27/05/2015
Beauté fatale...en poche
"Plus généralement, les femmes sont loin d’entretenir, comme les héroïnes de Sex and the City, un rapport hédoniste et insouciant à leur corps et à l'industrie qui les invite à l'embellir: le système , plutôt que de les combler de gratifications qu'elles n'auraient qu'à cueillir, telle Eve dans un moderne jardin d'Eden, attise leur frustration, leurs complexes, leur anxiété, leur autodévalorisation; il prospère sur les tourments physiques et moraux que leur inflige le souci névrotique de leur apparence. Et il le fait, comme on le verra , indépendamment de leur adéquation aux canons en vigueur : celles qui sont perçues comme les plus jolies peuvent très bien être aussi les plus flippées."
C'est en feuilletant son dernier ouvrage, que j'ai découvert, juste à côté et au format poche, Beauté fatale, sous titré Les nouveaux visages d'une aliénation féminine.
Le projet est fort intéressant: en se penchant sur les discours publicitaires, les blogs, la presse féminine, les témoignages de mannequins (édifiants, à faire lira à toutes les jeunettes que ce métier fait rêver !), les séries télévisées, bref, le discours et les images dans lesquels nous baignons constamment, Mona Chollet montre comment les normes inatteignables qui leur sont imposées nuisent au bien être des femmes.
On croit le savoir, bien sûr, mais on l'oublie trop souvent, moi la première, tant les injonctions qui nous sont martelées apparaissent comme la norme qu'il faut suivre "naturellement".
J'ai parfois sursauté , tant le discousr est parfois violent dans la manière dont l'auteure s'en prend à certaines personnalités( Sophie Fontanel, Elisabeth Badinter) ,mais la démonstration est implacable et les exemples nombreux et variés. Un texte roboratif qui donne un autre son de cloche à entendre et nous permet de prendre de la distance par rapport au discours dominant et de réveiller notre esprit critique engourdi.
Beauté fatale, Mona Chollet, La découverte /Poche 2015, 289 pages
06:00 Publié dans Essai, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : mona chollet
23/05/2015
Réparer les vivants ...en poche
Mais qui ne l'a pas lu ? !:)
"... c'est la première fois qu'ils nidifient une cavité de repli au sein de leur anéantissement..."
Réparer les vivants est "la somme des actions et la somme des mots, la somme des espaces et des sentiments" qui, partie du cœur de Simon Limbres, jeune surfeur de vingt ans, aboutira -ou non -à sauver la vie d'une receveuse en attente de transplantation.
Le roman de Maylis de Kerangal n'a rien d'un récit journalistique. Il acquiert une dimension quasi mythologique, brassant l'espace et le temps, replaçant l'organe dans sa dimension à la fois affective et symbolique. Il ne s'agit pas ici de réparer un organe défaillant mais bien de s'interroger sur les mots qui manquent pour exprimer l'émotion, les mots qui devront sonner juste pour convaincre les proches, mots qui parfois se mueront en chant pour mieux saluer le corps qui a encore une apparence de vie même si l'activité cérébrale a signalé sa mort, car il s'agit de creuser "ensemble dans cette zone fragile du langage où se déclare la mort.".
Cette trajectoire alterne les points de vue, y compris celui de la receveuse potentielle qui n'est pas sans interrogations, détaille aussi le ballet des intervenants médicaux, ne les réduisant pas à une fonction mais les inscrivant dans une humanité pleine de justesse.
Nous ressentons pleinement toutes les sensations , tous les sentiments qui bouleversent de fond en comble les personnages !
Le style précis, imagé et élégant,le récit tendu comme un arc et empli d'émotions sans jamais verser dans le pathos, font qu'une fois levés les a priori susceptibles d'entraver notre lecture, on ne peut quitter ce roman qui pulse et fait battre le cœur.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : maylis de kerangal
22/05/2015
Ce qui est arrivé aux Kempinski...en poche
"Une des particularités comiques de l'enfance est que l'on traverse une gamme infinie de sentiments dont on ignore les noms. Tant que le mot n'a pas épinglé la sensation, comme une aiguille perçant les thorax d'un insecte, les impressions papillonnent en liberté autour de nous et en nous, éblouissantes, féériques, mais aussi parfois menaçantes car nous n'avons aucune idée de leur trajectoire, de leur taille, de leur venimosité."
Dans les quatorze nouvelles composant Ce qui est arrivé aux Kempinski, la réalité fait un pas de côté et les rêves deviennent plus réels que la réalité. Le titre d'un roman apparaît différemment à sa lectrice, les identités sont faussées, fluctuantes. Usurpations, impostures, trahisons sont au rendez-vous et même le diable sera dupé par une femme.
Le familier révèle ses double-fonds, les sentiments inavouables (que faut-il faire des cadeaux rapportés de l'école, ces "offrandes [...]la plupart du temps ratées et mystifiantes de laideur" ?, se demande une mère de famille éprise de perfection). On sourit, on admire aussi l'écriture éblouissante d'Agnès Desarthe qui traque au plus près le réel qui se dérobe sous nos pas.
« Mon âme, dit-elle. Mon âme, que vaut-elle ? Mon âme est une liste de courses. Mon âme est une déclaration d’impôts, un bulletin de notes au bas duquel ne figurent pas d’encouragements. Mon âme est le mode d’emploi du lave-vaisselle remplacé depuis huit ans, un bordereau de la poste datant de trois mois (le paquet est reparti, mais où, et que contenait-il ? Une rivière de diamants, sans doute). Mon âme est pleine de “Bonjour, madame”, “Au revoir, madame”, elle est salie par les corvées, corrompue par la fatigue de jours sans héroïsme, sans passion, sans péril. »
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : agnes desarthe
21/05/2015
Dieu me déteste...en poche
"Être mourant, si on regarde bien, c'est plutôt lassant.ce qui est vraiment intéressant, c'est de vivre ici, beaucoup plus intéressant que je l'aurais cru , quand on m'a amené ici de force et que je jurais et me débattais tout ce que je pouvais."
Celui qui s'exprime ainsi c'est Richard Casey, dix-huit ans dans quelques jours. Bien qu"otage des soins palliatifs" d'un hôpital New-yorkais, lui et son amoureuse Sylvie, quinze ans, malgré la maladie, la perte des cheveux, le corps qui lâche dans tous les sens, ont une furieuse envie de faire des conneries, de s'aimer malgré tout, de vivre quoi !
Halloween et l'intervention d'un oncle hors-normes vont précipiter les événements et entraîner nos héros dans un tourbillon joyeux, souvent émouvant, plein d'une féroce rage de vivre malgré tout. Roméo luttant contre le dragon qui veille sur sa bien-aimée, Richard nous fait vibrer et allume plein d’étoiles dans nos yeux.
Jamais de sensiblerie ni de pathos, le monde hospitalier est peint de manière très juste et la fin est juste époustouflante. Un livre bourré d'énergie , d'empathie et de pudeur qui glisse , zou, sur l'étagère des indispensables. On n’est pas prêts d'oublier cette galerie de personnages et cet amour ardent ! Un grand et beau coup de cœur !
06:02 Publié dans l'étagère des indispensables, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : hollis seamon
19/05/2015
La femme au carnet rouge
"Laurent se trouvait devant une femme-puzzle. Une silhouette floue, comme dernière une vitre pleine de buée , un visage semblable à ceux que l'on croise dans les rêves et dont les traits se brouillent dès que l'on tente de se les remémorer."
Laurent Letellier, libraire, découvre un jour un sac mauve, probablement volé, sans indication de l'identité de la propriétaire. Il décide alors de mener une enquête , placée sous les auspices de Modiano (que nous croiserons ! ) de Sophie Calle et de Pessoa, afin de le lui restituer.
Se tissent alors entre l'apprenti détective et la victime du vol des liens qui vont très largement dépasser le simple acte civique...
Si je n'avais pas acheté ce roman en format poche, il est probable que j'aurais moins ressenti le charme subtil, quelques fois un peu forcé, de ce roman agréable et léger qui fait un bien fou, car j'en aurais sans doute attendu trop. Mais là, nonobstant une couverture criarde (je sais que le jaune est à la mode cette saison, mais c'est définitivement non à cette couleur) , je me suis régalée à lre cette romance qui s'élabore quasi malgré les principaux protagonistes.
Des avis très tranchés sur Libfly !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Les livres qui font du bien, romans français | Lien permanent | Commentaires (11)
17/05/2015
Comment trouver l'amour à cinquante ans quand on est parisienne...en poche
"Et maintenant, se demandait Dimitri Diop, et maintenant, si c'est vraiment l'amour qui se présente à nous, sommes-nous capables de le vivre ? "
Six personnages, d'âge et de conditions sociales différentes, saisis à des moments clés de leur existence, élaborent , sans le savoir toujours, une chorégraphie qui les fait se croiser dans Paris. La capitale devient d'ailleurs un personnage à elle toute seule et symbolise aussi la problématique essentielle de ce conte: l'exil et ses différentes formes.
Ce roman, au titre faussement" chickenlittien", se lit sans déplaisir mais son style, quelque peu compassé, fait que je ne m'y suis pas toujours sentie à l'aise, un peu comme si j'avais endossé un habit trop étroit.
Les personnages sont attachants, en particulier celui autour duquel s'articulent tous les autres: Catherine, quinquagénaire prof de français résidant à Paris mais enseignant de l'autre côté du périph, mais on reste toujours un peu sur sa faim, l'auteur leur tenant la bride un peu trop courte.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pascal morin
16/05/2015
Vacances à l'anglaise ...en poche
"Qu'avait donc cette maison ? Elle détraquait tout le monde."
Après le décès de leur mère, Richard décide d'inviter la famille de sa sœur, dont il n'a jamais été très proche, pour des vacances au Pays de Galles. Mais la combinaison de quatre adultes ayant peu d'atomes crochus, trois ados en pleine explosion hormonale et un enfant bourré d'imagination, le tout largué au milieu d'une campagne somptueuse mais dotée d'un réseau peu favorable aux portables risque de provoquer un cocktail détonnant...
Si l'ambiance de la maison de vacances est parfaitement bien rendue, le choix de l'auteur d’alterner les points de vue, même si l'on repère très vite l'identité du personnage ,donne au roman un côté par trop "haché", qui nuit à la fluidité du récit. Un bon moment ,mais rien d'exceptionnel.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mark haddon
14/05/2015
En finir avec Eddy Bellegueule...en poche
"Ne plus croire à une existence qui ne repose que sur la croyance en cette existence."
Pas de bol pour Eddy Bellegueule ! Il naît dans une famille où l'on vit à sept avec sept cent euros par mois, où l'avenir est tout tracé (l'usine est juste à côté de l'école), dans un milieu qui privilégie les valeurs masculines alors qu'il est efféminé.
Longtemps, son leitmotiv sera de correspondre au "nom de dur " qui lui a été attribué, Eddy Bellegueule donc. Mais les crachats, la violence physique et verbale qu'il subira deux ans durant au collège, l'attitude de sa famille qui ne sait comment faire face à sa différence, le sentiment de honte qui l'habite face à la pauvreté des siens, pauvreté aussi bien verbale qu'économique, font que cet adolescent "prisonnier de [son] propre corps", ne trouvera d'issue qu'en dehors de ce monde clos sur lui même.
Même si le mode de vie, de pensée, décrits dans ce roman à caractère autobiographique ( non assumé sur l'objet livre) pourraient de prime abord paraître d'une autre époque, nous nous situons ici à la fin des années 1990, début 2000, en Picardie. Eddy Bellegueule, vrai nom de l'auteur, s'il choisit de se renommer, n'en profite pas pour autant pour régler ses comptes avec les membres de sa famille. Il analyse de manière lucide ce qui les entrave d'un point de vue sociologique et ne les juge pas .
Il restitue de manière remarquable la langue fruste, les négligences de sa classe sociale, les arbitrages économiques, la méfiance vis à vis de la médecine, le manque d’intérêt pour l'école, tout ce qui creuse un fossé apparemment infranchissable entre "les petits" et "les bourges".
L'auteur partait dans la vie avec un double handicap (son milieu social,son homosexualité) mais il a réussi à En finir avec Eddy Bellegueule tout en nous offrant un texte magnifique sur ses origines et sa quête d'identité !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : edouard louis
10/05/2015
La petite communiste qui ne souriait jamais ...en poche
"Il n'a pas pu me briser parce qu'il n'a jamais su où étaient mes VRAIES limites, je ne les ai jamais dévoilées."
Aux Jeux Olympiques d'été de Montréal de 1974, une petite fée de 14 ans affole les ordinateurs car elle vient d'obtenir le note maximale de 10, jamais accordée auparavant. Nadia Comaneci entre dans l'histoire de la gymnastique, devient une star et l'emblème d'un pays communiste: la Roumanie alors sous l'emprise du dictateur Ceausescu.
La narratrice de La petite communiste qui ne souriait jamais imagine un dialogue entre elle-même et celle qui fut un temps l'icône de la planète avant de tomber de son piédestal. L'occasion de balayer les clichés sur un pays alors très fermé mais surtout de brosser le portrait d'une fillette "Puissante et impitoyable" qui semble n'avoir peur de rien , pas même de mettre à mal son corps.
J'ai été happée par l'écriture à la fois poétique et vigoureuse de Lola Lafon. Les échanges instaurés permettent de nuancer les propos (la Nadia du roman regimbe, boude, mais finalement revient toujours, sans pour autant éclairer toutes les zones d'ombre). Il s'agit en effet ici non pas d'écrire une biographie ni une hagiographie mais "d'entendre son parcours non réécrit y compris par elle-même." Un livre tout bruissant de marque-pages qui suscite un enthousiasme comparable à celui qu'avait engendré Nadia Comaneci. Et zou, un beau et grand coup de cœur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lola lafon
08/05/2015
Le beau monde...en poche
"J'aurai gagné en lumière et en ombre. En mystère."
"Terne, insipide", Frances Thorpes ? Cette obscure correctrice d'un prestigieux journal contemple de loin Le beau monde des lettres où elle officie à une très modeste place.Le hasard va lui permettre de recueillir les dernières paroles de l'épouse d'un grand écrivain, et, en côtoyant, même brièvement ce monde fascinant, Frances ne va pas résister à la tentation.Petit à petit , elle va s'immiscer dans un univers où elle n'a pas sa place...
Tout le récit est vu du point de vue de Frances, qui ne se livre jamais totalement, même au lecteur qui découvre, petit à petit, toutes les étapes d'une intrusion ourdie de main de maître. Il serait vraiment dommageable de donner trop de détails mais la peinture de cette ambition souterraine et implacable sous des dehors insignifiants est à proprement parler époustouflante !
La description des parents de l'héroïne, en particulier de sa mère ,totalement névrosée, ainsi que celle des coulisses du journal sont des régals et on ne peut lâcher cette héroïne qui observe implacablement le monde qui l'entoure, en assimile les règles souterraines, les mensonges, et en tire le meilleur profit. Un roman qui tient du thriller, de la peinture psychologique acérée et du tableau de mœurs. Un premier roman qui fait preuve d'une parfaite maîtrise tant dans l'écriture que dans le rythme du récit.
Du même auteur, vient de sortir Elle, Clic
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : harriet lane