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07/06/2021

Faut pas rêver

"La conversation se poursuivit en français sur des sujets anodins ,comme l'allaitement maternel, les placements immobiliers ou la crise des vocations chez les tueurs professionnels."

 

N'était sa propension à parler en dormant , tout en ayant des rêves fort agités, Carlos cocherait toutes les cases du compagnon et futur papa parfait: tendre et attentionné , il a même eu la bonne idée de se reconvertir en sage-femme.
De plus, il attise la curiosité de son infortunée compagne de lit, Louise, car il s'exprime en espagnol, langue à laquelle elle ne comprend rien, ou presque. La jeune femme décide donc, d'enregistrer ses logorrhées et de les faire traduire par une amie, Jeanne.pascale dietrich
Las, elle découvre un motif récurrent qui semble hanter les nuits de Carlos: un homme dans une voiture , balancé à la mer. Son amoureux est-il pour autant un criminel ? 
Pour en avoir le cœur net, Louise et Jeanne se rendent à Marbella, lieu qu'elles ont réussi à identifier.
Commencé sous les auspices de la comédie, Faut pas rêver vire rapidement au cauchemar, mais Pascale Dietrich sait doser comme personne ces deux registres et nous entraîne à la suite de ses personnages dans un roman échevelé qui égratigne au passage la corruption immobilière et nous permet de glaner au passage plein d'infos sur les rêves.

 

Liana Levi 2021

De la même autrice: sorti en poche :

"Elle en avait marre que les hommes s’accaparent le pouvoir alors qu'ils étaient moins compétents qu'elle. Puisqu'on ne la laissait pas monter en grade, elle allait faire le ménage."

Leone Acampora , vieux mafioso grenoblois, est sur le point de mourir. Ce que sa famille ignore encore c'est qu'il a lancé un contrat sur la tête de sa femme infidèle, car on ne rigole pas avec l'honneur dans la mafia.
Ses deux filles , Dina et Alessia ,vont tout faire pour sauver leur mère et , par la même occasion, Alessia entend bien prendre la tête de la mafia locale car il est grand temps que les hommes et leurs valeurs rétrogrades cèdent le pouvoir aux femmes qui l'exercent en sous-main depuis des années
C'est bien la première fois que je me lance dans un roman ayant pour thème la mafia (même pas vu ou lu "Le Parrain", c'est dire...) mais j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman qui fait la part belle aux femmes, et égratigne au passage les organisations humanitaires : "Au fond les organisations humanitaires et la mafia constituaient deux réponses opposées à un même problème: ces organisations se développaient quand c'était le chaos et que L’État ne faisait pas son boulot. La mafia offrait un statut et des ressources à ceux qui ne trouvaient pas de place dans l'économie légale. Quant aux ONG, elles aidaient à peu près les mêmes à survivre sans jamais inquiéter les gouvernements véreux ni s'attaquer aux véritables injustices. Pire, elles rattrapaient les dégâts et permettaient au système de perdurer."pascale dietrich
Les personnages sont bien croqués, l'écriture est pleine d'humour et les 151 pages se tournent toutes seules ou presque.

 

 

02/06/2021

Le plongeoir

"Je n'avais rien à leur prouver, à ces cons-là ! je plonge si je veux. Pas parce qu'on me lance un défi. Je ferai les choses quand je serai prête. Et même si je ne plonge jamais de ma vie, cela gêne qui ? "

Trois nouvelles mais deux thèmes communs: l'eau et le jeu qui se transforme en contrainte, en harcèlement. Trois points de vue  également: celui de la jeune fille que deux lourdauds voudraient contraindre à plonger; celui du harceleur qui oblige son cousin à apprendre à nager , en lui faisant frôler de peu la noyade; enfin celui du témoin passif, en l’occurrence la mère d'un ado qui voudrait contraindre sa copine à nager  tout de suite alors qu'elle voudrait prendre son temps, jugeant l'eau trop froide.elsa devernois
Des situations en apparence anodines, dont les adultes ne prennent pas toujours la mesure du traumatisme qu'elles peuvent engendrer et qu'Elsa Devernois peint avec beaucoup de finesse et d'efficacité en quelques pages.

 

Merci à Babelio et Talents Hauts pour cette découverte.

01/06/2021

Canoës

"Ni errance, ni même exploration, ces heures s'étirent dans une forme d'appréhension excitée, un jeu ouvert, où la monotonie de la banlieue , sa continuité infinie , mais aussi les échappées sur les collines, dans les plis rocheux de la montagne, peuvent à tout moment faire revenir une image, une pensée, une voix, et relier en moi ce qui se tient disjoint."

"Roman en pièces détachées", comme le décrit-elle-même l'autrice, Canoës explore la nature de la voix humaine, dans ce qu'elle peut avoir de plus ténu et de plus révélateur en sept textes, "sept satellites"  gravitant autour d'une novella centrale.maylis de kerangal
Les canoës, qui servaient autrefois à transmettre les messages dans les régions lacustres  se retrouvent dans chacun des textes, soit sous une forme discrète (en pendentif, par exemple) ou plus massivement. Ce qui relie également ces textes, ce sont les périodes troublées dans lesquelles évoluent les personnages, que ce soit ce veuf qui refuse d'effacer la voix de sa femme sur le répondeur ou cette narratrice de "Mustang" qui vient de perdre l'enfant qu'elle portait, ce qui est mentionné très discrètement ,et se trouve confrontée à un nouveau pays où la voix de son amoureux a changé, comme pour mieux s'adapter.
Qu'on s'interroge sur la voix que pouvaient avoir les derniers chasseurs-cueilleurs de la préhistoire, qu'on rencontre une amie qui veut rendre sa voix plus grave pour l’adapter aux critères d'un possible emploi à la radio , on est toujours au plus près de ces personnages et de leurs préoccupations tant le style de Maylis de Kerangal exerce un charme (au sens premier du terme) efficace et prégnant.

Verticales 2021.

31/05/2021

#Deuxpetitesbourgeoises #NetGalleyFrance

"L'amitié était pour Esther facile, évidente, sans effort, durable, quand l'amour à chaque fois se fragmente."

Héloïse a toujours respecté les règles, bossé dur pour réussir et semblait avoir coché toutes les cases de la réussite et de la normalité. Esther, dont le parcours ressemble comme deux gouttes d'eau à celui de l'autrice, est plus bohème, moins dans la sécurité, ce qui inquiétait son amie Héloïse.colombe schneckchneck
Issues du même milieu, à quelques nuances près, ces deux amies se sont connues très tôt, ont porté presque les mêmes marques de vêtements, évolué dans le même milieu, celui de la bourgeoisie.
Mais voilà Héloïse est morte bien trop tôt et nombreux sont ceux qui refusent de l'évoquer après son décès. Esther prend donc la plume pour évoquer de manière distanciée, sans aucun pathos, la relation qui les unissait, parfois en pointillés, décrivant avec beaucoup de sincérité ses réactions , même teintées de lâcheté , face à cette mort annoncée. Un roman qui semble parfois léger mais d'une sensibilité poignante.colombe schneckchneck

Stock 2021

17/05/2021

L'octopus et moi

 " C'est parce que les pieuvres voulaient dire quelque chose pour moi: quelque chose qui parle de sacrifice féminin, de persévérance, de la futilité de tout ça, quelque chose qui dit que nos corps peuvent rater , ou peuvent être forcés de rater, et que pourtant on continue comme on peut..."

 

Lucy , jeune femme australienne qui vit et travaille en Tasmanie, rencontre une nuit une pieuvre qui cherche à traverser une route pour rejoindre la mer et y pondre ses œufs. Rencontre improbable et violente qui  va mettre le corps de Lucy a rude épreuve (alors qu'il a déjà été mis à mal par le cancer ) et la forcer à reconsidérer tout à la  fois ce qui fait sa féminité et sa place dans la Nature.erin hortle
Ce roman est tout à la fois l'occasion de découvrir un territoire sauvage, ses habitants (qui se définissent eux-mêmes en "bouseux" ou "hippies") , un territoire malmené par certains alors que d'autres essaient, parfois juste en paroles de le préserver.
Il est aussi question de la volonté de "ne pas seulement vivre de la nature  mais dans la nature, l'immersion.", ce qui ne va pas sans rudesse ni contradictions. Et c'est bien ce qui fait, en plus de l'écriture précise et poétique de ce premier roman, la richesse de ce texte.
Lucy se cherche, tâtonne, commet des erreurs et n'assène jamais de vérités inébranlables. Son rapport au corps, tout comme ses sentiments, évolue et les passages consacrés à certains animaux proposent des  contrepoints originaux. L'humain n'est donc pas le seul ici à donner son point de vue.
roman où il est aussi question de conserves, de tricot, de pêche et de tout ce qui peut paraître banal, mais crée du lien. Un roman souvent sur le fil et qu'on ne peut lâcher qu'à regret.

Traduit de l’anglais (Australie) par Valentine Leÿs, Éditions Dalva 2021.

15/05/2021

Petits vices et gros défauts

"Elle lui avait répondu : "Tu cites Sautet dans Les Choses de la vie, mais tu n'as pas le charme de Piccoli au volant". "

Ces sept fameux péchés capitaux ne proviennent pas de la Bible, comme nous l'indique Ariane Bois dans son introduction , mais d'un moine en Égypte et au départ il y avait adjoint la tristesse. delphine bertholon,ariane bois,sophie carquain,dominique dyens,gaëlle josse,agathe ruga,marie sellier
Si sept écrivains s'étaient déjà penchés au siècle dernier sur la paresse, l'avarice, l'orgueil, la gourmandise ,l'envie, la luxure et la colère , ce sont maintenant sept femmes qui nous livrent des textes tour à tour malicieux, cruels, sensibles,  jouant parfois de l'ambiguïté pour mieux surprendre ,mais toujours pertinents sur ces thèmes éternels .
Ces nouvelles sont aussi l'occasion de donner un coup de projecteur sur bien des aspects de notre société  (gestation pour autrui, tics de langage , colocation...)et le format court ne devrait pas rebuter car, en quelques pages, nous est livré un concentré d'émotions variées. En plus, c'est en poche , alors ne pas craquer serait un péché !

 

Éditions Charleston 2021,180 pages, Delphine Bertholon, Ariane Bois, Sophie Carquain, Dominique Dyens, Gaëlle Josse, Agathe Ruga, Marie Sellier.

14/05/2021

Sous le signe des poissons

"Étais- je si vide que ça pour avoir besoin que quelqu’un d'autre délimite une frontière et me dise qui j'étais ? "

Lucy, trente-huit ans, ne parvient pas à terminer sa thèse sur Sappho, sans doute par peur de ce qui pourrait se passer ensuite. Elle vient de rompre avec son petit ami et sombre dans la dépression. Pour la tirer de là, sa demi-sœur l'invite à venir garder sa superbe maison de Los Angeles à condition qu'elle garde son chien diabétique, Dominic, et qu'elle participe à une groupe de parole de femmes.
L'évolution, très fouillée du point de vue psychologique, de Lucy est intéressante et ne sombre ni dans l'angélisme ni l'optimisme à tout crin. La franchise de cette femme en ce qui concerne tout ce qui est corporel (et pas que les relations sexuelles, décrites de manière très crue) , peut déranger mais participe de cette volonté de rien (se) cacher.melissa broder
En dépit de quelques longueurs, on suit jusqu'au bout cette anti héroïne et le tournant mythologique qui s'opère dans la dernière partie du texte lui confère une dimension symbolique originale et puissante.
Un roman dérangeant qui peut aussi agacer.

 

Christian Bourgois 2021, traduit de l'anglais (E-U) par Marguerite Cappelle

 

11/05/2021

Fête et défaites

Camille et Laurent, veulent se pacser en toute intimité , au grand dam des parents de la Belle, qui rêvaient d'un parti plus adapté à leur standing,  et entendent bien organiser une fête qui épatera famille et amis.antoine cristau
Avec ce point de départ qui ne peut qu'engendrer tensions et stress  au sein d'une journée où chacun se sent un peu déjà sous pression, Antoine Cristau use d'un procédé original: il ne nous livre qu'une succession de premières pages mettant en scène les différents protagonistes de la fête, de la famille, aux invités, en passant par le personnel engagé pour le repas , sans oublier le chien . L'unité sera donnée par le temps, la journée de fête et les points de vue s'enchaîneront sans heurts et souvent avec humour, l'auteur se jouant des attendus du lecteur et de la polysémie des mots pour mieux le surprendre. On aurait aimé que le style soit un peu plus travaillé et les polices parfois un peu moins minuscules, mais on passe un bon moment de détente, sans oublier d'admirer les illustrations de couverture.

 

Merci aux Éditions du Cherche-Midi et à Babelio pour cet envoi.antoine cristau

10/05/2021

Un colosse

"Jean-Pierre sera glorieux, mais il continuera à travailler la terre."

Jean-Pierre Mazas naît dans le sud-ouest de la France en 1847 et ne commence à grandir de manière démesurée qu'à partir de 16 ans . Ce gigantisme facilité sa tâche de laboureur mais bientôt il deviendra aussi lutteur et sa notoriété dépasseras frontières.pascal dessaint
Pascal Dessaint, délaissant le roman noir, se penche ici sur une destinée hors-normes, celle d'un homme qui finira phénomène de foire  et curiosité scientifique dans un monde qui évolue très rapidement par certains côtés, mais conserve aussi certains vestiges du passé.
Le romancier mène l’enquête, rétablit quelques vérités et/ou approximations et peint un tableau plein de vie d'une société qui exhibe sans honte ceux qu’elle considère comme des monstres. C'est donc l'histoire d'un corps, mais aussi d'un paysan, tous deux voués à un destin tragique que nous propose Pascal Dessaint.Un récit court, un peu plus de 120 pages, mais dense.

 

Rivages 2021.

06/05/2021

#UnechambreenAllemagne #NetGalleyFrance

"Je préfère vivre pour toujours en réfugiée, me glisser dans le lit des autres, petit-déjeuner dans des tasses étrangères, des tasses que je n'ai pas choisies et qui m'indiffèrent et ne même pas me rappeler le nom de la rue dans laquelle je me réveille. Je préfère m'étonner en ouvrant la fenêtre, me demander comment est e quartier, comment ce serait de vivre ici avec des  histoire, ou avec les histoires des autres parce que de toute façon tout est toujours partout tellement pareil."

De sa vie en Argentine, nous ne connaîtrons que des bribes qui viendront par petites touches brosser le portrait de cette jeune femme venue en Allemagne,  à Heidelberg "pour dormir et marcher. Dormir et marcher ne semblent pas grand-chose, mais ce sont deux bonnes choses." Elle est aussi venue mettre ses pas dans ceux de ses parents qui , fuyant la dictature, s'étaient réfugiés dans cette ville , où la narratrice était née et avait vécu ses premières années.
Deux parenthèses  enchantées qui se font écho, teintées de mélancolie, de tendresse aussi, mais où rôde en permanence, à la lisière, la mort.carla maliandi
Cette jeune femme est en perpétuel décalage, en léger retrait, par sa nationalité bien sûr,  son âge (elle est un peu plus vieille que les étudiants de la résidence où elle a trouvé refuge), mais aussi son humour ("Étudier en Allemagne, pour un Japonais, c'est comme sortir faire la fête" )ce qui lui permet de cultiver l'étonnement qu'elle recherche.
Au fil de rencontres, de ses déambulations dans la ville et ses alentours, nous la suivons  et le charme agit puissamment. Nous aussi, à l'instar de Mario, son vieil ami retrouvé, nous aimerions pouvoir la serrer dans nos bras et ressentir cette "tendresse si sincère". 160 pages enchantées.

Un premier roman qui file sur l'étagère des indispensables.

 

Éditions Métailié 2021. Traduit de l'espagnol par  Myriam Chirousse