09/06/2025
Colères du vivant
" Je n'ai que votre petit fantôme en cassonade serpentant au fond de ma bassine en cuivre, et notre conversation gelée, coulée dans la marmelade. "
Solange, la cinquantaine, s'installe dans un petit village, juste en face d'un agriculteur mal embouché, Gilbert, sorte de red neck à la française, biberonné à une chaîne d'information en continu, raciste, anti écolo, mais champion du recyclage et amoureux des commencements : "Les poussins, les gorets, les agneaux, les fœtus,les bourgeons, les mises bas , les chiots, les chatons, les matrices, les débits ont toujours attiré tous ses soins. ".
Cahin-caha, les voisins vont sympathiser, à la grande surprise des villageois, dont un chœur commente les événements marquants de manière sporadique. Solange découvre que Gilbert et sa fille Jennyfer sont fâchés depuis 10 ans et commence à écrire à la jeune fille, dans le but de les réconcilier. C'est aussi l'occasion de relater son quotidien et de révéler ses propres failles.
Deux autres narrateurs se succèderont ensuite: Simon et la fameuse Jennyfer qui chacun à leur façon, brosseront un portrait de cette campagne en pleine évolution et des conflits générationnels qui s'y livrent.
J'ai retrouvé avec bonheur le style ample et imagé de Sophie Daull, ses portraits nuancés, pleins d'empathie et même s'il y a un petit côté "tout finit par s'arranger" un peu trop léché, il ne faut pas bouder son plaisir et savourer ce petit bonheur de lecture.
Editions Philippe Rey 2025.
De la même autrice: clic
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sophie daull
04/06/2025
Fantastique histoire d'amour...en poche
"-attendre quelqu'un dans un McDo un dimanche soir de pluie étant une démonstration redoutable de la nullité morale du capitalisme. "
Un homme, fasciné, observe une jeune femme qui, dans un parc de Lyon, nourrit, à la main, des mésanges.
Lui, c'est Bastien, inspecteur du travail . Il ne se remet pas d'avoir été quitté et supporte difficilement de ne pouvoir être efficace que pour une toute petite partie des salariés qui le contactent.
Elle, c'est Maïa, journaliste scientifique, elle assume pleinement ses envies charnelles et son célibat.
Pour que ces deux-là soient réunis-ou pas-, il faudra une tante physicienne au CERN qui vient de faire une expérience (ratée) sur un cristal scintillateur et une compacteuse "responsable" d'un accident de travail (ou serait-ce un homicide? ).
Explorant cette fois le territoire du thriller; Sophie Divry, nous livre un roman hautement addictif qu'on se réjouit de retrouver le soir tant elle joue avec nos nerfs mais sait aussi nous émouvoir avec ces deux bras-cassés de l'amour.
Une pointe de roman social, une critique du financement privé de la recherche scientifique viennent relever le tout et des personnages secondaires bien campés finissent de parfaire ces 512 pages sans aucune longueur et parsemées d'oiseaux..... Dès la scène inaugurale, j'ai su que j'étais cueillie.Une réussite qui file sur l'étagère des indispensables.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sophie divry
03/06/2025
Sainte-Marie-des-Haines-Infinies
"Je l'entends, mais je repense à ces dix-huit mois et à l'absence totale de pitié de ces gens. La charité c'est différent, on la leur apprend, c'est de l'apparence seulement , ici on est fort en hypocrisie, on sait faire semblant. "
Dix-huit mois que la narratrice se fait insulter, harceler, ostraciser dans ce collège privé qu'elle rebaptise tout au long de ce récit des trois derniers lundis où elle se réjouit de voir la fin de son calvaire (elle part de son plein gré dans une filière professionnelle) et surtout où elle peaufine la mise au point de sa vengeance. 
Des phrases amples, coulant comme des flots de lave, nous font prendre conscience de l'intensité de cette colère , face à ce mépris de classe (entre autres) dont elle est victime. Ceux qui portent "des prénoms de saints" sont persuadés de leur totale impunité , se permettent des comportements répréhensibles, font preuve de cruauté. Quant aux adultes, même aimants, ils ne prennent pas forcément conscience de la violence des relations entre ados.
Pour autant, l'autrice montre que des solutions sont possibles, si on fait preuve de solidarité, de sororité (voir , par exemple, la manière dont les femmes se liguent contre le chauffeur de bis libidineux). Un roman qui coupe parfois le souffle.
Editions La Ville Brûle 2025.
06:00 Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : louise mey
02/06/2025
#Cequetonregardpromet #NetGalleyFrance !
"Nos mondes sont différents. Elle peut entrer dans le mien, mais le sien m'échappera toujours, et c'est très bien ainsi. "
Quand, en plein confinement dans la campagne anglaise, l'autrice rencontre un levraut mal en point, Chloe Dalton hésite : vouloir "sauver" un animal sauvage n'est pas toujours une bonne idée. Elle décide pourtant de ramasser ce bébé lièvre et de tenter de le maintenir en vie.
Faute d'informations disponibles - elle découvre vite que le lièvre est un animal peu étudié, sauf par les chasseurs- elle tâtonne mais décide très vite de ne pas nommer l'animal et de le rendre à sa vie sauvage dès que possible.
Commence alors une cohabitation qui permettra à l'autrice d'observer très minutieusement le levraut et progressivement de changer sa perception de la vie.
Ceux qui attendraient une histoire attendrissante en seront pour leurs frais car Chloe Dalton maintient toujours une certaine distance avec cet animal qu'elle chérit, mais dont elle respecte profondément l'altérité.
Un récit qui élargit notre vision de la nature, pose des questions sur la manière dont nous pourrions trouver un équilibre entre nos besoins et ceux des animaux, principalement du point de vue territorial. Un livre très agréable à lire que je recommande chaudement.
Editions Mazarine 2025. Traduit de l’anglais par

07:45 Publié dans Récit | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : chloe dalton, lièvre
30/05/2025
#Petitephilosophiedelasieste #NetGalleyFrance !
" La société moderne se moque de ces préceptes. Elle a fait tomber les murs d’Épicure . Elle se gave de faux besoins et redoute le temps mort, le vide. "
En une série de courts chapitres, l'auteur aborde le thème de la sieste de multiples façons (scientifique, politique, philosophique...) pour souligner sa nécessité urgente dans notre monde moderne. 
L'écriture est fluide, parfois espiègle (quand l'auteur souligne , par exemple, la nécessité de la sieste pour que les parents de jeunes enfants puissent souffler un peu...) et la fin, un peu abrupte, nous prend de court.
Il ne reste plus qu'à espérer que les pratiquants de la sieste sur les lieux de travail n'aient plus à se cacher car, loin d'être synonyme de paresse, la sieste permet en fait de renouveler la force de travail.
Editions de la Martinière 2025.
06:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : sebastien spitzer
23/05/2025
Sur l'île...en poche
"-L'île que vous avez dans la tête...Je ne pense pas qu'elle existe. "
Une île galloise (imaginaire mais inspirée de plusieurs îles au large de la Grande-Bretagne et de l'Irlande) en 1938. L'existence est rude pour les pêcheurs et leurs familles. Manod, 18 ans, aux côtés de son père et de sa plus jeune sœur, rêve d'une autre vie sur le continent. Elle est vive, intelligente et sait parler anglais.
La tranquillité insulaire est bientôt rompue par une baleine morte qui s'échoue sur le rivage et l'arrivée de deux ethnologues qui lui feront envisager, non sans cruauté, la possibilité d'un avenir loin de l'île. Au loin, des rumeurs de guerre, mais les îliens se préoccupent surtout de leur survie.
Par petites touches, nous découvrons la beauté de l'île, mais aussi et surtout la rudesse de l'existence des insulaires, rudesse que ne semblent pas vouloir admettre les ethnologues et leur vision biaisée. L'autrice laisse deviner les sentiments de son héroïne et fait confiance aux lecteurs pour combler les ellipses. Roman de formation et d'émancipation, plein de poésie et de délicatesse, Sur l'île génère une sorte de magie dont on sort un peu étourdi et mélancolique. Un grand coup de cœur.
Traduit de l'anglais par Claire Desserey.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elizabeth o'connor
22/05/2025
La Petite Fasciste
"La France est ce pays riche plein de pauvres. "
Roman dystopique ou d'anticipation ? Mieux vaudrait pour la France que cela reste de la fiction car la chute de la République , annoncée dès le première phrase n'augure rien de bon...
Avec une grande maîtrise, Jérôme Leroy brosse ,en 190 pages qui se dévorent avidement, le portrait d'un tout petit monde politique, dans une ville imaginaire, Frise, située dans les Hauts de France, non loin de Dunkerque. Là-bas, les Lions des Flandres, groupe identitaire "nationaliste flamand et néo païen", entendent bien jouer un rôle dans l'élection législative, suite à la troisième dissolution de l'Assemblée Nationale, voulue par Le Dingue.
Dans cette situation chaotique, le socialiste Bonneval , plus vraiment intéressé par la politique ; touché par la crise de la cinquantaine , avec dix ans de retard, peine à trouver un quelconque intérêt à la politique. Pourtant, une improbable histoire d'amour avec La Petite Fasciste de vingt ans qui donne son titre au roman va venir tout chambouler...
Taclant tous azimuts les hommes et femmes politiques, qu'on ne peine pas à reconnaître pour les plus importants ("Les Insurgés sont en train de payer leur intransigeance. Les choses n'ont jamais été aussi dures pour leur électorat qui se rend compte qu'à force de pureté les Insurgés ont les mains blanches mais ils n'ont plus de mains"), l'auteur n'en oublie pour autant pas ses personnages, ses décors, plus vrais que nature , ni son récit. Seul petit bémol, l'histoire d'amour, un peu cliché à mon goût, même si l'évolution politique de la jeune Francesca est plausible. Bref un grand coup de cœur. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Editions La Manufacture de Livres 2025.
L'avis de Kathel: clic
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : jérôme leroy
21/05/2025
Eté...en poche
"Un conte triste, c'est mieux pour l'hiver, alors Shakespeare injecte l'artifice de la tristesse, c'est un artifice de dramaturge: il répand l’hiver partout précisément pour avoir un véritable été et faire jaillir un conte joyeux d'un conte triste. "
Comme la pièce de Shakespeare que Grace a joué tout un été il y a trente ans et dont elle conserve un souvenir ébloui, le roman d'Ali Smith commence en hiver. Paradoxe qui s'explique par la relation au temps qui irrigue tout le roman et qui emprunte beaucoup à Einstein dont est féru Robert, un jeune garçon pour le moins surprenant. 
Par l'intermédiaire d'une expression prise au pied de la lettre par son frère Robert, Sacha, seize ans, va faire la connaissance d 'Art et Charlotte qui , de fil en aiguille , vont emmener les ados et leur mère, Grace, rencontrer un très vieil homme qui a connu la mère d'Art.
Avec un grand sens du montage quasi cinématographique, la romancière nous fait passer de l'époque contemporaine - dont elle fustige les travers avec acuité- à l’époque où l'île de Man accueillait dans des camps (qui demeuraient néanmoins des prisons) les Allemands qui avaient cru qu'il seraient en sécurité durant la Seconde guerre mondiale en Angleterre. Nous y croiserons Fred Uhlmann, qui n'avait pas encore écrit L'Ami Retrouvé mais dessinait pour témoigner de ce qu'il ressentait.
Il est très difficile de résumer le roman d'Ali Smith qui, de prime abord peut paraître touffu, mais dont la lecture s'avère d'une étonnante fluidité. L'autrice y évoque par petites touches l'importance des mots dans une période de changement à la fois climatique, politique et pandémique, la nécessité de l'hospitalité et de l'engagement , sans jamais se montrer "donneuse de leçons".
Son roman est riche d'humanité et l'été qui lui donne son titre irradie chaque page tant les sensations y sont présentes. 358 pages dévorées d'une seule traite.
Traduit de l'anglais par l'excellente Lætitia Devaux ; Grasset 2023.
Ce roman clôture la tétralogie mais peut se lire indépendamment des autres saisons.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ali smith
20/05/2025
Le cahier d'activités des linguistes atterrées
Les vacances approchant, les cahiers d'activités pour adultes apparaissent un peu partout, histoire de faire fonctionner nos neurones sous le soleil.
Celui-ci ne vous apprendra pas, c'est annoncé dès l'introduction, à avoir une meilleure orthographe mais vous permettra d'envisager la langue française d'une manière non corsetée et ludique.
Non, la langue française n'est pas menacée par l’anglais, comme nous le démontre un exercice page 22 nous demandant de recenser les mots donnés en 1964 comme ayant envahi la langue de Molière toujours utilisés de nos jours ( je divulgâche: sur une quarantaine, une bonne moitié est passée à la trappe).
Les linguiste atterrées battent ainsi en brèche pas mal de tendances alarmistes , jouent avec les nouveaux codes, font la part belle aux régionalismes et aux langues françaises de par le monde.
Si seulement j'avais eu de tels linguistes en face de moi quand j'étais à la fac, je me serais bien amusée !
Un petit plaisir à (s') offrir absolument !
Editions de l'Atelier- Editions Ouvrières 2025.
06:00 Publié dans l'amour des mots | Lien permanent | Commentaires (6)
19/05/2025
#LaTendressedescatastrophes #NetGalleyFrance !
"Ils s'entendaient même très bien quand ils étaient en désaccord, leur humour, leur singularité et une profonde mélancolie les unissaient. Comme s'ils étaient des âmes sœurs de contradiction. "
D'emblée, par son titre, Martin Page place son roman sous le signe de la contradiction et va s'employer , avec jubilation, à dynamiter les attendus de la comédie romantique. Lieu de la rencontre ? Un mariage. Classique. Moins classique, nos héros ne se reverront que dix ans plus tard. 
Harriet n'est en rien romantique et s'exprime souvent avec virulence :"C'est quoi la norme ? Les hémorroïdes, le fascisme et les pâtes trop cuites ? Quelles putains de réussite. " mais c'est pour mieux cacher ses blessure d'enfance. Max, quant à lui veut sauver le monde, rien que ça, mais issu d'un milieu favorisé et cynique, ne possède guère d'armes pour avancer dans la vie.
Multipliant les scènes inattendues, parfois crues, allant à l'encontre des réflexes encore trop répandus, l'auteur surprend ses lecteurices , sans pour autant négliger la tendresse (parfois rugueuse) et la poésie . On sent qu'il s'est beaucoup investi dans ce roman et j'ai souligné à tour de bras des réflexions qui me surprenaient souvent mais sonnaient justes. Un roman dense, surprenant et jubilatoire .
Et zou sur l'étagère des indispensables.
Editions Les Escales 2025. 
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : martin page


