27/01/2014
Réparer les vivants
"... c'est la première fois qu'ils nidifient une cavité de repli au sein de leur anéantissement..."
Réparer les vivants est "la somme des actions et la somme des mots, la somme des espaces et des sentiments" qui, partie du cœur de Simon Limbres, jeune surfeur de vingt ans, aboutira -ou non -à sauver la vie d'une receveuse en attente de transplantation.
Le roman de Maylis de Kerangal n'a rien d'un récit journalistique. Il acquiert une dimension quasi mythologique, brassant l'espace et le temps, replaçant l'organe dans sa dimension à la fois affective et symbolique. Il ne s'agit pas ici de réparer un organe défaillant mais bien de s'interroger sur les mots qui manquent pour exprimer l'émotion, les mots qui devront sonner juste pour convaincre les proches, mots qui parfois se mueront en chant pour mieux saluer le corps qui a encore une apparence de vie même si l'activité cérébrale a signalé sa mort, car il s'agit de creuser "ensemble dans cette zone fragile du langage où se déclare la mort.".
Cette trajectoire alterne les points de vue, y compris celui de la receveuse potentielle qui n'est pas sans interrogations, détaille aussi le ballet des intervenants médicaux, ne les réduisant pas à une fonction mais les inscrivant dans une humanité pleine de justesse.
Nous ressentons pleinement toutes les sensations , tous les sentiments qui bouleversent de fond en comble les personnages !
Le style précis, imagé et élégant,le récit tendu comme un arc et empli d'émotions sans jamais verser dans le pathos, font qu'une fois levés les a priori susceptibles d'entraver notre lecture, on ne peut quitter ce roman qui pulse et fait battre le cœur.
Et zou, sur l'étagère des indispensables !
Un grand merci à Clara !
Réparer les vivants, Maylis de Kerangal, Verticales 2014.
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : maylis de kerangal
26/01/2014
Barbe bleue...en poche
"La couleur n'est pas le symbole du plaisir, c'est le plaisir ultime. C'est tellement vrai qu'en japonais, "couleur" peut être synonyme d'"amour"."
Placé sous le triple signe du jaune, de l'or et du champagne , Barbe bleue revisite le conte éponyme en se posant la question suivante: pourquoi des femmes ont-elles continué à épouser ce "serial killer" avant l'heure ?
Le dispositif inventé par don Elemirio, ce Barbe bleue contemporain, est basé sur la proposition d'une collocation particulièrement avantageuse car "La colocataire est la femme idéale."Attirée par le confort et la modicité du loyer la jeune et belge Saturnine saura-t-elle rester en vie ?
Plein d'humour et de vivacité, les dialogues opposant les deux principaux protagonistes les voient ferrailler avec une belle ardeur et Saturnine se montre particulièrement retorse face à cet homme qui ne ment jamais. Plein de verve et de fantaisie, émaillé de remarques pleines d'humour : "On devrait taxer l'autosatisfaction", Amélie Nothomb se montre ici au mieux de sa forme, même si j'ai ressenti une légère baisse de régime vers la fin.
Un roman biscornu et plein de charme qui file à toute allure.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Roman belge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amélie nothomb
25/01/2014
En finir avec Eddy Bellegueule
"Ne plus croire à une existence qui ne repose que sur la croyance en cette existence."
Pas de bol pour Eddy Bellegueule ! Il naît dans une famille où l'on vit à sept avec sept cent euros par mois, où l'avenir est tout tracé (l'usine est juste à côté de l'école), dans un milieu qui privilégie les valeurs masculines alors qu'il est efféminé.
Longtemps, son leitmotiv sera de correspondre au "nom de dur " qui lui a été attribué, Eddy Bellegueule donc. Mais les crachats, la violence physique et verbale qu'il subira deux ans durant au collège, l'attitude de sa famille qui ne sait comment faire face à sa différence, le sentiment de honte qui l'habite face à la pauvreté des siens, pauvreté aussi bien verbale qu'économique, font que cet adolescent "prisonnier de [son] propre corps", ne trouvera d'issue qu'en dehors de ce monde clos sur lui même.
Même si le mode de vie, de pensée, décrits dans ce roman à caractère autobiographique ( non assumé sur l'objet livre) pourraient de prime abord paraître d'une autre époque, nous nous situons ici à la fin des années 1990, début 2000, en Picardie. Eddy Bellegueule, vrai nom de l'auteur, s'il choisit de se renommer, n'en profite pas pour autant pour régler ses comptes avec les membres de sa famille. Il analyse de manière lucide ce qui les entrave d'un point de vue sociologique et ne les juge pas .
Il restitue de manière remarquable la langue fruste, les négligences de sa classe sociale, les arbitrages économiques, la méfiance vis à vis de la médecine, le manque d’intérêt pour l'école, tout ce qui creuse un fossé apparemment infranchissable entre "les petits" et "les bourges".
L'auteur partait dans la vie avec un double handicap (son milieu social,son homosexualité) mais il a réussi à En finir avec Eddy Bellegueule tout en nous offrant un texte magnifique sur ses origines et sa quête d'identité !
Edouard Louis - En finir avec Eddy Bellegueule -220 pages
Seuil - Janvier 2014
Merci à Séverine qui a su me éveiller mon intérêt pour ce que je croyais être à tort une histoire américaine de bas fonds (!) et à Aifelle qui a porté le coup fatal !
Si vous avez aimé Annie Ernaux ou Didier Eribon, à qui ce livre est dédicacé, vous adorerez Eddy Bellegueule !
Lu d'une traite ! Et zou sur l'étagère des indispensables !
06:00 Publié dans Autobiographie, l'étagère des indispensables, romans français | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : edouard louis
24/01/2014
l'apiculture selon Beckett...en poche
"J'ai besoin des abeilles pour me rappeler que des choses merveilleuses sont possibles."
Journal imaginaire d'un doctorant embauché par l'auteur d'En attendant Godot,L'apiculture selon Beckett est un prétexte plein de charme et de fantaisie pour brosser un portrait du dramaturge irlandais à mille lieues des clichés qui lui sont attachés comme autant de boulets.Martin Page a fait son miel des points de vue originaux de Beckett sur les universitaires, les relations entre l'art et le monde mais aussi sur le personnage que , jeune auteur soucieux de crédibilité, il s'est créé. Il en brosse aussi un portrait ancré dans la quotidienneté. Imaginer le dramaturge confectionner des crêpes ou vêtu d'une tenue d'apiculteur est une vision plutôt rafraichissante !
Pour autant ce roman ne fait pas abstraction de la gravité inhérente à celui qui " ne pouvait être proche que de gens qui savaient que la guerre n'était pas terminée et ne se terminait jamais, qui vivaient sous un climat différent de la majorité. Des gens légers et graves, fiables et passionnés."
Une parenthèse enchantée de quelques mois pour le narrateur et de 86 pages pour le lecteur qui ne peut qu'espérer que le souhait suivant se réalise: "On devra oublier Beckett pour le redécouvrir et le lire comme il devrait être lu, sans la pollution de la renommée et de la réputation qui l'entoure aujourd'hui. Tout artiste est kidnappé. C'est lui rendre sa liberté que de l'oublier régulièrement, pour poser des yeux neufs sur son œuvre."
Déniché à la médiathèque.
L'apiculture selon Beckett, Martin Page ,Éditions de l'Olivier 2013, 86 pages piquetées de marque-pages car Martin Page et Beckett ont l'art de la formule ! Points seuil 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : martin page
23/01/2014
Le réveil du coeur
"à défaut d'être musulmane rigoriste, elle est femme enceinte pratiquante."
Enfant d'un couple mixte divorcé, Malo va passer pour la première fois le mois d'août chez son Grand-Père, surnommé le Vieux . Ce dernier demande d'ailleurs à son petit-fils de six ans de l'appeler le Paria car, par son mode de vie misanthrope et coupé de la modernité du monde, il s'oppose souvent à son fils et à sa belle-fille.
La figure du grand-père champêtre et tonitruant mais qui cache un cœur d'or est ici revisité par François d'Epenoux avec une vigueur d'autant plus vive que le Vieux s'emporte (et souvent à juste titre) contre certains travers de notre époque. La description des moments partagés entre Malo et son grand-père est touchante, l'auteur a le sens de la formule mais le côté "c'était mieux avant", même s'il est nuancé à la toute fin du roman, m'a parfois un peu dérangée. Un bon moment cependant.
Le réveil du cœur, François d'Epemoux, Editions Anne Carrière 2014, 254 pages
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : françois d'epenoux
22/01/2014
à la vue à la mort
Une nouvelle couverture et une adaptation télévisée ce soir , scénario signé Françoise Guérin !
Loin des romans américains formatés,le premier roman policier de Françoise Guérin, A la vue , à la mort se joue des conventions du genre et fait éclater la structure classique : mise en place, meurtre,enquête.
Quand le récit commence, deux meurtres ont déjà eu lieu mais l'événement le plus important est sans conteste que le Commandant et profileur Lanester, chargé de l'enquête ,est devenu soudainement aveugle.
Cette cécité n'ayant aucune cause pathologique, Lanester va entreprendre, bon gré ,mal gré, une enquête sur lui même en commençant une analyse, tout en poursuivant le meurtrier en série qui a la charmante habitude d'énucléer ses victimes.
Rien de gore dans cette double enquête passionnante où l'on apprend au passage des trucs utilisés par les aveugles ainsi que quelques rudiments d'une technique de combat (ça peut toujours être utile). Autour de Lanester,évolue toute une faune de personnages pittoresques, que paradoxalement, ill n'apprendra à regarder que quand il sera aveugle...
Françoise Guérin écrit de manière fluide et nous fait partager son amour des mots. Elle a su créer un univers et faire exploser les clichés du genre, c'est sans doute pour cela que son livre a remporté le prix du premier roman du festival de Cognac !
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (10)
20/01/2014
Tous les chiens de ma vie
"Peut être les maris ne m'ont-ils jamais bien réussi."
Même si Elizabeth von Arnim l'affirme péremptoirement "Il fut évident que je suis faite pour les chiens, comme les chiens paraissaient faits pour moi", la manière désinvolte dont elle traite ses premiers compagnons peuvent nous en laisser sérieusement douter.
Ce n'est qu'au fil du temps, devenue veuve et ses enfants (sa "portée" (sic) )ayant quitté la demeure maternelle, que va pouvoir s'approfondir la relation qu'elle tisse avec Tous les chiens de [sa] vie. La place qu'elle leur accorde devient au fil des pages plus importante et émouvante. En effet, même si elle s'en défend à plusieurs reprises, ce récit censé être consacré aux canidés s'égare souvent en digressions savoureuses où l'auteure croque ses contemporains et elle -même avec beaucoup d'humour et de piquant : " Si ce livre n'était pas entièrement consacré aux chiens, je ferais ici une digression à propos d'un grand-oncle et d'une grand-tante, qui moururent exactement comme lui,* après un dîner exquis. Dans leur cas, on n’avait pas eu besoin de vétérinaire."Tout en légèreté, sans jamais s’appesantir sur les aléas de sa vie , cette anglaise, exilée par son premier mariage en Poméranie, mène sa barque avec une modernité remarquable. Dotée d'autant d'énergie que les chevaux ou les chiens qu'elle entraine dans de grandes balades, elle eut une vie plus agitée encore qu'elle nous le laisse entendre (merci aux notes en bas de page qui permettent de contextualiser).
Une écriture sans rien d'empesé, pleine de vivacité, fait de ces 247 pages un petit délice !
Merci à Libfly et aux éditions Omnia poche !
* son chien Pincher.
06:00 Publié dans Autobiographie | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : elizabeth von arnim
18/01/2014
Les insoumises ...en poche
"J'ai bien peur qu'aucune de nous deux ne prenne en compte ce satané principe de réalité."
Inflexible, intransigeante,telle est Louise. Elle veut réformer la société et fréquente des groupes politiques radicaux à Paris. Plus rêveuse, léthargique, mais aussi plus sensuelle est son amie Renée, partie poursuivre mollement en Italie de vagues études artistiques.
Pendant trois ans, ces amies de longue date vont s'écrire, (de vraies lettres et non des courriels !), tenant ainsi une sorte de journal qui éclaire de manière rue les fourvoiements de chacune d'entre elle.
Aux sentences définitives de l'une, "Ma vie désormais ne sera qu'engagement politique, mon amant sera le combat révolutionnaire.", succède l'auto-analyse de la quasi léthargie de l'autre, "ce mouvement de surplace intérieur". Lucides, elles le deviennent au fil du temps car, adolescentes protégées par des familles pouvant subvenir à leur besoins, elles n'avaient guère été confrontées à ce "satané principe de réalité. prendre le métro, chercher un logement, tenir un fer à repasser, effectuer les basses besognes de tout stagiaire, voilà qui va devenir pour elles de "terribles épreuves".
Exaltées, toutes deux le sont à leur manière, Louise qui veut changer la société mais va vite se rendre compte que les idéaux se fracassent contre les petitesses de la vie, Renée qui veut devenir artiste sans travailler. Peut être ont-elles trop lu les philosophes des Lumières ou les romanciers du XIXème siècle... De déconvenues en échecs, chacune trouvera sa voie mais au prix de quelles souffrances ?
Elles pourraient être ridicules ces deux héroïnes, surtout quand on a l 'âge d'être leur mère, j'ai souvent souri devant leurs déclarations tour à tour exaltées ou désenchantées, mais en même temps j'ai retrouvé les sensations et les sentiments propres à cette période si délicate, cette transition entre l'adolescence et l'âge adulte, cette frontière ténue que l'on franchit petit à petit, aux prix de désillusions et de compromis.
Célia Lévi dont c'est le premier roman réussit le pari de tracer la carte d'un pays qui n'est pas si lointain avec délicatesse et sensibilité. Une auteure à suivre. 182 pages frémissantes où on ne s'ennuie pas une minute.
Célia Lévi, Les insoumises, Editions Tristram poche
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : celia levi
17/01/2014
Série Z ...en poche
"Numérote tes escarres, ça va saigner."
Féru de films de série Z, Félix Zac, adolescent attardé et néanmoins père de famille, commence beaucoup de scénarios, sans jamais les terminer.Un jour pourtant, notre anti-héros achève L'hospice de l'angoisse qui se déroule dans une maison de retraite où cabotinent à qui mieux mieux de vieux acteurs n'ayant jamais accédé à la gloire. Hélas, la réalité va rattraper la fiction et les cadavres du scénario vont tout à fait correspondre à ceux des pensionnaires de la Niche saint-Luc , là où Félix avait précisément situé l'action de son film ...
"Auteur en roue libre, lecteur rend ton livre !" ,prévient , sentencieux, M. hubert C. de knokke-le -Zoute, qui, mis en abîme supplémentaire ,lit le roman en même temps que nous, mais heureusement lui même finalement ne suivra pas ce conseil car auteur en roue libre , livre hors calibre !
Un récit où les péripéties se succèdent en cascade, où les dialogues sont plein de verdeur (les retraités ne possèdent peut être plus leur dentition d'origine mais ils ont cependant la dent dure et même perclus d'arthrose sont dotés d'une énergie à toute épreuve!), où les clins d’œil aux vedettes de la série Z se faufilent en douce aux coins des rues, où les titres mémorables titillent notre mémoire,ne peut que séduire le lecteur, entraîné dans un tourbillon qui ne l'essouffle même pas !
Félix, homme un peu falot au départ, noyé qu'il est dans un gynécée dont la plus jeune représentante, à savoir sa fille Zoé n'est pas la moins intrépide , va nous réserver bien des surprises. Animateur de blog pour les fondus de nanars , il analyse les thématiques de ces séries Z avec un angle à chaque fois original et hilarant. Qui aurait cru que Max Pécas était "le cinéaste français qui a le mieux su exprimer le carpe diem antique "? ou que "L'hystérie funésienne *reflète l'angoisse métaphysique de l'homme confronté à la disparition de ses repères et à la naissance d'une nouvelle société dont il se sent exclu, et qu'il identifie donc à al barbarie. Tout mais 68 est là, dans les tics de l'adjudant Cruchot devant une jeunesse qui dit merde à l'uniforme en exhibant ses blanches fesses . CQFQ." ?
On sent que l'auteur connaît lui-même par coeur ces films et qu'il éprouve pour eux et leurs acteurs une grande tendresse, tendresse qu'il nous fait partager tout au long de ces pages pleines d'humour et d'énergie. Un livre qui donne une folle envie de regarder cet été quelques uns des titres gratinés évoqués dans Série Z !
* De Funès et ses fameux gendarmes !
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : j.m. erre
16/01/2014
Les autres, c'est rien que des sales types ...en poche
e Sale Type est protéiforme: Con, Touriste, Imbécile Heureux, Provincial, Jeune, Pauvre, Végétarien... Il rôde autour de nous, nous le côtoyons chaque jour et devons nous en accommoder quand il se présente sous la forme de Conjoint ou Commerçant.Bref, le Sale Type c'est l'Autre. Et il n'échappe pas à l'oeil acéré et à la plume alerte et élégante de Jacques Alain Bertrand qui le croque avec une jubilation de chat gourmand...Émaillant ses portraits de citations et de références culturelles jamais pesantes l'auteur nous entraîne avec bonheur dans un monde où sous une forme légère des vérités parfois acides nous sont livrées avec grâce.
En outre,un auteur qui se fait un copain poisson , brait de concert avec un âne et caracole avec les chèvres ne peut évidemment que nous être sympathique , surtout quand il termine son ouvrage par une pirouette qui lui évite de se poser en Homme Parfait ou presque...
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jacques a. bertrand