10/11/2025
Carrie
"D'abord le sang, ensuite le pouvoir. "
Parce que je n'avais jamais lu Carrie (ni vu les adaptations cinématographiques). Parce que la nouvelle traduction de Jean Esch, une référence. Parce que la préface de Margaret Atwood (qu'on a connu plus inspirée) Parce que la nouvelle édition luxe avec une couverture démente, la tranche jaspée (soit-disant un format poche, à 24.90 euros ? ). Bref, j'ai craqué pour ce roman sorti e 1974 et d'une formidable modernité. 
En 1974, en France, les publicités pour les serviettes périodiques utilisaient des liquides bleu ou vert mais ici le sang (et sa couleur rouge) règne en maître. Sang des premières règles de Carrie, jeune lycéenne harcelée depuis l'école primaire car vêtue différemment à cause de sa mère une extrémiste religieuse qui a déjà tenté deux fois de tuer sa fille, enfant du péché.
L'adolescence n'a pas fait de cadeau à Carrie, doté d'un physique disgracieux et totalement ignorante des règles. Premier traumatisme pour la jeune fille de 16 ans ; traumatisme renforcé par la caractère public de sa réaction excessive qui lui vaudra un second traumatisme, ses camarades de classe la bombardant de tampons et de serviettes. Le dernier sera le plus spectaculaire et entraînera rien moins que la destruction d'une partie de la ville.
Les personnages sont nuancés, King module le suspense annonçant d'emblée certaines des conséquences, voire le nom des victimes, mais sans tout nous révéler. Il multiplie les points de vue, utilisant divers écrits pour étayer son propos et cela donne beaucoup de force au texte. Il se permet même quelques notes d'humour, ce qui allège un peu la tension dramatique. Bref, je me suis régalée du début à la fin et j'ai vraiment apprécié de lire un roman à la couverture solide .
Livre de poche 2025.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : stephen king, jean esch
06/11/2025
#Delautrecôtédelamère #NetGalleyFrance !
"Tandis qu'un homme qui aime une femme, qui l'aime vraiment et qui aime comme une femme, voilà qui suscite la suspicion. "

Nine a été élevée par son père car sa mère, Fiona, a fui la maison familiale quand la petite fille avait quatre ans. Sur le point d'accueillir son premier enfant, la jeune femme découvre à la mort de son père les cartes postales envoyées par sa mère, cartes postales dont elle ignorait l'existence.
Entremêlant les voix de Nine et de Fiona, ce roman de Pauline Harmange relate la quête de cette mère dont Nine n'a gardé aucun souvenir.
Qu'une mère abandonne son enfant est sans aucun doute un tabou qu'explore ici la romancière avec pudeur et sensibilité. Néanmoins, je me suis senti à distance de ce texte qui m'a paru souvent très opaque en ce qui concerne les motivations de Fiona.
Editions J.C Lattès 2025. 
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pauline harmange
04/11/2025
Trois enterrements
"Ils vont enterrer Asha.
Tout le monde sait, ou tous ceux qui veulent savoir savent, ce qui arrive aux migrants pris dans les filets de la lutte contre l'immigration. On les enterre. Elle va finir dans une cellule en béton. Ensevelie sous la paperasserie et les procédures. Inhumée sous l'administratif et les changements de règlements et les appels sans suite et zéro avocat."
La vie, récemment, n' a pas épargné Cherry, infirmière dans un hôpital londonien. Aussi, révoltée par ce qu'elle, les siens et d'autres subissent, n'hésite-t-elle guère à s'embarquer dans une folle virée pour enterrer dignement un migrant massacré par un policier raciste et fermement décidé à la rattraper.
Plaçant son héroïne sous l'égide de Thelma et Louise, l'auteur fait d'elle une femme au caractère bien trempé, avec ses forces et ses faiblesses, et nous entraîne à sa suite dans un road trip tour à tour émouvant, drôle et engagé. En effet, le portrait qu'il brosse de la société britannique est corrosif et sans appel.
Un roman très bien structuré qu'on ne lâche pas.
Traduit de l'anglais par Claro, ce qui ne gâche rien. Actes Sud 2025.
Découvert grâce à Alex, que je remercie: clic.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6)
29/10/2025
Les preuves de mon innocence
" Son propos, en résumé, portait sur la nécessité d’abattre les syndicats, non pas à cause de leur militantisme ou parce qu’ils prétendaient prendre le pays en otage à coups de grève, mais simplement parce qu’à long terme c’était dans l’intérêt de l’économie du pays de sous-payer ses travailleurs. Il fallait maximiser les bénéfices privés, soutenait-il : c’était le seul moyen d’inciter réellement les patrons à rechercher l’efficacité et la productivité. Et si le sommet de la pyramide était bien rémunéré, ces gens iraient dépenser leur argent, qui finirait par circuler dans l’ensemble de la société : non en taxant les riches, mais grâce à l’action naturelle et immuable du marché. "

Poussée de l'extrême droite britannique en lien avec les États-Unis, volonté assumée de détruire le système de santé pour qu'il soit privatisé et enrichisse de grands groupes aux aguets, tels sont quelques uns des thèmes du nouveau roman de Jonathan Coe.
Le tout est enchâssé dans une sorte de Cluedo comportant son lot de personnages hauts en couleurs: la vieille inspectrice gourmande, les vieux conservateurs hautains, le vieux manoir et ses passages secrets, le journaliste blogueur trop curieux, sans oublier deux étudiantes qui vont s'improviser enquêtrices.
L'auteur multiplie les clins d’œil au lecteur en terminant systématiquement les chapitres avant le meurtre par l'adjectif "meurtrier", résout le mystère de manière virtuose , tout en surprenant par une dernière pirouette . Du grand art donc mais le roman est quelque peu empesé par des longueurs récurrentes.
Traduit de l'anglais par Marguerite Capelle.
Gallimard 2025. 476 pages.
06:00 Publié dans je ne regrette pas de les avoir juste empruntés, Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jonathan coe
22/10/2025
Après la brume...en poche
"Je les sens familiers de ce climat avec lequel je tâtonne encore. Les chemins de l'île, les marées sont inscrits en eux, comme en moi les rues parisiennes. "
Une île bretonne où une sortie scolaire perturbée par l'arrivée de la brume a mal tourné : la petite Raph a disparu.
Tour à tour, des îliennes , des femmes de passage ou récemment arrivées prennent la parole et les histoires récentes ou anciennes se croisent, s'éclairent petit à petit.
La nature est très présente et l'écriture de l'autrice, dont c'est le premier roman, en rend compte avec justesse et poésie.
Une intrigue solide, des personnages bien ancrés dans le réel, une écriture puissante, voilà d’excellents ingrédients pour une lecture captivante. Seul petit bémol : je me suis parfois un peu perdue dans les personnages ...
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : estelle rocchitelli
21/10/2025
Searoad
"Et puis, ne plus être l'associée de de Will Hambleton serait un soulagement. Il faut garder l’œil à la fois sur ses mains baladeuses et sur ses comptes , on a l'impression de travailler avec un éléphant mâle, comme je l'ai dit à Mary, il faut constamment surveiller les deux bouts: s'il ne t'enroule pas dans sa trompe, il risque de s'asseoir sur toi. "
L'héroïne de ce roman en treize chapitres connectés est la petite ville imaginaire de Klatsand, sur la côte Ouest des États-Unis. Visiteurs de passage ou résidents permanents s'y croisent au fil du temps et si l'autrice choisit de mêler les époques en un savant tissage , on y retrouve principalement des personnages féminins, dont une lignée de femmes qui se déploie dans le dernier chapitre, le plus long. 
Alternant humour vachard, parfois , et descriptions poétiques, c'est dans un roman plus intimiste que se déploie ici l'imaginaire d'Ursula K. Le Guin.
Féminicide passant sans problème pour un accident, viol dont tout le monde connaît l'auteur, mari qui argumente longuement pour que son épouse n'entreprenne pas des études universitaires, n'hésitant pas à attribuer ses succès à elle à sa position sociale à lui, la vie est rude pour ses femmes, qui parviennent néanmoins à faire face, pour certaines, même de manière ténue. Qu'elles soient jeunes ou sur le point de mourir, leurs portraits sont nuancés , pleins d'humanité et nous touchent en plein cœur.
Editions Rivages 2025. Traduit de l'anglais (E-U) par Hélène Collon
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : ursula k. le guin
20/10/2025
Le monde est fatigué
"-Ce que je veux dire, c'est qu'on n'est jamais les mêmes, que nos vies sont des superpositions de nous-mêmes. On est des strates, rien n'est valable tout le temps. "
Qui est Eve ? Une sirène professionnelle ou une femme meurtrie , dans sa chair et dans son âme, qui cherche à se venger ? 
De Genève à Dubaï en passant par Tokyo, Brisbane ou Los Angeles, Eve distribue dans des aquariums géants des bisous-bulles, utilise son argent pour mener sa quête , en se confrontant à sa douleur et à celle du monde.
Joseph Incardona en profite en effet pour tacler , entre autres, "L’uniformisation de la pensée [qui] fait baisser les compétences linguistiques", l'exploitation du corps des femmes, l'hypocrisie d'un monde qui signe des traités supposés sauver dans la planète dans un pays où règne la plus grande aberration anti-écologique. Avec ce court roman (212 pages), je découvre le style si particulier de cet auteur et je compte bien ne pas en rester là. Un roman souvent abrupt mais plein d'énergie et de sensibilité.
Editions Finitude 2025.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2025, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : joseph incardona
18/10/2025
A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit ? ...en poche
"Je devine les trois rectangles laissés par les cadres décrochés. Nos traces. Je veux m'assurer que nous avons vécu ici, heureux.M'assurer qu'il reste quelques marques, quelques empreintes de notre histoire. Alors, je viens rôder là quand le sommeil m'évite. Les heures profondes de la nuit sont aussi les premières du matin, un matin qui s'ignore et n'a rien à dire au jour, un matin enveloppé de ses ténèbres comme dans un manteau d'hiver. "
En lisant ces micro-fictions, reliées entre elles par des monostiches consacrés à la nuit, j'avais en tête ces vers de Paul Eluard
"Nous vivons dans l'oubli de nos métamorphoses
Le jour est paresseux mais la nuit est active
Un bol d'air à midi la nuit le filtre et l'use
La nuit ne laisse pas de poussière sur nous".
Mais chez Gaëlle Josse, pas de répit pour ces insomniaques que la nuit travaille . Il est souvent question ici de solitude et nos moyens de communication modernes ne font semble-t-il que l'exacerber, qu'on attende une sonnerie ou qu'on ait oublié d'enlever le mode silencieux...
Vieillard que l'usure du corps rattrape, enfants qui se croient responsables du départ d'un adulte, mais aussi père qui contemple , sans trop y croire , les reliefs d'un anniversaire témoignant de sa rédemption, tous ils nous émeuvent à leur façon.
Il est souvent question de fenêtres dans ces textes, transition vers l'ailleurs ou ouverture vers l'avenir, leur absence n'en devient que plus criante dans le dernier texte, qui, sans pathos, de manière poétique mais efficace, dit la dureté d'un monde où l'on s'est habitué à la misère.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gaëlle josse
17/10/2025
Mes enfants sont partis...en poche
"Parce que je veux que mes enfants s'affranchissent de moi. Je le veux vraiment. Je constate que cela me dévaste mais je n'ai pas une seule seconde envie de les garder à mes côtes toute leur vie. Il faut lutter contre des montagnes géantes, il faut trouver une place entre le désir de leur bonheur et ce deuil affreux qui m'attend. "
Cinquante ans au compteur. Les enfants qui s'envolent. Syndrome du nid vide qui survient brutalement dans la vie de l'autrice. L'occasion pour elle de faire le bilan de sa vie artistique (pas facile d'être une femme dans le monde de la musique surtout quand on n'est plus "fraîche"). La ménopause qui la guette n'arrange pas les choses dans une société qui invisibilise les femmes, une fois qu'elles ne peuvent plus être mères...
Heureusement, sa reconversion dans le monde de la santé lui permet de rencontrer d'autres femmes et leurs expériences , qui se tissent à son récit, offrent des portraits sensibles , parfois douloureux mais toujours pleins de vie.
On sourit, on compatit, on se reconnaît, un peu, beaucoup... Un roman tendre et sincère dont les pages se tournent toutes seules ou presque
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jullie bonnie
16/10/2025
Et vous passerez comme des vents fous...en poche
" Tout ici n'était qu'engendrement et dévoration, putréfaction et floraison, joie et douleur. Parfois, il se sentait si intégré à ce magma organique qu'il lui semblait participer de ces transformations en cascade, par lesquelles les plantes, les corps, les minéraux, étaient également décomposés , rendus à la terre, dans un même mouvement dont seules les échelles de temps variaient."
Un montreur d'ours parti faire fortune au début du XXème siècle, un berger traumatisé par un accident survenu l'été précédent , une jeune éthologue travaillant pour le Centre national pour la biodiversité, une ourse et ses deux oursons, tels sont les personnages centraux de ce roman se déroulant dans les Pyrénées.
La réintroduction de l'ours dans cette vallée où le dressage des ours était jadis une tradition ne va pas sans heurts et sans drames mais tout le talent de l'autrice est de nous présenter les différents points de vue de manière nuancée, sans jamais les caricaturer. 
Solidement nourri de références scientifiques et historiques , qui se fondent avec bonheur dans le récit, ce roman bénéficie aussi d'un souffle romanesque qui nous fait éviter le "roman à thèse". La nature y a évidemment la part belle et les personnages, principaux ou secondaires, sont parfaitement dessinés. On suit avec passion l'intrigue et on sort de là profondément revigoré, sans pour autant baigner dans un optimisme béat. J'attends déjà avec impatience le prochain roman de cette autrice.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clara arnaud


