03/02/2014
Les endormeurs #8
"Une perte réveille la souffrance de pertes anciennes et on peut se demander si on est en mesure de résister à tout cela."
à la mort de sa femme, Drik, psychanalyste voit sa constellation familiale se réorganiser.Sa sœur, Suzanne, endosse le rôle d'aînée pour soutenir cet homme qui avait mis sa profession entre parenthèses pour accompagner les derniers mois de son épouse. Elle-même reprend aussi son travail d'anesthésiste, ce qui lui permet d'oublier un peu que sa fille, Rose, a choisi brutalement de quitter le domicile familial, événement que son mari, Peter, accepte plus facilement.
Si Suzanne accomplit ses tâches avec aisance, il n'en est pas de même pour Drik placé par un patient retors dans un conflit d'intérêts inextricable.
Roman sur la perte, Les endormeurs permet aussi à Anna Enquist, elle-même psychanalyste d'explorer deux univers en apparence antinomiques. Comme elle le précise en conclusion: "Dans ma profession, la psychanalyse, nous partons du principe que, dans la plupart des cas, le patient gagne à savoir ce qui se passe en lui, que cela lui est salutaire.[...] Quand le refoulé peut s'exprimer, on accède au symbolique, le refoulé s'apaise et les symptômes disparaissent. L'anesthésiste, lui, épargne les sensations douloureuses à son patient, il considère qu'il a bien fait son travail si le patient n'est absolument pas conscient de la souffrance qu'on lui a infligée pendant l'intervention."
Très documenté sans jamais être pesant, ce roman nous donne l'occasion de visiter les coulisses de deux univers passionnants , de nous remémorer que tous ceux à qui nous confions nos corps et/ou nos âmes sont faillibles, eux-aussi. 361 pages à laisser infuser.
Les endormeurs, Anna Enquist, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian, Actes Sud 2014.
Du même auteur : clic
PS: surtout ne pas lire la quatrième de couv' qui relate presque entièrement le roman !
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : anna enquist, anesthésie, pschychanalyse
09/01/2014
Le chardonneret
"Et le tableau au-dessus de sa tête était le centre immobile autour duquel tout s'articulait: rêves et signes, passé et futur, chance et destinée. Il n'y avait pas une seule signification , mais plusieurs. Il s'agissait d'une énigme en constante expansion."
Brutalement devenu orphelin, dans des circonstances pour le moins extraordinaires,le jeune Theo va voir sa destinée liée à celle d'un tableau, Le chardonneret.
Ne comptez pas sur moi pour vous donner davantage de détails sur ce roman (moins vous en saurez, plus vous apprécierez les surprises qu'il vous réserve ! !). Sachez juste qu'il mixe en un somptueux mélange des thèmes aussi divers que la destinée, l'attachement aux œuvres d'art, l'amour, la culpabilité, le syndrome post-traumatique et emporte son lecteur dans un incessant rythme de montagnes russes , alternant l'ombre des appartements cossus new-yorkais et la lumière crue de Vegas, entre autres.
Donna Tart ,dans ces 787 pages, fait souvent osciller son héros entre rêve et réalité et gomme les frontières entre les genres littéraires, empruntant autant au roman d'apprentissage qu'au roman policier, avec des personnages toujours surprenants. On s'attache à eux, malgré ou plutôt grâce à leurs défauts, et on n'oubliera pas de sitôt Hobie ou Mme Barbour.
Donna Tart est une conteuse hors pair et son style l'est tout autant.On ne s'ennuie pas une minute dans ce roman aux tonalités très tranchées.
Notons au passage la couverture (très astucieuse) et la 4 ème de couv' (qui en dit juste ce qu'il faut pour donner envie !). Et zou, sur l'étagère des indispensables ! L'année commence bien !
Félicitations à la traductrice, Edith Sonnckindt, qui a su se glisser dans une telle variété d'univers !
Plon 2014.
Le billet de Keisha.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : donna tart
27/12/2013
Cette vie ou une autre
"On peut être n'importe qui."
Lucy, tout juste majeure ,fuit un destin médiocre aux côtés de son charismatique professeur. Miles recherche depuis dix ans son jumeau à la personnalité trouble. Quant à Ryan, à l'aube de ruiner tous les espoirs de sa mère, il découvre à l'âge de quinze ans l'identité de son père biologique. Ils n'ont rien en commun mais leurs destins vont s'imbriquer implacablement.
D'univers créés en identités volées, d'argent transféré en quelques clics en liasses bien réelles, les personnages naviguent entre monde réel et virtuel. Tous les possibles semblent offerts mais la confrontation entre les deux univers s'avère souvent brutale...
Roman virtuose, tant par l’écriture que par la construction, Cette vie ou une autre nous entraîne à la suite de personnages denses aux identités fluctuantes. L'auteur se joue de la chronologie pour rendre son récit encore plus efficace et ce jusqu'à la révélation finale. Le lecteur se fait avoir en beauté et en redemande! Une œuvre magistrale et un grand coup de cœur !
Cette vie ou une autre, Dan Chaon, traduit de l'américain par Hélène Fournier (que je remercie pour cette suggestion, élément déclencheur d'un désir amorcé par le billet de Clara) ), Points Seuil.
Un auteur à découvrir pour Kathel
Le billet de Clara qui vous mènera vers plein d'avis variés.
Déniché à la médiathqèue.
06:02 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : dan chaon
23/12/2013
Esprit d'hiver
"Leur fille était venue sans héritage. Elle était si belle et si parfaite qu'elle n'en avait pas besoin."
Treize ans plus tôt, jour pour jour, Holly et son mari découvraient pour la première fois dans un orphelinat russe leur fille adoptive ,Tatiana. Mais, aujourd'hui, en ce matin de Noël, tout semble conspirer pour que la fête familiale soit gâchée et que les relations mère/fille tournent à l'aigre.
Huis-clos oppressant et hypnotique par le ressassement de phrases que Holly voudrait absolument noter, Esprit d'hiver a su me ferrer et ce dès la première page où une indication m'a donné une partie de l'explication. Les indices sont nombreux, autant de cailloux blancs qu'Holly a refusé de voir pendant toute l'enfance de sa fille et avec lesquels son esprit joue en repoussant sans cesse la vérité.
Le roman familial d'Holly explique en partie cette attitude dans une société où les gènes semblent si importants.
Roman du déni et de la frustration, Esprit d'hiver m'a permis de renouer avec bonheur avec l'univers de Laura Kasischke. Un bel exercice de style qui prend tout son sens à la dernière page.
Des avis très différents: Clara, Cuné , Galéa, Kathel, Papillon
traduit de l'anglais (E-U) par Aurélie Tronchet,
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : laura kasischke, relation mèrefille, adoption
09/12/2013
Luther, l'alerte
"Les paroles véhiculent leur véritable signification comme les rats transportent des puces infestées."
Le succès de la série Luther (clic) a entraîné la rédaction d'un prequel par un habitué du polar, Neil Cross . Très dispensable (merci ma bibli), on n'y retrouve pas tout ce qui fait l'humanité du personnage ni la magie de la ville de Londres, un personnage à part entière dans la série. trop de trash pour le trash et j'ai failli ne pas terminer ce roman qui appuie avec délectation là où ça fait mal (pour moi): les chiens et les bébés.
Bonne nouvelle: la série revient sur une chaîne cryptée le 13 décembre.
Info: Idriss Elba, méconnaissable incarne Mandela dans le biopic qui lui est consacré.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : neil cross
05/12/2013
Shining
"Car, à bien y réfléchir, les malheurs qui l'avaient frappé (lui et les otages qui que le sort lui avait confiés) lui étaient tombés dessus comme un essaim de guêpes."
Caractériel et alcoolique, Jack a brisé net la carrière universitaire qui s'ouvrait à lui. Pire , il a failli mettre fin à son mariage en se montrant violent envers son jeune fils, Danny.Sa dernière chance est d'accepter le poste de gardien et d'homme d'entretien d'un gigantesque hôtel, à cinquante kilomètres de toute habitation, en plein hiver.Là, en compagnie de sa famille, il espère reconquérir leur confiance et venir à bout de sa pièce de théâtre.
Tout ceci resterait relativement classique si Danny n'était doté d'un don de prophétie et si l'hôtel ne recelait de noirs secrets...
La tension monte vite dans ce lieu unique et clos où les manifestations de plus en plus menaçantes vont se succéder. Si King analyse avec une extrême précision les mécanismes de l'alcoolisme et si ses personnages sont denses et plein d'humanité, je suis restée plus dubitative quant à la progression des phénomènes étranges. J'ai rencontré en fait le même problème que dans d'autres œuvres que j'avais lues il y a longtemps: j'apprécie la sobriété de ces descriptions mais trouve que , en avançant dans le récit, cela tourne un peu au grand guignol et perd en crédibilité. Un grand roman cependant , efficace et sensible.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : stephen king
25/11/2013
Le mystère du hareng saur
"-ça fait toujours plaisir de se faire insulter par le fantasme de quelqu’un d'autre."
Branle-bas de combat dans le monde des livres ! Thursday Next a disparu et il faut la retrouver d’urgence pour éviter une guerre entre le Roman Grivois et la Littérature Féminine. Pas sûr que le conflit soit évité car celle qui est chargée de la retrouver n'est autre que la Thursday de fiction, qui interprète son rôle mais ne dispose pas des mêmes capacités que celles de son illustre modèle.
Flanquée d'un majordome mécanique, louvoyant entre les Hommes du Plaid et les trafiquants de fromage, Thursday aura fort à faire, d'autant que son p'tit cœur tout mou bat fort pour le mari de Thursday...
Quel bonheur de replonger dans le Monde des Livres ! Les e-books y sèment un peu de désordre et la Thursday de roman va s'employer à comparer le monde réel, fort chaotique à ses yeux ,et celui, plus policé en apparence ,de la fiction. Jasper Fforde a retrouvé une veine inventive qui fait plaisir à lire et même si l’intrigue est un peu légère, on prend beaucoup de plaisir à se balader dans le monde plein de références loufoques , de fausse logique et d'humour ! un vrai régal !
Le mystère du hareng saur, Jasper Fforde, traduit de l'anglais (royaume 6uni) par Jean-François Merle , Fleuve noir 2013, 472 pages bruissante de marque-pages !
Série Thursday Next
- L'Affaire Jane Eyre, Fleuve noir, 2004 ((en) The Eyre Affair, 2001) clic
- Délivrez-moi !, Fleuve noir, 2005 ((en) Lost in a Good Book, 2002)
- Le Puits des histoires perdues, Fleuve noir, 2006 ((en) The Well of Lost Plots, 2003) clic
- Sauvez Hamlet !, Fleuve noir, 2007 ((en) Something Rotten, 2004) clic
- Le Début de la fin, Fleuve noir, 2008 ((en) First Among Sequels, 2007) clic
- Le Mystère du hareng saur, Fleuve noir, 2013 ((en) One of Our Thursdays Is Missing, 2011)
- The Woman Who Died a Lot, 2012
- Dark Reading Matter
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jasper fforde, thursday next, fantasy spéculative
18/11/2013
L'escapade sans retour de Sophie Parent
" à quarante ans, Sophie était une servante dont la vie n'était que chasteté et frustration."
Parce qu'elle veut qu'on l'aime, Sophie Parent est la parfaite illustration de ces gens qui ne disent jamais non. Elle se laisse exploiter par toute sa famille jusqu'au jour où un accident sans gravité va la décider à se faire la belle au soleil.
Couvert d'éloge un peu partout -qui n'a pas jamais rêvé de tout plaquer ? - ce livre semble avoir été écrit par une élève de CM2 ( "...des fleurs toutes plus belles les unes que les autres " p. 62) et enfile avec une belle ardeur les clichés.
J'ai lâchement abandonné Sophie Parent la niaiseuse à la page 106 car je frôlais l'overdose de sucre.Heureusement , je l'avais déniché d'occasion . Exaspérant.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : mylène gilbert-dumas, schtroumph grognon le retour
16/11/2013
Mon hiver à Zéroland
"Le monde était encore en ordre, la douleur sous contrôle, ma mère, le chêne séculaire en haut de la colline, moi la graine chaude de l'hiver , entourée par le plus puissant des boucliers."
à la mort de sa mère, Alessandra, en dernière année de lycée, se réfugie à Zéroland, pour "annoncer que tout avait changé dans [sa] vie , pour toujours." Le roi de ce royaume imaginaire est Gabriele, surnommé Zéro par ses camarades qui l'ostracisent et à côté duquel la jeune fille choisit de s'asseoir.Une manière de tenir à distance ses anciens amis et de tisser petit à petit des liens avec ce garçon qui à la fois l'attire et la déstabilise.
Paola Predicatori peint avec sensibilité et délicatesse le portrait de cette adolescente au comportement parfois hésitant qui parviendra à surmonter cette saison douloureuse. Une atmosphère particulièrement bien rendue de bord de mer en hiver (qui m'a parfois fait penser à la nouvelle Lullaby de Le Clézio ) et une écriture fluide ont fait mon bonheur.Aucun pathos, tous les écueils du genre ont été évités et si je craignais le pire en ouvrant ce roman, je l'ai dévoré d'une traite. Une très jolie découverte !
Mon hiver à Zéroland, paola predicatori, traduit de l'italien par Anaïs Bokobza, Les escales 2013, 303 page sà savourer au coin du feu.
10:15 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : paola predicatori, deuil, adolescencee
12/11/2013
Dora la dingue
"Être une fille dans ce monde n'est donc qu'une question d'argent et d'organes génitaux ? La vie n'est-elle qu'une série de transactions ? "
Trahie par son père (qui a une maîtresse), négligée par sa mère (dépressive), Ida, 18 ans, va traverser une "épreuve psycho-sexuelle", comme elle qualifiera après coup la série d'aventures racontée dans Dora la dingue.
Entre séances de psy où Ida a toujours un coup d'avance sur le Dr Sigmund, cavalcades effrénées avec sa bande, Ida devient Dora et ne maîtrisera bientôt plus les règles d'un jeu cruel.
Il y a une grande inventivité langagière dans Dora la dingue (bravo au traducteur!), une belle énergie aussi mais je suis toujours restée extérieure à ce récit qui semble enchaîner les morceaux de bravoure sans pour autant susciter d'émotions.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lidia yuknavitch