon tempo, des personnages attachants, de l'humour et 141 pages qui se lisent d'une traite, que demander de mieux ?
Plein d'avis sur Babelio !
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : valérie clô
19/06/2014
Contrecoup...en poche
"Rien ne m'appartient plus.Je suis une exilée de ma propre histoire. Je n'ai plus de vie, lui dis-je. C'est une vie après la mort. Le contrecoup."
L'image du puzzle court tout au long de cette réflexion sur le mariage et la séparation, sujet universel traité ici de manière ni exhibitionniste ni fictionelle. Nous sommes bien loin de l'auto-fiction doloriste et nombriliste à la française.
Nous sommes ici dans l'après de la séparation et, à travers plusieurs situations de la vie quotidienne, l'on sent que l'auteure est sonnée mais qu'elle réfléchit simultanément à cette situation.
Rachel Cusk, avec lucidité et précision, analyse la répartition des rôles du masculin et du féminin dans lemariage et convoque les mythes anciens pour nourrir sa propre réflexion.
Nous sommes donc dans le domaine des idées mais aussi dans celui des émotions tant la langue est imagée et poétique. Huit textes denses , aux tonalités différentes, pour dire le choc de devoir affronter le chaos, de se sentir mal à l'aise car "L'effort nécessaire pour modeler la normalité est une sorte d'art du faussaire , si laborieux comparé à la facilité avec laquelle l'original a été créé."Le dernier texte, changeant de point de vue, met en scène une jeune femme étrangère engagée par le couple en train de se déchirer, exilée qui trouvera de manière symbolique et douce comment signifier cette séparation.
L'idée de Contrecoup pourrait rebuter mais, une fois ouvert, le style et l'angle choisi par Rachel Cusk font que le lecteur ne se sent jamais voyeur. On est fasciné par l'atmosphère créée mais aussi par l'éclairage si particulier de l'auteure et son analyse des mythes grecs. Un texte piqueté de marque-pages. Une réflexion nécessaire.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : rachel cusk
16/06/2014
Incidences
"Avoir l'esprit ainsi envahi par une femme était nouveau pour lui. Non pas envahi par la crainte, le ressentiment, le désir de vengeance ou autres douceurs que lui inspirait sa mère, ou encore par les sentiments sombres et mitigés que sa sœur pouvait faire naître en lui. mais envahi par un fluide agréable qui parfois se mettait à battre comme un torrent incroyablement bon et dangereux. c'était incroyablement nouveau."
Marc, professeur de littérature d'une université nichée dans les Alpes, collectionne les relations avec ses étudiantes, se mettant ainsi sur le fil du rasoir vis à vis de sa hiérarchie et de sa sœur, avec laquelle il vit. Une de ces aventures va tourner court et lui permettra de rencontrer une femme de son âge qui va exercer sur lui une emprise extrême. Mais à trop jouer avec le danger, Marc parviendra-t-il à toujours maîtriser sa vie ?
Comme son héros qui négocie les virages en épingle à cheveu des routes de montagne pied au plancher , Djian nous gratifie de découvertes surprenantes au détour d'une phrase, glisse quelques indices, nous fait accepter les choix de ses personnages pour le moins perturbants et nous gratifie au passage de diatribes enflammées sur les faiseurs de littérature. Mi roman universitaire, mi- thriller psychologique, l'auteur d'Incidences joue sur les ambiguïtés en permanence mais ce que j'ai apprécié par dessus tout c'est le rapport qu'entretient son personnage principal avec la nature et en particulier avec cette faille cachée dans les bois .Un bon roman qui se lit d'une traite.
Disponible en Folio, (244 pages) et je préfère largement la couv' de 2011 (mon édition) à celle de la réédition, suite à l'adaptation cinématographique (que je n'ai pas vue).
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : philippe djian
14/06/2014
Trop de bonheur...en poche
"A croire qu'il existe en apparence on ne sait quel savoir-faire fortuit et bien sûr injuste dans l"économie du monde puisque le grand bonheur -aussi provisoire, aussi fragile soit-il -d'une personne peut sortir du grand malheur d'une autre."
Les femmes et leur quête de bonheur, dérisoire et courageuse à la fois sont au centre des nouvelles d'Alice Munro. Cruauté, résilience qui ne dit pas son nom, soumission au désir des hommes, voilà à quoi ces très jeunes filles, mères ou femmes plus âgées doivent composer.
Tout l'art d'Alice Munro est de ne pas porter de jugement, de décrire en une phrase tranchante et/ou férocement drôle, l'attitude, le comportement d'un personnage et vous le livrer en entier résumé : "Certaines suggestions, certaines idées, avaient le pouvoir faire tressaillir les muscles de son maigre visage tavelé, et alors son regard devenait noir et aigu, et sa bouche semblait remâcher un goût répugnant. Elle pouvait vous bloquer net dans votre élan, comme un féroce buisson de ronces."
Des textes qui possèdent juste le bon tempo et la bonne durée et ne nous laissent jamais sur notre faim. Des univers denses et intemporels.
Point Seuil 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alice munro
13/06/2014
Comme la grenouille sur son nénuphar...en poche
"ô Gravité où est ton hameçon, ton fil, le plomb au bas de ta ligne ? "
Pas de doute: "les Parques se plaisent à venir cracher dans ton potage", Gwendolyn! Tu n'as plus qu'à "enfiler ton soutien-gorge pare-balles" pour affronter ce qui risque d'être le plus long et le plus éprouvant week-end pour la trader de Seattle que tu es !
Jugez en un peu: les cours de la Bourse s'effondrent et avec eux tes rêves d'ascension sociale, le singe kleptomane de ton petit ami s'enfuit ,ta meilleure amie disparaît... Mais heureusement dans toute cette pagaille apparaît Diamond, un broker de retour de Tombouctou, charmeur en diable (ou baratineur de génie ) qui va te mettre "au défi de t'intégrer dans quelque chose qui t'es totalement étranger, de sortir du domaine de tes attentes habituelles", bref de jeter un grand coup de pied au Rêve Américain, "de sortir de cette transe où ne comptent que les biens matériels".
Une ville, Seattle où les rayons de soleil "se comportent en touristes" (et qui nous donne l'occasion de superbes descriptions de la pluie entre deux péripéties ), une ville où galope notre héroïne , tiraillée entre la recherche de la satisfaction immédiate et le grand saut dans l'Inconnu, un monde où l'on s'inquiète de la disparition des grenouilles, où l'on croise un médecin japonais qui aurait découvert un remède au cancer mais un monde aussi où l'on peut prendre le temps de s'envoyer en l'air et de vivre une histoire d'amour à la fois débridée et tendre.
Pas de temps morts, tant au niveau du récit que du style , corrosif, plein d'humour et d'inventivité, les métaphores, les comparaisons, mon péché mignon, sont follement réjouissantes, : "Contrairement à l'Américain moyen, elle a une capacité d'attention qui dépasse en durée un orgasme de Mormon", et on sourit tout le temps de la lecture, en se laissant prendre au piège du baratin allumé de Diamond.
Comme la grenouille sur son nénuphar nous fait entrer dans ce monde fou fou fou (qui est le nôtre ) et nous ne lâchons pas une minute ce roman car il y a plus d'imagination dans une phrase de Tom Robbins que dans l’œuvre complète de n'importe quel écrivaillon français.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tom robbins