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13/08/2015

Filles impertinentes...en poche

"à présent, je comprends très bien son état d'esprit. Elle souffrait de ce mal fréquent chez les gens arrivés au milieu de leur vie, qui ont l'impression que tout leur échappe. Il lui semblait qu'elle ne pouvait rien saisir ni retenir. ou qu'elle était en train de jongler avec trop de balles et savait que si elle en laissait tomber une seule, toutes les autres tomberaient bruyamment sur le sol."

Filles impertinentes regroupe en un seul volume un texte publié en Grande-Bretagne en deux parties: Impertinent daughters (1984, 1985) et My mother's life (1985, 1986)*.doris lessing,relations mèrefille
Née en 1919 en Perse, Doris Lessing déclare pour le premier :"Ce récit pour objet la distance qui sépare ces deux photographies.",les deux images étant celles de sa mère, d'abord représentée sous la forme "d'une collégienne imposante", pleine d'une assurance toute victorienne;  sur la seconde, prise quarante cinq ans plus tard "elle apparaît maigre, vieille et sévère, et nous regarde bravement du fond d'un monde de déception et de frustration."
Ce n'est pas la première fois que l'auteure du Carnet d'or revient sur sa vie et ses relations avec ses parents et en particulier avec sa mère, mais ici, la distance temporelle a joué et Doris Lessing analyse avec toujours autant de franchise mais davantage de compréhension, à défaut d'empathie,  le comportement de cette femme , "produit d'un lieu et d'un temps: Londres, la Grande-Bretagne, l'Empire britannique".
Dans les deux autres parties, Lessing poursuit son analyse, presque clinique, des relations tendues avec sa mère et revient sur ce qui a mené ses parents, êtres très différents,à s'installer en Rhodésie du sud, l'actuel Zimbabwe, quand l'auteure n'avait que six ans.
Ceux qui espèrent du repentir ou des bons sentiments en seront pour leurs frais. Ceux qui apprécient la franchise décapante (et j'en suis) apprécieront. Lessing ne se présente jamais en victime, ne se donne jamais le beau rôle, elle constate les différences infranchissables qui l'opposaient à sa mère.
J'ai parfois pensé, dans un tout autre genre concernant le style, à Marguerite Duras et à son roman Un barrage contre le Pacifique pour le parcours de ces femmes venues s'installer à l'étranger dans un monde à mille lieues de ce pour quoi elles avaient été éduquées.

Filles impertinentes, Doris Lessing, traduit de 'anglais par Philippe Giraudon, J'ai lu 2015, 123 pages .

 

*bizarrement, il y a trois parties dans la version française...

12/08/2015

Les fuyants...en poche

"Son corps était en train de déclarer forfait. Jacob a mis du temps  à réunir assez de courage pour être lâche . Ou l'inverse."

Dans la famille Hintel , les hommes ont une fâcheuse propension à se carapater et à fuir toute forme d'engagement sentimental. Le petit dernier de cette lignée familiale, Joseph, aidé par son oncle Simon, parviendra-t-il, en explorant le passé, à dépasser ce schéma transgénérationnel ?arnaud dudek
Ils auraient tout pour qu'on les déteste ces Fuyants mais tout l'art d 'Arnaud Dudek, par une construction subtile du récit, par un humour parfois tendre, parfois féroce (ah la visite au beau-père potentiel collectionneur de tire-bouchons !) et surtout par son écriture , fertile en formules et en métaphores, est de nous les rendre sinon sympathiques , du moins diablement attachants. Car il y a  beaucoup de tendresse et de délicatesse dans ce roman qui revisite, sans prendre la forme d'un règlement de comptes, les périlleuses relations père/fils. Un roman qui nous laisse un peu K.O, avec juste l'envie de le relire aussitôt pour encore mieux le savourer. Un pur délice !

01/08/2015

L'oubli

"Une voiture avec un damier coloré sur la carrosserie s'arrête devant la maison. Un homme et une femme en sortent. Ils portent une chemise blanche et une grosse veste noire qu'ils ont étiquetée, comme moi avec ma prise de courant "BOUILLOIRE" et mon bocal "THÉ". leur étiquette à eux  dit "POLICE".

Malgré sa mémoire qui flanche de plus en plus, troublant sa perception du temps, lui faisant oublier certains mots au fur et à mesure de la progression de la maladie qui la touche (et ne sera jamais nommée), Maud n'en démord pas : Elizabeth a disparu.
La disparition de sa voisine et amie fait écho à celle , en 1946, de la sœur aînée de Maud, demeurée inexpliquée.emma healey
Avec comme seule arme son obstination et sa mémoire de papier (les bouts de papier sur lesquels elle note ce dont elle doit se souvenir) Maud parviendra-t-elle à découvrir la vérité ?
Une" enquêtrice" présentant un double handicap: son âge et sa maladie voilà qui donne déjà un côté intéressant à ce texte. Mais ce qui prédomine néanmoins dans ce roman c'est la description en focalisation interne de la lente dégradation occasionnée par Alzheimer chez une femme qui lutte pied à pied, tendue vers son objectif. Nous ne connaissons que son point de vue, même si les réactions des autres personnages qu'elle remarque au passage nous sont données de manière indirecte et totalement neutres (les récits anxiogènes de son aide à domicile, qu'elle neutralise d'une remarque pleine de bons sens,  les réactions exaspérées de sa fille captées par l'intermédiaire d'un miroir...)L’humour (voir la citation) et la tendresse ne sont pourtant pas absents et  si le rythme est lent (correspondant à celui de la narratrice) , je n'ai pas lâché ce roman qui nous entraîne dans un flux de conscience où se mêlent passé (raconté de manière extrêmement précise) et présent, beaucoup plus lacunaire, ce qui augmente l'effet de réalisme.  Un roman plein d'empathie et de chaleur humaine.

L'oubli, Emma Healey, Pocket 2015, traduit de l'anglais par Corinne Daniellot.

30/07/2015

Malins en diable /Les méchants en littérature

"[...] le méchant atterre, le méchant terrorise, le méchant scandalise, le méchant dégoûte, le méchant obsède, le méchant fascine, le méchant séduit. En un mot, le méchant ne laisse pas indifférent.à bon méchant gros public donc."

C'est avec une profonde jubilation, on le sent à la lecture de ce "catalogue" des méchants en littérature, qu'Isabelle Mimouni s'est penché sur le cas de 40 "pervers, peste, poison, psychopathe, putain, racaille, rosse, sadique, salaud, " j'en passe et des pires.isabelle mimouni,olivier tallec
De la Sophie de la Comtesse de Ségur qui découpe et sale des poissons vivants à  Hannibal Lecter,le cannibale, le fossé est immense, mais le plaisir demeure. Ne se contentant pas de présenter pour chaque personnage "sa vie, ses crimes", ainsi que ses différentes incarnations romanesques ou cinématographiques, l'auteure analyse de manière subtile et enjouée le comportement de ces méchants dont on sent bien , au fond, qu’ils lui sont sympathiques.
En effet, sans ces êtres négatifs de papier, les héros valeureux auraient bien moins de mérite et ne seraient pas mis en valeur.
Isabelle Mimouni débusque celui qui, à ses yeux, est le pire salaud dans Vipère au poing-hé non, ce n'est pas Folcoche...- et souligne le point commun à toutes ces figures du mal en analysant le cas de Lafcadio de, héros gidien : "Ce dernier n'est donc qu'une entéléchie: une figure  chargée par l'écrivain d'incarner une philosophie, un discours, une pensée. Il n'existe pas . Exactement comme tous les filous dont nous dressons ici les méchants portraits, et qui nous aident à concevoir, analyser, fantasmer, désirer, repousser, condamner, comprendre, ne pas comprendre et souvent simplement jouer, sans aucun danger. sans même penser à mal."
L'auteure a pioché dans un corpus très varié d’œuvres classiques ou contemporaines, de nationalités diverses et nous donne bien évidemment envie de les (re) lire, ce qui est malin en diable.Un grand plaisir de lecture à découvrir en Folio.

Malins en diable, Isabelle Mimouni, Folio 2015 , 220 pages accompagnées par des illustrations épurées et réjouissantes d'Olivier Tallec

06/07/2015

La reine des abeilles

"-Mais Georgie, protesta Heather, je n'ai jamais fait semblant d'être bête."

Nous en connaissons-ou avons connu- toutes une. La reine des abeilles c'est cette mère de famille qui chapeaute tout,de la vente de jacinthes à Noël pour financer un voyage scolaire, à la kermesse de fin d'année. Autour d'elle gravite, à l'heure de la dépose et à la sortie des classes, toute une cour, ravie de se faire tyranniser et exploiter. gill hornby
Dans le roman de Gill Hornby, la reine des abeilles c'est Bea qui régente la petite communauté des mères de l'école primaire de  Saint Ambrose, Il y a là Rachel, en plein divorce, Georgie, un peu foutraque et pleine de vie, Heather la timide et la très chic Bubba qui a mis sa carrière en pause. L'arrivée du nouveau directeur va aussi mettre un peu en émoi ces dames et pas seulement les célibataires !
Entre trahisons et  nouvelles alliances, la constellation se réorganise mais Bea n'entend pas céder la place !
Un doigt de romance , une pincée d'humour parfois vachard, beaucoup d'identification à ce microcosme féminin finement observé, le tout dans une ambiance so british, voilà les ingrédients d'un roman léger mais bien troussé ,qui fait passer un très bon moment.Très agréable, juste parfait pour l'été.

La reine des abeilles (the Hive), Gill Hornby, traduit de l'anglais par Denyse Beaulieu, Livre de Poche 2015, 381 pages rafraîchissantes.

 

02/07/2015

Devance tous les adieux

"La patience, c'est l'angoisse qui sait enfin respirer."

"Trente ans après les faits, un fils raconte le suicide de son père". Une phrase laconique et factuelle qui risque de faire fuir si l'on en reste là. Mais ce serait dommage, vraiment dommage de laisser de côté ce texte, sorti directement en poche dans la collection "Points vivre", tant il est lumineux et apaisant.
Déniché par hasard sur une étagère de ma librairie , c'est la préface, rédigée par Christian Bobin, qui m'a décidée à l'emporter. L'auteur de L'épuisement parle d'écriture à la hache et c'est vrai qu'Ivy Edelstein va à l'essentiel mais son épure est poétique et tout sauf violente.ivy edelstein
Par petites touches, se compose le portrait d'un homme fragilisé, aimant  et aimé par son fils : "Parfois, je m'installais près de lui comme on s'assoit près d'une cheminée pour entendre ces craquements du bois dans le feu qui nous disent de ne pas nous inquiéter."
Émaillé de réflexions qu'il faut laisser le temps d'infuser en soi, "Ce petit livre est [son] recueil", c'est aussi une magnifique lettre d'amour à un père disparu.

27/06/2015

Les évaporés...en poche

"Les soupçons, c'est une chose, c'est comme les probabilités, mais les images, la certitude, la vérité. Comment font les gens pour vivre avec la vérité ? "

Dans un Japon qui peine à se remettre de la catastrophe de Fukushima, vont se croiser trois trajectoires: celle d'un homme qui disparaît, s'évapore comme on dit dans ce pays, où ce phénomène est courant et n'entraîne aucune recherche par les autorités; celle de sa fille, depuis longtemps installée aux États-Unis qui engage son ex -petit ami détective privé et surtout poète et romancier, Richard B. pour rechercher son père; celle, enfin d'un adolescent qui tente de survivre dans les rues.thomas b. reverdy
Dans un pays gangrené par les yakusas (la mafia locale), ces personnages se confrontent avec une douce mélancolie à la perte et cherchent des moyens pour se réinventer.
Avec poésie et délicatesse, Thomas Reverdy nous brosse le portrait de la face cachée d'un pays qui nous paraît encore très étrange, surtout en ce qui concerne l'identité (une simple carte de visite permet d"en attester). Mais ce que j'ai aimé par dessus tout, c'est l'idée formidable d'imaginer le retour au pays de Yukiko, accompagnée de celui qui fut son petit ami, le romancier Richard B(rautigan). Les lecteurs qui avaient eu un coup de cœur pour cet auteur  atypique et hautement addictif lors de la première parution de ses écrits en France, peuvent ainsi le retrouver . Un très joli voyage au Japon que je vous recommande chaleureusement.

13/06/2015

La faute...en poche

"Elle sait que je fais de gros efforts pour m'améliorer en tant que mère, même si je ne pourrais jamais rivaliser avec elle."

Roman de la culpabilité , annoncé d'emblée par le titre français, La Faute (en VO :Just What Kind of Mother Are You? , encore plus accusateur , selon moi ) fait la part belle à la psychologie plus qu'au polar , même si le personnage de la policière est tout sauf secondaire .Les personnages féminins y ont la part belle et le processus d'identification fonctionne à merveille.paula daly
Chacune d'entre nous  peut en effet se reconnaître dans ce personnage de mère de famille débordée entre sa famille et son refuge pour animaux,( ce qui nous vaut entre autres de belles tirades sur les maîtres inconscients, frappées au coin du bon sens ), placée dans une situation intenable .
L'intrigue est plus sophistiquée qu'il n'y paraît à première vue, Paula Daly sait raconter une histoire, même si la langue qu'utilise ses personnages flirte souvent avec le trivial, ce qui peut être dérangeant. Certaines scènes sont à mon avis ratées, mais on est totalement tenu en haleine et on dévore d'une traite ce roman à la fois facile, populaire ( rien de péjoratif pour moi dans cette appellation) et hautement addictif.

10/06/2015

L'art de voyager léger et autres nouvelles

"Elle s'habillait toujours au lever du soleil, chaudement et avec enthousiasme. Elle boutonnait soigneusement ses pulls et son pantalon de moleskine autour de sa taille généreuse et une fois ses bottes enfilées et ses cache-oreilles baissés, elle s'installait devant l'âtre dans un état de bien-être que rien n'aurait pu perturber , parfaitement immobile et l'esprit libre de toute pensée, tandis que les flammes réchauffaient ses genoux. Elle accueillait chaque nouveau jour de la même manière et attendait l'hiver avec la même constance."(p.96-97)

Quel bonheur que ces textes célébrant le rituel, le chez soi, le sentiment de "sécurité absolue" et ceci de l' enfance d'une narratrice , qu'on peut supposer être l'auteure , au dernier été sur une île qu'on pourrait identifier comme celle évoquée dans Le livre d'un été (clic).tove jansson
Seul le dernier texte, donnant son titre au recueil (le seul titre relativement original par rapport aux autres, nettement plus ternes) met en scène un personnage masculin, mais les thèmes restent les mêmes.
En quelques pages, Tova Jansson crée un univers où l'enfance se déroule dans une grande liberté, au sein de la nature, où l'on est attentif aux sensations, aux sentiments. Des textes en apparence anodins mais où l'on ressent une grande intensité , une grande attention à ce qui fait la vie même.
Un huis-cos sur une île entre une femme et un écureuil, les sentiments exacerbés d'une enfant qui "courtise" un adulte , un Noël dans une famille à la fois bohème et soucieuse des traditions, une "expédition" qui pourrait mal tourner , autant de petits moments dont se dégage le plus souvent "un grand sentiment de quiétude". Et zou, sur l'étagère des indispensables !

L'art de voyager léger, Tove Jansson, traduit du suédois par Carine Bruy, livre de poche 2015, 165 pages qui résonnent en nous.

 

Ps: parfois les livres se prolongent de manière involontaire et opportune : Moan Chollet évoquait les Mommins  (imaginés par Tove Jansson)et le chez soi, j'ai enchaîné avec ces textes dont je guettais  fébrilement la parution...

07/06/2015

En cas de forte chaleur...en poche

"Il a beau se reposer sur elle, éprouver pour elle un attachement jamais démenti, elle n'a aucune idée de ce qui se passe derrière ces lunettes, ignore quelles pensées couvent sous ces cheveux gris épais."

En cet été caniculaire de 1976, un événement vient chambouler la routine d'un coupe de retraités: Robert part acheter son journal et ne revient pas.  Gretta ,sa femme, donne l'alerte et les trois enfants adultes se rassemblent pour faire front malgré leurs dissensions et leurs secrets.maggie o'farrell"Comment se fait-il qu'au bout de vingt-quatre heures passées en famille, on se retrouve adolescente ? Est-ce que cette régression va perdurer ? ", se demande la benjamine rebelle ,Aoife.
Maggie O'Farrell scrute avec bienveillance la manière dont se remettent aussitôt en place les vieilles rivalités , mais aussi les anciens rôles ,quand la fratrie se réunit. à cette situation s'ajoutent les crises personnelles que Aoife , son frère Michael Francis et sa sœur Monica traversent, de manière bien différente.
La vie n'est jamais tranquille dans cette famille irlandaise exilée à Londres et cette constellation familiale , pleine de contradictions, réserve bien des surprises. Mais plus qu'à ces rebondissements, c'est à l'intimité de chacun que s'attache l'auteure, à la relation que chacun tisse avec les autres, par delà les mots et le temps, de manière infinitésimale. Un style imagé et limpide, des personnages plus qu'attachants et une narration fluide qui ne vous lâche pas en route. Un gros coup de cœur , malgré une fin un peu convenue, constellé de marque-pages