17/06/2014
Le génie des coïncidences
" Il semblerait que je sois accablée par les coïncidences, Professeur Post."
Quand un spécialiste des coïncidences- qui prend un malin plaisir à les démonter et à les expliquer de manière rationnelle-rencontre fortuitement une jeune femme dont la vie semble marquée par un "enchaînement cruel d’événements" que se passe-t-il ? Hé bien cela engendre une série de joutes verbales, un maelstrom d'émotions et une flopée de rebondissements entre l'île de Man, l’Ouganda où sévit encore "un homme qui s'est bricolé une foi, un mélimélo de croyances, a décidé que Dieu lui avait parlé, et que tous ceux qui n'étaient pas d'accord pouvaient être abattus, ou amputés."et Londres.
Usant -mais n'abusant jamais -des analepses* et des prolepses**, J.W Ironmonger joue en virtuose avec nos nerfs (deux scènes sont particulièrement éprouvantes), fait monter l'émotion (j'ai plusieurs fois eu les larmes au yeux) avec beaucoup d'empathie et de sobriété. Il ne faut surtout pas en dévoiler plus de ce roman qui joue sur plusieurs registres (romance, thriller, quête d'identité, réflexion philosophique) et nous offre des descriptions plus vraies que nature d'un continent qu'il connaît et aime profondément: l'Afrique. Pour ceux qui n'ont pas peur des montagnes russes émotionnelles. Et zou sur l'étagère des indispensables !
* correspond à un retour en arrière, au récit d'une action qui appartient au passé Il consiste à raconter après-coup un événement. On peut également parler de flasback pour exprimer cette idée, mais ce terme ne s'utilise qu'à propos de cinéma ou de bande dessinée.
* *Clin d’œil à Cuné.
Le génie des coïncidences, J.W Ironmonger, traduit de l’anglais par Christine Barbaste, Stock 2014, 343 pages que j'ai fait durer le plus longtemps possible, gage de réussite s'il en est, et tout piqueté de marque pages bien sûr !
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : j.w.ironmonger
16/06/2014
Incidences
"Avoir l'esprit ainsi envahi par une femme était nouveau pour lui. Non pas envahi par la crainte, le ressentiment, le désir de vengeance ou autres douceurs que lui inspirait sa mère, ou encore par les sentiments sombres et mitigés que sa sœur pouvait faire naître en lui. mais envahi par un fluide agréable qui parfois se mettait à battre comme un torrent incroyablement bon et dangereux. c'était incroyablement nouveau."
Marc, professeur de littérature d'une université nichée dans les Alpes, collectionne les relations avec ses étudiantes, se mettant ainsi sur le fil du rasoir vis à vis de sa hiérarchie et de sa sœur, avec laquelle il vit. Une de ces aventures va tourner court et lui permettra de rencontrer une femme de son âge qui va exercer sur lui une emprise extrême. Mais à trop jouer avec le danger, Marc parviendra-t-il à toujours maîtriser sa vie ?
Comme son héros qui négocie les virages en épingle à cheveu des routes de montagne pied au plancher , Djian nous gratifie de découvertes surprenantes au détour d'une phrase, glisse quelques indices, nous fait accepter les choix de ses personnages pour le moins perturbants et nous gratifie au passage de diatribes enflammées sur les faiseurs de littérature. Mi roman universitaire, mi- thriller psychologique, l'auteur d'Incidences joue sur les ambiguïtés en permanence mais ce que j'ai apprécié par dessus tout c'est le rapport qu'entretient son personnage principal avec la nature et en particulier avec cette faille cachée dans les bois .Un bon roman qui se lit d'une traite.
Disponible en Folio, (244 pages) et je préfère largement la couv' de 2011 (mon édition) à celle de la réédition, suite à l'adaptation cinématographique (que je n'ai pas vue).
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : philippe djian
14/06/2014
Trop de bonheur...en poche
"A croire qu'il existe en apparence on ne sait quel savoir-faire fortuit et bien sûr injuste dans l"économie du monde puisque le grand bonheur -aussi provisoire, aussi fragile soit-il -d'une personne peut sortir du grand malheur d'une autre."
Les femmes et leur quête de bonheur, dérisoire et courageuse à la fois sont au centre des nouvelles d'Alice Munro. Cruauté, résilience qui ne dit pas son nom, soumission au désir des hommes, voilà à quoi ces très jeunes filles, mères ou femmes plus âgées doivent composer.
Tout l'art d'Alice Munro est de ne pas porter de jugement, de décrire en une phrase tranchante et/ou férocement drôle, l'attitude, le comportement d'un personnage et vous le livrer en entier résumé : "Certaines suggestions, certaines idées, avaient le pouvoir faire tressaillir les muscles de son maigre visage tavelé, et alors son regard devenait noir et aigu, et sa bouche semblait remâcher un goût répugnant. Elle pouvait vous bloquer net dans votre élan, comme un féroce buisson de ronces."
Des textes qui possèdent juste le bon tempo et la bonne durée et ne nous laissent jamais sur notre faim. Des univers denses et intemporels.
Point Seuil 2014.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : alice munro
13/06/2014
Comme la grenouille sur son nénuphar...en poche
"ô Gravité où est ton hameçon, ton fil, le plomb au bas de ta ligne ? "
Pas de doute: "les Parques se plaisent à venir cracher dans ton potage", Gwendolyn! Tu n'as plus qu'à "enfiler ton soutien-gorge pare-balles" pour affronter ce qui risque d'être le plus long et le plus éprouvant week-end pour la trader de Seattle que tu es !
Jugez en un peu: les cours de la Bourse s'effondrent et avec eux tes rêves d'ascension sociale, le singe kleptomane de ton petit ami s'enfuit ,ta meilleure amie disparaît... Mais heureusement dans toute cette pagaille apparaît Diamond, un broker de retour de Tombouctou, charmeur en diable (ou baratineur de génie ) qui va te mettre "au défi de t'intégrer dans quelque chose qui t'es totalement étranger, de sortir du domaine de tes attentes habituelles", bref de jeter un grand coup de pied au Rêve Américain, "de sortir de cette transe où ne comptent que les biens matériels".
Une ville, Seattle où les rayons de soleil "se comportent en touristes" (et qui nous donne l'occasion de superbes descriptions de la pluie entre deux péripéties ), une ville où galope notre héroïne , tiraillée entre la recherche de la satisfaction immédiate et le grand saut dans l'Inconnu, un monde où l'on s'inquiète de la disparition des grenouilles, où l'on croise un médecin japonais qui aurait découvert un remède au cancer mais un monde aussi où l'on peut prendre le temps de s'envoyer en l'air et de vivre une histoire d'amour à la fois débridée et tendre.
Pas de temps morts, tant au niveau du récit que du style , corrosif, plein d'humour et d'inventivité, les métaphores, les comparaisons, mon péché mignon, sont follement réjouissantes, : "Contrairement à l'Américain moyen, elle a une capacité d'attention qui dépasse en durée un orgasme de Mormon", et on sourit tout le temps de la lecture, en se laissant prendre au piège du baratin allumé de Diamond.
Comme la grenouille sur son nénuphar nous fait entrer dans ce monde fou fou fou (qui est le nôtre ) et nous ne lâchons pas une minute ce roman car il y a plus d'imagination dans une phrase de Tom Robbins que dans l’œuvre complète de n'importe quel écrivaillon français.
06:00 Publié dans Humour, le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tom robbins
12/06/2014
Dans les rapides...en poche
Voici ce que j'en disais il y a quelques années :
-mais Kate Bush d'un coup de pied, vient d'enfoncer un coin dans notre trio. "
Le Havre, les années 80. Un trio de filles qui par la magie de Blondie puis celle de Kate Bush, vont découvrir un univers où les femmes sont puissantes.
Une très jolie évocation, pleine de sensations poétiques et intenses, de l'adolescence. Un peu trop de retenue à mon goût mais un style chatoyant et prometteur. (promesses largement tenues !)
Dans les rapides, Maylis de Kerangal, Naïve 2006, 113 pages à lire en réécoutant ...The kick inside bien sûr !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : maylis de kerangal
11/06/2014
La tête en l'air
"Nous les vieux, nous contentons de si peu."
La tête en l'air dépeint le quotidien d'une résidence pour personnes âgées où Ernest, ancien directeur de banque atteint de la maladie d’Alzheimer, va progressivement trouver sa place, se faire des amis et tenter de lutter contre la maladie.
C'est plein d'humour, de bonhomie souriante, d'empathie et d’humanisme. Paco Roca tire parti de toutes les possibilités de la BD pour décrire,sans pathos ,mais de manière à la fois réaliste et poétique les différentes réalités dans lesquelles évoluent ces personnages. Une grosse surprise aux pages 98 -99 et une préface juste parfaite de Jirô Taniguchi complètent de manière idéale cette BD.
Adapté en film d'animation La tête en l'air collectionne les prix.
Déniché à la médiathèque.
Paru précédemment sous le titre de Rides
Paco Roca ,Éditions Delcourt 2012.
06:00 Publié dans BD | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : paco roca, jirô taniguchi, alzheimer
09/06/2014
Lola Bensky
"Pour sa part, Lola avait macéré dans le passé de ses parents , depuis toute petite."
De Londres à New-York en passant par Monterrey, Lola Bensky, 19 ans, interviewe les stars en devenir dans l'effervescence des sixties pour le journal australien Rock-Out. Mais, loin d'être un catalogue plus ou moins nostalgique de portraits sur le vif, c'est surtout à une quête identitaire particulièrement intéressante que nous assistons.
En effet, Lola est la fille de deux rescapés d'Auschwitz et interroger Mick Jagger ou Jimi Hendrix lui donne l'occasion de revenir sur son enfance si particulière, de poser en quelque sorte les questions qu'elle n'osera jamais poser à ses parents.
Se trouvant régulièrement trop grosse (elle est toujours en train de se programmer des régimes plus bizarres les une que les autres), Lola, cahin-caha, finira par trouver un certain équilibre et bouclera la boucle en retrouvant plus de quarante ans plus tard le chanteur des Rolling Stones à un dîner très chic.
Les portraits des rock stars sont extrêmement vivants, sensibles et sonnent très justes. On se prend aussi de sacrés chocs en découvrant les informations distillées plus ou moins clairement par les parents de Lola et la manière dont les enfants des rescapés développent des comportements psychologiques semblables. Mais Lola , vaille que vaille, conserve toujours l'équilibre et ne plonge jamais son lecteur dans la dépression. Un roman troublant.
Lola Bensky, Lily Brett, traduit de l'anglais par Bernard Cohen, la grande Ourse 2014, 271 pages marquantes.
Merci à l 'éditeur et à Babelio !
06:04 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lily brett
08/06/2014
Oiseaux, bêtes et grandes personnes
"Ne faites pas attention à nous. Elle vit pour manger, boire et se disputer, et ma besogne est de pourvoir à ces trois choses."
Corfou, un magnifique terrain de jeux et d'exploration pour le jeune Gerald Durrell et son chien Roger . Passionné de nature, mais aussi curieux des mœurs des autochtones, le jeune garçon ramène toute une ménagerie à la maison : de bébés hérissons jusqu'à un magnifique "crapaud aux pattes spatulées qu'[il] baptisa Augustus Tickletummy".
Ses frères et sœurs adultes sont à l'avenant car, s'ils s'offusquent des trouvailles de leur benjamin, eux n'hésitent pas à ramener de drôle d'humains à la maison ou à entretenir des passions pour le moins particulières avec l'au-de là. Le tout sous le regard bienveillant de leur mère.
Excentrique et attachante, la famille Durrell continue à nous faire rire et sourire tant la manière de raconter de Gerald est pleine de vie et d'entrain.
Le premier volume de la trilogie de Corfou est ici : clic
La trilogie de Corfou ressort dans une nouvelle édition : la Table Ronde 2014.
06:00 Publié dans Humour | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : gerald durrell, nature, corfou
07/06/2014
L'art difficile de rester assise sur une balançoire
"Trop de béatitude appelle la baffe ; c'est peut être bien fait pour moi. "
Vlan ! Pauline qui menait une vie parfaite entre mari idéal et enfants modèles se prend un grand coup de réalité en pleine figure quand son époux la quitte . Pour sa meilleure amie, tant qu'à faire. Du cliché banal et douloureux (mais la vie ressemble souvent à ce type de tautologies) qui va la laisser sonnée.
Seul conseil donné par sa mère, psychiatre renommée : une stratégie d'évitement qu'elle va mener de manière jusqu'au boutiste, allant jusqu'à prétendre que son ex-mari est mort. Mais ce dernier s'évanouit dans la nature pour de vrai...
Dévoré d'une seule traite ce roman très fluide et agréable à lire (car on y retrouve l'écriture inventive et imagée d'Emmanuelle Urien) m'a pourtant laissée une impression mitigée.
Je n'ai en effet éprouvé pas beaucoup de compassion ni de sympathie pour celle qui se définit elle-même comme " une petite-bourgeoise désœuvrée repliée sur l'échec de son couple ", peut être parce qu'autour de moi je connais beaucoup de femmes qui, à la douleur d'être quittée, doivent ajouter en outre de graves problèmes économiques.
Par ailleurs, le récit ne cède pas à la tentation d'un virage vers une version plus noire qui aurait été, à mon avis, nettement plus intéressante, car plus radicale. Il n'en reste pas moins que j'ai apprécié l'analyse fouillée des sentiments de cette femme et le récit de son évolution vers une possible renaissance.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : emmanuelle urien
06/06/2014
Le reste de sa vie
"On dirait que le destin tient à un accroc, un bouton décousu, un fil mal noué, des minutes perdues, des drames qui mèneraient à la porte close de l'école, au train manqué, le monde à sa perte sous une pluie de désastres."
Une femme, laminée par le travail, ses petites filles qu'elle adore, enfermée dans une relation toxique avec un mari-tyran familial ; une femme qui se vide de son énergie à trop vouloir donner ce qu'on lui refuse: de l'attention, de la considération; une femme qui "s'enferme le cœur" , qui a trop souvent les larmes aux yeux, maladroite, oublieuse, mais qui va bientôt pouvoir se poser, "toucher terre" : elle quitte provisoirement son emploi de commerciale.
C'est sa dernière journée de travail : "Aujourd’hui, tout ira bien." Le récit minutieux laisse bientôt sourdre une tension littéralement insupportable quand le lecteur prend la mesure de tous ces petits riens qui auraient pu faire basculer les événements du bon côté. L'engrenage, basé un fait divers réel qui m'avait marquée à l'époque, est implacable et prend vraiment aux tripes. Avec une grande économie de moyens, Isabelle Marrier dissèque les racines profondes de ce drame, mène son héroïne aux confins de la douleur et transforme ce qui s'annonçait comme une belle journée en un chemin de croix quasi insoutenable. Éprouvant, bouleversant, très réussi !
Le reste de sa vie, Isabelle Marrier, Flammarion 2014, 142 pages piquetées de marque-pages.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : isabelle marrier, isabelle pestre