10/06/2015
L'art de voyager léger et autres nouvelles
"Elle s'habillait toujours au lever du soleil, chaudement et avec enthousiasme. Elle boutonnait soigneusement ses pulls et son pantalon de moleskine autour de sa taille généreuse et une fois ses bottes enfilées et ses cache-oreilles baissés, elle s'installait devant l'âtre dans un état de bien-être que rien n'aurait pu perturber , parfaitement immobile et l'esprit libre de toute pensée, tandis que les flammes réchauffaient ses genoux. Elle accueillait chaque nouveau jour de la même manière et attendait l'hiver avec la même constance."(p.96-97)
Quel bonheur que ces textes célébrant le rituel, le chez soi, le sentiment de "sécurité absolue" et ceci de l' enfance d'une narratrice , qu'on peut supposer être l'auteure , au dernier été sur une île qu'on pourrait identifier comme celle évoquée dans Le livre d'un été (clic).
Seul le dernier texte, donnant son titre au recueil (le seul titre relativement original par rapport aux autres, nettement plus ternes) met en scène un personnage masculin, mais les thèmes restent les mêmes.
En quelques pages, Tova Jansson crée un univers où l'enfance se déroule dans une grande liberté, au sein de la nature, où l'on est attentif aux sensations, aux sentiments. Des textes en apparence anodins mais où l'on ressent une grande intensité , une grande attention à ce qui fait la vie même.
Un huis-cos sur une île entre une femme et un écureuil, les sentiments exacerbés d'une enfant qui "courtise" un adulte , un Noël dans une famille à la fois bohème et soucieuse des traditions, une "expédition" qui pourrait mal tourner , autant de petits moments dont se dégage le plus souvent "un grand sentiment de quiétude". Et zou, sur l'étagère des indispensables !
L'art de voyager léger, Tove Jansson, traduit du suédois par Carine Bruy, livre de poche 2015, 165 pages qui résonnent en nous.
Ps: parfois les livres se prolongent de manière involontaire et opportune : Moan Chollet évoquait les Mommins (imaginés par Tove Jansson)et le chez soi, j'ai enchaîné avec ces textes dont je guettais fébrilement la parution...
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : tove jansson
09/06/2015
Chez soi, une odyssée de l'espace domestique
"Chacun, en fonction de ses dispositions personnelles et des occasions qui s'offrent à lui, s’enfonce plus ou moins loin sur les routes de papier; mais ces routes mènent au même but."
Casanière, mais aimant les récits de voyage de Nicolas Bouvier, Mona Chollet cultive les ambivalences et les assume. Elle analyse avec acuité notre relation au "chez soi", s'impliquant elle aussi au passage, dénonçant la violence de notre société mais aussi célébrant les charmes du home sweet home dans de très belles pages.
Ce que j’aime chez cette journaliste c'est le regard critique, la variété des angles, la manière dont elle n'hésite pas à se mettre aussi en scène et la variété des références aussi bien architecturales que littéraires.
Plein de découvertes, de marque-pages et d'envies de lectures !
Chez soi, Mona Chollet, Zones 2015.
Une réalisation de Terunobu Fujimori , architecte japonais à laquelle Mona Chollet consacre de très belles pages.
05:55 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mona chollet
08/06/2015
Enfant terrible
"L'art était une réponse possible aux hurlements, mais la vie se contentait de hausser les épaules et de suivre son cours."
"Cigarettes ,whisky et p'tites pépées" chantait Eddie Constantine (et Annie Cordy !) dans les années soixante. Un programme que pourrait reprendre à son compte en 2013 Kennedy Marr ex-romancier irlandais à succès, devenu spin doctor pour scénarios à Los Angeles.
Entre principe de plaisir et principe de réalité, il a résolument opté pour le premier mais la vie va conspirer pour le ramener à son point de départ , ou presque, car il va devoir enseigner durant une année dans l'université anglaise où travaille son ex-femme. L'occasion de renouer avec sa fille et d'aller enfin voir sa mère, très malade.
Quel régal que ce livre ! Je craignais les pages fleurant bon, au mieux la testostérone, au pire la misogynie la plus crasse,mais j'ai découvert un personnage attachant en diable, ayant le chic pour se compliquer la vie et se fourrer avec un bel entrain dans les ennuis. Certains épisodes sont hilarants (la lecture poétique dans une librairie indépendante, entre autres), d'autres nettement plus émouvants.
Entre considérations sur l'écriture et description au vitriol du microcosme cinématographique , on passe un excellent moment de lecture !
Merci à Cuné qui a su me donner envie !
Enfant terrible, John Niven, traduit de l'anglais par Nathalie Peronny, Sonatine 2015, 415 pages revigorantes !
06:00 Publié dans Humour, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : john niven
07/06/2015
En cas de forte chaleur...en poche
"Il a beau se reposer sur elle, éprouver pour elle un attachement jamais démenti, elle n'a aucune idée de ce qui se passe derrière ces lunettes, ignore quelles pensées couvent sous ces cheveux gris épais."
En cet été caniculaire de 1976, un événement vient chambouler la routine d'un coupe de retraités: Robert part acheter son journal et ne revient pas. Gretta ,sa femme, donne l'alerte et les trois enfants adultes se rassemblent pour faire front malgré leurs dissensions et leurs secrets."Comment se fait-il qu'au bout de vingt-quatre heures passées en famille, on se retrouve adolescente ? Est-ce que cette régression va perdurer ? ", se demande la benjamine rebelle ,Aoife.
Maggie O'Farrell scrute avec bienveillance la manière dont se remettent aussitôt en place les vieilles rivalités , mais aussi les anciens rôles ,quand la fratrie se réunit. à cette situation s'ajoutent les crises personnelles que Aoife , son frère Michael Francis et sa sœur Monica traversent, de manière bien différente.
La vie n'est jamais tranquille dans cette famille irlandaise exilée à Londres et cette constellation familiale , pleine de contradictions, réserve bien des surprises. Mais plus qu'à ces rebondissements, c'est à l'intimité de chacun que s'attache l'auteure, à la relation que chacun tisse avec les autres, par delà les mots et le temps, de manière infinitésimale. Un style imagé et limpide, des personnages plus qu'attachants et une narration fluide qui ne vous lâche pas en route. Un gros coup de cœur , malgré une fin un peu convenue, constellé de marque-pages
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : maggie o'farrell
06/06/2015
L'invité du soir...en poche
"Tout était calme, mais chacun des meubles avait l'air comme détaché de ses amarres dans cette lueur plate et insipide, comme s'il s'était égaré à force de vouloir paraître à l'ordinaire. Ruth a eu le sentiment que sa maison toute entière lui mentait."
Une maison isolée de la côte australienne. Une vieille dame de 75 ans dont la santé décline mais qui tient à son indépendance, Ruth, y habite en compagnie de deux chats. Un soir, elle entend un tigre dans sa maison. Arrive alors un personnage tour à tour salvateur et rudoyant, Frida, aide-ménagère envoyée par le gouvernement.
S'instaure alors un climat troublant , oscillant entre tendresse et inquiétude, manipulation et hallucinations. L'écriture fluide et poétique de Fiona Mc Farlane instille le doute, fait froncer les sourcils, battre le cœur. Tout à tour ,on frémit, on partage la douce rêverie amoureuse de Ruth, on croit avoir compris ,mais tout est beaucoup plus subtil et intriguant que prévu.
La description de cette emprise étrange, où tout peut basculer à la seconde, mais aussi de cette femme âgée qui avait appris "grâce à ce drôle de miroir qu'était le visage de Jeff, qu'elle en était au stade où ses fils s'inquiétaient pour elle", de sa relation au temps, "Oh la douce étendue vertigineuse du jour, le remplissage plus ou moins réussi de toutes ces heures.",à la mort qu'elle espère "aussi extraordinaire que son commencement" sont tout à fait fascinantes.
En lisant, ce premier roman où la mer mais aussi la jungle de l'enfance fidjienne de Ruth ont la part belle, j'ai songé tour à tour à l'écriture de Virginia Woolf et Au barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras , le tout relevé d'une pointe lancinante de soupçons hitchcockiens. J'ai été soufflée !
Bravo à la traductrice, Carine Chichereau qui a su rendre l’atmosphère troublante de ce récit où d'une phrase à l'autre la tonalité peut changer.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fiona mcfarlane
05/06/2015
Le charme discret de l'intestin
"Nous modifions parfois notre flore intestinale, et parfois, c'est elle qui nous modifie. Nous sommes son climat et ses saisons .Et elle peut nous soigner comme nous empoisonner."
Ce n'est pas la première fois que je m'attelle à la lecture d'un ouvrage documentaire sur l'intestin mais c'est bien la seule fois où j'ai réussi à le terminer et , de surcroit, à regretter qu'il soit déjà fini !
Grâce au style, à la fois imagé et clair, de Giulia Enders, à son enthousiasme contagieux pour un sujet qui visiblement la passionne, on comprend enfin le fonctionnement de cet organe souvent malaimé et considéré comme moins "noble" que le cœur par exemple et on apprend plein d'informations surprenantes le concernant !
Si par hasard nous n’avions pas compris, la technique de la balançoire, par exemple, les illustrations de la sœur de l'auteure sont là pour nous aider.
Le charme discret de l'intestin, Giula Enders, traduit de l'allemand par Isabelel Liber, Actes Sud 2015, 351 pages piquetées de marque-pages.
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : giulia enders
04/06/2015
Les morts renaîtront un jour
"Je le fais pour moi-même.Parce que je ne veux pas être asservie aux morts toute ma vie. Comme il l'était."
Dans une Allemagne fraichement réunifiée, Käthe, juive réfugiée depuis plus d'un demi-siècle aux États-Unis, revient à Berlin pour la première fois. Las, son cadavre est retrouvé au bas d'un mémorial de la déportation.
Persuadée, contrairement à la police, qu'il ne s'agit en aucune façon d'un suicide, sa petite nièce, Maja mène sa propre enquête, dans un pays où le passé est toujours à vif.
Maja, porte-parole de la jeune génération, prend en charge un passé dont son père voulait faire l'économie car trop douloureux et cette mission elle va la mener au péril de sa vie.
Malgré quelques maladresses dans la progression du polar, qui n'est ici visiblement qu'un prétexte pour revisiter des thèmes vraiment passionnants (la résistance juive dont on ne parle quasiment jamais, la restitution des biens juifs qui avaient été "aryanisés", la réunification réveillant d’anciennes blessures...), on prend beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman, un peu dans la facture des textes de Didier Daeninckx.
Un bon moment de lecture et un roman prenant.
Les morts renaîtront un jour, Christoph Ernst, traduit de l'allemand par Brice Germain, Black Piranha 2015, 332 pages .
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : christoph ernst
02/06/2015
Un odieux virus (même pas informatique)...
...m'ayant mise Hors-service, je vous dis à bientôt ! :)
10:27 | Lien permanent | Commentaires (12)
30/05/2015
Bilan de mai
En mai, j'ai fait une orgie de séries :
*Spotless , où Denis Ménochet joue de son physique de gros nounours à la fois tendre et bagarreur (il faut voir avec quelle délicatesse il vient en aide à sa nièce qui a ses règles pour la première fois). L'histoire ? Assez classique : deux frères français , unis par un secret d'enfance ,doivent faire face à une bande de bandits anglais qui les ont contraints à nettoyer leurs scènes de crimes . Rangée dans la catégorie humour ( il faudrait préciser humour noir), cette série vaut surtout par ses personnages et la ville de Londres qui en est un à part entière. à part ça on y voit une jolie femme blonde débiter à longueur de temps des légumes au couteau sur une magnifique table en bois dans une maison trop craquante, tandis qu'une autre jolie femme (dans un tout autre genre), brune cette fois ,se balade , un plaid sur les épaules ,dans un magnifique manoir anglais, sans doute plein de courants d'air. So chic !
*American crime, regardé surtout pour Felicity Huffman, ex desperate housewife, dans un rôle pas du tout glamour, quasi enlaidie, et qui incarne une mère de famille raciste, comme M. Jourdain, faisait de la prose , sans le savoir. Ou plutôt, sans même s'en rendre compte. L'assassinat de son fils va avoir des répercussions sur une galerie de personnages différents, incarnant des facettes de la société américaine. une série souvent déstabilisante par sa réalisation et ses partis pris de mise en scène et un portrait glaçant du fonctionnement de la justice américaine.
*True detective avec le si troublant Mathhew Mcconaughey, pour son ambiance envoûtante (bon, il n'y a pas que l'ambiance qui le soit) dont l'intrigue est aussi tortueuse que les méandres de la famille impliquée dans une série de crimes dont personne ne veut entendre parler.
Trop peu de films marquants : Bird people , trop long d'une demi-heure.
et un gros coup de cœur pour Week-ends, dont les acteurs sont tous épatants et qui, sur une trame hyper classique: deux couples d'amis de trente ans (ils ont maintenant la petite cinquantaine) doivent faire face à l'envie d'aller "ailleurs " de l'un d'entre eux , incarné par Jacques Gamblin. Sachant que leurs maisons de campagne en Normandie se font face,voilà qui va en outre compliquer la situation et entraîner des conflits de loyauté.
Quelle merveille de délicatesse et d'inventivité ! On échappe à tous les poncifs du genre. Pas d'engueulades frontales entre les conjoints, remplacées par des scènes quasi muettes où Karin Viard et Gamblin se battent comme Gnafron et Guignol ,dans leur voiture, ellipses narratives laissant le spectateur décider de ce qu'il advient , ou pas, c'est un pur régal !
Aucune explication psychologisante n'est donnée et quand on se sent directement concernés par la situation, on ne peut que faire comme l'autre couple d'amis: se serrer dans les bras l'un de l'autre pour mieux savourer sa chance !
12:20 Publié dans je l'ai vu ! | Lien permanent | Commentaires (10)
29/05/2015
La ballade d'Hester Day...en poche
"J'imagine que quand tu épouses secrètement un poète qui veut t'exploiter comme matériel littéraire, il vaut mieux que tu prennes au moins une minute pour réfléchir à ce que tu dirais à tes parents s'ils venaient à découvrir le pot aux roses. Moi, je n'y avais pas pensé."
Capable de programmer l'adoption d'un enfant dès sa majorité toute proche, comme d'agir sous une impulsion, Hester Day se retrouve dans un road movie, brinquebalée entre son mari poète et son très jeune cousin. Qu'elle les connaisse tous deux à peine ne la dérange pas le moins du monde !
Vouée d'emblée à l'échec cette épopée vaut pour les rencontres que nos anti-héros vont effectuer et par la manière si particulière d’Hesther d'envisager sa vie. N'empêche qu'on n'aimerait pas être à la place de sa mère !
367 pages hérissées de marque-pages et un excellent moment en compagnie d'Hester Day !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : mercedes helnwein