22/04/2022
Les femmes aussi sont du voyage
"Sans le concours des esclaves, domestiques, cuisiniers, interprètes et autres subalternes , un grand nombre d'explorations auraient été rendues impossibles. "
Aujourd'hui encore le voyageur est majoritairement un homme, blanc et occidental de surcroît. Pourtant, bien que reléguées dans la sphère domestique, des femmes ont enfreint les règles de la société et se sont lancées dans des voyages.
Une femme ayant réalisé un périple suscite de nombreux avertissements avant, voire le soupçon après (a-t-elle vraiment réalisé cet exploit? ) et si elle part en couple ou en famille, elle sera reléguée dans l’ombre de son compagnon.
Changeant de perspective, étayant ses propos de nombreux exemples, Lucie Azema démontre en deux parties les liens du voyage avec la démonstration de la virilité et la misogynie qui lui est inhérente.
Elle pointe aussi du doigt la nécessité de décoloniser le voyage et la fétichisation du corps des femmes dans les récits de voyage, que ce soit dans l'évocation des harems ou des bordels.
Elle affirme enfin l'effet émancipateur du voyage pour les femmes ainsi que les mensonges et les approximations dont se rendent souvent coupables certains grands voyageurs dont la misogynie peut mettre en péril la vie de celles qu'ils accompagnent.
Un essai qui suscite l'envie de dévorer une brassée de récits de voyages ...au féminin !
Flammarion 2021.
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : lucie azema, femmes, voyages
19/04/2022
Felis silvestris
"Ce qui nous sauve , c'est que nous sommes capables d'oubli et d'émerveillement. "
Felis Silvestris , tel est le nouveau nom que s'est choisi une jeune femme venue défendre une forêt menacée de destruction. Là, elle vit son amour des arbres , de la liberté, de la marge.
Une situation difficilement supportée par sa famille et chacun à sa façon manifeste son inquiétude et tend des fils vers la jeune femme au gré de ses fixations: la borréliose pour le père, le chant des oiseaux (la mère), le lombricompostage (la sœur).
Entrecoupant chaque chapitre, une question revient comme un refrain: "- Et ta sœur, elle en est où, elle fait quoi ? ". Les réponses évoluent jusqu'à s'ouvrir sur un futur qui redonnera son assise à Felis .
Un premier roman hypnotique, poétique, irrigué par un amour féroce des arbres en général et de la forêt en particulier. à découvrir impérativement.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : anouk lejczyk
13/04/2022
#Printemps #NetGalleyFrance !
"Si vous passez devant un buisson ou un arbre, vous ne pourrez pas ne pas l'entendre ce bourdonnement mécanique, la nouvelle vie déjà à l’œuvre, l'usine du temps. "
Le printemps est la saison où le temps semble parfois devenu fou, alternant froidure brutale et soleil estival , où la mort et la vie semblent lutter pied à pied . Ce n'est en rien une saison mièvre et Ali Smith nous le démontre dans cet opus particulièrement déstabilisant, violent et captivant pour qui accepte de se laisser malmener dans sa lecture.
Flots de paroles violentes anonymes (provenant des réseaux sociaux, des médias, de la rue ? ) captant bien la Grande-Bretagne contemporaine, claironnant la haine de l'Autre, de l’étranger, dévalent d'emblée sur le lecteur telle une avalanche étouffante.
Cette image de l'avalanche reviendra par ailleurs, sublimée par l'évocation des œuvres d'une artiste , Tacita Dean. car il est aussi beaucoup question d'art et de distorsion de la réalité.
Nous croiserons ainsi la route de Richard,réalisateur de télévision, qui ne se remet pas du décès de son amie Paddy, sur le point de participer, sans grand enthousiasme, à un projet mettant en scène Rilke et Katherine Mansfield. Comment rencontrera-t-il Bretagne , gardienne dans un centre de rétention et cette mystérieuse petite fille, Florence, qui semble hypnotiser tous ceux qu'elle croise et les plier en douceur à sa volonté ?
C'est tout l'art d'Ali Smith que de flouter les frontières dans un pays qui les réaffirme avec force ,de générer le chaos ,afin de mieux souligner celui du monde dans lequel nous évoluons. Un roman éprouvant mais nécessaire.
Grasset 2022. Traduit de l'anglais par Laetitia Devaux. Un travail remarquable.
13:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : ali smith
07/04/2022
Hamnet...en poche
Comment auraient-elles pu savoir qu'Hamnet était la pierre angulaire ? Que sans lui , tout se fragmenterait , se briserait comme une tasse tombée par terre ? "
De William Shakespeare il ne sera jamais nommément question. Il n'est d'abord envisagé ici que comme le fils du gantier , un fils "sur lequel personne n'aurait parié, qui depuis toujours était passé pour un bon à rien", celui qui, contre l'avis de tous a épousé une campagnarde, un peu sauvage et férue d'herbes, Agnes, à qui il a donné trois enfants. Une femme qui, voyant que son mari ne pouvait s’épanouir dans l'ombre d'un père trop violent, l'a mené sans qu'il s'en rende compte à sa vocation : les mots, le théâtre, Londres. et tant pis si cela l'éloignait du reste de sa famille.
Maggie O'Farrell s'empare donc ici de la biographie de l'auteur d’Hamlet par le biais de sa famille et du drame qui, on le sait d'emblée , va frapper son fils, Hamnet, deux orthographes pour le même prénom. Pourtant l'autrice maintient une tension extrême et l'émotion est à son comble quand le petit garçon meurt . A son habitude Maggie O'Farrell dépeint avec sensualité et empathie des destins de ses personnages, car il est bien question de destin ici et la tragédie ne pourra être évitée .Alors que j'ai beaucoup de mal avec les romans historiques, j'ai été emportée par le récit et par les émotions souvent puissantes qu'il génère chez le lecteur.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : maggie o'farrell
06/04/2022
On adorait les cow-boys
"C'était tellement calme que parler à voix haute ressemblait à un abominable crime environnemental. "
Faire un road-trip au beau milieu de nulle part, dans le Rio Grande do Sul, une région paumée du Brésil, Cora et Julia en avaient parlé durant leur adolescence.Et voilà qu'après des années de silence, la sage Julia contacte la délurée Cora pour relancer l'idée.
L'occasion pour toutes deux de revenir au pays natal et de renouer avec leurs familles respectives, leurs secrets, leurs évolutions, mais aussi de reprendre ou pas une relation amoureuse que Julia n'assumait sans doute pas.
Avec beaucoup de délicatesse, une écriture précise , teintée de mélancolie mais aussi d'humour, Carol Bensimon brosse le portrait de deux jeunes femmes qui ne veulent pas entrer dans des cases, qui ont encore un pied dans l’adolescence, un pied dans l'âge adulte et tentent de concilier leurs aspirations et la vie .
Au fil des kilomètres, des allers retours entre passé et présent, il ne se passe apparemment pas grand chose, mais c'est à chacun de compléter les pointillés et de se laisser séduire par ce voyage singulier.
Traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec.
Éditions Belfond 2022
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carol bensimon, brésil, gay friendly
31/03/2022
La folie de ma mère...en poche
"Enfant, tu m'as toujours effrayée. Pourtant tu n'étais pas méchante. Tu imposais peu de choses, les choses s'imposaient. La zone dangereuse n'était indiquée nulle part. Mais l’enfance est poreuse aux exhalaisons adultes. "
En un peu plus de 120 pages, Isabelle Flaten réussit un tour de force : nous raconter, de manière épurée et bouleversante, l'histoire d'une relation mère-fille placée sous le signe du déni, du mensonge ,de la folie, mais aussi de l'amour.
Quand "Rien ni personne n'est fiable.", comment parvenir à se construire ? La narratrice y parviendra quand même et ,adulte, découvrira un secret de famille qu'elle était la seule à ignorer.
On est happé par ce texte pudique, qui ne tourne jamais au règlement de compte, utilise avec brio les ellipses, sans jamais perdre de vue son lecteur, et ne tombe pas dans le pathos. J'ai été tenue en haleine, remuée au plus profond de moi et suis sortie la gorge nouée de cette lecture.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Seuil 2022Le Nouvel Attila 2020. Points Seuil 2022
De la même autrice : clic
A noter la magnifique illustration de couverture de Juliette Lemontey.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : isabelle flaten
28/03/2022
Au chevet des arbres
Sous-titré Réconcilier la ville et le végétal, ce document nous permet de découvrir une profession peu développée et peu connue, celle d'expert arboricole.
Aux parcours très différents, ces praticiens interviennent à la demande de particuliers ou de collectivités pour décider le plus souvent du destin d'un ou plusieurs arbres.
Il s'agit souvent d'évaluer la dangerosité d'un spécimen ou d'évaluer son état de santé. L'auteur , qu'on sent passionné par son métier ,nous fait ainsi découvrir par des cas concrets la difficulté d'"ausculter" un "patient" par définition silencieux et dont il est très difficile souvent d'évaluer l'âge.
Au fil du texte, nous prenons également conscience de l'absence de véritable protection d'un patrimoine, par ailleurs fort riche, mais que d'aucun sacrifient allègrement sur l'autel de la rentabilité ou du principe de précaution...
Un texte riche et illustré (en noir et blanc) par des photos qui donnent envie de voir "en vrai" ces arbres souvent spectaculaires.
Merci à Babelio et aux Éditions Le Mot et le reste.
06:00 Publié dans Document | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : david happe
25/03/2022
Les pantoufles...en poche
"Je lui envoyai alors, en travers de la gueule, l'expression la plus sincère de mon indifférence. "
Par étourderie, notre narrateur se retrouve à la porte de chez lui, les clés à l'intérieur et en pantoufles.Faisant un pas de côté, il décide néanmoins d'aller ainsi chaussé au travail . Là, petit miracle, les charentaises, peut être parce qu'elles changent son rapport à la proprioception, mais aussi au monde, vont l'inspirer et son discours charmera même (tels sont ses termes) son irascible supérieure.
Les micro aventures vont alors s'enchaîner et entraîner notre héros dans des milieux en tous points différents mais où il s’adaptera avec aisance.
Le plus difficile était sans doute de terminer cette fable souriante et bon enfant, Luc-Michel Fouassier y est parvenu sans trébucher.
Le style est alerte, plein de références littéraires ou musicales et le héros manie avec élégance le registre soutenu dans la conjugaison sans que cela fasse cuistre. Sans donner de leçon, ses 113 pages nous invitent à oser être farfelu et à savoir faire des pieds de nez au destin. Un roman court et délicieux.
06:03 Publié dans Humour, l'amour des mots, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : luc-michel fouassier
24/03/2022
#Coupez #NetGalleyFrance !
"Le grand danger quand on cherche des réponses ,c 'est qu'on risque de les trouver. "
Passer presque un quart de siècle en prison pour le meurtre de son amant et recouvrer la liberté à soixante-douze ans dans un monde où " Il lui fallait sans cesse se rappeler que tout le monde s'attendait désormais à ce que tout soit instantané et que le moindre délai représentait un intolérable désagrément , que seul le recours à un téléphone portable pouvait atténuer. " n'est pas aisé. D'autant qu'elle n'a pas su se défendre et lutter contre l'institution juridique.
Un autre personnage qui ne se sent pas à sa place ,c'est Jerry, étudiant en cinéma, d'origine modeste, et fan des films d'horreur de série B. Quittant la résidence universitaire, trop onéreuse et hostile à son goût , il emménage en colocation avec des personnes âgées, dont Millicent.
Avec son fichu caractère , la vieille dame ne lui facilite pas la tâche ,mais découvrir qu'elle officia en tant que maquilleuse experte sur les plateaux des films qu'il adore, dont le fameux Mancipium que personne n'a vu, leur permettra de nouer des liens. Lien qui se resserreront quand Millicent découvrant par hasard un détail qui remet en question toutes ces certitudes quant à son amant se met en tête de renouer avec ses anciens , afin de mettre à jour la vérité.
Le duo improbable commence alors un road trip qui se transformera vite en course poursuite où les morts se multiplient...
Alliant les qualités hétéroclites de ses héros, Brookmyre nous fait découvrir avec gourmandise l'univers des séries B gore, fustigeant au passage notre société contemporaine. L'intrigue est juste parfaite et les 500 pages se tournent toutes seules, alternant passé et présent, multipliant les rebondissements sans jamais forcer le trait.
Un récit haletant, un univers aux antipodes de mes goûts mais que l'auteur rend passionnant, une bonne dose d'humour, souvent noir, des personnages attachants, tels sont les ingrédients d'un roman juste indispensable.
Éditions Métailié 2022, traduit de l’écossais par David Fauquemberg
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christopher brookmyre
21/03/2022
Pourquoi pas la vie
"Son génie, ce sera d'être vivante. "
Là où d'aucuns jouent avec la réalité historique à des fins souvent pessimistes (que ce serait-il passé si l'Allemagne nazie avait gagné la guerre, par exemple) , Coline Pierré prend l'exact contrepoint et imagine que la poétesse américaine Sylvia Plath (qui s'est suicidée au gaz) a échappé à la mort.
La jeune femme va donc devoir composer avec un mari , Ted Hughes poète reconnu, mais père et mari plus que défaillant, son rôle de mère et sa volonté de création. Le tout dans le swinging London, où les Beatles colonisent les ondes.
Avec beaucoup de nuances, sans jamais stigmatiser ni idéaliser, l'autrice évoque les problématiques qui restent contemporaines pour les femmes créatrices et propose ici le récit d'une émancipation progressive par le biais de femmes atypiques qui aideront Sylvia à se dégager de ses conditionnements et de sa dépression. Un roman qui réchauffe le cœur et aiguise la réflexion.
Éditions de l'Iconoclaste 2022.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : coline pierré