13/03/2025
Repentirs
"Alors que j'escamotais l'ombre grise incongrue de la voiture à cheval disparue, je me suis surprise à rêver de faire la même chose avec ma vie, d'effacer toutes les pensées éphémères et tous les désirs passagers-toutes les erreurs - qui ne correspondaient pas au moi futur que je m'étais imaginé ; j'en avais assez de réfléchir et d'attendre; je voulais que ce soit terminé. Mon esprit et mon corps me semblaient embrumés depuis tellement longtemps que j'avais presque oublié ce qu'était la clarté. "
Cathy et Noah ont décidé d'un commun accord de ne pas avoir d'enfants. Pourtant, après dix ans de mariage, Cathy songe à faire congeler ses ovocytes. Pour avoir le choix. Un attitude que Noah, son aîné de onze ans, ne comprend pas.
Parallèlement à cela, la mère de Cathy semble présenter les premiers signes d'une forme de démence sénile ,tandis que la meilleure amie de la jeune femme attend son deuxième enfant.
Perturbée par les choix qu'elle va devoir faire, Cathy se réfugie dans son travail et la restauration d'un tableau du XVIIe siècle," Vue des sables de Scheveningen" de Hendrick van Anthonissen. Au fur et à mesure que va se révéler ce qui a été dissimulé dans cette œuvre, la jeune femme y verra-t-elle plus clair ?
Avec une précision extrême, Chloé Ashby rend compte des tourments de son héroïne, tant physiques que psychologiques, et nous sommes captivés par ce récit. Un roman lumineux et intense.
Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff.
Editions La Table Ronde 2025.
Envoi de l'éditeur sans contrepartie financière.
Son premier roman, Peinture fraiche, attend dans ma PAL...
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : chloé asby
11/03/2025
Chiennes de garde...en poche
Dans le dossier d'investigation, on disait que sur le chemin du retour, tu t'étais fait surprendre par au moins trois types, qui avait essayé de te voler ton portable, mais que la situation avait dérapé. Dérapé ? Dérapé? Ça veut dire quoi, une agression qui dérape? J'ai demandé à l'enquêteur avec un nœud dans la gorge. Et je n'ai pas pu m'empêcher de faire la comparaison, Monsieur le Commissaire, si ç’avait été un homme, comment ça se serait passé, une attaque qui dérape? Il le tue, il le poignarde et voilà, fin de l'histoire.
Waouh, quel uppercut ! Dès la première nouvelle, le ton est donné avec le récit d'une IVG médicamenteuse ( avec les moyens du bord ) par une jeune femme qui se dépeint sans chichis. Rien ne nous est épargné mais c'est fait sans voyeurisme, juste de manière clinique, si j'ose dire. ça passe ou ça casse .
Nous entrons ensuite dans une série de récits dont les personnages se croisent au fil des nouvelles, où nous pouvons envisager des situations de différents points de vue, mais toujours féminins. Une fille de narco-trafiquant, bien dans sa vie, sa meilleure amie, une femme qui travaille dans une maquiladora, ces usines proches de la frontière nord du Mexique, une sorcière, des sœurs couturières, une voleuse...toutes tentent de (sur) vivre, se vengent, et même la mort n'en viendra pas à bout.
La tension culmine dans le dernier texte , véritable litanie de toutes celles qui sont assassinées dans une indifférence quasi totale car "Le Mexique est un énorme monstre qui dévore les femmes. Le Mexique est un désert fait de poudre d'os. Le Mexique est un cimetière de croix roses. Le Mexique est un pays qui déteste les femmes. " Radical et nécessaire.
Editions du Sous-Sol, Points Seuil 2025.
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dahlia de la cerda, mexique
10/03/2025
Les saules
Un battement de paupière et Marie avait pris la tangente alors que la minute d'avant, elle riait à gorge déployée en sautant sur ses genoux. Encore ! Encore ! Encore, papa ! Gilles se demandait souvent ce qu'il avait mal fait et si tous les pères devaient ruminer dans leur coin des questions aussi insolubles.
Marie, dix-sept ans, trop belle, trop libre, trop mal aimée aussi, a été retrouvée, étranglée, au pied des saules. A deux cent mètres de chez elle, à la frontière entre deux mondes, celui des bouseux de la Basse Motte et celui, plus bourgeois, où elle résidait, de la Haute Motte.
Seule, une petite fille, harcelée à l’école car trop sale, trop différente des autres a vu l'assassin : Marguerite. Mais Marguerite ne parle guère. Qui prendrait d'ailleurs le temps de l'écouter dans sa famille trop occupée à survivre ?
Dans un espace rural où les rancœurs et les solidarités se mêlent de manière inextricable, l'enquête est menée par des enquêteurs la plupart du temps effacés du récit, aux interrogatoires tronqués, mais efficaces ,car ne laissant la place qu'aux réponses des personnes convoquées par la gendarmerie.
La peinture de ce microcosme est plutôt réussie, la résolution du problème façon western surprenante mais logique, mais c'est surtout la description de l'intériorité de Marguerite et de sa vision du monde que j'ai appréciée. Un premier roman prometteur.
Editions du Seuil 2025.
L'avis d'Aifelle : clic.
11:25 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mathilde beaussault
08/03/2025
Vrouz...en poche
Voici du VROUZ ! annonce le bandeau de couverture. Du Vrouz? Un mot-valise plein d'énergie créé par l'acteur Jacques Bonnaffé (avec Sardine Robinson et Adèle Cockrobin) pour désigner V(alérie) Rouz(eau).
Et de l'énergie il y en a dans ce recueil de poèmes qui m'a enthousiasmée du début à la fin !
L'auteure fait feu de tout bois et recycle avec un humour parfois caustique les messages formatés de notre quotidien, qu'ils figurent sur une emballage de cigarettes , une notice de médicaments, voire une feuille de résultats d'analyses ! Elle nous entraîne dans son univers, qui pourrait être le notre, celui d'une quadra qui s'affirme dès le premier vers "Bonne à ça ou rien" , énumère ses incapacités , parfois cocasses, parfois plus sombres ,avant de conclure
"Pas fichue d'interrompre la rumeur qui se prend
Dans mes feuilles de saison"
et c'est tant mieux !
Une grande liberté aussi dans l'incorporation des citations d'auteurs chéris (et dûment répertoriés dans les notes de fin de volume- la dame est fort honnête et nous invite par la même occasion à emprunter de nouveaux chemins -) dans l'utilisation des registres de langue, voire de mots anglais. N'oublions pas en effet que Valérie Rouzeau est traductrice et spécialiste de Sylvia Plath.
Ces jeux sur les sons et les rythmes entraînent parfois la suppression des déterminants et des rencontres lexicales parfois brutales pour dire le monde où les humains sont réifiés, aussi interchangeables et remplaçables que leur téléphone (page87) sonnant dans une poubelle.
Les tonalités diffèrent donc, mais si les nuages et la pluie semblent omniprésents, le temps n'est pourtant pas à la mélancolie facile. L'auteure se livre sans fards , laissant deviner les marques de l'âge, les découragements devant cette "époque médiatique" si creuse et nous offre un très joli autoportrait (page 156) où elle affirme:
"Ne suis pas très causante encore moins conviviale
Quand vos paroles sont tellement toujours les mêmes
Interchangeables et creuses formules des tics en toc"
et renouvelle page 114 le thème de la Supplique pour être enterré en demandant :
"Plantez un chêne pour la rouzeau
Du vertical pour l'horizon
Puis de l'herbe bien folle autour
Plutôt qu'un gazon dormitif"
Une bien dynamique façon d'envisager le paysage qui abritera son corps !
Pour conclure une dernière citation :
"J'ai l'amour spontané de mon prochain sauf quand
Mon prochain s'intéresse de trop près à mon goût
à ma personne gentille et froide et solitaire
Alors là je m'éloigne à grande enjambées
Du buffet dînatoire où j'étais conviée
Et je rentre chez moi savourer mon congé"
Un recueil tout bruissant de marque-pages (un paquet y est passé !)
Vrouz, Valérie Rouzeau, La table ronde 2012, 169 pages toniques et jubilatoires !
Réédition 2025.
Et zou , le voici promu d'emblée livre de chevet !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, Poésie | Lien permanent | Commentaires (7)
07/03/2025
#ÀNOSARDEURS #NetGalleyFrance !
"C'est que je refuse d'appréhender la réalité de ta mort par la logique désenchantée du monde qui t'y aurait poussée. "
En lisant ce récit d'amitié féminine, j'avais en tête le roman de Sigrid Nunez Et nos yeux doivent accueillir l'aurore(clic) . En effet, tous deux mettent en scène une héroïne à fleur de peau, aux prises avec des problématiques différentes : le racisme et les inégalités sociales dans les années 60 chez Nunez, les enjeux écologiques actuels chez Bartholomeeusen.
Mais la forme est profondément différente car ici, la narratrice, Cécile, opte pour un récit impressionniste, émaillé de références,dûment sourcées à la fin de l'ouvrage. Si cela renforce la volonté de convaincre le lecteur, cela nuit un peu à l’émotion, même si le portrait de cette amie ardente est bien brossé. Avis en demi-teinte donc.
Les Avrils 2025.
Merci à l'éditeur et à Netgalley.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cécile bartholomeeusen
06/03/2025
#LHôtel #NetGalleyFrance !
"Elles cherchent à filmer l'incertain, l'étrange, la trace de quelque chose, le signe d'un double fantomatique, le secret. Ce qu'on ne remarque pas , ce sont les phrases cachées sous d'autres, les mots dissimulés. "
Raconter l'histoire d'un hôtel depuis son érection sur des terres maudites à une époque où les femmes étaient encore ouvertement traitées de sorcières (et tuées pour cela) jusqu'à nos jours, convoque immédiatement la figure du bâtiment de Shining.
Mais dans le roman de Daisy Johnson, composé de courts chapitres dont les héroïnes et/ou les victimes sont principalement des femmes, cet hôtel est en activité, connu pour les phénomènes étranges qui s'y déroulent (principalement dans la chambre 63) et majoritairement les clients le fréquentent en toute connaissance de cause.
L'hôtel ici absorbe, contamine ses hôtes ou celles qui y travaillent, créant des doubles fantomatiques, révélant des secrets ou ne se manifestant absolument pas, selon les cas. Il y a une sorte d'interpénétration entre le bâtiment et les héroïnes et l'écriture virtuose de l'autrice, multipliant les métaphores ciselées et surprenantes , nous emprisonne dans cette atmosphère parfois suffocante.
Un roman qui file sur l'étagère des indispensables.
Il faut tout lire de cette autrice: clic, reclic,
Stock 2025, traduit de l'anglais par Lætitia Devaux.
Merci à l'éditeur et à Netgalley.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : daisy johnson, roman gothique
05/03/2025
34M2
"Dans sa cuisine ce matin, est-ce qu'elle a mal, oui elle a mal , mais au début c'est la familiarité qui l'écrase le plus, cette impression d'être revenue au point de départ, d'être encore dans un autre appartement, une autre cuisine, devant d'autres tasses à café, enfermée, engluée dans ce que cet homme appelle de l'amour, une succession de jours flous, orageux, à marcher sur la pointe des pieds et à respirer à demi en attendant que la violence éclate. "
34 mètres carrés , c'est la superficie de l'appartement que partagent Juliette et sa fille de huit mois, Inès. Un refuge. Une vie reconstruite après une situation d'emprise que Juliette décrit comme un "entourbillon" qui était "un cataclysme silencieux, une catastrophe naturelle, un barrage lentement rempli jusqu'à l'inondation, l'engloutissement, le glissement avait été inéluctable et imperceptible et puis soudain il avait été trop tard[...]".
Ce matin, Juliette est un peu désorientée, mais savoure la matinée : elle a pu dormir tout son saoul? On sonne à la porte. Juliette attend Clare, sa voisine. Elle ouvre: c'est lui.
Commence alors un suspense insoutenable où , en 139 pages, l'autrice joue avec nos nerfs, nous coupe le souffle tout en ménageant de nombreuses révélations et en analysant avec finesse le mécanisme de l'emprise. Les personnages sont denses, complexes et la fin est ...Je ne vous en dis pas plus. Dévoré en quelques heures et relu dans la foulée. Un incontournable.
Editions le Masque 2025.
20:13 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : louise mey
27/02/2025
Hildur
"Je ne pense jamais que les gens sont bizarres. Le problème, c’est qu’on se présente trop comme des gens normaux. On croit que tout le monde autour de nous est rationnel et prudent, même si ce n’est pas vrai. On a tous tout le temps des idées des plus étranges les unes que les autres. C’est juste que la plupart des gens n’osent rien faire de ces idées, mais se contentent de jouer, eh bien, la normalité. "
Hildur, inspectrice de police , est restée dans la région des Fjords de l'Ouest, en Islande, là où ses deux petites sœurs ont disparu vingt-cinq ans plus tôt. Aidée par un stagiaire finlandais, Jakob, expert en tricot, occupation qui le déstresse, elle va devoir élucider une série de morts , en commençant par celle d'un pédophile notoire.
En utilisant cet étranger, l'autrice, elle-même finlandaise installée en Islande permet d'avoir un regard extérieur sur les particularités de ce pays, ce qui ajoute beaucoup au charme de cette enquête, par ailleurs originale quant au motif déclencheur du meurtre. Pas sûr pour autant, vu la météo, qu'on aille passer le mois de novembre en Islande !
Les personnages sont bien campés et nous deviennent vite sympathiques, par leurs failles et leurs personnalités contrastées. Une suite est annoncée, j'ai déjà envie de la dévorer !
L'avis d'Antigone qui m'a donné envie : clic.
Traduit du finnois par Aleksi Moine.
Seuil 2025.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : satu rämö
26/02/2025
Western...en poche
"Si le western est un genre, c'est le féminin. Il articule en un seul trajet l'idée du destin, l'idée du tragique de la condition humaine à celle de la plus fascinante liberté.C'est quoi, tout ça en une seule forme, sinon une femme."
Alexis Zagner, comédien en vogue, alerté d'un vague danger qui le menace, a disparu à quelques jours de la première de Dom Juan, dont il incarnait le rôle titre.
Nous découvrirons peu à peu les raisons de sa cavale, qui ont beaucoup à voir avec son attitude avec les femmes.
Quelques mois plus tôt, Aurore qui élève seule son fils Cosma , a appris le décès de sa mère, et ,bombardée "coordinatrice chargée des paramètres humains détachée à l'adaptation aux ressources digitales à cent pour cent de télétravail" (sic), a décidé de déménager à l'ouest, dans la maison maternelle, située sur un causse.
Évidemment, nos deux héros ne pourront que se rencontrer, mais pas forcément dans les circonstances que nous pourrions imaginer.
Faire cohabiter dans un roman le personnage de Dom Juan de Molière et le genre du western voilà qui paraît quelque peu iconoclaste. Mais cela fonctionne très bien et permet de dézinguer au passage le fonctionnement de notre société avec un humour acide.
Maria Pourchet analyse aussi avec férocité ,par le biais des Fragments d'un Discours Amoureux de Roland Barthes, l'avalanche de messages dont Alexis avait accablé une apprentie comédienne dont il croyait être tombé amoureux.
Alternant les temporalités, Maria Pourchet imprime à son récit un rythme vif et multiplie les rebondissements mais néglige peut être au passage ses personnages qui manquent un peu d'épaisseur. Je suis restée parfois perplexe devant certaines de leurs réactions mais il n'en reste pas moins que Western marquera sans doute cette rentrée 2023.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : maria pourchet
25/02/2025
Labeur
"Homo neanderthalensis n'aime jamais les filles d'amour. Et cela est très difficile pour les filles, on s'en doute. Il n'est pas méchant, au fond. Ce sont les émotions qui voyagent mal de sa tête à son cœur. "
Dans la ville de M. ,"en ce 12 novembre de l'an deux mille et quelque" ,des personnages vont se croiser, voire se rencontrer ,en une sorte de ballet virtuose, chacun d'entre eux d'abord en tant que personnage secondaire, puis principal . Roman choral donc qui brosse avec humanité et empathie des destins variés.
Avec malice, "Moi" et "Vous" apparaissent également, car l'humour et les surprises sont aussi au rendez-vous dans ce texte qui ménage un certain suspense et annonce d'emblée une catastrophe qui touchera certains personnages...
Une structure intéressante et vivante, un texte émaillé d 'expressions québécoises juste ce qu'il faut dépaysantes, un très bon moment de lecture.
Editions La Contre Allée 2025. 138 pages qui se tournent toutes seules.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : julie bouchard