24/04/2014
La femme qui dort
"Si une épidémie répandue par Dieu et non par le diable pouvait exister, qui ne plongerait pas les hommes dans un profond malheur mais les entraînerait vers la béatitude, cette épidémie devrait s'appeler N'kunre."
Les origine de N'kunre, Mieux encore que les fleurs et la femme qui dort, trois nouvelles aux tonalités extrêmement différentes et très dépaysantes. La première l'est d'autant plus qu'elle se déroule en Amérique du sud et flirte avec le conte ou plutôt le récit initiatique.
Les deux autres sont contemporaines et proposent des visions très particulières du couple. Ainsi dans la seconde, là où des occidentaux verraient une histoire mettant en scène ce qu'il est convenu d’appeler une couguar, Ikezawa Natsuki envisage les faits d'une manière vraiment originale. Quant à La femme qui dort, elle nous permet de voir que même l'univers onirique des japonais n'a rien à voir avec le notre...
Des récits troublants .
La femme qui dort, traduit du japonais par Corinne Quentin, picquier poche 2014, 134 pages.
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19/04/2014
Le jeu des ombres
"L'idée de symétrie était si puissante que pendant de longues années je ne compris pas que la structure s'était gauchie."
Un couple, lui ,peintre, elle, son unique modèle, se délite .Le tout sous les yeux de leurs trois enfants. Écrit ainsi, cela paraît trivial, voire pire. Sous la plume de Louise Erdrich cela devient un récit fascinant tant par la composition que par l'écriture, acérée et poétique à la fois. En effet, de prime abord Gil, Irene et leurs trois enfants constituent une famille modèle. Mais petit à petit, de petits indices, vus en particulier à travers des yeux enfantins, font prendre conscience de l'ampleur des dégâts et de la catastrophe imminente qui se profile.
Tout est ambivalent dans ce récit, y compris le faux journal que Irene écrit à l'intention de son mari quand elle découvre que celui-ci a lu le vrai. Au lecteur de confronter les deux versions , y ajoutant le point de vue de Gil et celui du narrateur omniscient. Manipulations de part et d'autre, mais aussi complicité qui renaît contre la psychothérapeute que le couple va consulter, tout peut basculer dans la violence ou l'amour et tout peut être utilisé comme une arme: la peinture ou les mots.
J'ai adoré chaque élément de ce ce roman de Louise Erdrich, le premier que je lis de cette auteure. L'attention portée aux détails qui pourraient paraître insignifiants mais sont tellement révélateurs. Ainsi l'attitude des chiens qui captent la tension de la famille et s'interposent pour mieux la gérer. Le fait que le lecteur voie sans cesse remise en question sa vision des principaux protagonistes, y compris dans la dernière partie, magistral retournement de situation. Mais aussi l'écriture, au plus près des sensations , des sentiments, une écriture qui fouille et appuie là où ça fait mal, cingle pour mieux s'adoucir. Un roman dans lequel on retrouve, mais sous un mode mineur l'un des principaux thèmes de Louise Erdrich: celui des Indiens d'Amérique, un retour aux sources qui permettra à certains personnages de trouver le chemin de la résilience. Une oeuvre magistrale et dérangeante. Un vrai et beau coup de coeur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : louise erdrich
18/04/2014
L'embellie...en poche
"Vous ne serez plus la même, mais au bout du compte, vous serez debout tenant la lumière dans vos bras."
Elle manie une dizaine de langues, apprises sans efforts, mais n'a "jamais su spécialement [se] servir des mots, en tête à tête, face à un homme."Coup sur coup, en ce mois de novembre pluvieux, cette trentenaire apprend , sans traumatisme apparent, avec une grande souplesse, pourrait-on dire, que son mari veut divorcer et que sa meilleure amie lui confie son fils de quatre ans, très myope et quasi sourd.
Commence alors un périple en voiture sur la route qui fait le tour de l'Islande pour regagner une vieille maison familiale .Un voyage, souvent cocasse, pendant lequel la jeune femme fantasque et l'enfant tisseront des liens qui ne passeront pas forcément par les mots , rencontreront des animaux et des hommes qui permettront peut être à une prédiction de s'accomplir.
En filigrane et par bribes, une histoire plus grave, venue du passé, se construit, éclairant sous un autre jour ce road trip.
Quel bonheur que ce livre lumineux et plein de fraîcheur ! Je l'ai d'abord dévoré d'une traite, puis ai pris le temps de le relire pour mieux en apprécier l'humour et surtout la manière pleine de justesse qu'à l'héroïne d'affronter les vicissitudes de la vie.
Un voyage initiatique, plein de charme et de tendresse retenue, qui se conclut d'une manière généreuse par quarante- sept recettes de cuisine et une de tricot !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : audur ava olafsdottir
15/04/2014
Crème anglaise
"Moi aussi je suis arrivé avec des idées reçues. Je pensais que les anglais étaient différents avant de venir ici."
Brillant élève, issu d'un milieu pauvre et écossais, Struan part à Londres pour s'occuper d'une figure majeure de la scène littéraire anglaise, Phillip Prys. Ce dernier, victime d'un AVC, est devenu un poids mort pour sa famille.Lesté de beaucoup d'illusions, le jeune Struan va débarquer dans une maisonnée bohème qui va lui paraître des plus étranges...
Éducation sentimentale et sociale, Crème anglaise,( Meeting the English en VO est nettement plus parlant), est une sorte de choc des cultures et de réajustement de valeurs. Se déroulant durant l'été caniculaire de 1989, "année où le monde changea, où les murs tombèrent, et où tous les vieux tyrans moururent" ,ce roman raconte aussi la fin d'un tyran domestique et peint ,de manière nuancée et pleine d'un humour souvent vachard cette constellation familiale hors-normes. Un roman savoureux et cent pour cent british.
Clara a aussi aimé.
18:20 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : kate clanchy
14/04/2014
Les Suprêmes
"Entre Suprêmes, nous nous traitions avec beaucoup de délicatesse. Nous fermions les yeux sur les défauts des autres et faisions preuve de prévenance , même quand cela n'était pas mérité."
Elles se sont connues à l'adolescence et, entrées dans la cinquantaine, se fréquentent toujours avec autant de bonheur. Malgré les années, elles sont restée celles que l'on surnomme encore Les suprêmes, trois afro-américaines pittoresques et pleines d'énergie, même si la vie ne les a pas épargnées .
Qui sont elles ? D'abord Odette, qui se définit elle-même comme une enquiquineuse, toujours prête à vous balancer en face des vérités déplaisantes. Normal qu’elle soit intrépide: elle est née dans un sycomore ! Puis, Clarice , à deux doigts de croire comme le lui rabâche sa mère que"le bonheur est le signe infaillible qu'on vit dans le péché." et qui ferme les yeux depuis bien longtemps sur les infidélités de son charmeur de mari. Enfin, Barbara Jean, toujours aussi sexy, mais toujours aussi marquée par son passé, fortement lié à l'histoire des États-Unis.
De retours en arrière en morceaux de bravoure (on ne souhaite à personne un mariage comme celui de la pauvre Sharon !), de sourires en moments d'émotion, on partage avec Les Suprêmes un véritable bonheur de lecture et l'envie qu’elles nous fassent un petite place dans leur bande !
Les Suprêmes, Edward Kelsey Moore, traduit de l'américain par Cloé Tralci avec la collaboration d'Emmanuelle et de Philippe Aronson, Actes Sud 2014, 316 pages qui fleurent bon l'amitié indéfectible !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : edward kelsey moore
12/04/2014
Le détour...en poche
Étrange, cette aisance avec laquelle le garçon et le chien s'accommodaient à cette maison."
Emportant quelques meubles et surtout son recueil des poèmes d'Emily Dickinson, une néerlandaise entre deux âges, loue une maison isolée au Pays de Galles. Derrière elle, elle laisse des parents figés dans leurs habitudes et un mari, d'abord furieux puis indifférent.
Va-t-elle tenter de se reconstruire ou son objectif est-il simplement de trouver un apaisement ? Se tenant d'abord dans un monde clos, l'héroïne va petit à petit s'intégrer à la nature qui l'entoure. L'arrivée impromptue d'une jeune homme chargé de cartographier les sentiers pédestres de la région va briser cette solitude et réveiller en elle sentiments et sensations.
Avec une grande économie de moyens, beaucoup de non-dits, Gerbrand Bakker fait évoluer son héroïne, gommant tout pathos, dans un univers qui devient de plus en plus proche de celui d'Emily Dickinson. On est bien loin ici de l'image que donne Christian Bobin de la poétesse américaine dans La dame blanche !
Mais le plus important mérite de ne pas être révélé afin de ne pas briser le charme puissant de ce roman qu'on voudrait tout à la fois finir et faire durer le plus longtemps possible... Un univers peuplé d'oies, d'un chien de berger, d'écureuils gris , d'un blaireau effronté et de quelques personnages qu'on a l'impression de voir évoluer devant nos yeux tant ils sont réussis ! Un moment de pur bonheur !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : gerbrand bakker
11/04/2014
Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling
"Elle ne supportait pas de voir tout ce qui avait fait la gloire de cette maison disparaître pièce après pièce aux mains de gens qui y poseraient des bouteilles de bière, leur monnaie , ou un poste de télé. c'était un sacrilège."
Parce que Dieu le lui a ordonné, parce qu'elle sait qu'elle va mourir, Faith Bass Darling, septuagénaire excentrique, organise un vide-grenier le 31 décembre 199 au matin. Une occasion exceptionnelle pour le public de voir étalés sur la pelouse les biens que cinq générations ont amassés dans cette riche maison. L'occasion aussi d'évoquer les fantômes , les drames et la fuite de la fille de Faith, tous liés à des objets du passé.Une folle journée donc où les événements vont s'enchaîner, brassant tout un flot d'émotions et de non-dits.
Quelle relations entretenons-nous avec les objets ? Peuvent-ils être de véritables compagnons ou devons-nous apprendre à nous libérer d'eux ? Faith Bass Darling et sa fille devront rapidement trouver des réponses à ces questions avant que l'an 2000 ne pointe...
Premier roman des plus sympathiques, Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling paraît parfois un peu léger dans ses réflexions et sa volonté de vouloir à tout prix remettre le monde en ordre mais il procure néanmoins un bon moment de lecture, fluide et plaisant. Un bon gros roman comme on les aime !
Le dernier vide-grenier de Faith Bass Darling, Lynda Rutledge, traduit de l'anglais (E-U) par Laure Manceau, Babel 2014 , 347 pages qui se dévorent toutes seules !
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08/04/2014
Entre les jours
"Pendant au moins trente secondes, tout était resté parfaitement calme. Pendant au moins trente secondes, avant que les cris ne retentissent, que leurs vies ne basculent définitivement, le monde était resté parfaitement calme."
Une famille américaine bien sous tous rapports : un père architecte, une mère au foyer, un garçon et une fille qui poursuivent leurs études. Certes, le divorce parental a quelque peu déstabilisé ce microcosme propret mais c'est surtout le renvoi de Chloé de l'université, puis sa disparition sans explication qui vont tout faire chavirer.
Roman psychologique, Entre les jours possède un sens du rebondissement et du suspense impeccables. On découvre petit à petit les causes du renvoi de Chloé et surtout on observe, fascinés, comment cette constellation familiale va devoir se réorganiser face à l'impensable. L'auteur se glisse avec aisance dans chacun de ses personnages et son écriture sensible et maîtrisée ne nous permet pas de lâcher ce roman addictif. Une réussite !
Entre les jours, Andrew porter, traduit de l'anglais (E-U) par France Camus-Pichon, Éditions de l'olivier 2014, 400 pages magnifiques.
Clara a aussi été conquise !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : andrew porter
05/04/2014
Bernadette a disparu...en poche !
"Je crois que vous me confondez avec quelqu'un qui souhaiterait vous connaître."
Bernadette, sa talentueuse fille Bee et son mari, gourou chez Microsoft ,vivent à Seattle, dans une ancienne institution où la frontière entre l'extérieur et l'intérieur est devenue plus que poreuse.
à la veille d'un voyage en famille en Antarctique, Bernadette, rattrapée par ses névroses, disparaît. Sa fille décide de se lancer à sa recherche et découvre bientôt dans son courrier tout un ensemble de documents qui vont lui permettre de brosser un portrait à 360 ° de sa mère, constituant ainsi le texte de ce roman.
Qui est vraiment Bernadette ? La pourfendeuse des mères parfaites de Seattle qu'elle appelle "les bestioles" ? Une architecte qui a étouffé dans l’œuf ses capacités créatrices ? Une femme qui n'a pas su surmonter ses échecs ? On pourrait continuer longtemps la liste de ces questions tant est riche la personnalité de cette femme hors du commun qui nous devient de plus en plus proche (et diablement sympathique !) au fur et à mesure de notre lecture.
Bourré d'un humour féroce, ce texte ne ménage pas les rebondissements et nous propose une satire hautement réjouissante d'un monde qui se voudrait parfait et lisse. Les personnages ne sont pour autant jamais présentés de manière manichéenne et l'on ne lâche pas ce roman, sauf pour en retarder au maximum la lecture des dernières pages !
06:01 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : maria semple
04/04/2014
L'exception
"-La vie bifurque constamment. Il n'est pas de personne plus mûre que celle qui change sept fois par semaine sa façon de penser."
La nuit du réveillon, son mari annonce à Maria qu'il la quitte pour un mathématicien, spécialiste comme lui de la théorie du chaos. Pour le coup, c'est bien la vie de la jeune femme qui devient chaotique ! Aidée par sa voisine Perla, haute d'un mètre vingt, conseillère conjugale et familiale (et nègre d'un auteur policier à ses heures), la jeune femme aura fort à faire pour se reconstruire psychiquement face aux événements bouleversants qui s'enchaînent.
Truffé de réflexions sur l'écriture , les liens entre la fiction et la réalité, L'exception possède un rythme enjoué , un ton qui ne sombre ni dans le pessimisme ni dans l’optimisme à tout crin. "-Si ta vie était un roman, dit-elle depuis la cuisine, une telle saturation d'événements semblerait peu vraisemblable." Et pourtant nous savons bien que la vie est souvent bien plus surprenante que la réalité.
Pas de solution miracle, pas d'analyse sauvage, juste du bon sens et de la bienveillance, de l'empathie pour des personnages nuancés et pleins de vie. Un roman alerte et revigorant , plein d'humour, bref une réussite ! Et zou, sur l'étagère des indispensables !
L'exception, Adur Ava Olafsdottir, traduit de l'islandais par la talentueuse Catherine Eyjolfsson, Zulma 2014, 338 pages riches d'humanité.
Du même auteur : clic et reclic (le second sortira bientôt au format poche !)
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, Les livres qui font du bien, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : audur ava olafsdottir