17/09/2024
Après la brume
"Je les sens familiers de ce climat avec lequel je tâtonne encore. Les chemins de l'île, les marées sont inscrits en eux, comme en moi les rues parisiennes. "
Une île bretonne où une sortie scolaire perturbée par l'arrivée de la brume a mal tourné : la petite Raph a disparu.
Tour à tour, des îliennes , des femmes de passage ou récemment arrivées prennent la parole et les histoires récentes ou anciennes se croisent, s'éclairent petit à petit.
La nature est très présente et l'écriture de l'autrice, dont c'est le premier roman, en rend compte avec justesse et poésie.
Une intrigue solide, des personnages bien ancrés dans le réel, une écriture puissante, voilà d’excellents ingrédients pour une lecture captivante. Seul petit bémol : je me suis parfois un peu perdue dans les personnages ...
Éditions Dalva 2024.
06:00 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : estelle rocchitelli
16/09/2024
Ilaria ou la conquête de la désobéissance
"Je n'ose pas dire "non", je n'ose pas dire que je ne comprends pas , que je m'en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l'école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades,, m'entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l'idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul. "
Mai 1980. Son père vient chercher Ilaria à la sortie de l'école. Commence alors une errance italienne car, même s'il refuse le mot, le père vient bel et bien d'enlever sa fille de huit ans à sa mère et à sa grande sœur.
Mensonges, internat, vie paysanne en Sicile, la petite fille est trimballée au gré des humeurs de son père et de sa vie d'expédients. Un père qui parfois se fâche, boit trop et se révèle incapable d'assurer une certaine normalité pour sa fille, ce qui entraîne parfois un renversement des rôles.
Sans pathos, l'autrice rend compte de la situation dont s’accommode plus ou moins bien l'enfant, rendant compte du conflit de loyauté dont elle est victime. Cela aurait pu être un fait divers sordide, cela devient un récit poignant mais toujours écrit "à l'os"., laissant au lecteur le soin de combler les vides.
Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Éditions Zoé 2024. 173 pages.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée Littéraire 2024, romans suisses | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : gabriella zalapi
13/09/2024
#Cicatrices #NetGalleyFrance !
"Les cicatrices sont les hauts lieux cutanés de notre sentiment d'identité et de la reconnaissance de notre personne par les autres . Mais le corps est une géographie changeante. Les transformations induites par les avancées de l'âge se conjuguent à celles décidées par l'individu à l'image des tatouages, des implants ou des interventions de chirurgie ou de dermatologie esthétiques. S'y ajoutent les souvenirs cutanés laissés par les rebuffades de l'environnement ou les heurts brutaux avec les autres. "
De la première cicatrice (notre nombril), en passant par celles qui sont les traces d'événements, sans oublier les rituelles , celles qui sont signes d'infamie ou celles liées à l'art, David Le Breton explore avec acuité le lien qu'elles entretiennent avec notre peau mais aussi et surtout avec nous-mêmes.
S'y ajoutent les scarifications adolescentes, signes de malaise profond qui permettent de "crier par corps", tout comme les blessures carcérales, seules possibilités d'agir quand on n'a plus d'autres possibilités.
Les blessures des réfugiés, quant à elle, témoignent des tortures et des souffrances subies et permettront ou pas de justifier la nécessité de l'asile.
Une place particulière est faite pour les cicatrices sur le visage, particulièrement impossibles à dissimuler et qui impactent fortement les identités.
Le sociologue termine par ce qu'il appelle les "Corps de résistance, corps d'amazone", celui des femmes ayant souffert d'un cancer du sein, et par les inscriptions délibérées sur le corps, dans des officines qui leur sont dédiées, aux États-Unis.
Vous le voyez un panorama exhaustif , extrêmement intéressant et finement analysé, d'autant que le style de David Le Breton est très imagé et agréable à lire , même si la description de certaines pratiques peut être éprouvante. A recommander chaudement.
Éditions Métailié 2024.
06:00 Publié dans Essai, Rentrée Littéraire 2024 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : david le breton
12/09/2024
Au bal des absents...en poche
"[...], tous ces gens-là qui la condamnaient à la mot sociale, la mort civile , la mort de faim, la mort de froid, la mort dehors, la mort de désespoir, l'avaient définitivement amarinée à la houle incessante, insondable de la cruauté humaine."
Au chômage, au RSA, bientôt à la rue, Claude, quarante ans, est contactée par un mystérieux juriste qui lui propose d'enquêter sur la disparition de toute une famille américaine dans une maison isolée en pleine campagne.
Notre héroïne ignore encore qu'elle va devoir faire face, totalement seule, à "tant de siècles de méchanceté embusquée dans un gigantesque manoir ". Mais Claude a de la ressource car "le désespoir , c'est un luxe. Tu n'as pas les moyens", s'admoneste-t-elle. Et de se forger, grâce à une flopée de bouquins, de films, de jurons et de formules d'exorcisme, sans oublier les formations subies à Pôle Emploi, toute une batterie d’armes, à laquelle elle adjoint une binette bienvenue.
Sous couvert de fantastique, d'horreur, Catherine Dufour nous peint ici le combat solitaire d'une femme contre la misère à laquelle on voudrait qu'elle se résigne. Un combat social, féministe( j'adore la fin, à la fois drôle et horrifique). On sourit (quand on aime l'humour noir), on frémit et on apprécie de voir ici convoquées et détournées les figures imposées de ce genre de roman.
Claude est pugnace , intelligente et astucieuse et on jubile de voir comment elle apprivoise la situation à sa façon. Un roman hautement réjouissant même pour quelqu'un comme moi qui ne suit pas familière du genre fantastique et/ou horrifique.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : catherine dufour
06/09/2024
Le jour et l'heure...en poche
"Le monde qui semblait se refermer sur nous depuis des mois s'ouvrait enfin. Le monde que je croyais perdu à tout jamais me revenait grâce à l’art, aux traits, aux couleurs. "
Le temps d'un week-end, une famille va rejouer le scénario d'un départ en vacances d'enfance : les parents, les quatre enfants , devenus adultes, à l'arrière.
Direction la Suisse où la mère de famille, Edith, a décidé de se rendre pour qu'on puisse l'assister à mourir car elle se sait condamnée. Durant ce trajet, à cause de la situation bien particulière, mais aussi du temps qui a passé, la constellation familiale va évoluer et les rôles vont peut être se redistribuer.
Si j'ai apprécié , comme toujours, la manière dont Carole Fives scrute les familles et les interactions qui s'y mettent à jour, je suis restée un peu sur ma faim quant au thème principal.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : carole fives
05/09/2024
Celles qu'on tue...en poche
"Rien de plus facile que d'apprendre à détester les femmes. Les professeurs ne manquent pas. Il y a le père. L’État. Le système judiciaire Le marché. La culture. La propagande. Mais ce qui l'enseigne le mieux, d'après Bia, ma collègue du cabinet, c'est la pornographie. "
L'Acre, l’État qui présente actuellement le plus fort taux de féminicides au Brésil, c'est là que se rend l'héroïne du roman, avocate envoyée par son cabinet pour documenter le cas d'une jeune indigène torturée, violée et assassinée dans des circonstances particulièrement atroces.
Très vite, elle va se rendre compte de l'ampleur du phénomène de ces féminicides impunis et empiler dans un carnet les noms et les circonstances dans lesquelles ces femmes sont mortes.
Cette violence faites aux femmes fait écho à celles faites aux indigènes et à la forêt amazonienne, qui couvre une partie de ce territoire, le tout dans la plus grande indifférence.
Celles qu'on tue est un roman puissant qui nécessite des pauses dans sa lecture tant les situations évoquées suscitent à la fois un sentiment de révolte et d'horreur. La grande force de Patricia Meo est tout à la fois de s'appuyer sur des faits documentés, mais aussi de créer du suspense et de susciter l'empathie avec la narratrice dont la mère a été elle aussi tuée par son époux. Une dimension hallucinatoire et onirique est apportée par le récit des prises d’ayahuasca par l'héroïne qui s'initie aux rituels ancestraux des indigènes. Un roman à l'atmosphère étouffante , mais dont la lecture est nécessaire.
Traduit du portugais (brésil) par Élodie Dupau.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : patricia melo
04/09/2024
L'incandescente...en poche
"Je pensais filer en sa compagnie du côté des enfants amoureux, le seul pays dont je me revendique, où tout est encore lié, les herbes , les mots, le monde."
Découvrant des lettres adressées à sa mère, l'autrice reconstitue l'histoire d'amour qui l'a liée à Marcelle, L'incandescente, avant qu’Emma n'épouse Marcel.
Sous fond de tuberculose, le fléau aux aspects romantiques, Claudie Hunzinger donne vie à toute une époque et à une histoire d'amour enflammée.
Si j'ai eu beaucoup de plaisir à retrouver le style de l'autrice, je suis restée un peu sur ma faim à cause du choix qu'elle fait de ne pas nous livrer le texte de ces lettres, ou de nous les résumer, mais de se les approprier, tout en les commentant , leur conférant ainsi un statut un peu bizarre. Avis en demi-teintes donc.
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claudie hunziger
02/09/2024
Une femme sauvage
"Car depuis des lunes et des lunes c'est un pays où l'on combat. Un pays où l'on se défend. Un pays où l'on résiste. Et j'aime les endroits où l'on se tient debout envers et contre tout, sans forcément avoir besoin de revendiquer pour quelles raisons profondes. Des gens debout, hors de la norme, contre une oppression, alors que la majorité s'engourdit, se laisse plier sous le joug, ça me plaît. "
Alliant son amour de la marche, de la rébellion et de la nature, Pascal Dessaint part sur les traces d'une femme qui, en 2008, a choisi de vivre seule dans la forêt cévenole, et ce pendant quinze ans.
De nombreuses questions lui viennent en tête, tout à la fois matérielles et humaines et, au fil de ses pérégrinations,l'évocation de cette jeune femme qu'il laisse deviner victime d'un traumatisme, va faire écho à d'autres souffrances plus personnelles.
Avec beaucoup de pudeur, l'auteur se livre un peu et, en célébrant au fil des balades les enclaves de beauté qui subsistent malgré tout , il nous entraîne à sa suite dans cette quête poétique , erratique et lumineuse. Une belle manière d'entamer septembre. Et zou, sur l'étagère des indispensables.
Merci à l'auteur et à l'éditeur pour cet envoi.
Éditions Salamandre 2024.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Rentrée Littéraire 2024, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : pascal dessaint
28/08/2024
L'orage qui vient
"D'où lui vient cette idée que l'on a besoin d'eux partout, d'où vient aux hommes cette certitude d'être essentiels ? "
Une communauté de femmes vivant de manière solidaire et quasiment en autarcie dans le Hameau. Survient un homme de la ville, élément perturbateur qui va brouiller les pistes et que l'héroïne, Mila ne sent pas du tout.
Très vite, on comprend que Mila, quinze ans, possède des facultés fantastiques et tout l'art de l'autrice est de révéler comment le Hameau compose, ou non, avec ces particularités.
Un roman qui bat en brèche les clichés et fait la part belle à la sororité et à la nature.
La Ville Brûle 2022
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : louise mey
27/08/2024
Un jour d'avril
"Les relations avec les parents des amis de vos enfants peuvent ressembler à celles qu'entretiennent des ducs et duchesses rivaux, forcés de se montrer courtois pour la seule et unique raison qu'ils appartiennent à la même maison souveraine."
A un an d'intervalle à chaque fois, nous retrouvons les personnages de ce roman un 5 avril. Un an avant le COVID, pendant,après. Habitant à Brooklyn, ils frôlent la quarantaine et sont à une étape charnière de leur vie. Dan, espère effectuer son retour sur scène et retrouver le quart d’heure de gloire éphémère qu'il avait connu. Il quittera ainsi son rôle de père au foyer auprès de Nathan et Violet Son épouse Isabel , tente de préserver son emploi dans le journalisme et constate que son mariage s'effiloche doucement. Quant à son frère, il va devoir quitter la chambre qu'il occupe dans la maison de sa sœur et remettre en question son emploi d’enseignant. Derniers éléments de cette constellation familiale atypique, le frère de Dan ,Garth,qui a permis à une amie lesbienne de longue date de concrétiser son désir d'enfant.
Les enfants sont finalement ici les éléments les plus intéressants car les plus finement observés. Les autres personnages pâtissent eux d'un manque d'intensité dans la narration, mais il est vrai que l'auteur peint ici un monde en pleine déliquescence ...
le Seuil 2024, traduit de l’anglais (E-U) par David Fauquemberg
11:30 Publié dans Rentrée Littéraire 2024, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : michael cunningham